Maintenant ou Jamais

Chapitre 1 : Maintenant ou Jamais

Chapitre final

6552 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/11/2025 11:10

Les vibrations sourdes des moteurs résonnent dans les cloisons du Galactica comme un battement de cœur trop rapide, trop lourd, comme si le vaisseau entier se préparait à une crise cardiaque imminente. Le métal tremble doucement sous chaque pas, transmettant aux os des hommes et des femmes à bord une tension sourde et continue, devenue presque un langage. L’air sent le fer chauffé, la sueur incrustée dans les parois et le café froid renversé quelque part, une flaque oubliée qui imprègne encore l’ambiance d’amertume rance. Les néons clignotent par intermittence, leurs variations de lumière semblant respirer au même rythme que les machines. Dans le couloir menant au vestiaire des pilotes, le vaisseau semble retenir son souffle. C’est un endroit étroit, saturé d’activité en temps normal, mais à cette heure-ci, juste avant un lancement possible, il n’y a plus que le murmure lointain des annonces du CIC et le martèlement sec de bottes pressées. Les cloisons vibrent comme si elles anticipaient elles aussi l’inévitable : un nouveau combat, un nouveau risque, une nouvelle perte. Kara marche vite, presque au pas de charge, la tête légèrement baissée comme une flèche prête à transpercer n’importe quel obstacle sur son passage. Sa combinaison de vol est entrouverte, le zip baissé jusqu’à la naissance de sa poitrine, laissant apparaître la sueur fraîche qui brille sur sa peau. À chaque pas, ses bottes frappent le sol avec une régularité martiale, claquement nerveux qui résonne contre les murs et sonne comme un avertissement. Son pendentif, accroché à sa chaîne, heurte sa clavicule à chaque foulée dans un petit bruit sec, presque irritant, comme un rappel obstiné de son agitation. Elle a encore la mâchoire serrée, tendue au point de faire blanchir la peau. Ses poings sont contractés dans les poches de sa combinaison, crispés comme si elle cherchait à retenir quelque chose : une parole trop tranchante, une colère mal contenue, ou peut-être une peur qu’elle refuse obstinément de nommer. Sa respiration est courte. Elle ne ralentit pas. Elle ne veut pas ralentir. Parce que ralentir, c’est laisser Lee la rattraper, et le simple fait qu’il soit derrière elle la met encore plus sur les nerfs. Derrière elle, justement, les pas de Lee résonnent, plus réguliers, plus lourds, presque mesurés. Il ne court pas, mais il presse le pas juste assez pour ne jamais la lâcher, comme une ombre volontaire qu’elle n’a pas demandé. Contrairement à elle, ses bottes ne claquent pas : elles s’imposent. Une présence constante, déterminée, parfaitement maîtrisée. Il la suit depuis le briefing, sans un mot. Pas une remarque, pas un ordre, pas un soupir. Juste sa présence, entêtante. Il garde les yeux fixés sur elle, conscient du moindre mouvement de ses épaules, du moindre tremblement dans sa démarche pourtant assurée. Ce silence-là, lourd, étiré, volontaire, est presque pire qu’une dispute. Kara le sent. Elle n’a pas besoin de se retourner pour savoir ce que ce silence contient : de la colère, oui, mais aussi cette autre chose qu’elle refuse de voir, qu’elle essaie de fuir à grands pas dans ce couloir trop long, trop éclairé, trop vide. Et pourtant, il continue de suivre. Toujours à la même distance. Comme si rien ne pourrait le faire dévier. Comme s’il attendait exactement le moment où elle craquerait. Ou celui où il le ferait lui-même. Elle pousse la porte du vestiaire avec une force un peu excessive, presque brutale. Le battant pivote trop vite et vient cogner le mur dans un claquement sec qui résonne comme un coup de feu dans l’espace étroit. Une vibration métallique court le long de la cloison avant de retomber dans un silence tendu. Les casiers s’alignent en rangées impeccables, silhouettes grises et froides, éclairées par les néons blafards qui grésillent par intermittence. L’odeur familière du cuir usé, du carburant de Viper et de détergent industriel flotte dans l’air, étouffante, presque suffocante après la tension du briefing. Le bourdonnement sourd des lumières au plafond remplit l’espace d’une fausse impression de calme. Personne d’autre. Les visières ont claqué, les bottes ont couru, les voix de l’escadron se sont déjà éloignées vers la salle de lancement ou le briefing secondaire. Ici, le silence a quelque chose de fragile, comme une bulle trop mince prête à éclater au moindre mot trop haut, au moindre souffle trop vite arraché. Kara traverse la pièce à grands pas, ses épaules tendues comme un arc prêt à rompre. Elle arrache son casier d’un geste sec, en fait sauter la porte, puis y balance son casque avec colère. Le plastique heurte la paroi intérieure dans un bruit sourd, rebondit, vacille avant de retomber dans un frémissement nerveux. Comme elle. Elle respire fort. Sa gorge se contracte. Elle serre les dents. Ses doigts tremblent, mais elle les cache aussitôt en refermant son poing. Lee s’arrête à quelques pas derrière elle, la distance exacte d’un homme qui hésite entre rester et s’enfuir. Il referme la porte du vestiaire avec beaucoup plus de douceur qu’elle, comme si le moindre geste brusque risquait de la faire exploser. Pourtant, même ce claquement feutré résonne comme un point final, une sentence.

