L'Oracle de Gotham - tome 1

Chapitre 10 : Prise au piège

5195 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/07/2025 10:43

L’ensemble des invités s’était tu suite à ce qu’il venait de se passer. Ils observaient, abasourdis, la jeune femme se précipiter dans l’ascenseur de la tour, puis monsieur Wayne qui n’avait pas bougé, massant sa joue endolorie. Les journalistes tracèrent les différents titres qu’ils avaient notés et griffonnèrent rapidement ce dont ils venaient d’être témoins sur leurs petits calepins. Le multimilliardaire, adoptant une contenance décontractée, une main glissée dans la poche de son pantalon et faisant mine de consulter sa Rolex à son poignet, annonça la fin de la soirée et tous les invités s’en allèrent les uns après les autres dans un lourd silence ponctué de chuchotements.

Julia était sortie en trombe de l’ascenseur, puis de l’immeuble, siffla un taxi et s’engouffra à l’intérieur sans regarder en arrière. Elle donna son adresse, haletante, puis s’enfonça dans le siège de la voiture. Elle ne réalisait toujours pas ce qu’il venait de se passer. Elle avait convenu avec Bruce que s’il tentait de l’embrasser, elle l’en empêcherait. Ou plutôt : elle s’était instituée comme une règle de ne pas l’embrasser, de l’arrêter avant. La jeune femme ferma les yeux, bouleversée et en colère contre elle-même. Elle avait franchi une limite qu’elle s’était fixée, et qu’elle n’aurait jamais dû dépasser. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Elle les essuya rapidement du revers de la main.

Lorsqu’elle arriva dans son appartement, elle s’y enferma à double tour. Là, ses larmes se mirent à nouveau à couler sans s’arrêter. Elle se sentait perdue. Elle avait l’impression de s’être perdue. Rien de tout cela n’aurait dû arriver, se dit-elle. Pourtant, elle avait été formée pour le terrain à la CIA, et la règle d’or était de ne jamais s’attacher à personne afin de ne pas perdre de vue la mission en cours. Au petit matin, tandis que les premiers rayons du soleil pénétraient sa chambre, elle prit la décision de ne plus avoir aucun contact avec Bruce Wayne. Elle finit par s’endormir, la fatigue l’emportant.

Ce fut le vibreur de son téléphone resté dans son sac à main qui finit par la réveiller. C’était le début de l’après-midi, le temps s’était couvert et des gouttes de pluie martelaient les vitres. Son téléphone cessa de vibrer. Julia se releva, se rendit à la salle de bain pour se débarbouiller et se changer, puis sortit enfin son téléphone. Elle appréhendait d’y voir les appels en absence de Bruce qui aurait essayé de la contacter, mais c’était Stéphanie, qui, après sa dernière tentative, lui avait laissé un message vocal. Elle poussa un soupir de soulagement, puis écouta le message :

—    Julia ! Je viens de voir la gazette d’aujourd’hui ! Comment cela se fait que tu ne m’aies rien dit ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Il faut que tu me racontes ! Rappelle-moi !

Elle poussa un nouveau soupir. Elle monta dans sa mezzanine et alluma ses écrans. Sur internet, elle chercha la Une de ce dimanche matin et y vit, placardé en grosses lettres majuscules : « BRUCE WAYNE REMIS A SA PLACE PAR SA CONQUETE DU MOMENT » Julia enfouit sa tête dans ses bras croisés sur son bureau en marmonnant des paroles inaudibles, se reprochant ses choix de ces derniers jours. Elle inspira profondément avant de relever la tête et de lire attentivement ce qui se disait dans l’article. Son nom apparaissait bien évidemment dans le corps de l’article, mais il avait eu raison : elle passait en second plan derrière l’humiliation subie par le multimilliardaire. Elle n’avait pas encore osé s’attarder sur les photographies de la page. La première, juste en-dessous du titre, montrait Monsieur Wayne juste après la gifle, elle n’apparaissait que floue qui s’en allait. Les autres photographies les montraient tous les deux plus tôt dans la soirée, se tenant par le bras où se jetant des regards complices. Julia ne put s’empêcher d’observer les différentes photographies avec un mélange de regret et d’amertume. Elle avait adoré la soirée. Et c’est ce qui la rendait amer. Elle s’attarda une nouvelle fois sur la photographie pleine page de Bruce. Son visage était hagard, mais lorsqu’elle se concentrait sur son regard, Julia ne réussit pas à déterminer si c’était de la déception, du regret ou de la culpabilité qu’elle y voyait.

