Saut dans le temps
Chapitre 1 : Retrouvailles mouvementées
2134 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 14/10/2025 21:01
TK venait tout juste de prendre la bretelle de l’autoroute en quittant l’aéroport. Les valises des enfants avaient été rangées dans le coffre, et tout le monde s’était installé dans la voiture. À part le son de la radio qui jouait un tube de l’été, un silence un peu pesant régnait. Ce n’était pas vraiment le genre d’accueil que TK avait imaginé en allant chercher les enfants à leur retour de vacances chez leur grand-père Owen, à New York.
Jonah avait déjà enfilé ses écouteurs et tapait du pied au rythme de la musique, le front appuyé contre la vitre. Rose, elle, pianotait sur son téléphone avec une intensité presque agressive. TK se racla la gorge.
— Et puis ? lança-t-il d’un ton qu’il voulut léger. C’était comment, la Grosse Pomme ? Vous avez aimé votre séjour ?
Un vague « Mmh-mmh » sortit de la bouche de Rose. Jonah, lui, n’avait probablement rien entendu.
— Hé, oh ? J’ai passé une semaine sans vous voir, quand même, insista TK en tapotant doucement la jambe de son fils.
Jonah sursauta légèrement, puis retira un écouteur.
— Quoi ?
— Je te demandais comment ça s’était passé chez grand-père. Et cette fois, je veux plus que deux syllabes.
— C’était super, répondit Jonah, sans grande conviction.
— Et vous avez fait quoi ? insista TK, tentant de masquer sa frustration derrière un sourire.
— Comme d’hab, répondit Jonah en haussant les épaules.
TK soupira, mais avant qu’il ne dise autre chose, Rose leva les yeux de son téléphone. Peut-être avait-elle eu pitié de lui, ou peut-être sentait-elle le malaise s’installer.
— On a fait les boutiques à Times Square, on a marché dans Central Park, on a vu un match au Yankee Stadium… et on est passés voir les nouveaux travaux que grand-père a faits à sa caserne.
TK hocha lentement la tête, touché malgré lui par l’effort.
— Cool… Ça a l’air d’avoir été un beau voyage. Grand-père ne vous a pas fait boire trop de smoothies ? Ou vous imposer une de ses nouvelles lubies du moment ?
Il jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Pour la première fois depuis leur départ de l’aéroport, un sourire effleura les lèvres de Rose.
— Non, il était surtout content de nous voir, dit-elle. Il a dit aussi qu’il viendrait probablement faire un tour avant la fin de l’été.
— Ah oui ? fit TK, un peu surpris. Ce serait cool. J’aurais tellement aimé venir avec vous…
— Il a dit qu’il s’ennuie de porter un chapeau de cowboy, ajouta Rose avec un sourire en coin.
TK laissa échapper un petit rire, attendri. Il pouvait presque entendre Owen prononcer ces mots avec son accent traînant et son air faussement nostalgique. Ce simple échange suffisait à alléger un peu l’ambiance. Jonah, lui, restait muet, le regard perdu au-dehors.
— Et toi, mon grand ? demanda doucement TK en se tournant vers le siège passager.
Jonah haussa les épaules, sans croiser le regard de son père.
— C’était bien. On a fait plein de trucs.
— Des trucs comme… ?
— Des balades, des restos… grand-père nous a emmenés au resto chinois de maman.
Un silence tomba dans la voiture, inattendu, dense, presque sacré. TK sentit son cœur se serrer.
— Ah ouais ? souffla-t-il. Celui qu’elle adorait ?
Jonah acquiesça en fixant toujours la route, sa voix soudain plus douce.
— Ouais. C’était bon… comme d’habitude. Grand-père a dit qu’elle prenait toujours le même plat.
TK ne répondit pas tout de suite. Il se contenta de hocher la tête, les mains serrées sur le volant.
— Poulet impérial, dit-il finalement. Extra sauce. Et elle prenait toujours du riz vapeur au lieu des vermicelles.
Il s’attendait à un sourire, un commentaire, une réaction. Mais Jonah ne dit rien.
Il tourna lentement la tête vers lui, l’air neutre, mais ses mots coupèrent net la légèreté fragile qui flottait dans l’habitacle.
— Franchement, je trouve ça un peu ridicule, cette tradition.