« Tu comptes me suivre longtemps comme un chien perdu, Apollo ? »


Sa voix est râpeuse, raclée par la colère et l’adrénaline. Elle ne se retourne pas. Elle n’en a pas besoin. Il la sent sur le fil, prête à mordre, prête à tirer la première balle si quelqu’un provoque le mouvement. Lee serre la mâchoire, les muscles tendus comme des câbles. Il n’a pas encore quitté son uniforme. Ses doigts s’enfoncent dans sa ceinture, crispés, comme s’il essayait physiquement de s’interdire de la saisir par les épaules, de la secouer, de lui faire face.

« Tu crois qu’on peut juste laisser passer ça ? » répond-il, la voix basse, contenue, le ton qui précède la tempête.


Kara éclate d’un rire sans joie, un son sec, coupant, qui n’a rien d’amusé. Un rire qui sonne comme un défi, une provocation.

« Laisser passer quoi ? Le fait que tu m’aies contredit devant tout le monde ? Ou le fait que tu joues au CAG modèle pendant que je fais le sale boulot dehors ? »


Elle arrache la manche de sa combinaison, la repousse d’un geste nerveux, puis frappe du poing le bord de son casier. Le métal vibre, se plaint, résonne dans tout le vestiaire. Un bruit qui dit tout : frustration, rage, blessure.

« Je t’ai pas contredit, Kara. »


Il hausse le ton, la colère remontant d’un coup, comme un reflux violent.

« Je t’ai empêchée de faire une manœuvre suicidaire devant tout ton escadron. »


Elle se retourne enfin, lentement, comme si chaque mouvement lui coûtait. Elle s’appuie contre le casier, les bras croisés, posture défensive et provocatrice à la fois. Ses cheveux courts sont en bataille, ses pommettes encore rougies par l’adrénaline, et ses yeux… ses yeux brillent d’un éclat dangereux, un mélange de fureur et de quelque chose de plus profond, plus fragile.

« Suicidaire ? »


Elle plisse les yeux, son regard se faisant lame.

« Ça s’appelle prendre un risque calculé. C’est ce qui nous garde en vie, au cas où t’aurais oublié que les Cylons veulent nous éradiquer, pas nous offrir un café. »

« Un risque calculé, c’est quand t’es capable de le refaire deux fois. »


Lee la fixe sans ciller.

« Ce que tu proposais, c’était du foutu poker avec vingt pilotes derrière toi. »


Elle se mord l’intérieur de la joue, un geste qu’elle croit discret mais qu’il connaît trop bien. Une veine bat à sa tempe. Il voit la fissure, minuscule, presque invisible, juste là, entre sa rage et… autre chose. Quelque chose qu’elle ne contrôle pas. Quelque chose qu’elle fuit.

« Tu crois que je sais pas ce que je fais ? » murmure-t-elle soudain, plus bas, la voix soudain râpée de vulnérabilité. « Tu crois que je compte pas leurs visages à chaque fois qu’on revient avec des sièges vides ? »


Lee fait un pas vers elle. Un seul. Mais ce simple pas les fait basculer d’un coup vers la vérité, la tension et le bord du précipice.

« Je sais que tu sais, Kara. »


Sa voix se radoucit sans qu’il le veuille.

« Je sais aussi que tu fais tout pour oublier que tu tiens à eux. À nous. »


Elle se fige. Son corps entier se contracte comme s’il venait de toucher un nerf à vif. Un muscle tressaille dans son cou, minuscule réaction qui dit beaucoup trop.

