Tranche de vie

La fin d’après-midi baignait la cuisine d’une lumière dorée. Jonah, huit ans, était installé à la table, le dos bien droit, concentré sur ses devoirs de mathématiques. Sa langue dépassait légèrement de sa bouche tandis qu’il écrivait avec application ses chiffres sur la feuille quadrillée.

— Dix fois trois… trente, marmonna-t-il pour lui-même en appuyant un peu trop fort sur son crayon.

TK, accoudé au comptoir avec son café, surveillait l’opération. Carlos, occupé à couper des légumes pour le souper, lançait parfois un coup d’œil vers son fils, fier de le voir aussi sérieux.

Mais l’arrivée de Rose mit fin au calme studieux. La petite, débarqua en traînant son cahier de coloriage sous le bras et grimpa tant bien que mal sur la chaise à côté de Jonah. Ses boucles brunes lui retombaient sur le visage, ses joues étaient rouges d’excitation.

— Moi aussi je fais mes devoirs ! lança-t-elle avec enthousiasme en étalant son cahier devant elle.

Jonah soupira sans lever les yeux.

— C’est pas des devoirs, Rosie. C’est juste du coloriage.

— Non ! Pas vrai ! répliqua-t-elle en sortant attrapant un crayon et en traçant des lignes maladroites sur une page illustrant une sirène. Regarde, je fais comme toi !

Cette fois, Jonah leva la tête, les sourcils froncés.

— C’est pas des maths, ça ! C’est des gribouillis !

Rose croisa les bras, vexée, puis se tourna vers leurs papas pour chercher du soutien.

— Papaaaa… dis à Jonah que je fais pareil que lui !

Carlos, le couteau toujours en main, se retourna en riant doucement.

— Oh, mi amor… tu veux être comme ton grand frère, hein ?

Rose hocha la tête vigoureusement, ses yeux brillants d’admiration.

— Jonah il est grand ! Moi aussi je veux être grande !

Jonah soupira et leva les yeux aux ciels. Mais malgré son air boudeur, il déchira une feuille vierge de son cahier et griffonna rapidement un petit calcul.

— Tiens. Essais de faire ce calcul. Deux plus deux.

Rose observa le chiffre « 2 » qu’il avait écrit, puis s’appliqua à le reproduire. Son « 2 » ressemblait plutôt à un canard écrasé, mais elle rayonna en brandissant son crayon.

— Voilà ! Comme toi !

— Pas vraiment, marmonna Jonah, mais un sourire discret étirait ses lèvres.

TK vint s’accroupir près d’eux et posa une main affectueuse sur l’épaule de Jonah.

— Tu sais, mon grand, c’est normal qu’elle veuille tout faire comme toi. Pour elle, t’es un peu son héros.

Jonah haussa les épaules, feignant l’indifférence.

— C’est tannant surtout… Elle veut toujours me copier.

Carlos posa son couteau et s’approcha à son tour, glissant un baiser sur la tête de Rose qui s’appliquait à tracer un autre « 2 » tordu.

— C’est vrai que c’est tannant, admit-il avec un sourire. Mais tu sais, être un modèle, c’est une grande responsabilité. Tu lui montres le chemin, sans même t’en rendre compte.

Jonah baissa les yeux sur sa feuille, l’air pensif. Rose, de son côté, avait réussi à écrire un « 4 » complètement à l’envers et s’en montrait incroyablement fière.

— Regarde Jonah! J’ai écrit le même que toi ! cria-t-elle en brandissant sa feuille.

Jonah leva enfin les yeux, et malgré lui, un sourire étira ses lèvres.

— Bravo, Rosie ! Tu l’as presque réussi.

Rose se gonfla de fierté, ses yeux brillants d’admiration pour son grand frère. Elle s’approcha de Jonah et glissa sa petite main dans la sienne, comme si elle venait de recevoir la plus belle des récompenses.

— Bon, viens ma princesse, dit doucement TK en se penchant vers elle. On va aller pratiquer nos chiffres dans le salon, et comme ça ton frère peut bien se concentrer. Tu veux ?

Rose hocha vigoureusement la tête, ses bouclettes s’agitant autour de son visage.

— Ouiiii ! Mais… Jonah va venir après ?

Jonah leva les yeux au ciel, mais un sourire malicieux lui échappa.

— Peut-être, si tu me laisses finir mes devoirs.

Rose se mit à sautiller de joie, et TK l’emmena dans le salon, laissant derrière eux un Jonah attendri, la mine faussement concentrée mais le cœur gonflé de fierté d’avoir une petite sœur qui croyait qu’il était un héros.