Le Meilleur des mondes possibles (ancienne version)

Chapitre 2 : Chapitre I ~ Le corollaire du paradoxe des sens uniques

8327 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 01:35

Chapitre I ~ Le corollaire du paradoxe des sens uniques

~ Parce que le problème n’a toujours pas été résolu.

 

 

« Conan ! Conan, reviens ici tout de suite ! Qu’est-ce qui te prend ?! »

 

Génial. Il avait désiré ne se faire remarquer par personne, et voilà qu’il devait désormais se trainer Ran dans les pattes sur tout le trajet. Sans compter le fait que, bien évidemment, il aurait droit à des réprimandes pendant et après son escapade qui seraient tout sauf discrètes ; c’était ce dernier point qui l’inquiétait le plus, à vrai dire, puisque cela rendrait sa tâche bien plus difficile à mener. Se faire surprendre par ces étranges choses sorties de nulle part à cause du bruit qu’elle causait était bien la dernière chose à faire. Même si, bien agrippé à son skateboard fonctionnant à l’énergie solaire, il allait bien plus vite qu’à pied, il n’était pas impossible que ces créatures fussent plus rapides. Donc il fallait à tout prix éviter de croiser leur chemin.

L’enfant parcourait le plus rapidement possible les petites rues désertes – qui, par une chance inouïe, le restaient malgré tous les cris presque hystériques de son amie –, cherchant à parvenir à ce mystérieux point d’où toutes ces créatures tueuses venaient. Il y était presque, il était hors de question de faire demi-tour ! Même s’il allait devoir expliquer à la jeune femme qu’il était impératif, désormais qu’ils y étaient quasiment arrivés, d’y rester un moment, au moins le temps d’avoir pu enquêter un minimum sur les lieux. Mais elle ne l’écouterait probablement pas…

 

Ce qu’il imaginait de pire finit par arriver inéluctablement : une de ces créatures surgit brusquement derrière eux. Il l’avait entendue et reconnue à son bruit caractéristique, indigne d’un être vivant, presque comme quelque chose de mécanique. Cela signifiait-il qu’il devait en conclure qu’il s’agissait de machines à tuer au sens propre du terme ? Il était trop tôt pour le dire. Personne ne savait de quoi il s’agissait, et le moment était mal choisi pour y réfléchir.

 

« Ran, cours ! » hurla le jeune garçon en tournant la tête durant un instant.

 

La concernée risqua un œil derrière elle, l’aperçut, poussa un cri de terreur avant de redoubler la cadence de ses pas.

 

« C’est ta faute ! criait-elle, terrorisée. Qu’est-ce qui t’a pris de sortir ?! Où vas-tu ?! Et attends-moi ! »

 

Il ne répondait pas, lui suppliant silencieusement au contraire de se taire. Cela ne pouvait qu’arranger un minimum les choses pour elle comme pour lui de concentrer leurs forces sur leur course plutôt que sur leurs cris et leurs mots. Ils ne devaient pas se laisser rattraper, ni par cette bestiole ni par leur fatigue qui commençait à se faire ressentir.

L’adolescente haletait et, bien qu’ayant réussi à rattraper son ami, commençait de ralentir, essoufflée.

 

« C’est vraiment pas le moment pour ça ! » ragea-t-il intérieurement, excédé.

 

Il se saisit soudainement de sa main, ce qui la fit brusquement basculer sur la planche à roulettes. Elle eut le bon réflexe de s’y agenouiller, enlaçant instinctivement le jeune gamin à lunettes comme elle eut serré dans ses bras un vieil ami. Le concerné, lui, restait à l’avant, demeurant concentré sur le chemin à suivre. Ne restaient plus que quelques dizaines de mètres… C’était trop bête !

Mais, d’un autre côté… Que pensait-il trouver là-bas ? Un refuge, peut-être ? Il n’y avait pas réfléchi. Et il avait osé espérer que tout serait terminé une fois qu’il y serait ? Que cette bestiole s’arrêterait net une fois arrivés, comme s’il s’agissait d’un jeu terminé une fois l’arrivée atteinte ? Quelle naïveté…

 

Ils y parvinrent finalement. Il s’agissait d’une rue comme les autres, sauf qu’il s’agissait d’une impasse. Avait-il mal calculé ? C’était tellement peu probable qu’il n’osa pas douter de sa réussite. Mais dans ce cas alors, d’où provenaient ces choses ? Elles ne traversaient tout de même pas le mur du fond…

 

Il y eut soudainement une vive lumière qui aveugla le duo et les força à fermer les yeux.

 

Ces créatures ne traversaient pas le mur du fond. Elles apparaissaient et disparaissaient tout simplement au beau milieu de la rue : ils en firent l’expérience en agissant de même sans s’en rendre compte.