« Ne commence pas. » prévient-elle, le regard tranchant, presque suppliant. « Pas… pas maintenant. »


Le mot tombe entre eux, lourd, saturé de ce qu’ils ne disent jamais. Lee sent sa poitrine se serrer. Le vestiaire semble rétrécir, les murs se rapprocher. Il revoit New Caprica, un couloir trop sombre, un cockpit silencieux… autant de moments où elle a reculé, où ils se sont arrêtés juste avant la vérité. Toujours ce même mur. Dressé par elle. Par eux deux. Mais le vaisseau tremble doucement, le bourdonnement pré-combat enfle au loin, rappel brutal que le temps sur le Galactica n’a jamais fonctionné comme ailleurs. Ici, il n’y a pas de “plus tard”. Juste une suite de “trop tard”.

« Quand alors ? » souffle-t-il en avançant encore.


Sa voix est basse, presque rauque.

« Quand on aura perdu une autre moitié de la flotte ? Quand t’auras brûlé tout ce qu’il reste de toi ? »


Elle ricane. Un son bref, mais sa voix vacille. Elle n’est plus si stable. Plus si protégée.

« Toi et tes grands discours… Tu veux quoi, Lee ? Du réconfort ? Une belle histoire au milieu de la fin du monde ? »

« Je veux… »


Il s’interrompt. Pas parce qu’il hésite, mais parce que dire la vérité à Kara Thrace, c’est comme ouvrir la trappe d’un Viper en plein vol. Dangereux. Irréversible. Mais il le dit quand même.

« Je veux que tu arrêtes de te cacher derrière tes paris, tes bouteilles et tes blagues pourries. »


Sa voix devient plus grave, plus brute.

« Je veux que tu regardes ce qu’il y a entre nous et que tu arrêtes de dire “pas maintenant” comme si on avait l’éternité. »


Kara le fixe, figée. Elle ne cligne presque pas. Ses doigts se crispent sur ses bras croisés, ses épaules se soulèvent d’un millimètre. Un silence lourd tombe sur le vestiaire, si dense qu’on entendrait presque le bourdonnement des néons vibrer plus fort. Elle avale difficilement, la gorge serrée.

« Tu crois que c’est si simple ? » murmure-t-elle, un souffle, presque une confession. « Tu crois que je peux juste… »


Elle fait un geste vague entre eux, maladroit, presque désespéré.

« Comme si j’avais pas déjà tout foutu en l’air mille fois ? »

« On a tous tout foutu en l’air mille fois. »


Lee secoue lentement la tête.

« Mais on est encore là. Toi. Moi. Alors oui, je crois que ça peut être aussi simple que… »


Il s’arrête à un pas d’elle. À cette distance, il sent sa chaleur, sa respiration saccadée, le parfum ténu de son savon mêlé au tabac froid. Ses yeux accrochent les siens, un magnétisme brutal, impossible à rompre. Leurs corps sont séparés par quelques centimètres, mais quelque chose en eux déjà se heurte.

« Que quoi ? » souffle Kara, défi au bord des lèvres, mais sa voix tremble à peine, presque imperceptiblement.

« Que ça. »


Et l’air entre eux cesse de bouger. Le monde se resserre. Juste avant de basculer. Il la prend par la nuque, doucement d’abord, presque avec une lenteur calculée, comme s’il craignait qu’un geste trop brusque la fasse fuir. Ses doigts effleurent sa peau, chaude, tendue, et il lui laisse un battement de cœur pour le repousser, pour l’insulter, pour rire, pour tout casser. Comme elle sait si bien le faire. Mais elle ne bouge pas. Son souffle se bloque net, suspendu dans sa gorge. Ses pupilles se dilatent, élargissant son regard d’un noir soudain, presque félin. Un frisson traverse sa colonne, imperceptible mais bien là, quelque chose qui lui arrache un minuscule écart entre les lèvres. Leurs fronts se touchent. La chaleur de sa peau contre la sienne est un choc plus violent que n’importe quel tir de Raider. Il sent son propre cœur battre à toute allure, trop vite, trop fort, comme s’il cherchait à s’échapper de sa cage thoracique. Il ferme les yeux une fraction de seconde, juste assez pour rassembler le courage de faire ce qu’ils ont toujours craint.

« Lee… » murmure-t-elle.


Un hoquet. Une fissure. Un son rempli de protestation, de peur, de désir brut, tout entremêlé dans un souffle tremblé.

« C’est... »

« Je sais. » répond-il doucement, sans bouger la main sur sa nuque. « Pas maintenant. »


Ce sont ses mots à elle. Son mur. Son refuge. Il ouvre les yeux. Elle est là, juste là, si proche que ses cils frôlent presque sa joue. Un sourire triste passe sur ses lèvres. Un sourire de quelqu’un qui a trop attendu, trop résisté, trop perdu.

