L'Oracle de Gotham - tome 2

Chapitre 1 : Tapie dans l'ombre

7499 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/10/2025 10:26

L’immense salle de réunion de la Wayne Enterprise était inondée de la lumière blanchâtre des mornes journées de début janvier provenant des larges baies vitrées qui longeaient tout un pan de mur. La longue table ovale marquetée trônait au centre de la pièce, entourée de nombreuses chaises confortables pouvant accueillir jusqu’à une cinquantaine de participants. Ce jour-là, une dizaine d’hommes et de femmes d’affaires y siégeaient, dont l’actionnaire principal de l’entreprise monsieur Bruce Wayne et son PDG monsieur Lucius Fox qui faisaient face à des experts et des représentants du gouvernement. Le silence régnait dans la salle, le tic-tac de l’horloge suspendue à l’un des murs résonnait dans l’espace pesant. Monsieur Wayne, assis de manière décontractée dans l’un des fauteuils, tapotait régulièrement son stylo sur le dossier posé devant lui, tandis que les experts cachaient à peine leur ennui, soit en balayant lentement la pièce des yeux, soit en regardant l’horloge fixée au mur. La principale représentante du gouvernement, une femme noire au regard dur et impénétrable, engoncée dans un tailleur couleur lie de vin, maintenait quant à elle une convenance hermétique et froide, ses yeux rivés sur le multimilliardaire. Monsieur Wayne fixait quant à lui sa montre suisse de chez Vacheron Constantin au bracelet métallique et au cadran bleu nuit qui indiquait maintenant quatorze heures trente, puis en pinçant les lèvres, il se leva soudainement ce qui fit sursauter les sept autres représentants en costume deux pièces ressemblant à un alignement de pingouins cravatés.

—  Ne bougez pas, je reviens, dit-il d’une voix ferme.

Le trentenaire sortit rapidement de la salle de réunion et se dirigea vers l’ascenseur de la tour. A l’intérieur, il appuya sur le bouton du troisième sous-sol. Arrivé à destination, les portes s’ouvrirent ; il traversa un long couloir flanqué de bureaux et poussa la large porte à battant du fond qui donnait sur un vaste hangar rempli d’engins en tout genre, d’ateliers et d’ordinateurs. Il emprunta des couloirs invisibles, slalomant entre les ateliers, les machines et les établis, jusqu’à arriver au fin fond de la salle où une jeune femme était assise de dos face à un large établi de soudure informatique. Son plan de travail était jonché de composants électroniques. Elle tenait entre ses mains un fer à souder de haute précision et s’appliquait à la soudure de connecteurs sur une carte mère. Elle tapait légèrement du pied qui était élégamment chaussé d’un escarpin noir, en rythme, et fredonnait à mi-voix des paroles de chanson incompréhensibles. Le multimilliardaire s’avança d’un pas ferme, tira la chaise à roulettes sur laquelle la jeune femme se trouvait, la saisit à bras le corps pour la soulever et la mettre sur son épaule.

—    Hey ! s’écria Julia avec la plus grande surprise.

Elle eut à peine le temps de poser le manche du fer à souder sur son socle que Bruce la maintint fermement : elle commençait à se débattre sur son épaule.

—    Lâche-moi ! continua à rouspéter la jeune femme en martelant le dos du trentenaire.

—    Hors de question, répondit Bruce d’un ton amusé mais ferme. Je t’avais prévenue : si tu es en retard pour cette réunion, je te fiche la honte devant tout le monde !

Les employés qui travaillaient également dans le hangar les regardèrent passer. Ils murmuraient, amusés, tandis que le multimilliardaire emportait la jeune femme au travers des couloirs, et ce jusqu’à l’ascenseur.

—    Je te hais, marmonna Julia en enfouissant son visage dans ses bras, ballottée au rythme de ses pas.

Une fois dans l’ascenseur, Bruce la déposa enfin à terre avant de réajuster sa cravate rayée bronze et noir ainsi que le col de sa chemise de lin et de soie couleur ivoire impeccablement repassée. Il remit ensuite en place la veste anthracite de son costume deux pièces Brioni qui cintrait parfaitement ses larges épaules.

—    Je te rappelle que cette réunion est vraiment importante, dit Bruce avec plus de sérieux. C’est ce qui va me permettre de t’embaucher officiellement dans l’entreprise.

—    Je le sais, marmonna encore Julia. Je suis désolée, je n’avais pas vu l’heure.

—    Dis surtout que tu ne veux pas y aller, la reprit-il sur un ton de reproche.

—    Disons que cela me saigne à blanc de devoir céder l’Argus au gouvernement comme condition de ma démission, répliqua-t-elle avec agacement.

—    Tu pouvais aussi ne pas leur en parler, dit Bruce avec neutralité.

—    Je te l’ai déjà dit, dans l’urgence, j’étais apparemment passée par les satellites gouvernementaux dont j’avais les accès grâce à la CIA, ils allaient forcément le voir, soupira Julia qui défroissa sa jupe noire qui lui arrivait un peu au-dessus des genoux ainsi que son chemisier pastel.

