La volte-face mélodramatique

Chapitre 2 : Enquête n° 1 - Partie 1

2964 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/06/2022 22:08

Journal du 10 mars, page 15C



Hier soir, la première représentation d’une pièce attendue, Le conte de la princesse du Nouveau Vieux Tokyo, a tourné court. En plein milieu de la soirée, un des projecteurs métalliques s’est détaché de son support et a heurté de plein fouet l’actrice principale, Ophélie RETOU, décédée sur le coup. Agée de trente-quatre ans, la directrice du théâtre Wasabi était, d’après la société de films Global Studios, promise à un bel avenir dans le domaine des arts culturels. Autrice aux multiples talents, elle avait notamment décroché la première place du concours littéraire Deauxnim l’année dernière.


Une jeune bénévole, dont le nom n’a pas été dévoilé, a immédiatement été interpellée pour négligence et homicide involontaire par les services de police, arrivés sur place peu après le drame. L’enquête suit pour l’instant son cours.


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10 mars, 7h16

Cabinet d'avocats Wright & Co.

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Je n’avais pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Mon café long suffisait à peine à me tenir éveillé et les journaux s’étaient déjà emparés de l’affaire. La police était repartie aussitôt après être arrivée, avec Maya en prime, balisant la scène du crime au passage. Mon assistante était restée prostrée tout du long sur le panneau de commande des projecteurs, les yeux dans le vide. J’allais bien entendu la défendre, que ça puisse me coûter ma carrière pour ce qu’aurait été la tentative la plus désespérée de Phoenix Wright... ou mon badge, ou qu’importe. Après tout, je croyais en l’innocence de tous mes clients. Qu’il s’agisse d’un crime, d’un drame, d’un accident... Maya n’était pas responsable, ni coupable. J’en avais l’intime conviction. Je devais en avoir l’intime conviction. Enfin, à cet instant, mes deux seuls “alliés” étaient mon café et ce journal replié sur le bureau. Les heures de visite de la prison n’avaient pas encore commencées. La scène du crime, elle, était toujours fermée au public. Mais je ne comptais pas rester les bras croisés...


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10 mars, 7h50

Théâtre Wasabi

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Vu le peu de kilomètres qui me séparaient du théâtre, j’avais fait le trajet à pied. Sans surprise, l’entrée était clairement délimitée par des bandes signalétiques : personne ne pouvait plus passer sous la feuille de wasabi rouge, à part les forces de police. Je m’approchais quand même du garde en poste qui n’avait pas l’air bien expérimenté, tentant le tout pour le tout…


« Dites, vous sauriez ce qu’il s’est passé ici ? Je comptais m’inscrire aux cours du soir… feignis-je avec mon meilleur jeu d’acteur.


— Je suis désolé monsieur, le théâtre est fermé au public pour le moment.


— Oh, c’est bien dommage, que la devanture est jolie ! Et la directrice est plutôt connue.


Si ça, ce n’est pas du bluff de qualité...


— A propos de la directrice... Vous ne risquez pas de la revoir. Elle est décédée hier soir.


— Oh, c’est dramatique ! Vous sauriez si je peux contacter une personne du club ?... lui confiai-je avec mes yeux doux (en ayant tout de même un doute sur le caractère doux de mes yeux étant donné toutes mes mésaventures face au juge du tribunal).


— Eh bien, il y a cette dame qui est passée un peu plus tôt ce matin...


— Cette dame ?


Il fronça un instant les sourcils.


— Hm non, oubliez, ce sera sûrement un témoin important pour la police, se rétracta-t-il, se souvenant a priori de son propre métier. Je vous prierai de revenir un autre jour ! Les personnes habilitées auront un accès plus tard dans la journée.


— Oh... lâchai-je la bouche en moue. Très bien, je repasserai. Merci.”


Bravo Phoenix : jeu d’acteur un – police zéro... Yeux doux : zéro aussi (sans conséquence). Une dame passée plus tôt dans la matinée... Il ne pouvait s’agir que d’Alice PALETIN, la décoratrice et costumière. Pourquoi témoigner contre Maya ?... Après tout, peut-être qu'elle n'avait pas le choix ? La loge se trouvait du même côté de la scène que le panneau technique des commandes et au moment du drame, puisqu'elle ne jouait aucun rôle, elle devait se trouver dans la loge du théâtre. Pour ainsi dire, aux premières loges du drame... Il fallait que je la trouve avant le procureur.


