L'Oracle de Gotham - tome 2

Chapitre 7 : Quand tout vacille

7288 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/11/2025 10:03

Julia sortit plus tôt que d’habitude de son travail pour se rendre dans une boutique de prêt-à-porter, puis dans un bazar qui vendait absolument tout et beaucoup d’objets qui ne servaient à rien. Elle fit plusieurs achats et se rendit dans les toilettes publiques du mall ; elle récupéra un écriteau sur lequel était inscrit « Hors-Service » et le suspendit à l’entrée des toilettes pour dames avant de s’enfermer à l’intérieur.

Là, elle se changea pour revêtir la tenue qu’elle venait de se procurer : une robe cintrée jusqu’aux genoux, rouge avec de petites manches, le col droit le long de ses épaules. Ensuite, elle se démaquilla et refit un maquillage vintage composé d’un long trait d’eyeliner noir qui étirait ses yeux pour leur donner une forme d’amande et un mascara noir qui allongeait un maximum ses cils. Elle appliqua un fond de teint plus clair, puis poudra ses joues avec un léger rose, et enfin apposa un rouge à lèvres carmin. Une fois maquillée, elle attacha ses cheveux en un chignon serré et bien plaqué contre son crâne, enfila un filet qui maintint l’ensemble avant d’ajuster une belle perruque blonde dont les boucles reposaient sur ses épaules en un brushing des années trente. Elle rectifia les mèches sur sa nuque et son front, puis sortit un petit béret à voilette en dentelle noir qu’elle revêtit afin que cela occulte ses yeux sans lui masquer la vue, qu’elle fixa à l’aide d’épingles à cheveux. Elle se mira dans la glace : elle était fort peu reconnaissable. Toutefois, une ombre passa sur son visage, son sourire s’effaça. Elle se fixait toujours dans le miroir : elle avait l’étrange impression de voir sa sœur face à elle. Son mal-être grandit, elle finit par secouer la tête, les sourcils froncés. On ne pourrait la reconnaître, et c’était ce qui lui importait. Elle ressortit des toilettes, retira la pancarte qu’elle glissa derrière une poubelle et se dirigea vers la sortie après avoir retiré une certaine somme en plusieurs fois à un automate, ses talons noirs claquant contre linoléum blanc.

Elle laissa sa voiture garée dans la rue et se rendit à pied jusqu’au lieu du rendez-vous ; tandis qu’elle arrivait face à la devanture de l’hôtel, sobre mais élégant, son téléphone vibra. Le nom de Bruce s’affichait sur l’écran. Elle hésita, puis le laissa sonner jusqu’à ce qu’il s’arrête et le mit sous silencieux. Il ne fallait pas qu’un élément aussi banal qu’un appel ne vienne perturber son opération auprès des trafiquants d’armes.

La porte de l’hôtel s’ouvrit, laissant entrer une magnifique jeune femme blonde au look rétro, petit sac à main noir suspendu à son bras et talons aiguilles claquant contre le sol de faux marbre. Toutes les têtes se tournèrent de son côté pour un coup d’œil rapide ou un lourd regard insistant, avant de reprendre leurs conversations. Elle rejoignit l’accueil de l’hôtel tenu par un jeune groom de vingt-sept ou vingt-huit ans :

—    Bonsoir, dit Julia en se donnant un accent italien, je souhaiterrrais louer la chambrrre numéro trrrenta-due, s’il vous plaît.

Le jeune homme lui jeta un œil craintif et sortit un carnet spécifique :

—    Votre nom ?

—    Della Valle, répondit Julia avec aplomb.

—    Je vous laisse patienter dans le hall, le temps que nous préparions la chambre, déclara le groom en lui indiquant un espace aménagé de fauteuils en cuir confortables.

—    Je vous rrremercie, dit-elle avant de quitter le comptoir pour se diriger vers un fauteuil libre.

La jeune femme attendit une quinzaine de minutes, les jambes élégamment croisées, son téléphone en main comme si elle le consultait de manière anodine. Sous son béret à voilette, son regard se promenait pourtant sur les hommes et les femmes présents dans la salle. Personne ne paraissait lui prêter attention, jusqu’à ce qu’un homme d’une quarantaine d’années se présente à elle dans une veste de cuir noir, un jean sombre et des chaussures cirées.

—  Veuillez me suivre, dit-il d’une voix grave, les mains crispées dans les poches de sa veste.

Julia se leva sans se presser et suivit l’inconnu à l’extérieur de l’hôtel où un véhicule les attendait. C’était un modèle récent de Cadillac noir dont l’homme ouvrit la portière arrière, invitant la jeune femme à y entrer. Elle s’engouffra sans broncher dans la voiture qui démarra une fois l’homme installé à ses côtés. Ce dernier garda le silence tout le long du trajet ; Julia tenta de se repérer en observant l’extérieur, mais les vitres fumées l’empêchaient de reconnaître les rues qu’ils empruntaient. La voiture finit par s’immobiliser devant un immeuble en chantier. L’inconnu sortit en premier, puis escorta la jeune femme à l’intérieur de l’immeuble. Elle eut à peine le temps d’entendre quelques mouettes crier, lui indiquant qu’ils ne devaient pas être loin des docks, qu’ils s’enfonçaient déjà dans les soubassements du chantier. On distinguait les poutres d’acier qui les surplombaient sur trois étages, des blocs de matériaux reposaient ici et là, prêts à leur utilisation, ainsi que de petites bétonneuses d’appoints au repos.