« Le problème, Kara, c’est qu’il n’y a que ça. Maintenant. »


Il n’y a pas de futur garanti sur le Galactica. Pas d’après. Juste ce battement de cœur-là. Et il l’embrasse. La première sensation est rude, maladroite, presque violente. Son nez heurte le sien ; leurs dents s’entrechoquent légèrement. Ses doigts se crispent dans ses cheveux, surpris par la texture, la douceur mêlée à l’électricité statique de la colère. Kara inspire brusquement contre sa bouche, un souffle coupé, arraché à sa poitrine comme si quelqu’un venait de la pousser dans le vide, sans parachute. Puis tout cède. En elle. En lui. Dans l’espace entre leurs deux corps. Elle l’attrape par le col dans un geste sec, instinctif, irréfléchi. Le tissu se froisse dans ses poings. Elle l’attire plus près, si près que leur corps se heurte, qu’il doit se rattraper d’une main contre le casier juste derrière elle. Elle le plaque presque contre le métal froid, comme si c’était lui qui reculait alors que c’est elle qui tombe. Sa bouche s’ouvre sous la sienne, affamée, impatiente, brutale de manque. C’est un baiser de survie, pas de romance. Un baiser qu’ils auraient dû échanger il y a des années, avant New Caprica, avant les funérailles, avant les blessures. Un baiser gonflé de tout ce qu’ils ont repoussé, enterré, noyé dans l’alcool, étouffé sous les missions impossibles. Tout remonte d’un coup. Comme un incendie qui trouve enfin de l’oxygène. Lee gémit contre ses lèvres, surpris. Terrassé par l’intensité du choc. C’est Kara. C’est Starbuck. C’est le chaos incarné. Et pourtant, c’est aussi la maison, celle qu’il n’a jamais eue, celle qu’il pensait ne plus jamais sentir. Ses mains glissent le long de son dos, avec une hésitation fugace qui se brise aussitôt. Elles trouvent le tissu rêche de sa combinaison, puis la chaleur de sa peau juste en dessous, à la limite où le zip laisse deviner plus qu’il ne cache. Elle sursaute, minuscule réaction qu’elle ne s’autorise jamais en dehors de ce genre de moment volé. Elle s’accroche à lui avec l’urgence d’une femme qui croit que le sol est en train de s’ouvrir sous ses pieds. Comme si le vaisseau entier tremblait plus fort, comme si tout pourrait s’effondrer d’un instant à l’autre. Ses doigts, pourtant si sûrs autour d’un manche de Viper, tremblent légèrement dans son col. Ce qu’elle ne montre jamais, jamais, à personne. Le monde se rétrécit à ça : la pression de ses lèvres, l’odeur de sa peau encore imprégnée de carburant, le goût du café et du tabac sur sa bouche, la sensation violente, presque douloureuse, de quelque chose qui se remet à battre dans sa poitrine. Il n’y a plus le vestiaire. Plus les néons. Plus les règles. Plus les grades. Plus la guerre. Il n’y a que deux battements de cœur. Enfin alignés. Enfin au même rythme. Pour un instant qui pourrait tout changer ou tout faire exploser. Et cela n’a jamais semblé aussi juste. La sirène de combat hurle. Un hurlement strident, brutal, qui lacère l’air comme une lame chauffée à blanc. Le son se répercute dans chaque tuyauterie, chaque rivet, chaque centimètre de métal du vestiaire. C’est un cri de guerre, un ordre, un rappel de tout ce qu’ils n’ont jamais le droit d’oublier. On dirait une blessure ouverte dans le silence qui entourait encore leur baiser une seconde plus tôt. Les haut-parleurs crachotent immédiatement derrière, saturés d’urgence :

« Alerte rouge, alerte rouge. Tous les pilotes aux appareils ! Répète : tous les pilotes aux appareils ! »


Kara sursaute malgré elle, comme si la réalité venait de la gifler. Elle rompt le baiser dans un souffle coupé, mais leurs fronts restent collés l’un à l’autre une seconde de trop, suspendus dans un espace qui n’existe déjà plus. Leurs respirations s’emmêlent, rapides, saccadées, encore imbibées du choc et du désir.

« Frak… » souffle-t-elle, la voix cassée, presque rauque.