Julia ferma la fenêtre internet et passa ses mains sur son visage. Elle ne savait pas encore comment elle allait gérer les prochains jours : il était certain qu’elle allait être prise d’assaut par les journalistes le lendemain lorsqu’elle se rendrait au travail. Elle pourrait les éviter les premiers jours en se mettant en télétravail. Peut-être que leur engouement diminuerait plus vite qu’elle ne le pensait à cet instant. Ensuite, elle devait avoir rendez-vous avec Monsieur Fox dans les industries Wayne. Avec un peu de chance, ce dernier aurait suffisamment de tact pour ne pas inviter Bruce à cette visite. Elle pourrait tout à fait l’annuler purement et simplement, elle ne manquait pas de raison pour cela. Mais si elle devait se recentrer sur sa mission, cette visite pourrait lui être utile. Elle décida de la maintenir.

Soudain, elle se rappela qu’elle souhaitait rencontrer le directeur de l’asile d’Arkham ; elle dut se résoudre à repousser cette entrevue au mardi si l’affaire de la veille se tassait suffisamment vite.

Julia fut soulagée que Bruce n’ait tenté à aucun moment de la contacter, ni par téléphone, ni par message. Néanmoins, ce respect dont il faisait preuve augmenta son propre sentiment de culpabilité envers lui. La seule fautive dans cette histoire, c’était bien elle, et elle en avait parfaitement conscience, même si elle ne cessait de se répéter qu’il aurait dû s’arrêter avant voyant qu’elle ne l’en empêchait pas.

La journée du lundi parut particulièrement longue à la jeune femme qui dut rester cloîtrée chez elle afin d’éviter les journalistes, mais aussi Stéphanie qu’elle n’avait pas rappelé la veille. Julia finit par lui envoyer un simple message : « Désolée, pas envie d’en parler ». Depuis, elle n’avait plus reçu de messages ni d’appel de sa part, accroissant encore son sentiment de culpabilité. En fin de soirée, Julia décida de contacter le Batman afin de lui communiquer ce qu’elle avait découvert en rapport avec l’asile d’Arkham et ce qu’elle comptait faire ensuite. Toutefois, ses appels restèrent sans réponse. L’inquiétude monta comme une bouffée de chaleur. Elle parcourut la ville au travers d’Oracle ; rien n’indiquait qu’il fut mis en mauvaise posture, voire attrapé par les autorités. Elle passa une bonne partie de la nuit à parcourir les vidéos surveillance des quartiers chauds de ces derniers jours, jusqu’à tomber sur un extrait où elle crut apercevoir le Batman en grande difficulté, tenant à peine debout, entrer avec l’aide d’un autre homme de dos dans une voiture noire dont elle n’apercevait que la portière un partie de l’avant du véhicule ; elle ne put en identifier ni la marque et l’immatriculation n’apparaissait tout simplement pas à l’écran. La localisation de la caméra était dans les Narrows, non loin de l’asile d’Arkham. La coïncidence était troublante, cela la décida à se rendre sur place dès le lendemain.

