La Marée des Ténèbres

Chapitre 1 : Limbes

Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/10/2009 20:14

Je viens de capturer votre esprit... Oui, comme l'on pêche au filet. Pourtant vos proches pourront certifier que vous êtes toujours présent devant votre ordinateur, et rien n'est plus vrai. Et pourtant, tant que vous lirez ce qui va suivre, une partie de vous est susceptible de s'extirper de la Terre pour se retrouver plongée dans un tout autre univers. Rien de dangereux, rassurez-vous, vous vous en sortirez indemne. Tel est le Sortilège.

Qui suis-je ? Cela n'a pas d'importance.
Vous êtes prêts ?
Vous voyez cet homme de grande taille qui repose sur le sol, gravement blessé, le pouls presque éteint ?
Mais oui, vous l'avez reconnu...
Il s'agit de Maverick. Il n'est pas encore mort, et il rêve.
C'est avec lui que tout commence...
Et avec lui que tout finira. Peut-être.
Ainsi, près de la chose calcinée qui fut autrefois le fauteuil de longévité de Von Bolt...


Séquence première : Limbes


Noir.
Tout est noir. Partout, sans échappatoire. Aucune lumière pour le guider où que ce soit. Et cette atmosphère lourde, oppressante... Il avait l'impression d'avaler de la glace à chaque respiration, et de marcher dans les eaux d'un marais visqueux à chaque pas. Pour le reste, tout était sans saveur particulière, d'une absence de vie assez dérangeante. Il marchait, sans but, sans ressentir aucune émotion tangible, sans fatigue.
Par Sturm, où avait-il donc échoué ?
La mémoire le trahissait en ces instants délicats. Il se souvenait confusément que le jeune Jake avait eu le courage (du moins, courage... Ce n'était qu'une détermination facile à adopter et qu'il FALLAIT adopter. Si Jake n'avait pas tiré, il l'aurait fait lui-même pour en finir avec le désastre) d'appuyer sur la détente, non pas pour tuer tout de suite ce vieux crapaud bouffi de Von Bolt, mais pour détruire son cher vieux fauteuil qui lui avait permis de se maintenir en vie beaucoup plus longtemps que de raison. Même lui qui ne laissait pas souvent transparaître ses émotions avait ressenti un soulagement fugace à ce moment, comme lorsque vous tuez de la vermine.
Ce dont il était certain, par contre, c'est qu'il était resté pour couvrir la retraite de ceux qui avaient été, l'espace de quelques jours, les plus proches choses qu'il pouvait rapprocher du terme "d'amis". Un terme bien naïf, qui était à prendre au sens strict d'opposé d'ennemi, et rien de plus.

Mais il ne l'avait pas fait pour eux. Lui qui avait débarrassé le monde de Sturm, lui qui avait fait l'erreur de prêter allégeance (toute relative !) à ce pathétique Von Bolt qui s'était révélé bien plus mauvais que Sturm, il voulait en finir une bonne fois pour toutes.
Et il avait tué le vieillard. Froidement, comme lorsqu'il tuait les assassins lancés à sa poursuite lorsqu'il était plus jeune. Von Bolt l'avait supplié de le laisser en vie, lui avait promis monts et merveilles s'il le sauvait, s'excusait en longueur sur le fait qu'il avait voulu le donner en pâture aux mortiums...
Il avait écouté tout du long, sans rien dire ni bouger d'un iota. Von Bolt lui avait paru encore plus stupide et répugnant qu'il ne l'était avant. Lorsqu'il eut fini son discours, il l'abattit d'une décharge de tempête noire.
Exactement comme il avait abattu Sturm. Il aurait d'ailleurs du tuer ce fou avide de vie éternelle bien plus tôt, dès qu'il s'était présenté avec son trio calamiteux, dont deux n'étaient que des honteuses copies à peines changées de Helmut et d'Adder, qui avaient disparu, seules leur apparence variait vraiment, le fond restait le même : de vrais calamités.
Puis il s'était accroupi, attendant son destin. Il ne regrettait pas cette fin. Il allait mourir après avoir fait ce qui lui semblait juste, même ci cette fois-ci cela allait lui coûter ce qui lui était le plus précieux.
Et il mourrait seul. Cela, il l'avait su depuis qu'il avait perdu ses parents, et réalisé à quel point le monde était hostile et indigne de confiance, si souvent. Au bout du compte, le seul en qui on puisse avoir confiance, c'est soi-même. Et si ce n'est pas le cas, on ne méritait pas de vivre, telle était sa pensée.
Il s'était surpris à penser brièvement à Kat. La jeune génie devrait maintenant tracer sa voie sans lui pour la protéger. Il devinait qu'elle n'en aurait peut-être pas besoin, son aura de folie douce pourrait repousser les pires choses... Il lui souhaite mentalement que ce soit le cas; la jeune fille excentrique avait manifestement essayé de le changer en lui insufflant un peu de joie de vivre, sans succès, évidemment.
Puis une lumière blanche avait tout recouvert- et il avait perdu connaissance, croyant être mort.
Mais pour mieux se réveiller à l'intérieur de ce noir total. Et il marchait, marchait... Et après un temps infini, quelque chose se produisit enfin au cœur de l'obscurité.
Un rayon de lumière blanche jaillit d'un point des ténèbres qui semblaient sans fond, le plaçant dans un cercle lumineux.
Maverick se couvrit les yeux avec son bras, le temps qu'ils accommodent.