 

Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, ce fut pour les écarquiller aussitôt. Ils n’étaient plus du tout dans la même rue, mais plutôt dans une sorte de place abandonnée… et envahie par ces créatures. Ils étaient cernés. Instinctivement, Conan eut un réflexe qui leur sauva la vie à tous deux : il lâcha les bords de son moyen de transport qui les laissa tomber au sol, en arrière. L’engin continua sa course sans passager, fonçant dans l’une des créatures ; il en traversa plusieurs, avant de terminer sur le dos, plus loin, hors de vue des deux Japonais. Cette fois-ci, ils n’avaient aucun moyen de s’en sortir.

Peut-être Conan regretta-t-il de s’être levé ce matin-là. En plus, c’était de sa faute s’il avait plus ou moins entraîné son amie dans le même pétrin que lui…

 

Ce fut alors que trois jeunes filles apparurent, s’interposant de toutes parts entre eux et ces choses. Elles portaient toutes d’étranges sortes d’armures colorées. Ne prenant aucunement garde aux mines ébahies des deux Japonais, elles se jetèrent sur l’ennemi grouillant tout en chantant ; deux d’entre elles portaient des armes, soit une grande épée et ce qui ressemblait parfois à une arbalète, parfois à une arme à feu du type pistolet-mitrailleur ; la dernière se battait à coups de poings, et pourtant le contact avec ces choses ne carbonisait aucune d’entre elles. Bien au contraire, la situation était renversée et ces bestioles étaient les seules choses à tomber en poussière de charbon.

Il avait beau réfléchir et observer la scène avec grande attention, Conan ne voyait aucune explication possible. Il n’avait aucun moyen de comprendre autre que celui d’attendre que ces filles sorties de nulle part eussent terminé ; là, il pourrait leur réclamer des explications sur tout ce qui venait de se produire.

 

Une fois que la place fut complètement vide mis à part les cinq personnes présentes – et le skateboard qui désormais était visible à quelques dizaines de mètres de là –, les armures disparurent d’elles-mêmes pour laisser place à des uniformes de lycée japonais tout ce qu’il y avait de plus normal. La plus jeune des adolescentes partit chercher la petite planche à roulettes avant de se retourner d’un air enjoué vers les deux amis éberlués, les saluant tout naturellement et leur tendant l’engin avec un large sourire. Comme s’il n’y avait rien d’inhabituel à faire ce genre d’exploit. Comme si c’était parfaitement normal.

 

« Qui… êtes-vous ? balbutia Ran, à moitié béate.

- Moi, c’est Hibiki Tachibana, répondit aussitôt la petite blonde, qui devait avoir vers les quinze ou seize ans. Et elles, c’est Tsubasa Kazanari et Chris Yukine. »

 

Elle avait montré d’abord l’aînée dont la chevelure bleue étonna encore les deux amis, puis la dernière aux cheveux courts qui laissaient cependant traîner quelques mèches beaucoup plus longues, telles des rubans. Ces dernières avaient réagi avec une mine plutôt désintéressée, chacune plongeant son regard dans le vague des alentours.

 

« Vous, c’est comment ? reprit-elle aussitôt d’un air quasiment excité à rencontrer de nouvelles têtes.

- Je m’appelle Ran Mōri, et voici Conan Edogawa. Est-ce que vous—

- Enchantée ! Auriez-vous l’obligeance de nous suivre, maintenant que vous avez vu quelque chose que vous n’étiez pas censés voir ? »

 

Elle avait toujours gardé son air enjoué, naturel, ainsi que son indétrônable sourire. Ils lui présentèrent en réponse un long silence incrédule.

 

« Vous n’êtes pas sérieuse… C’est une blague, c’est ça ? » finit par demander le gamin.

 

Des voitures noires arrivèrent soudain sur la place, s’arrêtant quelques mètres plus loin. Le sourire de l’adolescente s’accentua.

 

« Vous avez de la chance, ils ont déjà prévu l’escorte pour vous ! »

 

Le silence interloqué reprit le dessus, mais c’était désormais clair, net et précis.

 

Cette fille était sérieuse.

 

 

 

« Professeur ! Vous avez vraiment fait vite ! »

 

Se faisait cependant ressentir bien plus de joie que de surprise dans la voix du jeune adolescent à casquette bleue : son sourire radieux, sur le point d’exploser en éclats de rire à cause d’une trop grande jubilation soudaine, en était la preuve. Luke laissa entrer son mentor ainsi que Flora – qu'il salua avec autant de vivacité –, criant aussitôt à l’adresse de ses parents qu’ils étaient arrivés ; même si son père se trouvait dehors et venait de garer complètement sa voiture, en sortant les valises des deux invités, et était donc forcément au courant puisque cela signifiait qu’il les avait accompagnés depuis le port.