Comme si ce mot était tout ce qu’elle pouvait réussir à articuler. Lee garde sa main sur sa nuque, comme si ses doigts refusaient d’accepter le retour du vacarme, de la lumière crue, de la guerre qui exige qu’on arrête de sentir pour recommencer à survivre. Même la chaleur de sa peau sous sa paume semble vouloir lui dire reste encore. Le vaisseau tremble légèrement. Un frisson dans le métal. Signe d’un tir de batterie ou d’un micro-saut instinctif du Galactica. Dans le couloir, des pas se mettent à courir, précipités, frénétiques. Des voix crient des ordres, des noms, des positions. Le monde extérieur accélère soudain, file, s’emballe.

« Moment catastrophique, hein ? » murmure Kara, un sourire nerveux au coin des lèvres.


Ses yeux encore agrandis par l’impact du baiser brillent sous les néons tremblants. Lee laisse échapper un rire sans joie qui se brise avant d’atteindre sa gorge.

« On fait jamais les choses autrement. »


Elle le regarde alors. Vraiment. Pour la première fois depuis des mois, peut-être des années. Dans ses yeux : la peur brute, l’urgence du combat, et cette autre chose. Plus rare, plus vulnérable. Une reconnaissance abrupte, comme si elle admettait je t’ai voulu autant que j’ai voulu m’enfuir.

« Kara... »

« Non. »


Elle pose un doigt sur ses lèvres, contact léger, mais implacable.

« Pas… »


Elle ferme les yeux juste une seconde. Inspire. Expire. Le bruit de la sirène pulse dans la pièce comme un deuxième cœur. Puis elle corrige, la voix plus basse :

« Pas le moment de parler. »


Elle ouvre les yeux.

« On a des Raiders sur le cul, probablement. »


Elle se dégage de lui à contrecœur, et chaque centimètre de distance sonne comme une déchirure. Elle se penche pour ramasser son casque au sol, mais sa main tremble encore. Cette même main qui n’hésite jamais à tirer, frapper ou piloter à travers un champ de débris. Elle cache la secousse d’un geste brusque, en repoussant une mèche de cheveux.

« Starbuck, en salle de lancement dans deux minutes ! » crache le haut-parleur au-dessus d’eux. « Starbuck, répondez ! »


Elle se tourne vers la console murale, appuie sur le bouton de communication sans quitter Lee des yeux, comme si rompre le contact visuel rendrait ce moment trop fragile.

« Ici Starbuck. J’arrive, gardez-moi un siège, sinon je pique celui d’Athéna. »


Elle coupe aussitôt. Son visage revient vers lui, marqué d’une gravité nouvelle.

« On va mourir là-dehors un de ces jours. » dit-elle, très calmement, comme une vérité qu’on accepte enfin.

« Pas aujourd’hui. » répond Lee, presque automatiquement.


Puis, plus doux, un souffle, une confession à peine voilée :

« Pas toi. »


Un infime sourire passe sur ses lèvres, un sourire qui n’a rien de bravache. Il est fragile. Il est réel. Il est Kara sans Starbuck.

« Tu peux pas promettre ça, Apollo. »

« Je peux promettre d’essayer. »


La sirène continue de hurler. Le temps se contracte autour d’eux. Des pas précipités se rapprochent du vestiaire, claquant contre le sol métallique comme un compte à rebours brutal. Kara hésite. Un battement de cœur. Pas plus. Puis, dans un geste à la fois sauvage et terriblement naturel, elle attrape le col de Lee, le tire vers elle avec une force sèche, l’entraîne dans un baiser court, violent, urgent. Un baiser comme un sceau. Comme une signature. Comme une promesse qu’elle refuse d’admettre.

« Pour la route. » murmure-t-elle contre sa bouche, son souffle encore mêlé au sien.


Elle recule. Lentement. Comme si décrocher leurs corps était plus difficile que décrocher un Viper en plein virage. Elle enfile son casque, rabat la visière d’un geste sec. Et là, comme un rideau qui tombe, Starbuck se superpose à Kara. Le pilote efface la femme. Le masque reprenant sa place.

« On en reparle ? » ose Lee, la question folle au milieu du vacarme, au bord de l’impossible.


Elle tourne la tête vers lui, un regard lancé par-dessus son épaule. Un regard à moitié défi, à moitié promesse. Un regard qui dit : tu comptes autant que tu me fais peur.

« Si on revient. »


Elle marque une pause. Ses yeux s’adoucissent.

« Quand on reviendra. »


Puis elle disparaît dans le couloir, avalée par la ruée des pilotes qui courent vers la baie de lancement, laissant derrière elle l’air chargé de son parfum, la trace brûlante de son baiser… et ce “quand” qui, pour la première fois, ressemble à un début.