A ce petit jeu-là, rien de mieux qu’une technologie de pointe… J’ai nommé : le téléphone portable. J’extirpai l’appareil de la poche de mon jean et composais le numéro qui me semblait le plus pertinent, tout en vérifiant ma saisie à chaque nouveau chiffre. La sonnerie retentit à peine une demi-seconde… Puis une voix à la fois rauque et chaleureuse engagea la conversation.


« Oh mon p’tit Phoenix ! Je suis vraiment désolé pour ce qu’il s’est passé ! Oh, cette chère Ophélie… Elle était si énergique, si pleine de vie ! Cet accident, c’est un vrai drame. Oh, et la petite Maya...


— Euh, monsieur Astrit ? l’interpellai-je, soucieux de… pouvoir parler.


— Oh pardon, pardon, je m’égare… s'attrista-t-il. Alors, que puis-je faire pour toi ?


— En fait, je voulais savoir si vous aviez un moyen de joindre Alice. J’aurai besoin d’enquêter sur ce qu’il s’est passé hier afin de défendre Maya.


— Défendre Maya ? Oh, mais mon Phoenix, tu n’as pas besoin de ça pour défendre Maya ! Oh oui, tu la défends très bien tout seul avec tout ton amour ! s’exclama-t-il sans une once de gêne. »


J’étais partagé entre l’envie d’en rire, d’en pleurer, et de raccrocher. Mais le sujet avait ce caractère dramatique qui m’empêchait de réaliser n’importe laquelle de ces actions. Je repris donc, on ne peut plus sérieusement :


— Monsieur Astrit. J’ai vraiment besoin de joindre Alice, je vous en prie.


— Oh, tu as l’air désespéré ! souligna-t-il sans ironie. Ecoute, j’ai le contact de Blake, peut-être qu'il pourra t'aider. Ecoute bien mon Phoenix… »


Je sortis un petit calepin de la poche intérieure de mon costume pour noter avec attention le numéro que Hamburg me récita aussi lentement qu’il le pouvait. Je le remerciai vivement, puis raccrochai. J’appelai Blake immédiatement en suivant. Au détour d’une ou deux blagues douteuses, il me donna finalement le contact d’Alice, qui elle-même me donna son adresse, non sans bégaiement, mais avec une détermination palpable. Enfin, j’attrapai le premier taxi venu et me dirigeai chez Alice, à une vingtaine de minutes du théâtre.


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10 mars, 8h45

Résidence Skye Scraper

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Je saluai le chauffeur en rabattant la portière et me retournai devant… l’édifice ? L’immeuble haut de dix ou douze étages n’avait pas la parfaite allure d’un gratte-ciel, mais il dominait sans mal ses voisins de pierre et de verre. Pourtant, le crépi noirci de la façade le classait automatiquement dans la catégorie des vieux immeubles. J’y entrai en poussant les larges battants en bois, dévisageant le papier peint à la recherche de l’ascenseur qui me mènerait au huitième étage. Un premier tour sur moi-même, puis le deuxième… Il se dessinait sur le mur du fond une porte lourde, surplombée d’une veilleuse d’issue de secours, menant clairement à l’escalier… Et l’ascenseur ?! Je fis un troisième tour sur moi-même avant d’extirper un long soupir, me résolvant à monter ce fichu escalier.


Les pieds enfin posés sur la moquette poussiéreuse du huitième étage, je me retrouvai nez à nez avec le code d’appartement donné par notre timide costumière. Je m’arrêtai quelques secondes afin de reprendre mon souffle, puis enfonçai mon doigt sur la sonnette qui avait la forme d’un simple bouton peint en blanc. Au son strident répondit une voix lointaine et délicate :


« Monsieur Wright, c’est vous ?


— Oui, Mme Paletin… C’est bien… moi… répondis-je non sans effort.


— Oh, euh… Entrez, c’est ouvert. M’invita-t-elle d’une voix à peine audible. »


La porte grinçante s’ouvrit sur un appartement classique. Une seconde porte entrouverte, à ma gauche, donnait sur une petite salle de bain, tandis qu’une grande pièce se dessinait devant moi avec une cuisine d’angle et une table en bois ronde au milieu. La chambre semblait à l’écart. La propriétaire m’invita simplement à m’asseoir autour de la table et me servit un thé bien infusé. J’engageai la conversation avant qu’il ne soit trop tard et que le silence ne nous étouffe… Ou plutôt qu’il ne l’étouffe elle, surtout. 