Une lueur apparut au détour d’un lot de parpaings empilés, qui éclairait de larges tables en tréteaux sur lesquelles étaient disposées des armes à feu de différents calibres. Derrière les tables se tenaient trois hommes bien habillés, en costume noir et chemise blanche, une cravate bleu nuit pour celui du milieu et des nœuds papillon pour les deux autres.

—    Madame Della Valle, c’est bien cela ? s’exclama le premier en ouvrant les bras en signe de bienvenue.

Julia répondit d’un mouvement de tête tout en observant rapidement autour d’elle : plusieurs gardes du corps se trouvaient à proximité, surveillant les alentours ainsi que le lieu de la transaction.

—    Approchez, approchez ! continua l’homme à la cravate. Votre demande nous a fortement intéressés. Vous êtes amatrice, c’est cela ?

—    En effet, répondit Julia en jouant son rôle. Je collectionne certaines arrrmes, et je suis prrrête à y mettrrre le prrrix.

—    Forse stai cercando armi di origine italiana ? demanda le trafiquant en italien.

—    Non necessariamente, mi piacciono anche le armi straniere, répondit Julia dont les rudiments d’italien qu’elle avait appris dans son enfance puis réactivé dans sa carrière à la CIA refirent surface.

—    Bien, j’espère que vous trouverez votre bonheur avec nous, alors, sourit l’homme en l’invitant à examiner ce qu’il avait installé sur les tréteaux.

Julia s’approcha et balaya du regard les différentes armes présentes : il y en avait pour tous les goûts, mais ils avaient toutefois sélectionné des armes de collection pour la plupart. Il y avait des carabines et des fusils à pompe aux côtés d’armes de poings, de pistolets et de revolvers. Elle en examina certains avec l’accord du trafiquant. Elle avait tout de suite compris qu’il n’était qu’un intermédiaire et qu’elle n’avait pas affaire au chef du trafic. Cependant, elle sentait qu’on l’observait, au-delà des hommes de main présents autour d’eux : il y avait une présence qui appesantissait l’atmosphère, car l’homme à la cravate ne cessait de jeter des coups d’œil furtifs dans une même direction, dans les hauteurs du chantier. Ainsi, elle avait malgré tout réussi à attirer l’attention de leur chef.

Julia s’attarda plus longuement sur un pistolet beretta de calibre 9mm, posant des questions pointues afin de faire sécher l’intermédiaire : elle voulait qu’il appelle son supérieur à venir se présenter lui-même. Toutefois, le trafiquant connaissait très bien sa marchandise, elle eut beaucoup de mal à trouver son point faible. Elle l’attaqua alors sur le prix en se mettant à négocier avec force :

—    Honnêtement, vous en demandez beaucoup trrrop pour ce que c’est, dit-elle avec désinvolture.

—    Le prix comprend également la garantie de sa sortie du circuit, renchérit l’homme à la cravate dont le front perlait de sueur.

Il avait certainement reçu pour consigne de ne pas manquer cette vente. Ses regards se portaient de plus en plus derrière la jeune femme, à l’étage supérieur. Avec subtilité, Julia saisit à nouveau l’arme et fit un quart de tour afin d’avoir elle aussi une vue sur ce point que son interlocuteur ne cessait de fixer. Elle aperçut une silhouette noire encadrée par deux gardes du corps plus grands que lui ; entre ses mains, seule chose qu’elle put distinguer, reluisait le pommeau d’une canne ainsi qu’une bague, comme une chevalière, à sa main droite. Elle se tourna à nouveau pour reposer l’arme sur le tréteau : elle savait qu’elle ne pourrait en tirer plus.

—  Bien, je vous le prrrends, dit-elle avec une moue déceptive.

Son interlocuteur ne put réprimer un soupir de soulagement tout en lui adressant un large sourire forcé. Julia sortit de son sac à main une liasse de billets de banque qu’elle tendit au trafiquant. Celui-ci la passa à l’un de ses collègues qui avaient pour mission de compter l’argent tandis que lui-même emballait l’arme dans un coffret.

Tout à coup, des tirs retentirent au fond du vaste sous-sol. D’un bond, les trois hommes remballèrent les armes à feu dans des caisses situées sous les tables, les refermèrent d’un coup de pied et liquidèrent les lieux.

