L'Oracle de Gotham - tome 1

Chapitre 11 : Fin de partie

5817 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/07/2025 11:39

Ce que venait de lancer Julia Thorne déclencha une réaction en chaîne qui s’étala sur toute la journée de ce lundi pluvieux.

Dans un premier temps, ce fut l’ensemble des actions de la Wayne Enterprise appartenant à monsieur Wayne qui disparurent, rachetées en bourse par une société jusqu’alors inconnue. Cela obligea le propriétaire de l’entreprise à réunir l’ensemble du conseil d’administration et ses PDGs afin de comprendre ce qu’il se passait. Une plainte fut déposée en fin de matinée pour cyberattaque et vol d’actions numériques.

Ensuite, Julia avait utilisé le compte de monsieur Falcone à la banque nationale de Gotham afin d’effectuer la transaction, siphonnant toutes ses provisions et créant un endettement jamais vu dans l’histoire de la ville. Etant donné que Monsieur Wayne lui-même s’était déplacé pour déposer plainte dans le quartier général de la G.C.P.D., le commissaire Johansson n’eut d’autre choix que de faire passer cette enquête en priorité. De ce fait, il fut très vite déterminé que l’origine du vol provenait de monsieur Falcone. Le commissaire obtint dans le courant de l’après-midi un mandat de perquisition ainsi qu’un mandat d’arrêt à l’encontre du chef de la pègre. Son compte bancaire fut gelé, et ses avoirs confisqués le temps de l’enquête.

C’est là que cela se corsait pour la jeune femme : Carmine Falcone avait certainement déjà compris d’où provenait la transaction fautive. Toutefois, elle comptait sur le fait qu’il puisse être arrêté au plus vite par le commissaire. Malheureusement, celui-ci joua de ses contacts et put prendre la fuite avant que la police n’ait pu perquisitionner sa maison et son établissement frauduleux. Le mafieux était maintenant recherché dans toute la ville, mais il possédait encore suffisamment de pouvoir pour contourner les barrages et s’organiser une porte de sortie via le port.

A la nuit tombée, Julia se décida à contacter son équipier masqué. Elle était restée devant ses écrans et supervisait l’ensemble de son plan depuis sa mezzanine ; elle enfila son casque et ajusta le microphone :

—    Ici Oracle, Falcone est en train de tomber. C’est le moment idéal pour le cueillir.

—    Je suis sur le coup, répondit soudain le Batman après un instant de silence.

Grâce à son appareil de communication, la jeune femme put localiser l’homme chauve-souris ; il parcourait les rues à une grande vitesse, il devait être véhiculé. Elle calcula l’itinéraire le plus rapide pour rejoindre le port où se trouvait Falcone.

—    Vous êtes en voiture ? lui demanda-t-elle pour confirmation.

—    On va dire cela.

Cela suffit à la jeune femme qui organisa une vague verte, réorganisant la circulation à mesure qu’elle le voyait avancer sur ses écrans.

—    J’imagine que vous êtes à l’origine de la cyberattaque de ce matin, la questionna-t-il alors.

—    Disons que les circonstances m’ont poussées à des mesures extrêmes, répondit-elle de manière évasive. Je n’étais pas sûre que cela marcherait.

—    Vous auriez-dû me prévenir, lui reprocha-t-il.

—    Cela s’est fait très vite, se défendit-elle. Je vous ouvre la voie.

Elle suivit par géolocalisation sa progression, jusqu’à le voir arriver au port. Il put neutraliser les hommes qui accompagnaient Falcone, qui tenta alors de s’échapper à nouveau dans sa voiture, mais rien n’arrêta l’homme chauve-souris. Julia lui signifia que la police était en chemin. Il était en train d’enchaîner le chef de la pègre et ses acolytes lorsqu’un grand fracas fit sursauter Julia sur sa chaise.

—    Merde ! s’écria-t-elle, ils défoncent ma porte !