« Alors Alice, vous avez fermé l'œil cette nuit ?... insinuai-je indiscrètement. 


 — Hm, pas trop… J’aurais aimé…


Hm… Je m’attendais à quelque chose d’un peu plus constructif.


— Oh et, euh… bégayai-je mimétiquement. Ce qu’il s’est passé hier soir vous a vraiment choqué ?


— Eh bien non, pas vraiment… Enfin, si ! Je crois…


Bon sang. A ce rythme, j’aurais récupéré plus de calories en buvant mon thé que d’informations en discutant avec Alice.


— Ecoutez, Alice… J’ai besoin que vous me parliez d’hier soir, d’accord ? Quelque chose que vous avez remarqué, qui vous a choqué… N’importe quoi. J’ai besoin d’informations si je veux sortir Maya de prison.


— Oh oui ! Ils ont arrêté Maya… Elle était si gentille pourtant…


— Raison de plus, Alice. Insistai-je.


— Oh, euh, pardon !... répondit-elle comme si elle avait lu dans mon esprit. Alors, je vais essayer de vous aider…


— Merci Alice… »


Elle commença à me raconter sa soirée, lentement mais sûrement. Après le dîner, elle s’était attelée à la réparation du costume de chevalier, déchiré dans la semaine. Puis, voyant l’heure approchée, elle s’était logiquement dirigée dans la loge pour enchaîner la préparation des costumes. L’endroit offrait une vue dégagée sur la partie arrière droite de la scène, où se trouvait Maya et le contrôle des lumières à ce moment-là. Alice avait donc pu constater sans mal qu’au moment où elle avait entendu le projecteur s’écraser, c’était bien mon assistante qui avait enclenché les manœuvres. Et je n’en avais pas encore pris conscience avant, mais il y avait désormais une chose évidente : nous étions mal partis...


« Mais, comme vous jouiez la majorité des rôles figurants, vous vous êtes parfois absentée, non ? me permis-je d’ajouter.


— Oui, je suppose... Mais j’ai vu ce que j’ai vu, monsieur Wright. Désolée...


A vrai dire, j’avais moi-même une vue claire sur Maya à ce moment-là. Il était ainsi difficile de nier quoi que ce soit. Je pouvais bien remuer ciel et terre, je ne pourrais pas changer cet état de fait. Il me fallait des preuves si je voulais faire avancer l’affaire.


— Hm... Bon, je vous remercie, Alice. Je vais aller voir directement au théâtre, peut-être qu’il sera ouvert au public...


Je me levai, ayant à peine touché mon thé, prêt à partir.


— Oh, monsieur Wright ! A ce propos, un inspecteur est passé me voir plus tôt ce matin. Il m’a dit de remettre ceci à l’avocat qui passerait.


Alice me tendit un sachet de nouilles instantanées, que je fixai une seconde avant d’arborer un rictus bienveillant.


— Sacré Tektiv...


— Euh, vous connaissez l’inspecteur de l’enquête, monsieur Wright ?... demanda-t-elle avec retenue.


— On peut dire ça comme ça, Alice. Ecoutez, je dois y aller. On se voit au tribunal demain.


De mon côté, je devais rendre visite à quelqu’un...


— Oh eh bien à demain, monsieur Wright...”


Elle me raccompagna à la sortie. Nous nous saluâmes, puis elle ferma la porte. Rien qu’en regardant les marches qui se tenaient fièrement devant moi, je suais déjà à grosses gouttes... J’affrontai à nouveau le monstre en colimaçon puis disparus dans la rue, partant vers le commissariat à une dizaine de minutes, à mi-chemin entre la résidence et le théâtre. Sur le trajet, je ne pus m’empêcher de penser à ce qu’avait dit Alice. Il y avait quelque chose d’étrange dans son récit. Elle me semblait avoir évité assez grossièrement la question de ses absences... Et qu’en était-il de son passage au théâtre plus tôt dans la journée ? Il ne servait en tout cas à rien de se précipiter, car je savais par expérience que cela se règlerait au tribunal...