Tôt dans la matinée, elle quitta discrètement son immeuble par le parking et se rendit dans la ligne de métro qui desservait l’île. Vêtue d’une tenue passe-partout, de son imper noir et d’un parapluie, elle put facilement passer inaperçu. La jeune femme avait noté la ruelle où elle avait cru apercevoir l’homme chauve-souris, puis repéra la caméra de surveillance. C’était une rue principale de l’île au bout de laquelle se trouvait l’un de ses trois grands ponts. Elle observa l’angle dans lequel elle avait cru le voir afin de déterminer quelle était sa direction et sa provenance. Julia repéra plusieurs ruelles dans lesquelles elle s’engouffra, jusqu’à trouver un immeuble dont l’une des fenêtres était brisée. Elle examina avec attention les environs de la fenêtre et le sol, les débris de verre étaient encore présents, ce qui signifiait que la casse était récente. Toutefois, elle ne pouvait pas accéder à l’étage, la porte de l’immeuble était fermée à clef. Elle releva qu’il n’y avait pas de traces de sang, ce qui la rassura quelque peu. Soudain, un enfant l’interpella :

—    Vous êtes avec lui ? demanda-t-il.

—    Avec qui ? répliqua Julia avec tact.

—    L’homme chauve-souris, précisa le garçon. Il était là, dans la nuit de samedi à dimanche.

Le garçon, d’une dizaine d’années, pointa du doigt la fenêtre.

—    Sais-tu ce qu’il faisait ? l’interrogea-t-elle alors.

Il hocha de la tête à la négative.

—    Mais il avait l’air mal en point quand il est tombé, décrivit l’enfant. Il est parti par-là, des gens l’ont poursuivi.

Il indiqua la direction par laquelle Julia était arrivée.

—    Tu arriverais à dire à quoi ressemblaient ces gens ? lui demanda-t-elle encore.

—    Il faisait trop sombre, répondit-il en hochant la tête.

—    Je te remercie, lui dit-elle avec un sourire rassurant.

—    Vous allez l’aider ? lança le garçon, intrigué, une pointe d’espoir dans la voix.

Julia lui sourit à nouveau sans répondre. Le garçon lui rendit son sourire avant de courir dans une autre ruelle et de disparaître dans les méandres du bidonville. La jeune femme rebroussa chemin et se dirigea vers l’asile d’Arkham puisqu’elle se trouvait sur place. Elle se présenta comme employée de la mairie, les gardiens la laissèrent entrer, mais elle ne put aller plus loin que l’accueil.

Les locaux étaient vétustes, datant des années 1950 au minimum. Les murs carrelés d’un blanc qui avait mal vieilli avaient perdu leur brillance, le sol de linoléum verdâtre reluisaient étrangement sous la lumière des vieux néons qui pendaient au plafond. L’accès aux ailes de l’asile était verrouillé par un sas composé d’une double porte grillagée peinte en blanc, similaire à ce qu’on pouvait trouver dans d’anciens centres pénitentiaires. L’atmosphère était froide et quelque chose dérangeait la jeune femme. On lui faisait clairement sentir qu’elle n’avait rien à faire là. L’hôtesse d’accueil lui annonça que le directeur n’était pas sur place aujourd’hui, qu’il était à la G.C.P.D. pour une évaluation psychologique. Julia la remercia et s’en retourna dans la rue. Elle reprit le métro jusqu’au quartier général de la police où elle comptait bien rencontrer le docteur Krane.

Mais tandis qu’elle se dirigeait vers l’entrée principale, un agent de police en civil s’interposa devant elle, lui saisit le bras et l’emmena de force un peu plus loin. Elle ne le reconnut pas tout de suite, puis son visage lui revint : c’était l’équipier corrompu de Jim Gordon.

—    Falcone veut te voir, lui dit-il sèchement tout en serrant étroitement le bras de la jeune femme.

—    Eh bien moi non, rétorqua Julia avec fermeté.

Elle essaya de se dégager de son étreinte, sans succès. Elle remarqua qu’il avait un œil au beurre noir et qu’il se tenait les côtes de son autre main. Julia fronça les sourcils.

—    Tu n’as pas le choix, et tu vas y aller tout de suite, gronda-t-il en l’obligeant cette fois à monter dans la voiture banalisée qui se trouvait juste à côté.

La jeune femme n’opposa aucune résistance, cela ne servait à rien de se faire remarquer en plein jour devant le commissariat général. Le ripou monta à l’avant et pris le volant, le trajet se fit dans le silence. Julia tenta toutefois de le questionner sur les raisons qu’avait Falcone de la voir.