Julia retira son casque, éteignit l’ordinateur et débrancha le disque dur SSD externe qu’elle glissa dans un sachet étanche qu’elle gardait sur son bureau tandis qu’elle entendait les coups brutaux et répétés contre sa porte. Elle se dépêcha de faire de même avec le disque dur central de son ordinateur qu’elle récupéra en arrachant une latte de parquet qui permettait d’accéder au cagibi juste en dessous. D’un coup, elle entendit les gonds de sa porte sauter, plusieurs voix d’hommes se crièrent d’entrer et de tirer à vue. Julia arracha les câbles du disque et l’emporta dans un deuxième sachet étanche. Elle fourra les deux disques dans une taie d’oreiller qu’elle redoubla et les rangea dans un sac mono-bretelle qu’elle attacha dans son dos, gardant le contenu devant elle. La jeune femme finit par saisir son glock 9mm, l’arma et retira la sécurité, prête à tirer.

En-dessous, elle entendait au minimum trois hommes qui fouillaient son appartement, cassant tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage. Julia observa l’escalier, puis les portes-fenêtres qui étaient peut-être sa seule possibilité de s’échapper. Les hommes arrivèrent dans le salon ; elle s’était cachée, accroupie derrière le bureau. Elle vit dans sa poche l’émetteur-transmetteur du Batman s’illuminer : il tentait de la contacter. La jeune femme ne répondit pas afin de ne pas dévoiler sa position, mais activa le premier émetteur qu’il lui avait donné, en espérant qu’il comprenne l’urgence de la situation.

—    Elle est là ! cria l’un des hommes à ses acolytes.

Des coups de feu retentirent dans sa direction. Julia se protégea instinctivement la tête, puis lorsqu’elle eut une ouverture, elle tira à son tour en visant à peu près. Ses agresseurs se mirent à couvert. Elle en profita pour bondir dans l’escalier, mais fut obligée de se mettre à l’abri dans la salle de bain lorsqu’une nouvelle salve de tirs retentit. Elle tourna le verrou et bloqua la porte avec une étagère sous la poignée. Julia balaya rapidement du regard la pièce où elle se retrouvait prise au piège. Une série de coups de feu trouèrent en partie la porte, elle se mit à l’abri sur le côté. Soudain, elle saisit deux bouteilles de parfum qu’elle possédait et ouvrit les flacons. Elle sortit une balle de son calibre 9mm, écrasa délicatement la douille avec sa chaussure, retira le percuteur et récolta la poudre qu’elle fit glisser dans les deux flacons. Elle déchira ensuite une serviette de toilette en deux, plongea les deux morceaux à demi à l’intérieur des flacons pour les imbiber et referma les goulots en laissant dépasser le tissu. Ses deux bouteilles prêtes, elle sortit un briquet du tiroir du meuble sous le lavabo, puis prit une grande inspiration avant d’allumer les mèches improvisées. Elle débloqua d’un coup de pied la porte, enleva le verrou et lorsque la porte fut grande ouverte, elle jeta le premier projectile au fond du salon. Elle sortit en trombe et ouvrit la première porte-fenêtre à sa portée.

—    La garce ! hurla l’un des hommes, elle balance des cocktails molotov !

On se mit à lui tirer à nouveau dessus, elle jeta le deuxième projectile en direction de la cuisine. Julia sortit sur le balcon et courut se réfugier contre l’étroite bande de mur qui séparait les deux portes-fenêtres. Deux explosions soufflèrent toutes les vitres, des flammes léchèrent les murs et Julia se mit en posture de protection, accroupie les mains par-dessus sa tête et ses coudes protégeant son visage baissé vers ses genoux. Elle sentit la chaleur vive des explosions ainsi que les murs trembler sous l’impact.

Le balcon de fer avait résisté, même s’il était devenu bancal. Julia se releva en restant proche du mur et observa tout autour d’elle : la jeune femme était piégée si elle restait là plus longtemps. Elle leva la tête et aperçut des fentes dans les murs qui pourraient lui permettre de grimper jusqu’au toit. Il n’y avait que deux étages à gravir. Toutefois, à peine quelques secondes après les premières explosions, une troisième souffla littéralement le mur de la cuisine, créant une vaste brèche dans l’immeuble. Le balcon de fer ne tint pas à cette troisième explosion : Julia sentit le sol se dérober, les barres de fer avaient lâché d’un côté. Elle glissa sur la surface lisse du balcon qui se renversait à la verticale. La jeune femme attrapa au vol l’une des barres de fer de la structure et se retrouva suspendue dans le vide, à hauteur de six étages et demi.