Une fois que tout le monde fut à l’intérieur, Brenda apparut aussitôt, un plateau rempli de biscuits et d’un service à thé, ce qui montrait qu’elle devait sortir de la cuisine. Elle servit ses amis, un par un, au fur et à mesure qu’ils s’asseyaient dans les fauteuils confortables du salon. L’archéologue n’hésita pas à louer la sensation de luxe et de propreté qui ressortait de la charmante nouvelle demeure des Triton, en dépit de sa situation en pleine campagne irlandaise. D’un certain côté par ailleurs, les bois environnants donnaient un certain charme à la vieille bâtisse qui avait, à l’intérieur, repris un bon coup de neuf grâce à ses nouveaux locataires.

 

« L’avantage de la campagne, récitait calmement et fièrement le père, est en effet le calme et la tranquillité. Dublin n’est qu’à quelques dizaines de miles, mais le village d’ici est resté tellement ancré dans les traditions qu’on se croirait à l’autre bout du monde ; ça change de Londres, on peut dire. »

 

Le professeur ne tarda pas à remarquer qu’une tasse de trop, vide, demeurait sur le plateau sur la table auprès de la théière encore pleine d’un Earl Grey brûlant. Lorsqu’il en fit part à Brenda, celle-ci sursauta très légèrement avant de détourner le regard vers son fils.

 

« C’est vrai… Tu devrais peut-être leur expliquer dès maintenant. Après tout, son thé va refroidir. »

 

Flora et son père adoptif eurent la même réaction de surprise, simultanément. Tous leur cachaient quelque chose ? Un hôte ou un autre invité dont ils n’avaient jamais entendu parler ? Pourquoi cacher l’existence d’un ami ?

 

« Professeur… commença Luke d’un air presque penaud. Vous savez ce qui se passe ici, n’est-ce pas ?

- J’ai reçu les détails des faits en même temps que ta lettre. Encore une fois, tes notes étaient lucides et précises, je te félicite. »

 

Il s’agissait d’une affaire de disparitions de certains habitants du village, de manière plus ou moins aléatoire. Il était dit que toutes les disparitions avaient lieu lorsque la victime se rendait dans la forêt, mais nombres de gens qui s’y promenaient revenaient sans une égratignure ; il pouvait s’agir jusque-là d’une simple affaire d’enlèvements, si un autre fait plus déroutant encore n’avait pas commencé en même temps.

En effet, si des gens sans aucun lien entre eux disparaissaient, d’étranges créatures similaires à des poneys apparaissaient de même, à l’intérieur de la forêt, de manière totalement aléatoire ; la majorité des habitants du village étant encore très ancrés dans les traditionnels contes et légendes des lieux, tous avaient lié les deux affaires en accusant tout naturellement ces équidés d’être à l’origine des kidnappings. Il était vrai que nombres de contes à propos de chevaux maléfiques existaient dans les plaines irlandaises. S’en était ainsi suivi une sorte de chasse aux monstres ; mais plus les paysans se hasardaient dans le bois, plus ils avaient de chances de ne pas revenir.

 

« Je ne vous cacherai pas que je me suis rendu quelques fois dans la forêt pour essayer de trouver des indices. N-Ne ne vous inquiétez pas, j’étais très prudent ! se rectifia-t-il aussitôt, faisant des gestes des mains rapides pour montrer qu’il était plus ou moins sur la défensive. Mais en fait, lors de l’une de mes investigations, j’ai rencontré quelqu’un qui nous permettra sûrement de faire la lumière sur cette affaire plus facilement… »

 

Tiens donc. Le Londonien eut un haussement de sourcils surpris, mais esquissa un léger sourire tout de suite après.

 

« Laisse-moi deviner, prononça l’homme d’un ton calme mais neutre. Tu t’es lié d’amitié avec une de ces créatures que tu aurais croisée par hasard ?

- Elle s’appelle Twilight Sparkle. E-Elle est vraiment très gentille ! Et puis, quand je l’avais vue, elle s’était blessée dans un piège laissé par des chasseurs… Je ne pouvais pas l’abandonner là ! »

 

Son mentor lui fit signe de se taire et de reprendre son calme. Son attitude sereine étonna sérieusement son apprenti, lui qui s’était attendu à une réaction toute autre ; même Flora semblait presque ravie de rencontrer un de ces mystérieux poneys étranges qu’elle n’avait pour le moment vu qu’en photographies – celles qu’il avait envoyées au professeur.