—    Il apprécie tes relations, je crois, répondit le flic en ricanant.

Julia serra les dents ; c’est ce qu’elle avait craint lorsqu’il lui avait dit que Falcone voulait la voir. C’était forcément en lien avec les événements du samedi soir. Elle réfléchit à la manière de se sortir de ce mauvais pas, car elle s’attendait à ce qu’il lui demande quelque chose d’impossible.

L’équipier de Jim Gordon se gara dans une place en épi devant le cabaret où elle avait été retenue prisonnière la dernière fois, puis il la fit descendre de la voiture. A nouveau, il la saisit par le bras, la traîna à l’intérieur du cabaret, puis l’emmena dans l’arrière-salle et la fit s’asseoir à une table vide devant de larges banquettes rouge sombre. Il s’annonça à un homme de main qui disparut derrière un lourd rideau, pour réapparaître quelques instants plus tard accompagné de monsieur Falcone, vêtu d’un smoking gris moucheté, un petit mouchoir blanc élégamment replié dans la poche gauche de son veston, ses cheveux poivre et sel plaqués contre son crâne, la raie sur le côté comme dans les vieux films policiers des années cinquante, qui vint s’asseoir en face de la jeune femme.

—    Tiens, c’est gentil de passer nous voir, dit le mafieux d’un ton mielleux.

Julia resta impassible.

—    J’ai vu dans le journal que vous meniez Monsieur Wayne à la baguette, continua-t-il avec intérêt.

—    Vous vous méprenez, répliqua-t-elle d’un ton sec.

Monsieur Falcone s’arrêta de sourire et s’avança sur la table, ses mains jointes posées devant lui.

—    Je veux des parts de son entreprise, reprit-il d’un ton autoritaire.

—    Si vous en voulez, jouez en bourse alors, lui rétorqua-t-elle avec dédain.

Falcone tapa du poing sur la table. Le flic corrompu sortit alors son arme de service et la pointa dans la nuque de la jeune femme.

—    Je crois que je me suis fait mal comprendre, dit Falcone d’une voix lente et menaçante. Vous allez faire en sorte que je sois un des actionnaires principaux de la Wayne Enterprise. Si je n’ai pas ce que je viens de vous demander dans une semaine, je vous descends. Est-ce plus clair, comme ceci ?

Julia hocha brièvement la tête en signe d’approbation. Monsieur Falcone fit un geste de la main ; le ripou saisit la jeune femme et la sortit de l’établissement, la jetant presque dans la rue.

Elle repartit aussitôt d’un pas rapide afin de s’éloigner le plus vite possible tout en massant son bras endolori. Lorsqu’une bouche de métro se présenta à elle, elle l’emprunta et prit la direction de son appartement. Elle était sûre maintenant de ne pas pouvoir rencontrer le directeur de l’asile d’Arkham ce jour-là.

Lorsqu’elle put enfin s’asseoir dans son canapé, Julia poussa un profond soupir. Elle était prise au piège après une journée décevante et infructueuse. Ce qu’elle avait pu apprendre sur l’absence du Batman l’inquiétait d’autant plus qu’elle n’avait toujours pas de nouvelles de lui. Elle devait réessayer de la contacter cette nuit. Ensuite, elle devait trouver une solution rapide pour la demande de Falcone, sinon tout serait terminé le mardi suivant. Néanmoins, rien ne lui venait à l’esprit, pas de brillante idée en vue, ni une simple idée, ce qui aurait suffi dans son cas. Elle finit par monter dans sa mezzanine afin de consulter son ordinateur.

La jeune femme commença par consulter le site internet de la presse locale ; pas de Une intéressante selon elle, mais elle vit malgré tout passer que Monsieur Wayne s’était retranché dans son manoir depuis le dimanche et qu’il n’en était pas sorti depuis. Cela ne fit que raviver sa culpabilité. Elle ferma la fenêtre du site et consulta ensuite ses données sur Oracle, dans l’espoir qu’une idée lui vienne.