Dans un effort surhumain, elle se hissa sur la barre de fer qu’elle tenait et entama l’ascension du balcon qui se balançait dangereusement. Elle arrivait aux barres de fer sur lesquelles la structure tenait encore quand le balcon lâcha tout à fait. Toute la structure métallique glissa sous elle et tomba dans le vide. La barre qu’elle avait réussi à attraper se plia elle aussi sous son poids à cause de la chaleur des flammes qui se propageaient depuis l’appartement, pour finalement casser tout à fait. Julia se sentit alors tomber elle aussi, sans plus aucune possibilité de se rattraper. Elle s’empêcha de regarder en bas, fixant le ciel anthracite dont elle ne sentit les gouttes de pluie qu’à ce moment-là. Il lui sembla que le temps ralentissait alors même qu’elle prenait de la vitesse dans sa chute. Elle ferma les yeux tandis qu’elle se préparait à l’impact au sol ; elle savait qu’elle n’y survivrait pas. Sa respiration fut soudain brutalement coupée : elle sentit un violent choc dans son flanc et un bras puissant la saisir. Elle fut plaquée contre le corps de l’homme chauve-souris auquel elle s’accrocha de toutes ses forces ; tout ce qu’elle perçut, ce fut sa large mâchoire qui émergeait de son masque noir, le bruissement de sa cape noir, et qu’il tenait un pistolet-grapin de sa main libre. Il l’avait interceptée dans sa chute. Ils remontèrent dans les airs grâce au grapin, puis atterrirent sur une structure métallique. Ne la lâchant toujours pas, il propulsa à nouveau son grapin et quitta la plateforme où ils s’étaient réceptionnés, puis se dirigea derrière un immeuble voisin pour finir par atterrir en douceur dans une ruelle sombre à l’abri des regards et de la police, des pompiers et des ambulances qui commençaient à se masser devant l’immeuble en flammes.

Le Batman relâcha son étreinte, mais lorsqu’il vit les jambes de la jeune femme trembler si fort qu’elles étaient prêtes à lâcher, il la rattrapa et la plaqua contre le mur juste derrière elle. Elle put s’y adosser, ses bras toujours sur ceux du justicier masqué.

—    Ça va ? lui demanda-t-il de sa voix rauque où perçait une vive inquiétude.

Julia était en état de choc ; elle ne réalisait pas encore ce qu’il venait de se produire. Son regard était hagard, mais lorsque ses yeux se posèrent sur ceux du Batman, elle eut un élan qu’elle ne s’expliquerait peut-être jamais : elle l’embrassa. Un baiser à la fois si passionné et si désespéré qu’il ne put qu’y répondre. Quand leurs lèvres se séparèrent enfin, les effets de l’adrénaline qui coulait dans les veines de la jeune femme commencèrent à s’estomper. Elle se plaqua à nouveau contre le mur, ses jambes tremblaient moins. Elle entendit des sirènes de police et d’ambulances retentir au loin.

—    Vous devez partir, murmura-t-elle la voix éraillée. Assurez-vous que Falcone se fasse bien arrêter.

—    Et vous ?

—    Je vais rejoindre le commissariat, dit-elle. Rejoindre le lieutenant Gordon.