Julia en profita pour regarder du côté de l’homme mystérieux qui l’avait épiée durant tout l’entretien : il avait déguerpi encore plus vite que ses acolytes. Elle murmura un juron et courut en direction de la sortie tout en se dissimulant derrière les caisses de matériaux et les machines de chantier. Une fois à l’abri entre deux lots de sacs de sable, elle sortit son téléphone sur lequel elle découvrit plusieurs appels manqués ainsi que des messages, tous provenant de Bruce. Elle les lut rapidement : « Où es-tu ? J’ai eu l’info qu’une transaction devrait avoir lieu dans un chantier » ou encore le dernier en date : « Pourquoi tu ne réponds pas ? Je crois bien que c’est notre blonde qui est présente, plus qu’à la cueillir. »

—    Et merde, murmura-t-elle quand elle se rendit compte qu’il l’avait confondue avec la braqueuse de casino.

Julia saisit ses écouteurs bluetooth qu’elle enfila dans ses oreilles, puis activa le canal de communication par le biais de son portable :

—    J’y suis, ce n’est pas elle ! s’écria-t-elle une fois la communication établie.

—    Julia, qu’est-ce que tu fiches ? T’es où, bon sang ?

Bruce avait l’air d’être hors de lui.

—    Le chef des trafiquants était sur place, concentre-toi sur lui ! rétorqua-t-elle sans répondre aux interrogations du Batman.

La jeune femme jeta un œil autour d’elle, puis tenta une sortie : elle courut à nouveau en direction de l’entrée du chantier, mais ses talons résonnaient si fort contre les dalles de béton qu’elle n’eut aucun doute sur ce qui venait de la saisir par le bras et de l’allonger brutalement au sol.

—  Lâche-moi ! cria-t-elle avec force.

Le Chevalier noir eut un instant d’hésitation lorsqu’il entendit cette voix qui lui était si familière et qui venait de résonner dans ses propres écouteurs. Elle en profita pour lui asséner un violent coup dans la poitrine pour se dégager de son étreinte et se relever. Elle ramassa son sac tombé à terre et lui chuchota rapidement :

—    Fais comme si je t’avais échappé et pars à la recherche d’un homme avec une canne et une chevalière à la main droite ! Je t’expliquerai…

Julia bondit en avant et s’enfuit en direction de la sortie. La même Cadillac qui l’avait amenée au chantier s’arrêta brusquement devant elle, la portière arrière s’ouvrant brusquement.

—  Montez ! lui cria-t-on.

La jeune femme ne se fit pas prier et s’engouffra dans le véhicule qui partit en trombe une fois la portière refermée.

—    Qu’est-ce que c’était que cela ? dit-elle en jouant à nouveau son rôle d’italienne.

—    Une saleté de chauve-souris, maugréa l’homme en cravate bleue. Vous allez bien ? Il ne vous a pas fait de mal ?

—    Non, ça va, j’ai pu m’enfuirrr, répondit-elle, haletante. Où m’emmenez-vous ?

—    Mon patron a exigé de vous reconduire en lieu sûr, répliqua l’intermédiaire.

Ce dernier sortit son téléphone portable de sa poche et appela le dernier numéro composé :

—    C’est bon, monsieur, elle est avec moi, dit-il avec une pointe de soulagement dans la voix. Oui, monsieur… Très bien.

Il raccrocha et rangea son téléphone dans une poche intérieure de sa veste.

—    Mon patron vous aurait volontiers rencontrée, mais au vu de la tournure qu’ont prise les événements, il souhaite s’excuser auprès de vous et espère que cela ne vous empêchera pas de faire à nouveau appel à ses services dans le futur, déclara l’homme à la cravate avec respect.

—    Vous lui dirrrez que j’accepte ses excuses, et que cela n’entache pas sa rrréputation, répondit-elle avec diplomatie. Si je suis satisfaite de mon achat, j’aurrrai le plaisir de passer à nouveau par ses serrrvices. Mais comment pourrrais-je le contacter ?

—    Il vous recontactera, répondit-il simplement en lui tendant une carte où seul le nom du « Pingouin » était écrit.

Julia retourna la carte, mais elle était vierge de toute autre annotation. La voiture s’arrêta enfin et la portière s’ouvrit. La jeune femme salua son interlocuteur et sortit rapidement : ils l’avaient ramenée à l’hôtel du premier rendez-vous. Elle en fut soulagée, car elle pourrait retrouver sa propre voiture afin de rentrer enfin chez elle. Lorsque la Cadillac repartit, elle grava dans sa mémoire le numéro de la plaque d’immatriculation.

Lorsqu’elle se retrouva tout à fait seule dans son Audi, son oreillette s’activa :

—    Tu me dois des explications, gronda Bruce d’une voix sombre.

—    Je me rends chez toi, dit-elle avant de pousser un léger soupir.

Julia était arrivée avant lui ; Alfred l’accueillit avec une tasse de thé, l’air perplexe lorsqu’il la découvrit ainsi déguisée. Elle n’osa lui parler de son opération solo : le regard de l’Anglais lui procurait un sentiment de honte sans qu’elle puisse comprendre pourquoi. Elle retira sa perruque qu’elle posa sur la table de la cuisine devant laquelle elle était assise, retira les épingles, le filet, et libéra sa chevelure marron aux reflets mordorés. Elle passa ses doigts dedans afin de leur redonner un peu de volume et de défaire entièrement le chignon. Ses cheveux retombèrent en larges boucles dans son dos.