Quelques minutes plus tard, Lee est lui aussi en combinaison de vol, le casque sous le bras, courant dans le couloir métallique vers le pont d’envol. Ses bottes résonnent contre le sol comme une succession de coups de marteau, cadencés par l’urgence qui pulse dans tout le vaisseau. Le pont d’envol bourdonne d’activité. C’est un chaos organisé : des techniciens qui clament des chiffres, des mécanos avec les mains noircies de graisse qui vérifient les attaches, des câbles qu’on arrache du sol, des bras qui se lèvent, des outils qui tombent. Les Vipers scintillent sous les néons durs, leurs coques encore marquées par les combats précédents. La tension est palpable, dans l’air chargé d’ozone, dans les épaules crispées, dans les ordres aboyés trop vite.

« FTL signature Cylon détectée ! » grésille une voix dans ses écouteurs dès qu’il enfonce son casque sur sa tête. « Plusieurs Basestars, répète : plusieurs Basestars. »


Évidemment. Les Cylons n’attendent jamais un moment pratique. Jamais. Lee grimpe dans son cockpit d’un geste fluide né de l’habitude, mais son cœur cogne encore contre ses côtes à cause d’elle. Il s’attache, enclenche les systèmes, vérifie les instruments avec des gestes automatiques, presque mécaniques. Ses mains savent. Son corps suit. Mais son esprit, lui, reste coincé dans le vestiaire. À la chaleur de sa bouche. À ses doigts crispés autour de son col. À cette urgence dans son souffle. À ce pour la route murmuré contre ses lèvres. Il secoue la tête pour reprendre pied.

« Viper 3-3, prêt au lancement. » annonce-t-il.


Sa voix est étonnamment stable, malgré le tumulte sous sa peau.

« Reçu, Apollo. Tenez-vous prêt. » répond Dee, professionnelle, presque glaciale.


La distance dans sa voix lui serre la poitrine un instant. Encore quelque chose qu’il devra gérer après. Si après existe. Le vaisseau tremble plus fort cette fois. L’air se contracte. Un éclair de lumière blanche traverse la baie d’envol. Une batterie du Galactica vient de tirer. Les Raiders sont là. Et ils sont nombreux.

« Starbuck, prêt au lancement. » retentit soudain la voix de Kara dans son casque.


Il y a un souffle dans sa respiration. Un frémissement. Comme si elle venait de courir. Ou comme si elle tentait encore de reprendre haleine après eux. Lee sent un frisson lui parcourir l’épine dorsale. Il sourit malgré lui.

« On va faire ce qu’on sait faire, Starbuck. » dit-il, le sourire audible. « Et essayer de pas s’écraser dans le premier Raider venu. »

« T’inquiète, Apollo. » répond-elle, bravache. « Je compte bien vivre assez longtemps pour regretter ce baiser au moins une bonne dizaine de fois. »


Il éclate d’un rire surpris, coupé net par un pincement au cœur.

« T’auras pas le temps de le regretter. » dit-il.


Puis, plus bas, presque intime :

« Je compte en réclamer d’autres. »


Un silence. Juste une seconde. Un battement de cœur.

« On verra. » finit-elle par répondre, sa voix soudain plus basse. « Concentre-toi, Captain. »


Les lumières au-dessus de son cockpit passent au vert.

« Apollo, lancement ! »


Le Viper est propulsé dans le vide avec une violence familière qui lui coupe le souffle pendant un instant. Le monde intérieur disparaît, remplacé par l’immensité noire de l’espace, piquetée d’étoiles, striée d’éclats blancs et rouges. Les Raiders émergent comme un essaim, rapides, glacials, coordonnés. Des points noirs. Des flèches mortelles.

« Ici Apollo, formation delta. Starbuck, sur ma gauche. On les prend en tenaille. »

« Reçu, boss. »


Leurs Vipers glissent instinctivement l’un vers l’autre. Comme toujours. Comme si leurs machines étaient aimantées. Comme si leurs corps savaient, avant leurs cerveaux, comment évoluer ensemble. Ils volent en tandem, trajectoires parallèles, parfaitement synchronisées. Mais cette fois, quelque chose vibre différemment. Un fil invisible les relie. Plus tendu, plus vivant, plus brûlant que jamais. Chaque fois qu’il tourne, Lee pense à elle. Chaque fois qu’il verrouille une cible, il vérifie sa position. Chaque fois que les tirs fusent, son cœur saute un battement à l’idée qu’un d’entre eux pourrait la toucher. Un Raider fonce droit sur lui. Il pique. Tire. Une rafale nette. Débris éparpillés. Mais un autre tente de prendre Kara sur le flanc.