Tard dans la soirée, Julia se rendit directement sur le toit de l’immeuble avec son ordinateur-tablette et l’émetteur-transmetteur de Batman. Elle vérifia que personne ne l’observait ou ne regardait par inadvertance, puis elle activa l’appareil :

—    Batman, ici Oracle, si vous m’entendez, venez sur le toit.

Elle relâcha le bouton. Aucune réponse. Elle attendit un peu, puis réitéra son message sans rien en changer, afin que s’il eût été compromis, elle ne se compromît pas à son tour. Puis elle prit la décision d’attendre avec l’espoir qu’il viendrait. Les minutes, puis l’heure défila sans que rien ne se passe. Julia s’était assise par terre, dos contre l’un des caissons, et naviguait sur sa tablette toujours en quête d’une solution à son nouveau problème. Soudain, elle entendit un bruissement ; elle releva subitement la tête, puis se leva d’un bond en apercevant la haute silhouette de l’homme chauve-souris.

—    Que s’est-il passé ? s’enquit-elle avec inquiétude. J’ai essayé de retrouver votre trace, mais…

—    J’ai découvert ce que trafiquait également le commissaire Loeb, dit-il de sa voix rauque et profonde. La poudre ne correspond pas à celle trouvée dans les ours en peluche : c’est un puissant psychotrope qui, à une certaine dose, peut causer des dégâts cérébraux irréversibles, voire donner la mort.

—    Mais que font-ils avec un truc pareil ? murmura Julia interloquée.

—    Je n’ai pas pu le déterminer, ils m’ont contaminé avec avant que je puisse le découvrir, répondit-il.

—    Quoi ! mais…

—    Je vais bien, la rassura-t-il tout de suite. Grâce à cela, j’ai pu composer un antidote.

Julia hocha de la tête soulagée, mais encore éberluée par les événements racontés.

—    Cela explique votre absence sans aucune nouvelle, releva-t-elle à voix haute. Ainsi que le témoignage du garçon…

Batman sembla lui jeter un regard interrogateur.

—    Je me suis rendue dans les Narrows, là où j’ai pu remonter jusqu’à vos dernières traces. Un garçon vous avait vu mal en point, expliqua-t-elle alors. Et en même temps je me rendais à l’asile. D’ailleurs…

La jeune femme leva son doigt comme si quelque chose venait de traverser son esprit :

—    Le psychotrope est sûrement à destination de l’asile d’Arkham, reprit-elle subitement, mais pour en faire quoi… Je suspecte le directeur, le docteur Jonathan Krane, d’aider la pègre à blanchir les hommes de Falcone qui se font arrêter. Une bonne partie d’entre eux se font passer pour fous, entrent dans cet asile, puis en ressortent sans effectuer de peine. Ils échappent ainsi à la justice pénale. Toutefois, un certain nombre ne quitte jamais le centre… Ils disparaissent tout simplement dans cet asile.

—    Nous devons savoir ce qu’il fait dans son établissement, en conclut l’homme chauve-souris.

—    C’est ce que j’ai voulu faire aujourd’hui, mais…

Julia hésita un instant à raconter ce qu’il s’était passé avec Falcone, puis décida de garder cela pour elle.

—    Mais je n’ai pas réussi à le voir, il était en déplacement, se ravisa-t-elle.

—    Ne réessayez plus, c’est trop dangereux, lui interdit alors le Batman.

—    Je veux entrer dans son établissement afin de m’y créer une porte d’accès, insista Julia. J’y trouverai peut-être toutes les réponses que l’on cherche.

—    Laissez-moi faire, répliqua-t-il d’un ton catégorique.

—    D’accord, mais il faudrait qu’on puisse communiquer plus facilement, se défendit Julia. Avez-vous pu vous procurer ce dont je vous avais parlé ?

—    Oui.

Le Batman lui montra de son doigt l’oreille gauche de son casque ; la jeune femme comprit que l’oreillette devait y être logée. Elle sortit de la poche de son sweat un fin casque audio avec microphone intégré qu’elle brancha sur sa tablette et installa sur sa tête, puis tapota alors sur l’écran, effectua plusieurs manipulations, s’approcha de lui et tendit sa main vers son casque avant de stopper son geste à quelques centimètres de son visage :

—    Je peux ? demanda-t-elle alors.