Il hocha de la tête à l’affirmative, rassuré, puis propulsa à nouveau son grapin et sa silhouette disparut dans la nuit. Julia finit par s’effondrer contre le mur, ses jambes ne la tenaient plus. Elle se rendit compte alors qu’elle était trempée, que la pluie ruisselait dans ses cheveux et sur ses habits. La douleur commença également à se manifester dans tout son corps, mais particulièrement dans ses côtes, là où le justicier l’avait saisie à bras le corps, ainsi qu’à son bras gauche dont sa manche était imbibée de sang. Elle finit de déchirer le tissu fragilisé et put voir qu’une balle lui avait éraflé le bras. La jeune femme serra ses bras contre sa poitrine, la panique l’envahissant soudainement, puis poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle sentit son sac attaché contre elle et qui contenait toujours les deux disques durs. C’était tout ce qui lui restait.

Julia finit par se relever en s’appuyant contre le mur, puis marcha en titubant en direction de l’avenue principale, là où elle entendait retentir les sirènes et l’attroupement qui s’était formé dans le quartier. Des passants curieux qui s’étaient arrêtés pour observer l’incendie aperçurent tout à coup la jeune femme. Ils appelèrent aussitôt les urgentistes déjà sur place et l’aidèrent à rejoindre une ambulance. On la regardait avec interrogation, pitié et admiration. On se mit à chuchoter, certains dirent que ce devait être une voisine rescapée de l’immeuble, d’autres qu’au contraire, c’était la femme qui avait été sauvée par l’homme chauve-souris. La police isola l’ambulance par un cordon de sécurité. Les soignants désinfectèrent ses plaies et pansèrent son bras gauche. Ils diagnostiquèrent au moins deux côtes cassées et plusieurs autres fêlées, ainsi qu’un état de choc chez la jeune femme. Toutefois, Julia refusa d’être emmenée à l’hôpital. Elle demanda à parler au lieutenant Gordon.

—    Je suis là, dit ce dernier une fois qu’on l’eut prévenu. Julia, que s’est-il passé ?

—    Falcone a voulu me faire éliminer, lui répondit-elle en respirant avec difficulté.

—    Je vous emmène au poste avec moi, décida Jim Gordon.

Julia acquiesça d’un signe de tête et le suivit dans sa voiture banalisée. Le lieutenant Gordon assura lui-même la protection de la jeune femme et la soustrait aux journalistes avides de détails et de clichés. Lorsqu’ils arrivèrent dans le quartier général de la G.C.P.D., Gordon apprit à Julia qu’ils avaient arrêté Falcone et tous ses hommes de main, ainsi qu’une grande partie des policiers qu’ils avaient suspectés jusque-là de travailler pour le mafieux, et qu’il en serait de même au palais de justice. La jeune femme en fut soulagée. Son plan avait commencé à porter ses fruits. 

Jim Gordon prit sa déposition : Julia lui raconta alors que Falcone l’avait menacée de mort et qu’elle avait refusé d’accéder à sa requête. Il lui avait alors envoyé ses hommes de main pour mettre à exécution sa menace. Puis, le lieutenant de police dut laisser la jeune femme au milieu du grand hall, assise au petit bureau dans lequel il avait noté son témoignage. Il était fort occupé à cause de la diminution des effectifs qu’avait causée l’arrestation d’un bon nombre de flics ripoux. Elle entendit d’ailleurs le commissaire Johansson parler de le promouvoir au rang d’inspecteur. Elle sourit à cette bonne nouvelle. Son premier sourire depuis plusieurs jours maintenant.

La nuit était fort avancée lorsque l’agitation du commissariat général commença à retomber quelque peu. Jim reparut enfin auprès de la jeune femme.

—    Avez-vous un endroit où aller ? lui demanda-t-il gentiment.

Julia n’y avait pas pensé. Son appartement était dorénavant réduit en cendres, et elle n’avait aucune famille ou proche à Gotham City. Elle serra contre elle son sac qu’elle n’avait jamais lâché depuis, et demanda :

—    Puis-je passer un coup de fil ?

—    Bien sûr.

Jim l’emmena dans un bureau fermé afin qu’elle puisse passer son coup de téléphone dans le calme. Julia composa le numéro qu’elle avait en tête et attendit, la tonalité retentissant lentement dans le combiné.

—    Manoir Wayne ? entendit-elle à l’autre bout du fil.

La jeune femme reconnut la voix d’Alfred, le majordome.