—    Tout ce que je veux, c’est que tu puisses te libérer de leur contrat, résuma Bruce en lui faisant face et en déposant un baiser sur son front. Et comme cela, je vais pouvoir m’offrir officiellement tes services…

Julia le frappa à l’épaule avec exaspération.

—  On ne m’…

—    Achète pas, je sais, termina-t-il avant de l’embrasser pour taire ses protestations. Mais quand même, vu le salaire que tu me réclames, tu me coûtes cher pour une femme que je n’achète pas !

—    N’oublie pas ma couverture sociale, lui rappela-t-elle alors d’un air espiègle.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent enfin. Le couple sortit et se dirigea dans la salle de réunion dont Bruce referma la porte.

—    Veuillez m’excuser pour mon retard… commença Julia avec un air faussement sincère, avant de s’arrêter net.

Lorsqu’elle vit les différents représentants, son regard fut happé par la femme noire à l’air glaçant.

—    Madame Waller ? murmura Julia, interdite.

—    Bonjour mademoiselle Thorne, lui répondit la femme d’un ton coupant. Pouvons-nous commencer la réunion, maintenant ?

Julia hocha de la tête, silencieuse. Elle s’assit en bout de table, là où un ordinateur avait été installé pour sa démonstration.

—    Je ne m’attendais pas à ce que ce soit vous qui récupériez le projet, reprit Julia d’un ton contrarié.

—    La sécurité intérieure m’a donné les pleins pouvoirs pour créer une unité de surveillance et d’action, répondit froidement Madame Waller. Votre programme, s’il est viable, pourrait en constituer une bonne base.

Julia pinça ses lèvres. Elle se retint de lui répondre car elle savait qu’elle ne pourrait être que désobligeante et agressive. Le but de cette réunion était que la jeune femme puisse clôturer son contrat avec la CIA car ce dernier l’obligeait en temps normal à encore trois années de service. Julia sortit de veille l’ordinateur face à elle, vérifia la connexion HDMI pour la transmission sur le vidéoprojecteur, mais aussi les écrans qui se trouvaient devant chacun des participants. Elle lança enfin à contre-cœur le programme Argus qu’elle avait mis au point il y avait trois mois de cela maintenant. Les écrans furent investis d’images modélisées à partir de la technologie du sonar qu’elle avait appliqué au réseau cellulaire. Elle se limita d’abord à la tour Wayne, puis agrandit la zone au quartier du Downtown, et enfin à l’ensemble de la ville. La jeune femme effectua des gros plans sur certains quartiers, sur certaines habitations, puis reprenait du recul, tout cela via son écran tactile. Tandis qu’elle faisait la démonstration du programme, elle en expliquait le fonctionnement, somme toute basique selon elle.

Madame Amanda Waller, qui avait dirigé une organisation fédérale semi-indépendante en lien étroit avec le Pentagone, se redressa un peu plus sur son siège, ses yeux rivés sur les écrans, captivée par les capacités du programme.

—    Et comment l’avez-vous nommé ? demanda madame Waller.

—    Argus, répondit simplement Julia.

—    Un esprit capable de concevoir un programme de cette envergure ne devrait pas être relâché dans la nature, lança l’un des experts avec intérêt.

Julia ferma d’un coup sec son ordinateur, mettant fin à la démonstration.

—    L’accord était que je vous livre le programme en échange de la fin de mon contrat avec la CIA, déclara-t-elle d’un ton sec.

Bruce fit un signe discret de la main à Julia pour qu’elle s’apaise. La jeune femme respira lentement afin de ne pas s’emporter davantage.

—    Et quel est votre rôle, à vous ? demanda madame Waller à monsieur Wayne.

Ce fut monsieur Fox qui prit la parole :

—    Il s’avère que c’est avec notre matériel que mademoiselle Thorne a en partie élaboré son programme, dit-il d’une voix posée. Nous avons donc également notre mot à dire. Il va sans dire que nous aimerions réclamer une rente pour la location de ce programme par le gouvernement.

—    Nous séparer d’une employée qui a obligation de contrat et louer son programme à une entreprise privée n’est pas envisageable, intervint le porte-parole de la CIA.

—    Soit, nous vous cédons le programme mais nous récupérons l’employée, alors, répliqua Lucius avec calme et sur un ton qui paraissait amusé.

—    Pour renoncer à un profit aussi certain que celui que peut engendrer la location de ce programme au gouvernement, c’est que vous reconnaissez la valeur des compétences de mademoiselle Thorne, déclara un autre expert.

Monsieur Fox hocha de la tête à l’affirmative, un large sourire se dessinant sur son visage.

—    C’est que cela fait presque un an que j’essaie de l’embaucher dans notre département technologies et développement, répondit-il en toute sincérité.

—    Bien, marché conclu, déclara madame Waller en se levant de son siège et en tendant sa main vers le PDG de la Wayne Enterprise.