—    Allez-y.

Elle caressa du bout des doigts le logement de l’oreille à la recherche d’un bouton spécifique. Elle sentit son souffle imperceptible ainsi qu’une odeur boisée mélangée à la sueur, lui donnant une note épicée masquée par les fibres de carbone et de kevlar de son costume. Son regard croisa le sien le temps d’une seconde, elle détourna immédiatement les yeux pour cacher l’embarras soudain que lui procurait cette proximité.

—    Si c’est du bon matériel, ce que je n’en doute pas, je devrais pouvoir m’appairer facilement ainsi, dit-elle pour détourner l’attention.

Elle repassa ses doigts le long du casque, sentant l’appareil de communication, puis trouva ce qu’elle cherchait : elle effectua une légère pression, puis un petit voyant bleu lumineux situé sur son propre casque de communication s’illumina. Julia ajusta alors son micro au niveau de sa bouche et testa le matériel.

—    Je vous entends à la perfection, releva Batman.

—    Idem, c’est appairé, valida Julia. J’enregistre votre appareil, ainsi, dès que vous l’activerez, nous pourrons communiquer.

Batman hocha de la tête, satisfait. Toutefois, il perçut le trouble de la jeune femme.

—    Quelque chose vous tracasse ? demanda-t-il.

—    Beaucoup de choses me tracassent, avoua-t-elle, mais rien qui ne puisse mettre en péril notre collaboration. Nos objectifs, quels qu’ils puissent être, sont ma priorité.

Julia se voulut rassurante et déterminée. L’homme chauve-souris n’insista pas plus, au plus grand soulagement de la jeune femme, puis s’envola en sautant du toit.

Le jeudi, elle avait rendez-vous avec Monsieur Fox dans les industries de la Wayne Enterprise. Selon sa décision, elle l’avait maintenu, même si elle appréhendait beaucoup la possibilité de croiser la route de Bruce Wayne. En début d’après-midi, Julia rejoignit Lucius devant de larges entrepôts et bâtiments industriels. Il était élégant dans son costume trois pièces de laine et coton gris et brun, une cravate lignée bordeaux et blanc par-dessus une chemise de coton crème. Ils se firent la bise et n’évoquèrent à aucun moment les événements de la soirée du samedi dernier. La jeune femme l’en remercia intérieurement et le suivit à l’intérieur des locaux. Là, il lui fit signer plusieurs accords de confidentialité et de non divulgation de ce qu’elle allait voir.

Ils commencèrent par les entrepôts et bureaux de développement de technologies dites « domestiques », à savoir tout type d’appareil pouvant être utilisé dans le quotidien. Ils passèrent ensuite par la téléphonie, puis, plus confidentiel, certains projets menés pour l’armée. Cela allait d’accessoires de communication au tank tout terrain et au char de déminage. La jeune femme parut fascinée par la diversité des projets entrepris par la Wayne Enterprise. Ils passèrent ensuite dans les bâtiments informatiques. Là, il lui confia qu’ils avaient été à l’origine de la construction des satellites de communication militaire et des réseaux nationaux. Lucius Fox l’emmena voir les salles de contrôle et les serveurs dédiés. Lorsqu’elle se retrouva sur place, elle ne put s’empêcher de penser à ce que cela représentait comme source d’informations. Une porte d’accès gigantesque sur l’ensemble des réseaux, des communications, domestiques et militaires… une véritable mine d’or. Tout à coup, l’idée qu’elle cherchait depuis deux jours lui apparut comme une évidence. Elle se mordit la lèvre, c’était extrêmement risqué.

Julia fit mine de chercher quelque chose dans sa sacoche, puis prit un air navré :

—    Lucius, je crois bien avoir égaré mes clefs dans l’entrepôt 27…

—    Oh, c’est juste à côté, je vais y aller, répondit-il avec gentillesse.

—    Merci beaucoup, sourit-elle ingénument.