—    Pourquoi avoir agi de votre côté ? demanda soudain Alfred de sa voix apaisante, mais dans laquelle la jeune femme ressentit une incompréhension, et même pire que cela : de la déception.

—    Honnêtement, je ne saurais le dire avec exactitude, répondit-elle tristement. Une vieille habitude qui a peut-être repris le dessus…

Elle s’interrompit pour réprimer des larmes qui lui montaient aux yeux. Elle ne savait pas pourquoi en sa présence elle se sentait aussi libre d’exprimer ses sentiments les plus fragiles.

—    Vous n’êtes plus seule, lui dit l’Anglais en déposant une main chaude et bienveillante sur la sienne.

Julia lui jeta un regard à la fois désespéré et reconnaissant. Elle n’avait qu’une seule envie, c’était de se blottir dans les bras de ce vieil homme qui lui offrait du réconfort et de la compréhension. Elle n’en fit rien, la porte de l’ascenseur s’ouvrit à ce moment-là et un pas furieux retentit dans le salon.

—    Bon sang, Julia ! Qu’est-ce qui t’est passé par la tête ? gronda la voix de Bruce, pleine de rancune.

—    J’essayais d’avancer dans mon enquête sur le trafic d’armes dans cette ville ! répliqua-t-elle sur le même ton, son visage se durcissant soudainement. Et si tu n’étais pas intervenu, j’aurais pu rencontrer leur chef en personne !

La jeune femme s’était levée de son siège et faisait maintenant face au trentenaire qui ne réussissait plus à se contenir.

—  Et me dire ce que tu fais, ça ne te vient pas à l’idée ? s’écria-t-il, fulminant.

—  Tu aurais refusé que j’infiltre moi-même le réseau ! cria-t-elle à son tour.

—  Évidemment ! C’est trop dangereux !

—  Tu vois ! J’avais raison !

—    Tu n’avais aucune idée de comment les choses auraient pu tourner ! gronda-t-il d’une voix tonitruante. Et s’ils t’avaient reconnue ? T’y as pensé, à ça ?

—    Ils ne m’ont pas reconnue ! hurla-t-elle avec rage.

—    Et moi qui croyais que t’étais la braqueuse ! J’aurais pu te faire du mal ! s’emporta-t-il.

Cette fois, c’était l’inquiétude qui avait pris le dessus chez Bruce. Il avait le sentiment que tout lui avait échappé, et c’était une chose qu’il ne supportait pas. D’abord, sa compagne qui ne répond pas à ses appels, ensuite il découvre qu’elle organise une opération dans son dos, pour enfin la confondre sur le lieu de son intervention. Il en était vert. C’était la goutte de trop, ce soir-là. Il ne comprenait plus les agissements de la jeune femme et ne souhaitait pas chercher à les comprendre à cet instant. Il était trop courroucé pour cela.

De son côté, Julia ne supportait pas non plus d’avoir tort, et la colère du trentenaire l’avait gagnée aussi vite que son inquiétude : elle ne maîtrisait plus rien. Elle saisit son sac à la volée et se dirigea vers la sortie, bousculant au passage son compagnon qui la retint par le bras :

—    Où comptes-tu aller comme ça ?

—    Loin d’ici, j’ai besoin de prendre l’air, répliqua la jeune femme en se dégageant de son étreinte. Laisse-moi.

Elle se tourna du côté d’Alfred qui avait assisté à la scène, bouleversé et impuissant, puis s’engouffra dans l’ascenseur et disparut derrière les portes coulissantes.

—  C’est pas vrai ! s’emporta Bruce en tapant du poing contre la table de l’entrée.

Il pesta, tonna et enragea seul jusqu’à ce qu’il souffle et s’apaise enfin quelque peu. Son majordome le laissa faire avec un regard déçu et embué, jusqu’à ce qu’il le voie lui aussi se diriger vers les portes de l’ascenseur :

—    Laissez-la seule un moment, lui conseilla-t-il posément. Vous avez tous les deux besoin de vous calmer avant de vous parler à nouveau…

Bruce lui jeta un regard sombre, puis acquiesça d’un bref signe de tête. Toutefois, il ne pouvait pas rester sans rien faire non plus : il irait décharger sa colère sur ceux les premiers malfrats venus. Quiconque croiserait sa route cette nuit n’en réchapperait pas.