—    Allô ? reprit Alfred d’une voix qui trahissait la fatigue.

—    Bonjour Alfred, dit enfin Julia de sa voix toujours éraillée. C’est Julia Thorne.

—    Oh, mademoiselle Thorne, est-ce que vous allez bien ? s’inquiéta alors le majordome. J’ai vu ce qu’il s’est passé aux informations…

—    Ça va, je vais bien, le rassura-t-elle.

—    Comment puis-je vous aider ? lui demanda Alfred.

Julia resta un instant silencieuse, hésitante.

—    Mademoiselle Thorne ? l’interpella-t-il pour s’assurer qu’elle était toujours au bout du fil.

—    Oui, répondit Julia de manière automatique.

Elle ferma les yeux et prit son courage à deux mains :

—    Est-ce que Bruce est là ? demanda-t-elle enfin.

—    Il ne devrait plus tarder, il s’était rendu en ville aujourd’hui.

Julia serra les dents. C’était évident, au vu de ce qu’elle lui avait fait subir ce matin sans qu’il ne sache que c’était de sa faute.

—  Attendez un instant, mademoiselle Thorne, reprit Alfred qui la mit en attente.

Julia allait raccrocher, aux bords des larmes, lorsqu’elle entendit retentir la voix de Bruce.

—    Julia ? Julia, tu es là ? Réponds-moi !

—    Bruce, finit-elle par murmurer dans le combiné.

—    Dieu soit loué, tu es vivante. Où es-tu ?

—    Je… j’ai nulle part où aller, balbutia-t-elle.

—    Alfred va venir te chercher, dit Bruce d’un ton ferme, prenant la situation en mains. Dis-moi juste où tu es.

Les larmes se mirent à couler le long de ses joues. Elle retint du mieux qu’elle put ses sanglots et répondit de sa voix la plus calme et posée possible :

—    Au commissariat général, à la G.C.P.D.

—    Très bien, restes-y, reprit-il avec fermeté, ce qui eut pour effet de rassurer la jeune femme. Alfred arrive dans trente minutes.

—    D’accord, répondit-elle, sa voix se faisant de plus en plus petite.

—    Ne bouge pas, répéta encore une fois Bruce.

—    O.K.

Ils raccrochèrent.

Julia se rendit à nouveau dans le grand hall du commissariat et attendit qu’on vienne la chercher. Elle aperçut de l’autre côté des portes principales une masse de journalistes qui grossissait à vue d’œil. Tous avaient appris que la locataire de l’appartement qui avait pris feu, et qui avait été sauvée par le mystérieux justicier qui se faisait nommer Batman se trouvait à l’intérieur du quartier de la G.C.P.D. La jeune femme se fit un peu plus petite afin qu’on ne puisse la distinguer entre les bureaux ouverts. Une demi-heure plus tard, Jim Gordon revint vers elle pour lui annoncer que monsieur Pennyworth était arrivé pour la prendre. Elle se releva avec difficulté, ses membres s’engourdissaient sous l’effet de la douleur, du froid procuré par ses habits encore trempés et de la fatigue. Le lieutenant la conduisit à l’arrière du bâtiment afin de lui éviter le bain de foule. Alfred l’attendait devant sa Rolls-Royce dont il ouvrit immédiatement la portière lorsqu’il l’aperçut. Julia s’engouffra dans la voiture d’époque et la portière se referma. Alfred s’installa au volant, passa la première vitesse et quitta la rue.

Les journalistes, quand ils comprirent que la jeune femme venait de quitter le commissariat, se ruèrent sur la voiture noire banalisée que Jim Gordon conduisait pour fausser les pistes. Personne ne se rendit compte qu’elle était partie de l’autre côté en compagnie du majordome de monsieur Wayne.