Lucius et Bruce se levèrent de concert, puis serrèrent tour à tour la main de la représentante, qui se tourna ensuite vers Julia. Celle-ci était restée assise. Elle se leva avec lenteur et s’approcha de madame Waller, les bras croisés. Les deux femmes se toisèrent quelques instants, jusqu’à donner des sueurs froides aux deux hommes de la Wayne Enterprise. Enfin, Julia tendit sa main et l’affaire fut conclue. Monsieur Fox s’occupa de la paperasse ainsi que du transfert du programme tandis que monsieur Wayne se retirait dans son bureau accompagné par la jeune femme. Une fois la porte fermée, Bruce s’affala dans son fauteuil tandis que Julia vint à ses côtés, assise sur le rebord de son bureau, l’air pensif.

—    Tu as l’air de la connaître, dit Bruce pour briser le silence.

Julia poussa un profond soupir.

—    Amanda Waller est très bonne dans ce qu’elle fait à la sécurité intérieure, répondit-elle. Mais je n’ai jamais adhéré à ses méthodes. Que ce soit elle qui hérite de mon programme, cela me gêne.

—    De toutes les manières, je pense que cela aurait fini entre ses mains malgré tout, tenta-t-il de la rassurer. Dès lors que la CIA en aurait eu possession, elle en aurait eu vent et l’aurait obtenu par d’autres moyens.

—    Je le sais, soupira encore Julia.

Un nouveau silence s’installa dans le vaste bureau.

—    Ça y est, tu es libre comme l’air, après trois mois de négociations intensives, fit Bruce en souriant.

Julia sourit à son tour.

—    Je peux m’en aller alors ! s’exclama-t-elle d’un ton amusé.

—    Jamais de la vie ! rétorqua Bruce en l’attrapant par la taille et en la faisant basculer sur ses genoux.

La jeune femme passa ses bras autour de son cou, respirant les notes boisées de son eau de toilette au creux de son épaule ; elle était heureuse et soulagée. Ces trois derniers mois s’étaient écoulés dans la douceur et la confiance, et une dynamique s’était instaurée entre eux tandis qu’ils partageaient une même double vie. Julia n’aurait jamais cru que le fait de n’être plus seule, d’être aux côtés de celui avec qui elle pouvait absolument tout partager pouvait être aussi plaisant et sécurisant, malgré les risques qu’ils pouvaient prendre.

La seule chose qui assombrissait le tableau était la disparition de sa sœur ; depuis trois mois que Bruce lui avait donné l’accès à l’entièreté de ses ressources, elle n’avait toujours aucune nouvelle piste. Si celle-ci avait décidé de se faire passer pour morte, cela signifiait qu’elle n’avait aucune idée de la nouvelle identité qu’elle aurait pu endosser. C’était comme chercher une toute petite aiguille dans une immense meule de foin. La seule piste qui restait valide et qui pouvait lui apporter matière à chercher, c’était le Joker, enfermé à l’asile d’Arkham. Même si cela la répugnait au plus haut point, Julia assistait à toutes les séances de suivi psychiatrique du dément via les caméras de surveillance de l’asile, dont la sécurité avait été renforcée après l’incident avec l’ancien directeur, le docteur Jonathan Crane, lui-même interné dans l’hôpital suite aux conséquences définitives de sa drogue sur son esprit déjà bien atteint. La jeune femme était également en contact avec la nouvelle directrice de l’asile, la docteuresse Sofia Pawinski, qui l’avait déjà appelée à plusieurs reprises car le Joker disait ne vouloir parler qu’à mademoiselle Thorne. Elle s’y était bien évidemment toujours refusée, se sentant trop fragile encore pour se retrouver à nouveau face au Joker, même sous haute surveillance.

—    Bon, puis-je signer mon contrat, alors ? dit-elle enfin en sortant de ses pensées.

Bruce sortit d’un tiroir de son bureau une liasse de papiers qu’il déposa sur le large sous-main de cuir vert bouteille. La jeune femme le feuilleta une dernière fois, accoudée au-dessus des feuillets.

—    Tu as ajouté la close pour ma collaboration avec le commissaire, releva-t-elle satisfaite.

—    Evidemment, nous pourrons en avertir Gordon qu’il pourra faire appel à toi comme experte sur certaines affaires, répondit-il avec sérieux. Cela nous donnera une longueur d’avance sur les forces de police pour nos interventions.

Julia hocha de la tête, tout était conforme à ce qu’ils avaient discuté ensemble. Elle emprunta un élégant stylo-plume noir et or, retira le bouchon et apposa sa signature dans l’encadrement prévu à cet effet, aux côtés de celle de Lucius Fox qui devenait de ce fait son supérieur hiérarchique direct.

—    Et voilà ! s’exclama-t-elle, tu sors officiellement avec l’une des employées de ta boîte… Tu n’as pas honte !

—    Aucunement ! se mit à rire Bruce. Cela parfait ma réputation de playboy effronté.

Elle secoua la tête, il était incorrigible.