Julia était sortie de l’immeuble par l’entrée principale et marchait à vive allure sur la grande avenue, sans manteau en plein mois de janvier. Elle grelottait, mais s’en fichait ; elle marchait sans savoir où elle allait ; ses pensées tournoyaient sans qu’elle ne puisse les arrêter. Soudain, la grande horloge sonna minuit. Voilà où elle devait retourner : chez elle, dans son propre repaire, au sommet de la tour de l’horloge. Là, elle pourrait se vider l’esprit. Là, elle pourrait respirer sans hoqueter. Là, elle pourrait enfin réfléchir. Elle pressa encore le pas, entra dans l’immeuble, salua le concierge à l’accueil et entra dans l’ascenseur. Elle sortit son pass de son portefeuille, mais rien ne se passa lorsque le lecteur l’identifia. La jeune femme repassa la carte contre le lecteur magnétique, mais rien n’y fit : l’ascenseur ne bougea pas. Julia fronça des sourcils, puis appuya sur le bouton de l’avant-dernier étage ; de là, elle pourrait passer par les escaliers de secours afin d’accéder à son loft et voir ce qui dysfonctionnait.

Arrivée à l’avant-dernier étage, elle traversa le couloir pour se rendre dans la cage d’escalier de secours et grimpa les derniers mètres qui la séparaient de son refuge. Lorsqu’elle aperçut enfin la porte d’accès, son cœur fit un bond dans sa poitrine : celle-ci avait été forcée. La serrure avait été fracassée, la porte en fer était légèrement pliée comme si on l’avait ouverte au pied de biche. La jeune femme ralentit et franchit les dernières marches en silence. Arrivée devant la porte, elle glissa son sac dans l’entrebâillement et l’ouvrit tout à fait.

Le loft était plongé dans la pénombre ; l’ensemble de l’installation électrique avait sauté, aucun interrupteur ne fonctionnait. Elle sortit son téléphone pour s’en servir de lampe-torche. De prime abord, cela ressemblait à un cambriolage : les meubles avaient été bougés, certains retournés, les tiroirs vidés de leur contenu, ainsi que les armoires et les placards. L’air était glacial, le vent s’engouffrait par les portes-fenêtres grandes ouvertes, faisant virevolter les rideaux du salon. À la cuisine, le réfrigérateur avait été laissé ouvert, des bouteilles de vin et de bière jonchaient la table et le sol. L’une d’entre elles s’était vidée sur le parquet et le tapis du salon, laissant une large tache brunâtre. Julia continua d’avancer, interdite, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, jusqu’à sa chambre à coucher. Là, les miroirs du dressing avaient tous été cassés, la porte blindée donnant accès à son repaire dévoilée, mais non fracturée. Ils n’avaient pas réussi à y entrer. Elle se tourna du côté de son lit : ses draps avaient été dérangés, comme si on s’y était allongé, et à nouveau les portes-fenêtres laissées grandes ouvertes. Elle se mit à claquer des dents, de froid ou de saisissement, elle n’aurait su le dire.

La jeune femme se dirigea dans sa salle de bain et s’arrêta net devant le miroir au-dessus de la vasque en porcelaine. Elle s’en approcha avec lenteur, son reflet masqué par de sombres lignes tracées au rouge à lèvres : « Joue avec moi, Julia ». Le tube de rouge était le sien, ouvert et posé sur le rebord du lavabo. Tout se bousculait dans sa tête ; un horrible sentiment d’avoir été bafouée, violée, l’envahissait. Son espace, ses effets personnels, son intimité avaient été outragés par une personne qui se jouait d’elle. À cet instant, elle aurait tout donné pour ne rien ressentir, pour être capable de faire abstraction de tout sentiment et analyser méticuleusement tous les indices qui pourraient la mener à cette odieuse personne qui la harcelait, l’arrêter et comprendre pourquoi, pourquoi elle s’acharnait sur elle. Elle maudit ses émotions qui la paralysaient.

Ce fut après de longues minutes d’immobilité et de silence qu’elle réussit enfin à composer un numéro sur l’écran de son téléphone. La tonalité d’appel retentit. On décrocha :

—  Police de Gotham City, j’écoute.

—  On vient de s’introduire chez moi, dit-elle d’une voix rauque, la gorge sèche.

Une demi-heure plus tard, l’appartement était investi par une équipe de policiers. Le courant avait été rétabli et ils relevaient les empreintes dans chacune des pièces. Julia était assise sur le canapé qui avait été remis en place après examen, recroquevillée, une couverture sur les épaules. Jim Gordon arriva enfin sur les lieux :

—  Julia, soupira-t-il en la voyant ainsi prostrée.

La jeune femme se leva, ses gestes étaient automatiques, sans vie. Elle réussit toutefois à esquisser un sourire à la vue du commissaire, son ancien collègue, son ami.

—    Je peux jeter un coup d’œil ? demanda-t-il par politesse.

Julia acquiesça et le suivit. Gordon observa tout ce qui avait été déplacé, renversé, dérangé. Une fois devant les portes du dressing, il eut un mouvement interrogateur vers la jeune femme qui lui donna la même explication qu’à ses subordonnés :

—    Une armoire forte, ils n’ont pas réussi à y accéder.

—    Ce qu’elle contient pourrait être ce qu’ils cherchaient ? demanda Jim.