« À ta droite, Starbuck ! » hurle-t-il, déjà en train de virer en sa direction.

« Je l’ai vu ! » grogne-t-elle.


Son Viper tourne dans une élégance insolente, presque indécente au milieu de la guerre, et sa rafale abat le Raider d’un tir parfait. Un ballet mortel. Les explosions illuminent l’espace en flashs violents. Les morceaux de métal flottent comme des éclats de verre. Les alarmes hurlent dans ses oreilles. La sueur coule dans son dos, glacée. Le manche glisse entre ses doigts.

« Apollo, on a un trou dans la formation des Raiders, cap 0-7-5. »


Dee, encore. Ferme. Concentrée.

« Si vous les repoussez, le Galactica peut manœuvrer pour couvrir la flotte. »

« Reçu. Starbuck, on prend le trou. »

« Toujours partante pour un trou dangereux. » lance-t-elle, le sourire audible même ici.

« Un jour, tu paieras pour toutes tes blagues. »

« Promesses, promesses, Apollo. »


Ils plongent ensemble vers la faille. Les Raiders se resserrent autour d’eux, comme un piège mécanique. Les alarmes de verrouillage s’enclenchent, stridentes.

« Frak, ils nous ont repérés, » grogne Lee. « Kara, stick serré, pas de manœuvre héroïque, compris ? On suit le plan. »

« Tu sais que tu parles à Starbuck, là ? »

« Justement. »


Un court silence. Il entend son souffle. Rapide. Vivante.

« Ok. Je te suis. »


Il mord l’intérieur de sa joue. Ces mots-là… Il les attend depuis des années. Et ils arrivent ici, au milieu d’un carnage spatial, entre deux missiles. Moment catastrophique. Ils s’enfoncent dans la masse ennemie. Leurs Vipers se frôlent presque, soudés dans le mouvement. Lee verrouille. Tire. Change d’angle. Coupe le souffle. Kara couvre son angle mort. Toujours. Comme un réflexe. Comme un serment silencieux. À deux, ils percent la formation. La brèche s’ouvre.

« CIC, ici Apollo ! » hurle-t-il. « Brèche ouverte cap 0-7-5, vecteur dégagé pour manœuvre du Galactica. Foncez tant qu’on tient ! »

« Reçu, Apollo. Beau travail. »


La voix calme d’Adama. Stable. Imperturbable.

« Maintenant, ramenez vos fesses vivantes. »

« C’est l’idée, mon commandant. »


Un Raider fonce droit sur Kara. Son réacteur fume. Il va l’embarquer. Il veut l’embarquer.

« Kara ! » hurle Lee, la panique brute dans la voix.


Elle vire trop tard. Le Raider est sur elle. Lee ne réfléchit pas. Pas une seconde. Il pousse son Viper à fond. Se jette littéralement sur la trajectoire. Tire à bout portant. L’explosion est massive. La lumière le submerge. Le choc secoue tout l’appareil. Les alarmes saturent. Son Viper part en vrille, tourbillonne, perd de l’altitude. Des étincelles jaillissent du tableau de bord. Sa respiration se bloque. Il lutte. Un. Deux. Trois ajustements. Les réacteurs répondent enfin. Boîteux. Mais vivants. La vrille se stabilise.

« Apollo ?! »


La voix de Kara est presque affolée. Elle perd rarement ses moyens.

« Lee, frak, me laisse pas tomber maintenant ! »


Il respire. Lutte pour retrouver ses repères.

« Je suis là, » dit-il enfin, haletant. « Juste un peu grillé. Comme d’habitude. »

« Crétin. » souffle-t-elle.


Et il entend le tremblement qu’elle tente de masquer.

« Tu fais encore ça et je t’étrangle moi-même. »


Il sourit malgré les alarmes rouges.

« Tu vois ? » dit-il, la voix basse. « Pas maintenant non plus pour me perdre. »


Un silence. Épais. Puis une réponse, à peine audible :

« Pas maintenant. Pas toi. »