D’un autre côté, ils avaient déjà eu vent des événements, et l’adolescent devait avouer que ses propos n’avaient pas été très mystérieux : c’était à lui de se demander pourquoi il s’étonnait que le professeur ne s’étonnât de rien et en sût déjà quasiment autant que lui.

 

« Eh bien, je suppose que nous devrions faire connaissance avec cette Twilight Sparkle… Il serait intéressant de savoir ce qu’elle aurait à ajouter. », proposa finalement l’homme au haut-de-forme avec un sourire naturel et un ton calme, posé, accueillant.

 

Des bruits de pas retentirent alors dans la pièce d’à côté. Ou plutôt, il s’agissait d’un bruit ressemblant plus à ceux de sabots entrant en contact avec le parquet. La porte s’ouvrit lentement, poussée par la tête d’une jeune pouliche mauve et à la crinière indigo ; quelques crins formaient des mèches plus violettes et roses, mais ils étaient rares. Il ne fallut pas longtemps pour remarquer l'unique corne torsadée qui trônait sur son front, ainsi que la marque rose en forme d’étoile à six branches qui se trouvait sur son flanc.

La licorne s’avança silencieusement et calmement vers la table, puis s’assit. Elle avait un ruban blanc autour d’une de ses pattes, preuve qu’une plaie avait été soignée récemment à cet endroit. Elle rougissait légèrement, à cause de l’embarras. Elle devait se demander si elle n’avait pas agi trop rapidement. Peut-être que désormais, son silence allait paraître étrange. Elle allait devoir parler, sinon ce serait malpoli.

 

« Vous êtes le professeur Layton… ? Luke et ses parents m’ont beaucoup parlé de vous. Je suis enchantée. »

 

Elle lui adressa un regard hésitant et un petit sourire timide qu’elle rabaissa aussitôt, inclinant ses oreilles en arrière et rougissant davantage encore.

Le gentleman ne réagit pas durant un instant indéterminé, l’air légèrement interloqué.

 

« Vous… Vous pouvez parler… ? Je pensais que seul Luke pouvait vous comprendre…

- Vous le faites bien. Tout le monde le fait autour de cette table autant qu’à Equestria, alors pourquoi pas moi ? »

 

Petit mouvement de surprise. Piqué par la curiosité, il s’était désormais décidé à poser le plus de questions possible à cette licorne. Elle savait forcément des choses qu’il ignorait, et qui lui seraient utiles pour l’affaire.

 

« Equestria ? répéta-t-il.

- Là d’où je viens. C’est un peu comme ici, sauf que tous les habitants sont des poneys. »

 

Ce qui confirmait que ces créatures provenaient toutes du même endroit, endroit qui se trouvait quelque part… Mais où ? Pourquoi ne l’auraient-ils jamais découvert jusqu’alors, et quel était le rapport avec ces histoires d’enlèvements ?

 

« Comment êtes-vous arrivée ici, vous et vos compagnons ?

- De la même manière que les gens qui disparaissent ici, Professeur.

- C’est-à-dire ?

- J’en ai strictement aucune idée. »

 

Encore une surprise. Il fronça les sourcils, objectant aussitôt :

 

« Comment pouvez-vous en être certaine dans ce cas ?

- Je pense que c’est très probable. À mon avis, ceux qui disparaissent ici doivent bien réapparaître ailleurs. Si j’ai disparu d’Equestria pour me retrouver ici, je suppose que l’inverse a lieu avec les habitants de ce village qui disparaissent…

- Qu’avez-vous fait pour « disparaître » de cet endroit et apparaître en Irlande ?

- Rien de spécial. Je me promenais à la lisière de l’Everfree Forest. »

 

La forêt qui borde mon village, expliqua-t-elle avant que le professeur n’eût le temps de lui demander de quoi il s’agissait, ayant bien compris qu’il désirait absolument tout savoir, du moment que cela leur était utile.

 

« Vous pensez que le malentendu sera élucidé un jour ? demanda-t-elle soudainement en relevant la tête et lui adressant un regard triste, mais espérant une réponse positive. Aucun poney n’a encore été vraiment capturé jusqu’à maintenant, mais j’ignore ce qui arrivera si jamais ça se produit…

- Je crains de ne pouvoir répondre à cette question ; je n’ai pas encore fréquenté les habitants de ce village, je ne connais pas leur mentalité. Ce serait à vos hôtes de vous fournir une réponse, puisqu’ils sont ici depuis quelques mois.

- C’est vrai. Veuillez m’excuser. »

 

Silence. Personne n’avait quoi que ce fût à ajouter dans la même optique que ce qui venait de se dire, aussi la prochaine question du professeur, posée au bout de quelques instants, fut-elle bien plus générale :

 

« Avez-vous une quelconque idée de ce qui se passe ?