Julia secoua la tête. Le commissaire comprit qu’il ne fallait pas creuser davantage cette piste-là. Il termina son examen des lieux par la salle de bain.

—    Bon, nous allons pouvoir lever la protection des autres Julia de la Wayne Enterprise, soupira-t-il devant la glace grimée. C’est bel et bien vous que le vandale visait. Une piste du côté du…

—    Ce n’est pas lui, l’interrompit-elle. Cela a déjà été vérifié.

—    Bien, marmonna Gordon en retournant dans le salon. Auriez-vous identifié d’autres ennemis ?

Julia resta silencieuse, paralysée par ses pensées.

—    D’accord, reprit Jim. Avez-vous un endroit où aller ? Je ne pense pas qu’il soit judicieux de rester seule…

—    Ça ira, l’interrompit-elle à nouveau. Où en êtes-vous du côté du braquage du Harlow’s casino ? s’enquit-elle soudain.

—    Nulle part, répondit Jim avec frustration. Le casino n’est pas très coopératif, et nous n’arrivons pas à savoir si d’autres établissements de ce genre auraient été eux aussi braqués.

—    Ils ne font pas confiance à la police, releva Julia.

—    En effet, ils craignent que notre visite ne soit suivie d’un contrôle fiscal, ou je ne sais quoi d’autre.

La jeune femme resta un moment silencieuse, elle réfléchissait enfin.

—    Je pourrais enquêter de mon côté, dit-elle alors avec une idée en tête. Tout ce qu’il me faut, c’est entrer physiquement dans leur établissement et avoir accès une seule fois à leur système de sécurité pour obtenir toutes les informations nécessaires.

—    Je ne veux pas savoir comment vous procédez, lui rappela Jim en pointant son insigne du doigt. Mais si vous arrivez à en savoir un peu plus… Nous ne serions pas contre.

Julia ne savait pas pourquoi cette histoire de braquage l’intéressait autant, mais elle avait une intuition, et lorsqu’elle ressentait ce genre d’intuition, elle ne pouvait pas s’en détourner : il lui fallait trouver le lien qu’elle pressentait sans pourtant le voir.

—    S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire, n’hésitez pas, soupira Jim face au silence de la jeune femme.

Elle lui sourit à nouveau, de reconnaissance cette fois-ci, mais son regard restait fermé.

Ce fut après une bonne heure d’inspection et d’examen que l’équipe de la G.C.P.D. remballa le matériel de recherche et déserta les lieux, laissant la jeune femme à nouveau seule. La porte de service avait été rafistolée, le verrou changé.

La jeune femme retourna dans la chambre à coucher. Les portes-fenêtres avaient toutes été fermées sauf une par laquelle les policiers avaient accédé à la coursive afin d’investiguer également sur les balcons communicants. Elle inspira profondément et eut l’impression que ses poumons se décollaient, comme si elle n’avait pas respiré depuis son arrivée dans le loft. Elle sortit sur la coursive, puis emprunta une porte dérobée qui donnait accès aux combles de l’horloge par l’extérieur. Elle en déverrouilla l’accès et entra dans son repaire.

Il était exactement comme elle l’avait laissé la dernière fois qu’elle l’avait quitté. Une sensation de chaleur et d’apaisement naquit enfin dans sa poitrine et la réchauffa quelque peu. Elle se dirigea vers ses nombreux écrans, puis caressa le boîtier de son disque dur central. Elle sortit de veille ses ordinateurs : la génératrice autonome avait pris le relai, ils avaient continué de tourner malgré la coupure de courant. Lentement, elle s’assit dans le fauteuil de cuir à roulettes et tira devant elle le large clavier, entra plusieurs combinaisons de touches, déclenchant plusieurs diagnostics des réseaux internes et externes. De nombreuses fenêtres s’ouvrirent sur les différents écrans, que la jeune femme balaya du regard : c’étaient pour la plupart des séries de codes qui défilaient, certaines lignes apparurent en surbrillance pendant que d’autres continuaient de défiler dans le noir des fenêtres.

Une fois les diagnostics terminés, elle injecta dans son programme les données récoltées par la police et ses propres photographies qu’elle avait faites de l’appartement : elle lança plusieurs protocoles d’analyse, mais rien n’allait assez vite à son goût. Si seulement elle avait eu la possibilité de faire l’ensemble de ces analyses sur place, au cœur de la scène, et d’en voir les résultats directement dans son esprit pour les interpréter… Elle ferma les yeux un instant afin de visualiser tous les éléments qui occupaient son esprit afin d’en identifier les liens qu’elle pressentait, mais qu’elle ne voyait pas. Elle passa en revue des images, des textes, choses entendues, comme si elle effectuait un balayage de son doigt sur un écran, repositionnait les indices, mais à chaque fois, il lui manquait une preuve, un élément à la fois anodin et essentiel pour effectuer les recoupements. Elle poussa un grognement d’exaspération et rouvrit les yeux. C’était une tentative vaine, encore une fois. Il lui semblait que sa mémoire lui faisait cruellement défaut.