Néanmoins, les journaux avaient bien vu que la jeune femme possédait une influence particulière sur le multimilliardaire, depuis leurs débuts houleux, mais surtout à la durée de leur relation. Celle-ci avait d’abord été présentée comme purement professionnelle et intéressée par le soutien public de monsieur Wayne à la porte-parole de la brigade anti-crime, survivante inattendue des attentats du Joker, qui avait proposé des mesures conjointes avec le pouvoir exécutif afin de faciliter l’arrestation et la détention des criminels de la pègre et des aliénés considérés comme dangereux. En avait résulté le projet de « loi Dent », en hommage au procureur général, victime du Joker. Puis la jeune femme s’était retirée de la brigade anti-crime dont l’équipe avait été refondée, seulement une fois qu’elle fut sûre de ses membres, mais restait une figure médiatique importante. Son opinion comptait désormais presque autant que celle des plus influentes familles de Gotham City, même si mademoiselle Thorne ne s’impliquait pas davantage dans la vie politique. Elle soutenait le maire en place, qui jusque-là avait également survécu aux événements qui avaient tourmentés sa ville. Enfin, une telle notoriété n’avait pas évité à la jeune femme d’être l’objet des potins et journaux à scandales : ils avaient épluché les moindres détails la concernant depuis son arrivée à Gotham et y avaient trouvé le rapprochement sensible entre elle et le multimilliardaire à la vie scandaleuse. Elle fut la cible des paparazzis à la recherche de clichés et de rumeurs croustillantes. Bruce lui avait alors suggéré de s’afficher ensemble : cela couperait l’herbe sous le pied des journalistes qui n’auraient plus d’eau pour alimenter leur moulin. Elle avait fini par accepter. Ils se montraient de temps en temps en public pour satisfaire l’appétit vorace des journalistes, mais savaient protéger leur vie privée. Ils donnaient l’image d’un couple stable et la jeune femme avait acquis la réputation de celle qui avait réussi à dompter le playboy dépravé.

—    Veux-tu que je te montre les dernières améliorations que j’ai apportées au tumbler ? lui demanda-t-elle alors avec enthousiasme.

—    Qu’as-tu encore fait à ma voiture ? soupira-t-il faussement exaspéré, le sourire aux lèvres.

—    Viens dans le hangar 4, et tu sauras ! répondit-elle avec enjouement.

Une fois que Julia eut récupéré son ordinateur portable, ils se rendirent tous les deux dans le hangar hautement sécurisé en question, dans une partie où les seules personnes qui en possédaient l’accès étaient monsieur Fox, monsieur Wayne et mademoiselle Thorne. C’était dans ce hangar que Lucius et Julia développaient dorénavant conjointement les technologies pour le Batman, à l’abri de tous les regards et avec toutes les ressources des industries Wayne. Julia avait donc acquis un badge qui déverrouillait l’ensemble des portes de l’entreprise de Bruce.

Arrivés devant un nouveau modèle du tumbler utilisé par le Chevalier noir, Julia sortit son ordinateur de sa sacoche, l’ouvrit, le transforma en tablette et démarra l’engin à distance.

—    Tu remarqueras une plus grande fluidité dans le pilotage à distance, fit-elle en emmenant le tumbler sur la piste d’essai, dans l’annexe du hangar.

Là, elle lui fit une démonstration du pilotage à distance : elle avait fait en sorte d’avoir accès à l’ensemble des options du véhicule et détenait une conduite fluide et rapide du bolide blindé. Elle le fit encore accélérer, et lorsqu’elle lui fit tourner un angle, Julia activa la propulsion et gravit le mur latéral du hangar. Pendant plus de deux secondes, le tumbler roula le long du mur, perpendiculaire au sol. Elle le fit ensuite revenir au sol une fois le bout du hangar atteint.

—    Cela donne quoi dans un tunnel ? lui demanda Bruce, intrigué.

—    A ton avis ? lui répondit-elle en souriant.

—    J’aime, j’aime beaucoup, murmura-t-il en hochant de la tête.

—    Il faut néanmoins que tu atteignes une vitesse palier avant d’activer la propulsion, c’est une question de physique, expliqua-t-elle en faisant revenir le tumbler face à eux.

—    On essaie ? lui lança Bruce en ouvrant le cockpit.

Julia hésita quelques instants, elle n’avait été qu’une seule fois dans le tumbler, la nuit où elle avait été empoisonnée par le docteur Crane. Autrement, il était toujours à l’arrêt quand elle trafiquait les circuits à l’intérieur de l’engin, ou alors le pilotait à distance. Bruce lui tendit une main rassurante, elle se décida et prit place à ses côtés. Elle garda sa tablette connectée au tumbler, par pure sécurité.

—    C’est parti, fit Bruce en démarrant le véhicule.

Il donna une forte accélération et se mit en piste. Julia s’accrocha à la poignée côté passager en hauteur, puis lui indiqua la vitesse à atteindre avant de déclencher la propulsion. Bruce accéléra encore, fit un quart de tour, puis un deuxième. Il souleva le clapet au niveau du levier central et appuya sur le large bouton rouge pour activer la propulsion. Julia ne put s’empêcher de retenir sa respiration, plaquée contre son siège. Bruce monta sans hésitation sur le mur et roula sur toute la longueur du hangar, puis redescendit lorsqu’ils arrivèrent à l’angle. Il effectua un large dérapage contrôlé tout en freinant ; le tumbler s’immobilisa.

—    Les roues n’ont quasiment pas crissé, fit-il remarquer avec un haussement de sourcil.

