Tranche de vie
Le soleil de fin d’après-midi baignait le parc dans une lumière dorée. Les rires d’enfants résonnaient entre les arbres, mêlés au grincement des balançoires. Jonah, les joues rougies par l’effort, courait derrière Charlie avec un ballon en mousse. À quelques mètres, Rose s’appliquait à remplir un seau de sable humide, la langue sortie de concentration.
Sous un grand chêne, Carlos s’était installé avec Grace, profitant de la douceur du moment.
— Je jure que ces deux-là ont plus d’énergie que toute la 126 réunie, soupira-t-il en sirotant son café glacé.
Grace éclata de rire.
— Ils sont inséparables, fit-elle.
Les enfants, eux, semblaient parfaitement heureux dans leur monde. Charlie attrapa le ballon, le lança un peu trop fort, et Jonah dut courir à toutes jambes pour le rattraper avant qu’il ne roule trop loin.
Le temps fila doucement. Le soleil descendait, et bientôt, Grace et Charlie prirent congé, saluant la petite famille Strand-Reyes avant de partir.
À la maison, le calme s’installa peu à peu. Carlos avait terminé la routine du soir depuis un bon moment. Rose dormait déjà, un bras pendant du lit qu’elle partageait avec sa collection de peluches.
Quand TK tourna la poignée de la porte et entra dans la maison sombre après sa garde, tout était paisible. Il grimpa les escaliers à pas légers. Une lumière douce filtrait sous la porte de la chambre conjugale — signe que Carlos devait encore lire quelque chose. Mais un froissement répété de tissu attira son attention.
Il passa la tête par la porte entrouverte de la chambre de Jonah.
— Eh, mon grand… il est très tard. Tu dors pas encore ?
Jonah sursauta, leva les yeux vers son père et fit non de la tête.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda TK en s’approchant. T’as mal au ventre ?
— Non… j’pense à quelque chose, répondit Jonah, sérieux.
TK s’assit sur le bord du lit, amusé.
— Dis-moi.
Jonah hésita, triturant le coin de sa couverture.
— Est-ce que… est-ce que je suis obligé d’être amoureux d’un garçon ?
La question prit TK de court. Il sourit doucement, touché.
— Non, mon cœur. Tu n’es obligé d’aimer personne, et encore moins de choisir quelqu’un parce que tes papas s’aiment comme ça. Tu peux aimer une fille, un garçon… Ce qui compte, c’est d’aimer quelqu’un qui te rend heureux et qui te respecte.
Jonah fronça les sourcils, songeur.
— Parce que… moi… j’aime… j’aime beaucoup Charlie.
TK haussa un sourcil, surpris par la franchise de son fils.
— Ah bon ?
Jonah hocha la tête avec conviction.
— Oui, elle est très gentille… et très jolie. Elle court vite et j’aime jouer avec elle.
TK ne put s’empêcher de rire doucement.
— Je vois, dit-il.
Jonah rougit, mais un grand sourire étira ses lèvres. Il tira sa couverture jusqu’à son menton, les yeux brillants.
— Je crois que je vais l’aimer pour toujours.
TK posa un baiser sur son front.
— Peut-être bien. Ou peut-être que tu vas aimer plein de gens différents avant de trouver la bonne personne. Mais si c’est Charlie, elle aura bien de la chance.
Jonah gloussa, puis s’enfonça dans son oreiller.
— Bonne nuit, papa.
— Bonne nuit, mon cœur.
TK rejoignit Carlos dans leur chambre. Ce dernier lisait distraitement un rapport sur sa tablette, ses lunettes glissées au bout du nez.
— Il dormait pas ? fit Carlos.
— Il cogitait… rigola TK en se glissant sous les draps.
Carlos fronça les sourcils et déposa sa tablette sur la table de chevet, intrigué.
— Il t’a dit quoi ?
— Une question pas banale, répondit TK. Il voulait savoir s’il devait aimer un garçon…
Carlos leva un sourcil amusé.
— Oh ?
— Le pauvre petit cœur, ajouta TK. Ça l’empêchait carrément de dormir.
— Et pourquoi cette question, soudain ? demanda Carlos.
— Parce qu’il croit qu’il est amoureux de Charlie.
Carlos éclata de rire, secouant la tête.
— Déjà ? Mon Dieu…
Il marqua une pause, le sourire toujours accroché aux lèvres.
— Bon, au moins, on sait qu’il n’est pas gai, lança-t-il en blaguant.
TK le frappa doucement sur l’épaule.
— Carlos !
— Quoi ? C’est une blague ! dit-il en riant. Tant qu’il est heureux, moi, ça me va.
TK soupira, mi-exaspéré, mi-amusé.
— T’es incorrigible.