TK fronça légèrement les sourcils, surpris.
— Ridicule ? Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que je la connais même pas, cette femme, répondit Jonah, les bras croisés sur sa poitrine. Tout le monde parle d’elle comme si elle faisait partie de ma vie… mais c’est pas vrai. Elle est morte quand j’étais bébé. J’ai aucun souvenir. Alors aller au resto chinois une fois par an, comme si c’était censé me connecter à elle… je sais pas, ça sonne faux.
TK resta silencieux un moment. Il aurait voulu trouver les bons mots. Mais il comprenait. Trop bien, même.
— C’est pas pour te forcer à te souvenir… murmura-t-il finalement. C’est juste une façon de... la garder présente. De faire vivre un peu ce qu’elle a été.
— Peut-être… mais je m’en fous, lâcha Jonah, sans émotion.
— Jonah ! s’exclama soudain Rose depuis la banquette arrière. C’est toi qui es ridicule !
— Rosie, mêle-toi de tes affaires ! s’emporta son frère, se tournant légèrement vers elle.
— Hey, intervint TK, tentant de calmer le jeu d’un ton ferme.
Mais Rose n’en avait pas fini. Sa voix tremblait, pas de colère, mais d’émotion retenue.
— Tu te rends même pas compte de la chance que t’as ! cria-t-elle. T’as plein de gens autour de toi qui peuvent te parler d’elle ! De ce qu’elle était, de ce qu’elle aimait, de la façon dont elle te regardait quand t’étais bébé !
Jonah se mura dans le silence, ses mâchoires serrées.
— Moi, j’ai personne, continua Rose. Personne pour me raconter comment ma mère riait, comment elle me tenait dans ses bras, ce qu’elle aurait voulu pour moi… J’ai juste son nom.
Sa voix se brisa sur les derniers mots. Un silence lourd s’abattit dans la voiture, plus fort que les précédents.
TK sentit une boule se former dans sa gorge, il inspira lentement, le regard fixé sur la route.
— OK… souffla-t-il. C’est pas comme ça que je voulais vous retrouver.
Il jeta un regard vers Rose dans le rétroviseur, puis vers Jonah, toujours tourné vers la fenêtre.
— J’suis désolé, marmonna ce dernier, à mi-voix. J’voulais pas dire ça comme ça.
— Tu n’as pas à t’excuser, mon cœur, répondit TK avec douceur. T’as le droit de pas savoir quoi penser de tout ça…
Il laissa passer quelques secondes, puis ajouta :
— On apprend tous à vivre avec ce qu’on a perdu. Et à notre façon. Cette partie de vos vie, papa et moi on à essayer de vous guider du mieux qu’on à pu…
TK jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.
Rose avait détourné le regard. Ses doigts jouaient avec la manche de son chandail, comme si elle tentait d’effacer un mot de trop. Jonah, lui, restait silencieux. Mais ses traits s’étaient un peu détendus.
— Rose, dit TK en forçant un ton léger, tu m’as envoyé une photo d’une assiette de pâtes qui avait l’air... divine. C’était dans quel resto ?
Elle releva les yeux, un peu surprise par la question.
— Oh… ça ? C’est un petit resto italien, pas loin de chez grand-père. Le genre d’endroit planqué dans une ruelle. On l’aurait jamais trouvé sans lui. Il dit que ça vient juste d’ouvrir.
— Ça avait vraiment l’air bon, commenta TK en souriant.
— C’était délicieux, admit Rose. Et Jonah… il a bien apprécié la serveuse.
Jonah se retourna aussitôt, lançant à sa sœur un regard noir.
— Alors ? demanda TK, jetant un regard en coin à Jonah. Elle avait quoi de si spécial, cette serveuse ?
— Elle était juste… gentille, marmonna Jonah sans le regarder.
— Gentille, répéta Rose avec un sourire moqueur. Tu la dévorais des yeux à chaque fois qu’elle venait remplir ton verre d’eau.
— N’importe quoi, grogna Jonah, les joues rosies. C’est elle qui m’a parlé, pas l’inverse.
— Parce que tu faisais ton regard de chien perdu, répondit Rose en gloussant.
TK leva les mains en signe de reddition.
— Ok, ok, on va pas se battre pour une serveuse new-yorkaise.