—    Lucius et moi les avons modifiées pour une plus grande mobilité et de meilleures suspensions, répondit Julia avec une respiration encore haletante. Tu ne dérapes pas vraiment en fait…

—    Cela marche-t-il aussi avec la moto ? demanda Bruce avec intérêt.

—    La modification est prévue, dit-elle en souriant. Mais cela prendra un peu de temps, car elle ne possède pas le même système de propulsion, il faut donc le modifier avant toute chose. Mais cela fonctionnera d’autant mieux qu’elle est beaucoup plus légère et aérodynamique.

Bruce rouvrit le cockpit et aida Julia à sortir.

—    Je suis content que tu t’entendes aussi bien avec Lucius, lui dit-il tandis qu’ils ressortaient du hangar 4.

—    C’est un vrai bonheur de travailler avec lui ! s’exclama-t-elle alors. Nous sommes déjà sur plusieurs projets, et il voulait m’en soumettre encore un en fin de semaine.

Ils quittèrent le hangar et passèrent par de longs couloirs pour revenir à la tour Wayne.

—    Ne te charge pas trop non plus, la prévint Bruce avec bienveillance. Et ne t’isole pas trop…

—    Je sais, je sais, l’interrompit-elle en perdant un peu de sa bonne humeur.

Bruce avait tenté de rester naturel et désinvolte, mais il avait bien senti qu’elle s’était raidie à sa remarque. Sa mâchoire se contracta spontanément tandis qu’il dissimulait de son mieux ses craintes à son sujet.

—    Je comprends que ce soit plus facile pour toi de gérer tes émotions si tu ne rencontres personne, mais ce n’est pas le but, tu te souviens ? poursuivit-il avec diligence.

—    J’étais parmi mes employés aujourd’hui, répliqua-t-elle sur la défensive, comme si elle ressentait le besoin de prouver quelque chose.

Tout à coup, Julia s’arrêta quelques instants dans le couloir, sa main portée à son front. Elle ferma les yeux quelques instants. Elle avait soudainement été envahie par l’inquiétude du trentenaire à son sujet. Son cœur commençait à s’emballer, l’inquiétude perçue s’accroissait jusqu’à devenir un début de crise de panique. Un bourdonnement désagréable traversa ses tympans, elle n’avait plus tout à fait conscience de ce qui l’entourait. La jeune femme sentit une pression contre ses épaules et une voix émerger :

—    Julia, écoute ma voix, disait Bruce avec calme et fermeté.

Il l’avait saisie par les épaules et lui faisait face afin de capter à nouveau son attention. Julia rouvrit les yeux et le vit à nouveau, le bourdonnement avait cessé. Elle reprenait possession de ses sens.

—    Je suis partie longtemps ? demanda-t-elle dans un murmure.

—    Non, la rassura Bruce en la prenant dans ses bras.

Sa chaleur et son odeur apaisèrent la jeune femme qui retrouva sa contenance habituelle.

Depuis son lâcher-prise face au Joker et sa rémission avec l’aide de Lucius, Julia était devenue sujette à des pertes de contrôle soudaines et plus ou moins longues où elle n’avait plus la sensation de maîtriser son corps et où son esprit, par protection, sombrait dans l’inconscience. Elle ne se souvenait jamais de ce qu’elle avait pu faire ou dire dans ces moments. Sa plus longue perte de conscience avait duré une demi-journée et elle s’était réveillée sans aucun souvenir en pleine rue dans le Midtown. Afin de limiter ces incidents, un psychiatre qu’elle avait consulté deux mois plus tôt lui avait conseillé, à défaut d’un traitement médicamenteux, la méditation en pleine conscience afin de rétablir les liens entre son corps et son esprit, mais cela n’était pas aussi efficace que l’aurait voulu la jeune femme.

—    Je préfèrerais que tu viennes chez moi ce soir, lui dit alors Bruce avec prévenance.

—    Non, ça ira, répondit Julia qui se voulait rassurante. Je me coucherai de bonne heure ce soir, pour me reposer.

—    Je te ramène alors, décida-t-il malgré tout, dissimulant son inquiétude et sa frustration.

Elle hocha de la tête en souriant avec la volonté de le réconforter, mais en vain. L’inquiétude du trentenaire ne pouvait s’effacer grâce à un simple sourire. Il la raccompagnerait en voiture, même si le trajet entre la tour Wayne et la tour de l’horloge était somme toute très court. Ils prirent l’ascenseur jusqu’au niveau du parking privé auquel seuls certains cadres et employés avaient accès et rejoignirent la Lamborghini bleu nuit du multimilliardaire.

—    Tu es sûre de ne pas vouloir rester au penthouse ce soir ? insista-t-il d’un air préoccupé. Je serais plus rassuré de te savoir en compagnie d’Alfred…

—    Je te vois venir, l’interrompit-elle, riante. Tu essaies de me soudoyer avec les bons petits plats d’Alfred auxquels tu sais pertinemment que je ne résiste jamais.