—    Et toi, tu n’aurais pas une idée, par hasard ? s’interrogea-t-elle toute seule.

—    Depuis quand mon avis t’intéresse ? s’entendit-elle répondre.

Julia s’arrêta net. Elle ne sut pas si elle avait murmuré ces paroles ou si c’était un simple écho de son esprit, résonnant dans sa tête, dû à la fatigue et au cumul des émotions de la journée.

—    Eh bien, là, maintenant, se répondit-elle avec défiance.

Elle entendit un léger esclaffement dédaigneux, puis une réponse :

—    Selon moi, les braquages et les menaces sont liés, mais ça, tu le sais déjà.

Elle fronça les sourcils, perplexe.

—    Qu’est-ce qui te fait dire cela ? demanda-t-elle vivement.

—    Tout a commencé avec l’arrivée de cette fille aux couettes dans les docks, perçut-elle. On a la quasi-certitude que c’est celle que les membres de la pègre ont mentionné comme la barjo qui a promis de renflouer les caisses, puisqu’un casino est attaqué à peine quelques semaines après son arrivée. Une barjo plutôt bien organisée, vu ceux qu’elle a recrutés, les armes et le matériel qu’elle s’est procurés. Tu te souviens, lors du premier acte de vandalisme ? Tu avais repéré une camionnette à l’angle de la rue qui a disparu dans les Narrows.

—    La camionnette sans immatriculation, murmura-t-elle.

—    Tu devrais vérifier à quoi ressemble celle tombée dans le fleuve, ajouta avec dédain la voix qui résonnait en elle.

Julia se tut, éberluée. Que venait-elle de faire ? Était-ce vraiment ce qu’elle pensait ? Avait-elle réellement discuté avec son autre elle ? Celle que Bruce avait nommée « Oracle » ? Elle enfouit sa tête entre ses mains.

—  T’es fatiguée, ma pauvre fille, se murmura-t-elle enfin.

—  Tant que tu ne nous envoies pas à l’asile, tout va bien, répondit l’autre avec sarcasme.

Julia saisit brusquement son micro-casque qu’elle enfila et ouvrit le premier canal de communication :

—  Bruce, j’ai besoin de toi au loft… Fais vite, s’il te plaît.

Il n’en fallut pas plus au Chevalier noir pour terminer ce qu’il avait entrepris et rejoindre la jeune femme. Il avait beau être encore passablement en colère, il avait perçu sa détresse. Le Batman assomma le dernier complice d’un vol à main armée, les ligota rapidement au pied du lampadaire et partit en direction de la tour de l’horloge. Il gara sa bat-moto dans la pénombre d’une ruelle, puis activa son grappin qui se fixa à l’une des gargouilles et avec lequel il se hissa jusqu’au sommet. Une fois dans la coursive, il entra par la porte-fenêtre ouverte et découvrit l’appartement de sa compagne dévasté.

—    Bon Dieu, Julia, où es-tu ? Que s’est-il passé ? grogna-t-il.

—    Je suis là.

La voix provenait de la coursive. Il ressortit du loft qu’il avait seulement parcouru des yeux et aperçut la jeune femme qui descendait des combles de l’horloge par la sortie de secours. Elle était échevelée, le vent fouettait son visage et la décoiffait, tandis que son visage arborait des cernes violettes sous ses yeux rouges et des rides soucieuses sur son front. Elle tremblait à nouveau de froid malgré la couverture dans laquelle elle s’était emmaillotée, marchant pieds nus sur la pierre glacée. Elle tenait étroitement contre elle un sac à dos. Cette vision le ramena près d’une année en arrière, lorsque la pègre l’avait attaquée dans son appartement qui avait terminé incendié ; lorsqu’il avait cru la perdre tandis qu’elle tombait avec le balcon de fer qui s’était effondré, et qu’il l’avait rattrapée de justesse dans les airs. Elle tenait serré contre elle le même sac-à-dos qui contenait ce à quoi elle se rattachait toujours : sa technologie baptisée Oracle. Il marcha droit sur elle et la saisit dans ses bras, l’enveloppant de sa large cape noire qui miroitait sous les rayons pâles de la lune.

—  Je suis désolé de m’être emporté, lui murmura-t-il d’un ton qui se voulait rassurant.

—  Et moi de ne t’avoir rien dit, répondit-elle en tremblant.

—  Maintenant, dis-moi ce qu’il s’est passé ici.

Ils entrèrent ensemble dans le loft et Julia lui raconta tout ce qu’elle savait, que, perdue, elle avait appelé Jim, que la police avait déjà relevé les empreintes possibles et que l’enquête se poursuivait. Elle lui montra alors le message laissé sur le miroir, ainsi que la tentative d’intrusion dans son refuge des combles. Elle lui désigna le sac à dos qu’elle tenait toujours et qui contenait son disque dur central ; certes, son repaire était resté impénétrable, on l’avait découvert, et cela mettait l’ensemble de son travail à la tour de l’horloge en danger. Elle ne pouvait pas laisser le fruit de son labeur tomber entre de mauvaises mains. Enfin, elle mentionna la voix qu’elle avait entendue :

—    Je crois que j’ai parlé avec… Oracle, acheva-t-elle enfin dans un murmure.