Une fois installée sur la banquette arrière de la voiture qui s’éloignait par des rues moins fréquentées, Julia aperçut les mains gantées de blanc d’Alfred posées sur le large volant de la Rolls-Royce, ses cheveux gris et courts impeccablement coiffés contrastant avec son manteau noir. Elle posa son front contre la vitre de la portière et observa les immeubles défiler sous ses yeux, jusqu’à s’endormir un moment, épuisée. Alfred jetait régulièrement un œil sur elle dans son rétroviseur : elle était blanche comme un linge, ses cheveux humides et ternes retombaient lourdement sur ses épaules. Des ecchymoses apparaissaient lentement sur son visage égratigné ici et là par les débris de verre. On pouvait apercevoir les bandages de son bras sous sa manche déchirée et, même endormie, la jeune femme tenait étroitement serré contre elle son sac, comme s’il avait contenu son bien le plus précieux.

Julia fut réveillée par les lumières aveuglantes du garage du manoir Wayne. Elle cligna plusieurs fois des yeux et entendit Alfred lui annoncer qu’ils venaient d’arriver. Le majordome gara la voiture, éteignit le moteur et sortit pour ouvrir la portière à la jeune femme. Il l’aida à sortir et l’accompagna dans les escaliers. Lorsqu’ils arrivèrent à l’intérieur du manoir, la chaleur du lieu apaisa Julia qui s’était mise à grelotter de froid et de fatigue.

—    Julia, enfin ! entendit-elle.

Elle releva la tête et vit Bruce qui lui faisait face à quelques pas de là, vêtu d’une simple chemise en coton blanc dont il avait relevé les manches jusqu’aux coudes, les trois premiers boutons détachés sur son cou et le haut de son torse. Ses cheveux étaient ébouriffés à force de passer une main nerveuse dedans. Julia s’arrêta net et ne put rien faire d’autre que lui jeter un regard empli de culpabilité. Bruce s’approcha d’elle et sans rien dire la prit délicatement dans ses bras. La jeune femme se laissa faire, glissa une main dans son dos, l’autre resta serrée contre sa poitrine, tenant toujours son sac contre elle. Elle enfouit enfin son visage dans son épaule ; son odeur boisée aux accents de cèdre l’enroba, de grosses larmes mouillèrent sa chemise.

—    Pardon, murmura-t-elle alors en sanglotant. Pardon…

—    Ne dis rien, la tranquillisa-t-il tout en lui caressant les cheveux et la maintenant dans son étreinte sécurisante.

Enfin, Julia le repoussa faiblement de sa main libre. Elle ouvrit alors son sac si précieux et eut l’air de farfouiller à l’intérieur. Elle sortit de la taie d’oreiller le sachet contenant le disque dur SSD et le tendit à Bruce Wayne, le visage baigné de larmes.

—    Tout est là, dit-elle maladroitement. J’espère que tu pourras me pardonner…

Bruce saisit le disque dur entre ses mains.

—    Toutes les actions de ton entreprise sont là, reprit-elle plus clairement.

—    Ce n’est pas grave ça, l’important c’est que tu ailles bien, s’exclama-t-il alors en posant le disque dur sur le rebord de la cheminée qui se trouvait à côté d’eux.

Julia ne quitta pas des yeux le disque dur SSD et tenait toujours son sac étroitement serré contre elle. Elle était encore en état de choc, et Bruce s’en rendit compte. Il reprit le disque dur avec lui, la remercia, puis la conduisit dans une chambre qu’Alfred avait rapidement préparée pour elle. Il aida Julia à s’asseoir dans le lit, puis tira les rideaux afin qu’elle ne soit pas dérangée par les premiers rayons du soleil qui se levait. Lorsqu’il retourna vers le lit, il la vit qui s’était endormie, toute habillée, serrant toujours son sac contre sa poitrine. Il tira simplement une couverture sur ses épaules et la laissa se reposer.

Lorsque Julia se réveilla, elle ne sut d’abord plus où elle se trouvait et toute sa mémoire parut résider dans une sorte de brouillard épais. Désorientée, elle essaya de se relever sur son séant, mais la douleur de ses membres la surprit. Elle tâcha alors d’examiner les lieux autour d’elle.