Un rire jovial résonna dans les limbes. Maverick regarda de droite et de gauche, sans rien voir, bien sûr.
" Qui est là ?" (Question un tant soit peu stupide, mais qu'on se sent toujours obligé de poser dans ce genre de situation)
A nouveau un rire, presque un pouffement.
" Ah, Maverick, Maverick... Je t'ai observé durant tant de temps, depuis les ombres. Sans conteste, tu étais le meilleur élément de Black Hole. Personne pour te surpasser en compétence, en efficacité, en second-rôle-grand-sbire-du-méchant-en-imperméable... Bien sûr, contre Green Earth, tu n'as pas remporté une seule bataille, même la dernière qui seule importait, mais nul n'aurait pu t'en vouloir, tu étais sous le coup d'une Règle Universelle Mystérieuse.

Seul Sturm t'as dépassé en puissance, si l'on ne compte pas bien sûr l'impérial Kanbeï, et lorsque tu l'as tué, tu as comblé toutes mes espérances ! Je pensais bien que tu deviendrais quelqu'un d'aussi fort...
Mais peut-être pas aussi tôt
.
- Qui êtes-vous ? Votre voix...
- Oh, je suis désolé, toute une question de mise en scène. Grosse voix, ambiance sombre, parfum de mystère...
- Qui suis-je ? Une question d'une affreuse et décevante banalité, Maverick. Et je dois tout aussi affreusement et banalement ne pas te répondre, tu comprends, c'est toute une histoire de dramatique. Et comme tu ne pourras pas t'empêcher de le demander...
Tu es suspendu entre la vie et la mort.
- Merveilleux. Ce n'est pas exactement de cette façon que j'imaginais passer une NDE*...
- Ah, ah ! Maverick... Tout se passait bien, mais nous avons fait un petit accroc, n'est-ce pas ? Troquer sa propre survie contre la mort de ce minable de Von Bolt...

Grâce à moi, ce lourd handicap qu'est pour toi la mort ne sera plus qu'une broutille.
- Qui dit que je suis vraiment mort ? Qui dit que tout ceci n'est pas qu'une illusion, ou un trucage ?
- Allons, ne fait pas l'enfant ! Comment espérais-tu t'en sortir dans cette explosion ? C'est miracle que ton corps soit si peu abîmé, et surtout, qu'il respire encore. Mais si faiblement, Maverick... Il suffirait d'un souffle de vent un peu fort pour venir à bout de toi. Une toute petite pichenette. De toute manière, dans moins de dix minutes, ton cœur va s'arrêter de battre, ton cerveau ne sera plus irrigué, et tu mourras en héros, d'une façon tellement touchante que j'en verserai une larme si j'avais des canaux lacrymaux...
- Information intéressante. Et que venez-vous faire dans le tableau ?
- Voilà la question à un million ! Je suis là pour te proposer un marché. Le meilleur marché que tu pourras jamais faire de ta vie, crois-moi. Je t'ai regardé croître en puissance, Maverick, et maintenant que tu as expérimenté la quasi-mort, tu es prêt pour ce que je prévoyais pour toi depuis si longtemps. Enfin, pas si longtemps, mais il fallait que je le dise comme ça, pour donner un peu d'allant à la chose, tu comprends.
- Je vois... Vous êtes le Diable ou quelque chose dans ce registre-là ? Je ne suis pas intéressé par les histoires de pacte de sang et de vente d'âme pour obtenir des vétilles inutiles, comme la vie éternelle, justement."