—    Tu en es sûre ? répliqua-t-il avec calme.

—    Je ne suis sûre de rien, mais… c’était une sensation étrange, comme si je me parlais à moi-même, mais que ce n’était pas mes réponses, chercha-t-elle à expliquer.

—    De quoi avez-vous parlé ? l’interrogea-t-il.

—    Des menaces à mon encontre, dit-elle avec lenteur. Elle… Je… Elle a suggéré que ces menaces et le braquage du casino avaient un lien.

Bruce poussa un soupir, il était encore échauffé par le début de soirée, mais il voyait bien que la jeune femme était désemparée, qu’elle avait besoin de son aide.

—  On va explorer toutes les pistes, dit-il enfin en la prenant à nouveau dans ses bras.

—  Je deviens folle, c’est ça ? énonça-t-elle avec angoisse.

—    Non, rétorqua-t-il fermement. On va trouver un moyen de te soigner, je te le promets. Mais pour ça, il faut que tu sois honnête avec moi…

Julia enfouit son visage contre son torse et se blottit un peu plus dans son étreinte sécurisante. Il avait raison, elle le savait pertinemment. Mais pourquoi était-ce si difficile pour elle d’être transparente ? Il y avait comme un mur immense qu’elle ne réussissait pas à franchir lorsqu’il était question de faire confiance. Était-ce parce qu’elle avait grandi trop vite ? Qu’elle avait dû s’occuper de sa sœur et d’elle-même à la mort de sa mère alors même qu’elle n’avait que seize ans ? Ses pensées la menèrent droit à des souvenirs douloureux qui refluaient malgré elle.

—    Ma mère est morte des suites d’une overdose, lâcha-t-elle tout à coup. L’homme qu’elle avait rencontré, je ne me rappelle même plus de son nom… Il lui avait fait goûter sa came. Il devait certainement la couper avec des produits hautement addictifs… Il la maintenait ainsi sous sa coupe. Parce qu’elle était jolie, avenante, elle devait convaincre des clients plus fortunés. Il l’a obligée à se prostituer pour sa putain de drogue…

Julia se mit à sangloter ; elle aurait préféré ne jamais revenir sur cette partie de sa vie, mais pour la première fois, elle eut l’impression que les premières briques de ce mur qu’elle avait érigé tombaient, une à une. Ces souvenirs étaient là, à pourrir en elle. Bruce gardait le silence, la laissant partager le poids d’un passé trop lourd à porter, s’en faisant un nouveau gardien, sous le sceau du secret.

—    L’ambulance était arrivée trop tard, je l’ai accompagnée dans sa descente, jusqu’à son dernier souffle, poursuivit-elle avec difficulté. Après ça, je… j’ai pris ma sœur, je me suis présentée au service d’immigration. J’ai demandé à être émancipée, puis j’ai obtenu un visa. Je n’avais aucune certitude d’y arriver, et avec le recul, je me dis que nous aurions mieux fait de rentrer chez nous, en France… mais nous n’avions personne non plus là-bas. Nous étions seules. J’ai obtenu gain de cause grâce au démantèlement du trafic de drogue de cet enfoiré. Je ne sais pas ce qu’il est devenu et honnêtement, je m’en fiche. J’ai été émancipée, j’ai commencé à travailler à seize ans dans un poste de police. J’ai gravi les échelons, on m’a offert une bourse pour intégrer l’école d’officiers. Tout l’argent que je gagnais, je l’investissais dans les études de ma sœur. J’ai été obligée de la mettre en pensionnat, moi-même je logeais à l’école de police. On se voyait rarement, mais nous nous écrivions, et on s’appelait le plus souvent possible.

Julia prit une forte inspiration, ce poids qu’elle portait depuis tant d’années s’allégeait quelque peu sans toutefois disparaître. Il ne disparaîtrait jamais, elle le savait. Toutefois, c’était comme s’il restait des pierres qui la tiraient vers le fond. Elle se dégagea doucement de ses bras pour le regarder dans les yeux :

—    J’ai toujours dû me débrouiller seule depuis, admit-elle enfin. Et les habitudes ont la vie dure…

—    Je te remercie de t’être ainsi confiée, ce n’est pas facile, répondit-il avec bienveillance. Essayons d’être honnêtes l’un envers l’autre dorénavant, tu veux bien ?

Julia hocha de la tête, puis sourit enfin. Elle récupéra le sac qu’elle portait avec elle et dans lequel elle avait glissé son précieux disque dur, ainsi que le coffret qui contenait l’arme de poing qu’elle avait acquise au marché noir. Elle était prête à quitter cet endroit devenu sinistre et froid :

–     Rentrons.

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