- Absolument aucune. Je peux seulement vous dire que la situation se passait de la même manière à Equestria : des poneys disparaissaient et d’étranges créatures que nous n’avions jamais vues auparavant – je sais désormais que ça s’appelle des humains, grâce à Luke – apparaissaient et ne comprenaient rien à ce qui leur était arrivé. C’était pour ça que je faisais mon enquête près de l’Everfree Forest… Sauf que je me suis soudainement retrouvée ici, sans savoir pourquoi ni comment. Je suis tombée dans un piège alors que j’étais perdue dans le bois à côté de ce village, et Luke m’a trouvée… Alors on a fait connaissance, et on a essayé de trouver une explication à tout ça. Sans succès.

- Je vois… Et je suppose que vous vivez désormais en cachette ici. »

 

La jeune jument acquiesça d’un mouvement de tête.

 

« J’espère que mes amies ne s’inquiètent pas trop… l’entendit-il murmurer.

- Nous ferons tout pour que vous les retrouviez, assura-t-il alors. Il faut absolument que nous trouvions un moyen de faire que chacun rentre chez lui. »

 

Il saisit sa tasse de thé, avalant silencieusement une petite gorgée. La corne de Twilight brilla d’une petite lueur mauve avant que sa propre tasse ne fît de même, commençant alors de léviter vers sa bouche et lui permettant de boire elle-même.

Elle s’interrompit aussitôt en voyant la mine éberluée de son interlocuteur, ainsi que les grimaces de ses hôtes qui, apparemment, savaient ce qui se passait mais eurent préféré que cela n’arrivât pas.

 

« Oups… Désolée, j’avais oublié que vous ne connaissiez pas la magie par ici. Toutes les licornes peuvent faire ça…

- Je vois… marmonna l’adulte d’une voix cependant encore sous le choc. Je suppose que si vous ne vous en êtes pas servi pour ouvrir la porte…

- Oui. Je préférais ne montrer qu’une seule chose à la fois, c’aurait fait un peu trop brutal sinon… »

 

Elle confia qu’elle voyait mal au départ comment les humains pouvaient vivre sans magie, mais que finalement les mains étaient réellement un atout qui pouvait se montrer très utile. Mais ça n’égalera jamais la magie, marmonna-t-elle en buvant une autre gorgée.

La discussion se poursuivit encore quelque temps, mais rien de nouveau ne put être établi ; il devenait finalement de plus en plus certain que le seul endroit où ils pourraient trouver des indices serait dans le bois lui-même, malgré le risque de « disparition ». Mais après tout, ils n’avaient pas énormément de choses à risquer puisque ce genre de choses se produisait dans les deux sens ; Twilight avait confirmé que certains poneys avaient réussi à disparaître, puis réapparaître. Mais qu’ils n’étaient qu’un ou deux, sur des dizaines. Tout avait l’air de se jouer sur des probabilités…

Quoiqu’il en fût, ils n’avaient pas le choix : le seul endroit qui pouvait leur fournir des informations supplémentaires était la forêt. Il se décida que le professeur s’y rendrait avec ses apprentis et la licorne dès que le déjeuner serait achevé.

 

 

 

La forêt ne comportait décidément rien d’anormal. Aucune trace de piège, de mécanisme, autre que ceux posés habituellement par les chasseurs en quête d’animaux sauvages à capturer. Et puis, comment était-il possible de disparaître pour réapparaître ailleurs ? Cela relevait soit d’une grande technologie futuriste, soit… de la magie.

 

« La magie que vous connaissez vous permettrait-elle de disparaître et réapparaître ainsi ?

- C’est vrai que le sort de téléportation est très simple et requiert un niveau à peine plus élevé que celui de la télékinésie qui est à portée de toutes les licornes, confirma-t-elle.

- Donc il serait possible que tout ceci soit dû à une ou plusieurs licornes… Même s’il n’y a pas vraiment d’intérêt à enlever des gens et des poneys ; généralement, le coupable se serait focalisé seulement sur la téléportation d’humains ou de poneys, pas les deux… »

 

Ce qui signifiait que soit il y avait là un intérêt qu’ils ne saisissaient pas, soit… il n’y avait aucun coupable. Contre toute attente, la deuxième hypothèse paraissait être la plus probable.

Un étrange bruit retentit soudainement derrière eux. Il était impossible de définir de quoi il s’agissait… On eut dit une sorte de son à la fois mécanique, comme un crissement aigu, à la fois mélodieux, d’un certain point de vue : cela ressemblait au frottement d’un objet métallique contre quelque chose comme une corde d’acier, mais pas exactement… Il n’avait jamais entendu quoi que ce fût de la sorte.