Une fois que Monsieur Fox fut sorti de la salle des serveurs, Julia feignit d’observer les écrans. Quand elle fut certaine que personne ne la regardait, elle fit tomber par inadvertance son rouge à lèvres qu’elle avait sorti de son sac et se baissa innocemment pour le ramasser. Elle en profita pour insérer sa clef USB pré-programmée dans l’une des tours d’ordinateur ; elle feignit de chercher son tube quelques instants, le temps que son programme se lance automatiquement pour installer une backdoor, puis elle se releva, rangeant de manière ostentatoire son tube de rouge à lèvres dans son sac. Elle reprit sa déambulation jusqu’à être rejointe par Lucius qui revenait bredouille.

—    Oh non, j’ai dû les laisser dans mon autre sac à l’accueil alors, s’excusa-t-elle naturellement.

—    Ce n’est pas grave, lui sourit Lucius. Poursuivons, voulez-vous ?

—    Avec plaisir.

Ils quittèrent les locaux et terminèrent la visite des industries, qui dura jusqu’à la fin de l’après-midi. En d’autres circonstances, Julia aurait déjà tout abandonné pour rejoindre le poste de responsable que lui proposait Monsieur Fox. C’était littéralement le paradis des nouvelles technologies et depuis le retour de Monsieur Wayne, le budget alloué au développement et à la recherche avait été plus que triplé. Le rêve de tout ingénieur. Malheureusement, la situation était bien trop délicate ; elle remercia encore une fois Lucius de la visite et promit de réfléchir sérieusement à sa proposition. Mais elle savait qu’elle ne pourrait pas l’accepter puisqu’elle avait son travail à la CIA qui l’attendait. Officiellement, elle avait posé une disponibilité avec pour motif une dépression, afin de mener à bien sa mission personnelle et officieuse : retrouver sa sœur.

De retour dans son appartement, elle se rendit directement devant ses écrans et lança Oracle afin d’ouvrir sa nouvelle backdoor. A partir de maintenant, elle avait accès à tous les réseaux privés et publics, nationaux et militaires. Elle pouvait localiser n’importe quel portable en temps réel, n’importe quelle voiture possédant un GPS, tout. Et grâce à la modification qu’elle avait apportée à Oracle, elle pouvait interagir avec tous les appareils électroniques reliés à un réseau fixe ou mobile. Elle accédait également à toutes les données privées de la Wayne Enterprise, ce qui lui serait utile pour l’idée qu’elle avait eue plus tôt dans l’après-midi. Mais il y avait encore une étape qu’elle devait effectuer avant de pouvoir mettre en œuvre son plan.

Le lendemain, Julia Thorne prétexta une visite pour son travail dans le centre boursier de Gotham City. Elle se présenta comme simple observatrice des services informatiques ; on l’accueillit sans soupçon. Elle se connecta au centre informatisé de la bourse qui était hautement sécurisé, brisa les pares-feux, hacka le logiciel de traitement des données boursières et mit à exécution la première partie de son plan. Aucun informaticien ni employé ne se rendit compte de ses manipulations internes, la jeune femme repartit du centre avec un sourire à la fois séducteur et ingénu.

A la fin de sa journée de travail, elle rentra chez elle directement. Elle devrait préparer la deuxième phase de son plan durant le week-end étant donné que les transactions boursières n’avaient lieu qu’à partir de lundi matin. Tout se ferait ce jour-là, les délais étaient très serrés. Elle brancha un petit disque dur SSD externe à l’un de ses écrans, qu’elle dédia spécifiquement à l’entreprise qu’elle mettait en place. Il était impératif que tout passe par ce disque dur. Elle passa ces deux jours à parer à toute éventualité, à peaufiner chaque détail de ce qu’elle avait prévu de faire. Elle n’avait pas le droit à l’erreur.

Le lundi matin, à l’heure d’ouverture de la Bourse, Julia était prête devant ses deux écrans : à 8h01, elle appuya sur la touche « Entrée ». Il n’y avait plus aucun retour en arrière possible, la machine était lancée. 

Laisser un commentaire ?