C’était une magnifique chambre à coucher ; le lit était surmonté d’un baldaquin dont les lourdes tentures étaient retenues sur les côtés par d’épais cordons. Les draps étaient soyeux et sentaient bon la lavande. Un large tapis persan recouvrait quasiment l’ensemble de la pièce, dissimulant un parquet verni parfaitement entretenu. Des rideaux d’allure ancienne occultaient une haute porte-fenêtre. Les murs étaient décorés de plusieurs tableaux anciens avec de larges cadres de stuc patinés à la feuille d’or, représentant des portraits d’inconnus d’époques différentes, mais aussi des paysages. Il y avait deux portes, l’une en face de son lit qui était entr’ouverte sur une salle de bain, l’autre était soigneusement fermée.

Soudain, Julia eut une impression qu’on lui avait retiré quelque chose de très important. Elle ne portait pas d’habits hormis ses sous-vêtements ; son bras gauche était serré dans des bandages propres, et elle prit peur lorsqu’elle aperçut de larges ecchymoses qui ceignaient tout son flanc droit. Toutefois, tout son esprit était focalisé sur cette chose importante qu’elle ne retrouvait pas. La jeune femme se leva péniblement, prit un peignoir de couleur noire posé sur une chaise à côté du lit et se dirigea pieds nus vers la porte fermée. Elle l’ouvrit et se retrouva dans un large couloir tout aussi luxueux que sa chambre. Elle avança lentement en tenant ses côtes douloureuses, puis marcha de plus en plus vite, jusqu’à arriver devant un escalier. Elle le descendit tout en continuant d’observer autour d’elle, aux aguets.

Lorsqu’elle arriva en bas, elle entendit une voix qui lui parut vaguement familière :

—    Mademoiselle Thorne ! s’exclama un homme d’un certain âge en apercevant Julia. Monsieur Bruce ! Mademoiselle est réveillée ! appela-t-il alors en se tournant du côté d’où il venait.

Julia s’était arrêtée et recula de quelques pas, l’air apeuré. Elle vit ensuite un autre homme d’une trentaine d’années le rejoindre en courant.

—  Julia ! s’exclama ce dernier en voulant s’approcher d’elle.

Mais la jeune femme recula encore, son regard se posant successivement sur les deux hommes, complètement désorientée.

—    Qui êtes-vous ? Où suis-je ? interrogea alors la jeune femme.

—    Le médecin avait dit qu’elle pourrait avoir une phase de régression, fit remarquer Alfred en reconnaissant le bon français de la jeune femme.

—    Rassurez-la, le supplia Bruce.

Le majordome s’avança lentement vers la jeune femme et lui parla d’une voix douce et apaisante :

—    Mademoiselle Thorne, vous êtes en sécurité dans le manoir de Monsieur Bruce Wayne.

Alfred désigna alors Bruce derrière lui. Julia jeta un nouveau regard sur le trentenaire, toujours désorientée, car ces noms et ces voix paraissaient lui être familiers sans pour autant qu’elle puisse les reconnaître. Tout à coup, elle se rappela à nouveau qu’elle cherchait désespérément ce qu’elle avait perdu :

—    Mon sac ! Où est mon sac !

—    Elle cherche son sac, monsieur Bruce, traduisit Alfred.

Bruce se précipita alors à l’étage en faisant attention à ne pas bousculer la jeune femme, puis revint rapidement avec le sac et tout ce qu’il contenait. Il le tendit gentiment à Julia qui le prit vivement et le serra contre elle, avant de vérifier son contenu.

—    Où est le deuxième ? interrogea-t-elle vivement.

—    Elle demande où se trouve le deuxième disque, traduisit encore Alfred.

—    Il est là, répondit Bruce en sortant le disque dur SSD de la poche de son pantalon.

Julia le caressa du bout des doigts, des bribes lui revenaient à l’esprit dans des éclairs vagues et déboussolant.

—  Venez vous asseoir, l’invita Alfred en lui tendant une main réconfortante.

—  Alfred, Alfred Pennyworth, dit-elle soudain.

—  Oui, approuva le majordome en souriant.

La jeune femme passa sa main libre sur son front, cela lui revenait de plus en plus.