 

Minute… Cela signifie-t-il que ce serait causé par l’origine de ces téléportations ?

 

Et cela signifie-t-il que nous allons… ?

 

« Professeur, regardez ça ! » s’écria Luke en pointant du doigt l’endroit d’où ce bruit semblait provenir.

 

En effet, venait de commencer à apparaître, très faiblement, très pâle et plus transparente encore qu’un verre de lunettes, une lampe clignotante à l’allure d’un gyrophare de police posée sur le contour d’une sorte de grande boîte. Le tout avait disparu aussitôt, avant de réapparaître un peu plus fermement. L’ensemble semblait clignoter de même qu’une lumière, alors qu’il s’agissait d’un corps solide. Du moins… cela en avait l’air.

Au fur et à mesure que cela s’assombrissait et devenait plus opaque, il devint de plus en plus aisé de distinguer l’objet. Lorsque le son s’estompa et que l’engin arrêta de clignoter, il était clair qu’il s’agissait de quelque chose de bien réel.

 

« Une cabine téléphonique… Et bleue, en plus ? Professeur, ce n’est pas rouge, d’habitude, les cabines téléphoniques… ? » bredouilla Flora, ébahie.

 

L’homme au haut-de-forme était tellement désemparé qu’il avait paru ne même pas avoir entendu la question.

La porte de ce qui ressemblait en effet à une cabine téléphonique londonienne s’ouvrit soudainement sur un homme qui devait avoir entre trente-cinq et quarante ans, qui ne regardait pas réellement où il allait – en effet, il avait les yeux vers la cime des arbres plus que devant lui – : il était de plus en pleine discussion avec une personne se trouvant encore à l’intérieur de la machine, et n’avait en conséquence aucunement remarqué ceux qui l’avaient vu apparaître.

 

« Haha ! Cette bonne vieille TARDIS nous a encore amenés là où elle voulait ! riait-il d’un ton à l’aspect tout sauf sérieux.

- C’est-à-dire, Docteur ? demanda alors une voix de femme, qui correspondait par déduction à l’inconnue encore à l’intérieur.

- Inglewood ! Très pittoresque, par contre je te parle pas de l’accent des villageois ! Je connais un peu, j’y suis allé alors que j’approchais de mes six cents ans. Ah, tant que j’y pense, le nom est absolument à ne pas confondre avec la planète du même nom où sévissent d’horribles plantes carnivores ! J’ai même failli y perdre ma main. J’ai déjà perdu ma main, d’ailleurs, enfin, tu étais présente, mais ça fait vraiment bizarre, pendant un instant, de plus sentir tes doigts ! »

 

La volubilité de cet homme était presque plus déroutante encore que cette cabine téléphonique sortie de nulle part. Les Londoniens et la ponette demeuraient statiques, yeux exorbités rivés sur celui qui désormais donnait l’impression de mener un interminable monologue.

 

« Oh. Bonjour ! » s’exclama-t-il d’un ton parfaitement innocent lorsqu’enfin il remarqua les observateurs interloqués.

 

Il commença par ne pas avoir de réponse, mais il parut ne pas y prêter attention ; au contraire, ce déroutant personnage descendit vers eux avec un sourire rayonnant, les mains dans les poches, tandis que sa compagne sortait elle aussi de la mystérieuse boîte bleue. Cette dernière avait les cheveux blonds et courts qui voletaient au rythme de sa marche assurée ; elle paraissait clairement plus lucide que celui qu’elle accompagnait, car dans ses yeux se reflétait bien une lueur d’intelligence et d’une sorte de mélange entre sagesse et confiance en elle.

 

« Qui. Êtes. Vous. » balbutia le professeur alors que l’homme se trouvait à moins de deux yards du groupe.

 

Il avait probablement voulu incorporer une intonation interrogative dans sa question ; mais la surprise, l’incompréhension, l’accumulation de tous ces faits inexpliqués et pour le moment inexplicables, tout ceci avait dû le mettre plus ou moins à bout et entraîner cette soudaine perte de sang-froid momentanée. En effet, le gentleman se reprit aussitôt, tentant de reprendre son calme.

 

« Je suis le Docteur, répondit aussitôt l’interrogé du même ton léger qu’auparavant.

- Le Docteur…?

- Bonjour !

- Non, mais je veux di—

- Docteur qui ? insista Luke.

- Le Docteur ! » répliqua-t-il d’un ton laissant parfaitement comprendre qu’il devait s’agir d’une évidence.

 

L’apprenti resta un instant interdit, la bouche à demi ouverte, les sourcils froncés et les mains légèrement ouvertes montrant l’incompréhension.