Ils s’arrêtèrent devant les portes de la voiture que Bruce avait déverrouillées. Elle lui fit face et prit l’une de ses mains qu’elle porta à ses lèvres pour y déposer un léger baiser avant de la serrer contre sa joue avec une moue adorable. Il ne put s’empêcher de pousser un soupir entre tendresse et exaspération. Il savait qu’il avait déjà perdu ce débat.

—    J’adore passer du temps avec lui, et avec toi… mais j’ai besoin de me retrouver un peu seule ce soir, dit-elle en plongeant ses yeux verts dans son regard sombre et inquiet.

—    Et si tu en refaisais encore ? demanda-t-il tout à coup, se faisant l’avocat du diable.

—    Des cauchemars ? Cela fait deux semaines que cela ne m’est plus arrivé, répondit-elle rapidement en détournant son regard.

Bruce sut d’emblée qu’elle lui mentait. Elle était entrée dans la voiture du côté passager ; à sa suite, il s’installa au volant et démarra le moteur qu’il fit vrombir d’un coup brusque d’accélérateur avant de quitter le garage de la Wayne Enterprise.

Le trajet se déroula dans un silence tendu ; Julia ne savait toujours pas comment composer avec le caractère protecteur et envahissant de son compagnon. Il avait un intime besoin de contrôler tout ce qui le touchait de près et c’était d’autant plus vrai pour tout ce qui la concernait. Il faisait cependant beaucoup d’efforts pour se maîtriser face à la jeune femme, mais elle ne l’aidait pas, et c’était précisément le genre de situation qui avait tendance à l’agacer. Bruce voyait bien que depuis les événements causés par le Joker, elle en était ressortie fragilisée : même si elle affichait un visage serein et un grand sourire, ceux-ci dissimulaient des peurs qui l’envahissaient peu à peu, sans parler de ces blackouts qu’elle ne pouvait que subir et dont elle n’avait aucun souvenir. Il avait l’impression qu’il n’avait aucune prise là-dessus, ce qui augmentait cette sensation de frustration qu’il ressentait à chaque fois qu’elle le repoussait, comme ce soir-là.

Il arrêta la voiture de luxe devant l’entrée de la tour de l’horloge. Julia avait déjà posé sa main sur la poignée de la portière pour sortir, mais Bruce la verrouilla soudainement.

—    Que fais-tu ? l’interrogea Julia qui lui jeta un regard las.

—    Promets-moi simplement que si tu dois refaire un cauchemar, tu m’appelles, peu importe l’heure, dit-il de sa voix rauque et profonde.

La fébrilité du milliardaire était palpable, et pourtant ses paroles eurent un effet réconfortant sur la jeune femme. Elle soutint son regard et acquiesça avec sincérité. Cela lui suffit ; il déverrouilla les portières. Elle ne l’avait pas quitté du regard, consciente du trouble dans lequel elle le mettait. Il tendit son visage près du sien et déposa un chaste baiser sur ses lèvres.

—    Sois prudent, toi aussi, lui murmura-t-elle alors avant de sortir du véhicule.

Elle savait qu’il avait prévu de patrouiller cette nuit avec ou sans le soutien de l’Oracle.

Se retrouvant seule dans son loft, Julia commença par prendre une douche bien chaude pour se détendre ; elle se prépara ensuite un encas léger, elle n’avait pas très faim. Puis elle s’installa avec son petit plateau repas dans son lit et alluma l’écran qu’elle s’était fait installer dans sa chambre à coucher. Elle chercha un film à regarder, son choix s’arrêta sur une comédie légère. Elle augmenta le volume ; elle avait peur de s’endormir. Tous les soirs, elle appréhendait le moment où son esprit se mettrait en veille, laissant son inconscient prendre le dessus, car elle pressentait en effet qu’elle allait encore faire un cauchemar. Comme si toutes les émotions qu’elle avait réussi à gérer dans la journée ressortaient d’un seul coup, toutes ensemble pendant la nuit. Elle en était submergée. Lorsque la journée avait été paisible, et qu’elle n’avait pas rencontré grand-monde, cela allait ; mais lorsqu’elle avait dû affronter une situation qui l’avait mise en défaut ou qu’elle avait dû intérioriser, elle savait qu’elle allait le payer la nuit qui suivait.

Le soleil s’était couché, il devait être à peine vingt-et-une heures que ses yeux papillonnèrent, pour se fermer définitivement, son repas à moitié terminé sur le plateau à ses côtés. Ce fut sa frustration devant madame Amanda Waller qui ressortit. Elle se trouvait dans la salle de réunion et revécut la scène, mais comme elle aurait voulu la mener. Sa colère éclata : dans son rêve, elle renversait tout, brisait les écrans, le visage froid et fermé, en refusant catégoriquement de lui donner son programme. Mais madame Waller possédait une certaine emprise, elle la craignait en partie. Elle jeta littéralement un froid dans la pièce. La jeune femme se sentit se glacer sur place. Elle frissonna. Puis ce fut l’inquiétude de Bruce qui l’envahit à nouveau. Elle se retrouvait dans ce couloir qui semblait alors infini et qui rétrécissait. Sa respiration s’accéléra, se fit haletante ; les murs la touchaient, se resserraient sur elle. La jeune femme tenta de pousser un cri, mais ce fut comme si elle sortait de son corps. Julia se vit dans ce couloir qui était redevenu normal, étouffant d’une émotion qui n’était pas la sienne, amplifiée par son hyper-empathie. Elle vit Bruce qui l’avait saisie par les épaules et qui lui parlait, l’appelait à revenir. Elle se concentra sur cette voix apaisante, voulut ouvrir les yeux, mais sentit ses paupières trop lourdes, elle n’y arrivait pas ; la peur de ne pouvoir regagner son corps l’étreignit brutalement. Tout à coup, tout devint noir autour d’elle et une sensation d’effroi la figea sur place. Une lumière blafarde émana du plafond, éclairant une pièce qu’elle n’arrivait pas à détailler : un espace vide, un horrible sentiment d’enfermement, un lit dans un coin, un goût de fer dans sa bouche. Elle n’avait aucune certitude, que des sensations de froid et de peur intense. Elle voulut alors formuler une parole, un son, un cri. Ce fut le cri qui triompha.