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10 mars, 10h15

Commissariat de police

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En tant qu’avocat, je connaissais bien le lieu, car j’y étais déjà venu plusieurs fois. Ce cher Dick Tektiv était l’inspecteur qui m’avait laissé le sachet de nouilles, j’en aurais mis ma main à couper. C’était un agent un peu... incompétent et franchement maladroit, mais on pouvait compter sur lui dans les moments critiques. Je m’insérai donc dans le commissariat sans attendre.


Le grand open-space s’étendant devant moi avait cette particularité remarquable d’être quasiment vide. Les ordinateurs alignés sur les rangées de bureau n’avaient aucun partenaire avec qui travailler... A part celui du chef de service, qui avait l’air absorbé dans son travail. J’hésitai même à signaler ma présence, ce qui me semblait pourtant essentiel.


« Hm, dites...


— Ah, allez, tu ne me résisteras pas, niveau du démon ! s’exclama-t-il.


Je n’aurais pas dû hésiter à l’interrompre...


— Hm.


Je raclai ma gorge impatiemment.


— Excusez-moi ! L’inspecteur Tektiv est-il ici ?


Il leva les yeux avec étonnement, fixant mes cheveux qui piquaient vers l’arrière. Mon visage, ou mon coup de peigne, lui disaient vraisemblablement quelque chose. Il interrompit son activité pour m’accueillir, effectuant sans doute le seul travail de sa journée.


— Oh, l’avocat, c’est vous ! Tektiv est sorti. Il ne m’a pas dit où il allait par contre. Vous êtes là pour l’affaire de votre protégée ? Les nouvelles circulent vite par ici. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce n’est pas la peine de paniquer. Le procureur assigné à l’affaire n’a apparemment rien d’extraordinaire... Même si ça m’ennuie autant que ça vous arrange.


— Oh, je vois... Si l’inspecteur n’est pas là, je vais aller le chercher alors... insistai-je avec une déception et une rancœur mitigées...


— Attendez, l’avocat. Vous savez sûrement où le trouver mieux que moi... Alors tant qu’à faire, prenez cette recommandation pour accéder à la scène du crime. De toute façon, si c’est pas moi qui le fais, ce sera ce gros gaffeur de Tektiv !... Dans un sens, je préfère autant que ce soit moi. Mais bon, si ça se sait au moment de renégocier les salaires, je dirais que c’était lui, ah ah. »


Le chef semblait étrangement enjoué à cette idée... Malgré tout, je n’allais pas cracher sur son offre. Il fallait absolument que j’accède à la scène du crime et si je pouvais gagner même une demi-heure, c’était à prendre. J’acceptai donc la lettre et repartis aussi vite que j’étais arrivé vers ma destination à présent toute tracée. En effet, même si j’adorais ce cher Tektiv, nul doute qu’inspecter le théâtre me serait plus utile que de lui parler (désolé, inspecteur)…


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10 mars, 10h40

Théâtre Wasabi

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Phoenix vs police : épisode deux. Cette fois, je n’aurais aucun mal à pénétrer dans le théâtre. Il y avait plusieurs agents autour de l’entrée mais, par plaisir, je me rapprochai de celui que j’avais croisé tout à l’heure... Qui me reconnut sans problème.


« Eh, vous ! Qu’est-ce que vous faites encore là ? Je vous ai dit que le théâtre était...


— Oh, mais monsieur le policier ! L’interrompis-je d’une voix malicieuse. Cette fois, j’ai une lettre du département de police qui me permet d’entrer.


— Quoi ?! Vous rigolez...


Je lui tendis avec joie le précieux sésame qu’il ouvrit, puis lut circonspect. Le regard dans le vague, il me rendit la lettre.


— Bon bah euh... Allez-y, entrez.»


Sur son invitation, je franchis le seuil du théâtre. Devant moi se dessinait la même scène que la veille... Le plancher abîmé me paraissait identique. Les rideaux refermés de chaque côté confirmaient cette impression de déjà-vu. Mais une personne était morte la veille. Il s’agissait désormais de la scène de l’homicide d’Ophélie RETOU. Accident ou homicide ? Défaillance matérielle ou humaine ? J’étais ici pour déterminer tout cela... Phoenix, en avant ! 

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