 

« Hé ! Vous n’avez pas répondu à ma question ! Vous êtes qui ?

- J’ai répondu à ta question, petit. Je suis le Docteur. Et elle (il montra du doigt la jeune femme qui l’accompagnait), c’est Rose Tyler. Qu’est-ce qui ne va pas là-dedans ? »

 

L’adolescent fit soudainement une moue contrariée. Bien sûr que quelque chose n’allait pas…

 

« Je ne suis pas petit. »

 

 

 

Le Docteur soupira une fois de plus avant de souffler sur sa tasse de thé. Pourquoi avait-il accepté de les suivre jusqu’à cette petite maison en bordure de la forêt, déjà ? Ah, oui. Il n’avait pas le choix. Il l’avait vite compris, il était face à des gens qui cherchaient des réponses et étaient peut-être prêts à tout pour les obtenir.

Au moins, ils avaient cependant l’avantage d’être accueillants et amicaux. Ce thé était tout simplement délicieux.

 

« Bien… reprit au bout d’un moment l’homme au haut-de-forme. Docteur, pourriez-vous nous expliquer votre apparition soudaine dans une cabine téléphonique bleue ? »

 

Tiens, il semblerait que même la couleur avait de l’importance pour lui.

 

« Ce n’est pas une simple cabine téléphonique, Professeur. C’est une TARDIS. Time And Relative Dimension In Space. N’oubliez pas ça.

- Si vous voulez ; mais cela ne répond pas à ma question. Que faisiez-vous dans votre TARDIS, et cette machine a-t-elle un quelconque rapport avec les apparitions et disparitions qui ont lieu ici ? »

 

Il ne répondit pas tout de suite, se contentant de prendre un sucre et de le mélanger à sa boisson brûlante.

 

« Absolument aucun rapport.

- Savez-vous quoi que ce soit à propos de ce qui se passe ici ?

- C’est pour ça que je suis venu. Enfin, après réflexion ce n’était pas ici que je devais arriver puisque je devais arriver à l’origine du problème qui nous atteint tous, et pourtant je suis tombé là où il y avait le plus grand problème de déchirure de l’espace-temps, c’est tout de même drôle comme coïnciden—

- S’il vous plaît, ne dérivez pas dans vos… Comment ? »

 

Le professeur s’était relevé d’un bond, plus surpris encore que d’habitude.

 

« Vous avez bien entendu : cette forêt abrite une déchirure de l’espace-temps en divers endroits, et il en est de même pour un autre univers. En conséquence, si quelqu’un se rend en un endroit où l’espace-temps est fissuré, il se retrouvera tout simplement dans le Void.

- Le Void ?

- Le vide inter-univers. Enfin, c’est ce qui devrait se passer en temps normal, vu que ce n’est visiblement pas arrivé et que les gens qui disparaissent et apparaissent sont encore vivants, donc ils se sont tout simplement rendus dans l’autre univers. Et il n’y a qu’une seule explication à ça…

- De quoi parlez-vous ? »

 

L’expression de l’homme devint incroyablement froide et grave, soudainement, en un instant. Il le transperça du regard, prouvant qu’il fallait véritablement lui faire confiance ; ce n’était pas négociable.

 

« Ça veut dire que ces deux univers sont en train de fusionner. Et ça, c’est très mauvais parce que généralement, ça les anéantit tous les deux. Tout simplement. Le mélange finit par exploser dans le Void si on ne fait rien. En gros, c’est la mort des deux univers et tout ce qu’ils contiennent. »

 

Un grand silence s’ensuivit. Son regard ne cillait pas. Finalement, le professeur Layton parut laisser transparaître dans ses yeux comme une sorte de signe de soumission. Il avait enfin admis que son interlocuteur était sérieux et ne mentait pas.

 

« S’il vous plaît. Dites-nous comment vous savez autant de choses.

- Je n’ai pas beaucoup de temps, je dois partir avec Rose. Si vous voulez, on en reparlera plus tard, mais pour l’heure on doit partir. Plus on attend, plus la situation devient difficile à arranger. »

 

Encore une fois, le gentleman dut avouer qu’il n’avait probablement pas tort. Si jamais il disait la vérité, alors il avait tout intérêt à lui faire confiance et le laisser s’occuper du problème – puisque s’il savait et disait vouloir partir, alors cela signifiait qu’il était également capable de faire quelque chose. Mais d’un autre côté, il était hors de question de laisser filer tant d’informations aussi importantes pour son enquête…

 

« Laissez-nous venir avec vous. Vous nous expliquerez en chemin.