Julia était en sueur lorsqu’elle sortit de son sommeil agité. Son plateau s’était renversé et la vaisselle s’était brisée sur le coup. Elle se redressa sur son séant, la respiration saccadée. Elle posa sa main contre sa poitrine et la serra comme si elle voulait attraper son cœur. Sa respiration ralentit, ses muscles se détendirent. La jeune femme put enfin prendre une profonde inspiration. Encore cette même vision étrange et inquiétante qui revenait la hanter et qui la laissait toujours transie de peur.

Elle se leva pour ramasser les débris. Elle ne voulait pas se rendormir de sitôt. Elle prit le plateau et y déposa les morceaux de porcelaine et de verre, dont un morceau lui entailla la paume de la main. Quelques gouttes de sang perlèrent pour retomber sur le tapis beige en taches sombres.

—  Merde, chuchota-t-elle.

Elle amena le plateau avec les débris dans sa cuisine et se rendit à la salle de bain pour se soigner. L’entaille était peu profonde, il n’y aurait pas besoin de suture. Elle fit un rapide bandage bien serré, puis se dirigea vers les portes-miroirs de son dressing. Elle apposa son pouce à un endroit bien précis, la porte s’ouvrit sur un petit ascenseur dérobé qu’elle emprunta. Julia se retrouva dans les combles de l’horloge, face à l’Oracle. Elle prit place dans son fauteuil à roulettes rembourré et aux larges accoudoirs et sortit ses écrans de veille. Il était deux heures du matin. Les rayons pâles de la lune traversaient les vitraux colorés du cadran de la grande horloge, illuminant le sol d’arabesques.

La jeune femme parcourut les différents pôles qu’elle avait mis sous surveillance, en fonction des informations qu’elle avait sur les mouvements de ce qu’il restait de la pègre qui cherchait toujours à se recréer, mais aussi les lieux sensibles d’échanges comme les gares et les docks. Même si ses yeux picotaient sous l’effet de la fatigue, son esprit était maintenant parfaitement alerte. Elle finit par mettre son micro-casque et ouvrir un canal de communication :

—    Encore de sortie ? demanda-t-elle.

—    Oui, lui confirma le Batman.

Julia resta un instant silencieuse.

—    J’en ai refait un, lâcha-t-elle soudain.

Elle ne put en dire plus, la gêne l’emportait, lui causant un sentiment de honte. Elle s’était attendue à ce que les cauchemars fassent irruptions cette nuit-là, et pourtant elle avait encore une fois refusé la main tendue de son compagnon.

—    Je t’envoie Alfred, répondit-il simplement, sans aucun jugement.

—    D’accord, murmura-t-elle avec reconnaissance.

Soudain, quelque chose attira son attention sur l’un des écrans. Près des anciens docks de la ville, une jeune femme, les cheveux longs et décolorés attachés en deux grandes couettes sur les côtés de sa tête, accostait trois hommes qui fumaient leur cigarette devant la porte de service d’un bar. Dans une attitude aguicheuse, la femme leur parla quelques instants ; les trois hommes parurent se moquer, le visage goguenard ; ils firent mine de l’encercler. La jeune femme perdit patience, saisit une barre de fer qui se trouvait non loin de là sous un échafaudage, puis se mit à battre les trois hommes avec une rare violence. L’un des trois hommes sembla la supplier d’arrêter ; ils se relevèrent avec difficulté, leur ego évaporé et leur nez en sang, puis une poignée de main fut échangée. La jeune femme repartit avec les trois hommes et sortirent du champ de vision de la caméra. Elle ne réussit pas à les suivre, ils se fondirent dans un quartier où les caméras se faisaient trop rares. Elle revisionna les bandes enregistrées automatiquement et tenta de faire un arrêt sur image, mais leurs visages restaient flous. Julia fronça les sourcils, perplexe.

Toutefois, elle dut redescendre de sa cache car Alfred n’allait pas tarder à arriver. Elle classa les enregistrements dans un dossier partagé avec son ordinateur portable et son téléphone, puis, à nouveau dans son appartement, elle prépara un petit sac avec ses effets personnels et s’habilla rapidement. Le majordome l’appela sur son téléphone une fois qu’il fut arrivé en bas de l’immeuble ; elle le rejoignit dans l’élégante Rolls-Royce noire.