— Elle lui a quand même filé son numéro en douce pendant que grand-père payait, lança Rose, les yeux pétillants.
Jonah se redressa d’un coup, furibond.
— ¡Te callarás! (tu vas te taire) grogna-t-il.
TK haussa un sourcil, partagé entre l’amusement et une pointe de curiosité.
— ¿Qué? ¡Es cierto! ¡Pero esa chica era demasiado buena para ti! Y tú eras demasiado estúpido para ella (Quoi ? C'est vrai ! Mais cette fille était trop bien pour toi ! Et toi trop stupide pour elle.), lança Rose, implacable.
— Y tú eres una chica entrometida que no sabe ocuparse de sus propios asuntos, (Et tu es une fille curieuse qui ne sait pas s'occuper de ses affaires,) répliqua Jonah du tac au tac.
— Ok, ok… Quand vous étiez petits, ce p’tit stratagème marchait peut-être, mais est-ce que je dois vous rappeler que je comprends très bien ce que vous dites ?
Jonah et Rose s’arrêtèrent net, avant d’éclater de rire.
— Papa, arrête de faire semblant, répondit Jonah. T’as jamais rien compris à cette langue.
— Tu demandes encore à papa de traduire quand on va chez abuela, ajouta Rose, moqueuse.
TK leva les yeux au ciel, faussement offensé.
— À ma défense, chez abuela, tout le monde parle en même temps. Et vous, avec vos cousins, vous prenez un malin plaisir à sortir les mots les plus compliqués du dictionnaire espagnol juste pour m’embrouiller, se défendit-il.
Ses enfants éclatèrent de rire, et leur joie était si communicative que TK ne put s’empêcher de les suivre, un sourire grandissant sur les lèvres.
— Bon… vous avez raison, admit-il en haussant les épaules. Vous êtes bien meilleurs que moi. Mais vous avez grandi avec cette langue.
— Peut-être, répondit Jonah avec un clin d’œil. Mais toi, t’as connu papa depuis bien plus longtemps.
— Alors ? fit TK en reprenant son sérieux. Tu vas lui écrire, à cette fille ?
— Papa… soupira Jonah en roulant des yeux.
— Quoi ? Moi qui croyais que tu avais un petit faible pour Charlie…
— Charlie, c’est une amie, répondit Jonah en insistant sur chaque mot.
— Il a surtout trop peur de Judd, ajouta Rose en éclatant de rire.
— Honnêtement ? Moi aussi j’aurais peur à sa place, admit TK avec un sourire en coin.
— Vous exagérez, grogna Jonah, les bras croisés. Mais ses joues avaient viré au rose.
Il se tourna vers sa sœur, prêt à riposter :
— Et si on parlait du garçon avec qui tu papotais dans l’avion, hein ?
Rose leva les yeux au ciel.
— Sérieusement ? J’avais juste fait tomber mon bouquin. Il me l’a ramassé, et on a discuté. C’est pas comme si j’avais eu le choix… Tu ronflais à côté de moi.
— Je ronflais pas, protesta Jonah.
— Oh que si. Le monsieur devant nous s’est retourné deux fois. C’était malaisant.
TK laissa échapper un rire, incapable de rester sérieux.
Un petit silence s’installa, le temps que la voiture s’engage dans une bretelle de sortie. Puis Rose reprit, l’air de rien :
— Au fait, papa Carlos est au boulot ? demanda Rose.
— Oui, répondit doucement TK. Il est sur une grosse enquête, mais il devrait être là à notre arrivée.
— Vous avez fait quoi pendant notre absence ? demanda Rose, curieuse.
— Ark… tu veux vraiment qu’il te raconte ce qu’ils ont fait ? lança Jonah, l’air taquin.
— Idiot, c’était pas ça ma question ! répondit Rose en roulant des yeux.
TK roula des yeux à son tour, mais répondit avec un sourire en coin :
— Carlos a beaucoup travaillé, et moi, je me suis tapé quelques gardes de nuit. Mais on a quand même trouvé le temps d’aller danser dans le bar où on allait avant que vous avoir.
La voiture ralentit en approchant de la maison, nichée dans un quartier paisible. Le soleil commençait à décliner, projetant une lumière dorée sur les murs familiers.
— Voilà, on y est, annonça TK en se garant dans l’entré.