—    Pardon, dit-elle à nouveau en se tournant du côté de Bruce. Pardon…

—    Tout va bien, Julia, la rassura-t-il en la saisissant délicatement par les épaules. Venez vous asseoir avec moi.

Julia hocha de la tête et suivit Bruce qui avait passé son bras autour de ses épaules et la guidait. Il la conduisit dans un salon au large canapé et aux nombreux fauteuils autour d’une table basse vitrée. Une cheminée trônait contre l’un des murs ; la pièce parut familière à la jeune femme qui s’assit dans le canapé. Alfred était allé lui préparer un thé qu’il déposa devant elle sur la table basse. Bruce s’assit à ses côtés et prit sa main dans la sienne.

—    Comment vous sentez-vous ? demanda Bruce avec douceur.

—    Pas très bien, apparemment, répondit Julia qui faisait allusion à la fois à ses blessures et à ses pertes de mémoire.

—    Tu étais en état de choc quand tu es arrivée, lui expliqua-t-il.

—    Quel jour sommes-nous ? l’interrogea-t-elle.

—    Jeudi. Tu as dormi pendant deux jours, indiqua-t-il encore.

Julia ferma les yeux tout en fronçant les sourcils ; elle essayait de se rappeler les moindres détails des derniers événements.

—    Tu n’es pas obligée de te souvenir de tout maintenant, la prévint Bruce pour la ménager.

—    Je dois me souvenir, le contredit-elle fermement.

Elle se mit alors à lui raconter ce qu’il s’était passé après la soirée de gala : la manière dont Falcone l’avait menacée et ce qu’il avait exigé d’elle en voyant qu’elle côtoyait le milliardaire. Elle lui expliqua alors le plan qu’elle avait échafaudé pour faire tomber le mafieux, en sachant pertinemment qu’elle se mettait aussi en danger, qu’elle allait manipuler des données ultra sensibles et qu’elle se mettait dans l’illégalité la plus totale. Elle s’avisa bien sûr de ne rien révéler de sa collaboration avec le Batman, ni tout ce qui pouvait compromettre sa mission première. Elle raconta ensuite comment les hommes de main de Falcone lui tombèrent dessus dans son appartement, et son sauvetage plus que providentiel par l’homme chauve-souris. De raconter les événements l’aidèrent à remettre de l’ordre dans ses idées, ce qui l’apaisa enfin. Néanmoins, cela avait également ravivé son sentiment de culpabilité envers Bruce.

—    Tu aurais dû m’en parler tout de suite, je t’aurais aidée, la rabroua-t-il gentiment.

—    Je suis vraiment désolée pour tout, s’excusa-t-elle avec maladresse. Je ne te rappelle pas après ce qu’il s’est passé au gala, je t’escroque l’ensemble des actions de ta société pour ensuite te demander de venir me chercher au commissariat…

—    Il n’y a rien à pardonner, parce que je ne t’ai jamais voulu de rien, la réconforta Bruce en la prenant contre lui. Mais la prochaine fois, s’il y en a une prochaine, parle-moi, d’accord ?

Julia resta silencieuse, mais reconnaissante, respirant cette odeur si enivrante de cèdre et de bergamote.

—    Et tu peux rester autant de temps que tu le souhaites ici, ajouta-t-il en souriant. Ce n’est pas comme si je manquais de place…

Julia lui jeta un regard rieur, et finit par rire doucement, pour grimacer juste après : ses côtes la faisaient souffrir.

—  S’il te plaît, ne me fais pas rire, ça fait mal, le supplia-t-elle.

—  Pardon, dit-il en se mettant à rire malgré lui.

La jeune femme se laissa aller contre sa poitrine, sa main toujours serrée dans la sienne. Elle sentit son cœur battre contre son oreille, la berçant doucement. Sa tête dodelina quelque peu, puis elle fut à nouveau emportée par le sommeil ; mais cette fois-ci, ce fut un sommeil apaisé et réparateur dans la chaleur réconfortante d’une amitié aux frontières incertaines. 


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