La Voix laissa libre cours à sa joie et à son amusement.
" Le Diable ! Quelle amusante pensée. Non, non, je ne suis rien de tout cela. Dieu et le Diable n'existent pas, Maverick. Ils ne sont que des jouets théoriques de l'homme pour se rassurer et croire qu'il n'est pas seul, livré à son destin. Le ciel est vide, pas de nuages sur lesquels batifolents des anges en jouant de la harpe d'or et en mangeant du riz au lait. Pas d'enfer avec des démons ricanants pour te faire subir le même supplice pour une éternité. Je suis sûr que tu penses la même chose, n'est-ce pas ? Ni Dieu, ni destin, pas de jugement après la mort.
- Vous entendre me donne quelques doutes, je dois l'admettre. Sauf si vous n'êtes qu'une sorte d'hallucination, dans ce cas, tout sera terminé dans moins de dix minutes, comme vous l'avez dit; et je verrais moi même ce qu'il en est.
- Je ne l'espère pas ! Toutefois je ne t'impose rien, Maverick. Tu crois que tout s'est terminé avec la mort de ce sombre crétin de Von Bolt ? Certainement pas. Les feux de la guerre se rallumeront sur Wars World, car ce monde porte le nom de son vice.
Et il faut quelqu'un pour veiller à ce qu'ils n'embrasent pas toute vie.
- Et vous avez pensé à moi ? Je suis charmé de l'intention, mais au cas où vous ne l'auriez pas remarqué pendant que vous m'observiez, j'ai plutôt eu tendance à allumer ces feux.
- Ne te méprends pas, petit humain. Faire reposer le poids d'un monde sur les épaules d'une certaine personne, c'est d'un démodé... Et d'un ridicule ! Tu n'es pas un élu, ou une bêtise ce ce genre.
Je peux te ramener à la vie, Maverick, plus fort que jamais. Et je ne veux pas ton âme ou autre stupidité dans le genre. Qu'est-ce que j'en ferai, la mettre sous verre pour commencer une collection ?
- Et que dois-je donner en échange ? fit l'ancien général de Black Hole, insensible à la raillerie.
- Ah, on se laisse pas noyer par mon verbiage, hein ? Parfait, parfait. On n'obtient rien sans rien; Tu es vraiment celui qu'il me faut. En échange, je souhaite que tu te mettes à mon service. Que tu deviennes mon bras droit pour réaliser mon grand projet. Et non, je ne peux rien t'en dire maintenant. Tu n'as aucun sens du dramatique ?
- Vous me demandez si je veux revivre pour servir une voix dont je ne sais rien, qui me dit que je suis presque mort et le monde a besoin de moi ?
- On serait sceptique pour moins que ça, Maverick, mais je dois te rappeler que tu n'as plus que sept minutes à vivre si je n'interviens pas. Et ne te méprends pas... Jamais comme Sturm ou Von Bolt je ne t’asservirais en aucune façon. Tu travailleras pour moi, tout en conservant une certaine liberté. Libre à toi de refuser quand tu en sauras plus ! Je ne prends jamais personne contre son gré, je trouve cela bien trop barbare.
- Donc je ne vous suis pas indispensable... A moins que vous ne bluffiez. Ou que vous puissiez me tuer à tout moment.
- Une vive intelligence, voilà une autre qualité qui se fait bien trop rare. Je n'irai pas par quatre chemins : si tu m'aides, tu vivras, si tu refuses de m'aider sans intervenir dans mes plans, tu vivras, si tu refuses et que tu te dresses ouvertement contre moi, tu mourras. Alors, que choisis-tu ? La mort certaine ou le grand inconnu ?"
Maverick ne répondit pas tout de suite. Il avait toujours des doutes. Rêvait-il ? Dans ce cas, qu'il dise oui ou non ne changerait rien. Mais c'était un bien drôle de rêve pré-mortel, alors. Et puis, la curiosité le titillait. Il ne pouvait pas laisser passer une chance, aussi folle soit telle, de revenir et de ne plus jamais mettre en péril sa survie. D'autant plus que s'il allait vraiment mourir...

" Très bien, Voix. J'accepte ta proposition. Mais je te préviens : je ne serai plus un pion qu'on manipule, pas plus qu'une proie facile. Sturm a bien compris ce que coûtait ce genre de folie.
- Je n'en attendait pas moins de toi, Maverick... Tu as fait le bon choix. Une vie intense s'offre à toi. Traverse le sentier de lumière qui va s'ouvrir devant toi, et surtout, ne dévie pas du chemin et ne regarde pas en arrière. Lorsque tu seras arrivé au bout, suis les messages...
Et rejoins-moi en temps voulu."
Alors le sentier promis surgit du néant pour s'ouvrir aux pieds du mourant. Maverick y engagea un pied, hésita, puis demanda finalement :
" Ton nom ?
- Têtu, hum ? Appelle-moi Voïvode, c'est ainsi que je suis connu ici. Tu n'auras pas besoin de me connaître sous un autre nom avant longtemps. Très longtemps... Maintenant, va."

La voix se tut; il savait qu'il était inutile de la questionner à nouveau pour cette fois-ci. Il se mit en marche sur le sentier de lumière, aussi sereinement que s'il traversait les couloirs d'un quartier général empli de personnes qui s'écartaient devant lui.
Le temps s'écoulait sans perception, et il crut à un moment à une sinistre farce, mais le bout du tunnel se faisait jour juste devant lui.
Alors, avec un sourire mystérieux, il la franchit.

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