- Hors de question. Là où on va, on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus. Sachez que c’est beaucoup plus grave que votre simple histoire de changements d’univers voisins, Professeur. Votre monde et celui avec lequel il communique sont les plus atteints pour le moment, mais il a l’avantage de ne pas avoir autant de problèmes à gérer que les autres.

- Vous voulez dire que votre machine, le TARDIS, permet de voyager d’un univers à l’autre ? »

 

Le Docteur s’assombrit plus encore qu’auparavant, chose qui paraissait impossible jusqu’alors.

 

« Justement. S’il n’y avait aucun problème, elle ne le pourrait pas. Alors maintenant, assez de temps perdu comme ça. »

 

Il se leva, déposa sa tasse de thé vide sur la table d’un geste énervé, encouragea Rose du regard de le suivre et s’approcha d’un pas rapide vers la porte. C’était à peine s’il avait prononcé des remerciements pour les avoir accueillis et leur avoir offert le thé.

 

« Une dernière chose… »

 

Il se stoppa. L’archéologue s’était affirmé une fois de plus.

 

« Une cantatrice de Londres que je connais a récemment été enlevée. Les ravisseurs n’étaient pas dotés de TARDIS, mais eux aussi ont disparu et ont probablement changé d’univers. J’étais présent dans l’opéra sur le moment, et je ne vois aucun trucage possible. Je peux me tromper, mais j’ai le sentiment que cette affaire est liée à la vôtre.

- L’intuition du professeur ne le trompe jamais ! ajouta aussitôt Luke. En plus, il a déjà élucidé plein de mystères très déroutants ! On peut vous aider ! »

 

L’homme demeura sur le pas de la porte ouverte qui donnait, au loin, sur le village. Il était de dos, ne les regardait même pas. Rose semblait hésiter, mais ne se décidait pas à prendre un parti plus qu’un autre.

 

« Préparez vos affaires si besoin et venez. Mais faites vite. »

 

 

 

« Je n’avais pas osé parler de ce détail… »

 

Le Docteur se retourna vers le professeur, alors qu’il venait d’ouvrir la porte du TARDIS.

 

« Que se passe-t-il ?

- Nous sommes six, dont un poney. Nous ne tiendrons jamais dans un espace aussi réduit… »

 

Il esquissa un sourire à la fois amusé et lassé. Il avait l’habitude.

 

« Ne vous inquiétez pas de ce détail et contentez-vous d’entrer. »

 

Le gentleman se douta que quelque chose qu’il ignorait lui permettrait de comprendre, mais il ne voyait aucune réponse plausible. Finalement, il se décida à obéir, puisque la réponse devait l’attendre à l’intérieur.

Il ne fut pas déçu : en effet, il comprit pourquoi il avait été le seul à se demander pourquoi l’espace manquerait, car il n’en était rien. L’intérieur du TARDIS devait bien être dix ou vingt fois plus spacieux qu’il n’en avait l’air depuis l’extérieur. Il fut tenté de vérifier depuis l’extérieur qu’il n’y avait pas de trucage, mais il ne le fit pas. Il avait bien vu que la machine était apparue juste devant un arbre, qu’elle ne pouvait donc logiquement pas traverser ; et, de plus, la cabine téléphonique paraissait réellement moins large que la véritable largeur de l’endroit où il se trouvait.

Ce n’était pas scientifiquement possible, il en était persuadé. La technologie humaine ne permettait pas ce prodige, et ne le permettrait probablement jamais.

 

Une fois que Luke, Flora et Twilight, après avoir vu l’intérieur avec stupéfaction, eussent tourné au moins cinq fois autour de la boîte bleue, le Docteur et Rose les firent entrer sans prêter attention à leurs mines désemparées. Alors que celui-ci était aux commandes, pianotant sur les différents boutons, l’archéologue ne put cependant s’empêcher de poser une question ; ou plutôt, une hypothèse qu’il voulait mettre au clair.

 

« Vous deux… Vous n’êtes pas du même univers que le nôtre, n’est-ce pas ?

- Nope.

- La technologie de notre monde n’atteindra probablement jamais celle du vôtre… L’humanité est-elle vraiment si avancée chez vous ?

- Nope. Je dirais qu’elle a juste, disons… cinquante ans de plus. Mais les humains ne maîtrisent pas encore ce genre de technologies. »

 

Le gentleman eut cette fois un sursaut bien plus vif que les autres.

 

« Que voulez-vous dire… ? Vous n’êtes pas humain… ?

- Nope, déclara le Docteur, impassible, les yeux toujours rivés sur les boutons de sa machine.

- Mais alors qu’est-ce que vous êtes ? demanda Luke. Vous ressemblez bien à un humain ! »

 

Le concerné poussa un soupir.

 

“Don’t try to understand it. It’s just bigger in the inside, okay ?”

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