—    Bonsoir, mademoiselle Julia, dit-il avec son accent britannique et sa gentillesse sécurisante, un doux sourire illuminant son visage cependant fatigué.

Le majordome était toujours aussi bien habillé de sa tenue sobre mais distinguée. Il avait revêtu ses gants blancs qui contrastaient avec le noir de sa redingote et de son pantalon ainsi qu’avec sa chemise impeccablement repassée. Une chaînette en or laissait entrevoir une montre à gousset glissée dans la poche gauche de son gilet. Il arborait son léger sourire aimable et avenant, les petites rides autour de ses yeux gris-bleu se plissant avec délicatesse et douceur.

—    Bonsoir, Alfred, je suis navrée de vous faire vous déplacer à une heure si tardive, s’excusa la jeune femme avec embarras.

—    Vous savez bien que cela ne me dérange aucunement, si c’est pour votre bien-être ou votre sécurité, lui répondit-il avec son flegme anglais habituel, les yeux brillants toutefois de bonne humeur.

Elle lui sourit, soulagée par sa seule présence. Il l’emmena au penthouse de monsieur Wayne. Une fois arrivés, ils ne furent pas surpris que Bruce ne soit pas encore revenu.

—    Puis-je vous proposer un thé ? dit Alfred en se dirigeant vers la cuisine.

—    Avec plaisir.

Julia l’accompagna. Ce fut à ce moment-là que l’Anglais remarqua la blessure de la jeune femme tandis qu’elle se proposait de l’aider.

—    Permettez que j’y jette un œil, s’enquit-il d’un ton paternel.

Elle lui tendit sa main droite dont il retira délicatement les bandages maculés de quelques taches de sang. Il alla chercher une petite valise de pharmacie qu’il déposa sur le large plan de travail de la cuisine devant lequel elle était assise sur un tabouret molletonné. Il désinfecta la plaie, déposa de la gaze sur l’entaille et refit un bandage propre.

—    Du verre brisé, se justifia-t-elle alors. Je mangeais au lit, mon plateau s’est renversé tandis que je m’étais endormie, et…

—    Vous n’avez pas à vous justifier, et vous le savez, l’interrompit Alfred avec un sourire bienveillant. Toutefois… Je serais bien soulagé si je n’avais plus à vous rafistoler les mains.

Il noua le bandage en lui adressant un clin d’œil rieur et garda quelques instants sa main entre les siennes ; elles étaient chaudes et rassurantes.

—    Merci Alfred, répondit-elle avec un sourire timide.

Ils terminèrent de préparer le thé à la menthe et à la verveine, puis le majordome installa la jeune femme dans le salon car elle voulait attendre le retour de Bruce. Toutefois, la fatigue l’emporta malgré elle : Julia s’endormit sur le divan, sa tasse à moitié bue posée sur la table basse.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, le jour était déjà levé depuis longtemps et elle était confortablement allongée dans le large lit aux draps lavandés du second étage. On lui avait simplement retiré son pantalon et sa chemise et couverte d’un drap. Julia se tourna sur le côté et aperçut Bruce endormi à ses côtés. Il avait certainement dû la porter jusqu’à son lit et s’y était allongé sans vouloir la réveiller, voyant qu’elle dormait paisiblement. En effet, la jeune femme ne se souvenait pas de nouveaux cauchemars et se sentait reposée. Bruce, quant à lui, présentait une nouvelle série d’ecchymoses le long de son bras gauche et contre son flanc. La patrouille de cette nuit n’avait ainsi pas été vaine, certainement qu’il avait dû rencontrer la route de malfrats à qui il avait réglé le compte. Elle poussa un léger soupir : qu’arrivera-t-il le jour où il ne reviendra pas ? La jeune femme balaya cette pensée d’une secousse de la tête ; il était fort. Oui, mais il restait humain.

Julia se leva précautionneusement afin de ne pas l’éveiller. Elle se dirigea vers la salle de bain, prit sa douche, s’habilla et se maquilla. Elle descendit ensuite dans le hall et demanda à Alfred de prévenir Bruce à son réveil qu’elle serait au travail. Il la salua chaleureusement après lui avoir proposé un petit-déjeuner qu’elle refusa, tandis que les portes de l’ascenseur se refermaient.

Elle se rendit à pied à la tour Wayne, une vingtaine de minutes de marche dans l’air encore froid de janvier ne pouvait lui faire que du bien. Toutefois, lorsqu’elle arriva devant le haut building, un attroupement s’était formé devant les portes principales. Elle s’approcha difficilement, un cordon de sécurité avait été placé par la police afin de tenir les curieux à distance. Julia interpella un ancien collègue qui la fit passer au-delà du périmètre sécurisé :

—    Vous devriez voir ça, dit-il en l’emmenant devant les portes de l’immeuble.

Sur les larges baies vitrées de l’entrée était inscrit, dans une peinture épaisse rouge sang, des coulures bavant à grosses gouttes de chaque mot, le message suivant : « Joue avec moi, Julia ».

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