Plus tard, après qu’ils ont repoussé les Raiders, après que le Galactica a manœuvré jusqu’à couvrir la flotte et que les Basestars ont sauté hors du secteur, le vaisseau redevient, pour un temps, juste un tas de métal fatigué flottant dans le vide. La guerre se tait mais seulement en surface. On sent encore son écho vibrer dans les cloisons. Les néons tremblent légèrement. Le sol vibre comme un muscle crispé qui refuse de se détendre. Les Vipers reviennent un à un, glissant dans la baie d’envol avec des bruits de carcasses blessées. Les bras mécaniques se déploient, agrippent les appareils avec une précision presque tendre. Les mécanos accourent, la voix enrouée, l’odeur de carburant clouée sur leurs vêtements. Ici, la vie continue, brute. Certains sièges restent vides. Comme toujours. Ces silences-là sont les plus lourds. Lee descend de son cockpit avec la lenteur d’un homme qui a laissé trop de morceaux de lui dans l’espace. Il grimace quand son épaule proteste violemment, quand sa jambe droite tremble sous son poids. Son Viper est criblé d’impacts, éventré par endroits, mais encore debout. Comme lui. À moitié. Kara l’attend au pied de l’échelle, casque sous le bras, combinaison encore fermée jusqu’au cou. Il la reconnaît à sa posture : le poids sur un pied, la tête légèrement inclinée, le regard fixe. Elle a une coupure au-dessus du sourcil, une trace noire sur la joue. Et les yeux plus clairs que jamais, brûlants d’un mélange de colère, de soulagement et d’autre chose qu’il ne nomme pas.

« T’as une idée du nombre de fois où tu as failli te faire cramer, aujourd’hui ? » lance-t-elle sans préambule, la voix trop maîtrisée pour ne pas être en tension.

« Une ou deux. »


Il saute sur le pont et étouffe un grognement.

« Peut-être trois. »


Elle s’avance. Un pas. Deux. Elle est si près maintenant qu’il peut compter les taches de graisse sur son col, deviner l’odeur du carburant dans ses cheveux, sentir l’électricité résiduelle de l’adrénaline sur sa peau.

« T’as pris un Raider pour moi. » dit-elle, sans détour, sans faux-semblant.

« Tu m’aurais fait la gueule pendant des semaines si je ne l’avais pas fait. »


Il tente un sourire. Il n’est pas certain qu’il y arrive.

« Lee. »


Ce n’est pas un reproche. Ce n’est pas un ordre. C’est un avertissement. Ou une confession. Il se tait. Elle le fixe, les yeux fouillant les siens comme si elle cherchait une réponse, ou une preuve, ou une permission. Peut-être les trois. Le bruit du hangar se dissout autour d’eux. Les cris des mécanos, les ordres aboyés, le grincement du métal qu’on soulève. Tout s’éloigne. Il n’y a plus que ce cercle minuscule entre leurs corps, assez large pour contenir un aveu, assez étroit pour le rendre dangereux.

« Ce qu’il s’est passé dans le vestiaire… » commence-t-elle.


Son cœur rate un battement. Un vrai. Il le sent dans sa gorge.

« Kara, je... »

« Moment catastrophique. » souffle-t-elle, dans un rire sans joie, mais pas sans fragilité. « Comme toujours. Mais… »


Elle hésite. C’est rare. Terriblement rare. Ses dents pincent sa lèvre, ses doigts se resserrent autour de la lanière de son casque, comme si ce morceau de plastique était le seul truc qui l’empêchait de déborder.

« Mais pour une fois, » reprend-elle, plus bas, « j’ai pas envie de laisser ce moment là-bas, bloqué entre deux sirènes d’alarme. »


Lee la regarde, interdit. Il ne respire plus. La fatigue, l’adrénaline, la peur accumulée… tout se remet à tourner dans son ventre, lentement, dangereusement.

« Alors… maintenant ? » demande-t-il dans un souffle. « Ici ? Au milieu des mécanos couverts de graisse et des Vipers cassés ? »


Elle hausse une épaule, son expression oscillant entre insolence et épuisement sincère.

« Tu vois un autre “maintenant” en stock ? Parce que perso, j’ai plus grand-chose dans mon calendrier. »


Il rit, un son brisé, presque un sanglot. Elle lève un sourcil, amusée. Un peu inquiète aussi.

« Tu vas vraiment tuer toute la poésie, Starbuck. »

« La poésie, c’est pour les gens qui ont un plan sur dix ans. » murmure-t-elle.


Elle lève une main, hésite à peine, puis la pose sur sa joue, du côté où il n’a pas de bleu. Sa paume est chaude, rêche, vivante. Son pouce effleure sa peau dans un geste si doux qu’il lui coupe les jambes.

« Nous, on a… ça. »


Il ferme les yeux. Juste une seconde. Puis se penche instinctivement dans sa main.

« Alors on fait quoi ? » souffle-t-il, la voix fêlée.


Elle inspire lentement, profondément, comme si elle absorbait tout le courage encore disponible dans la pièce.

« On arrête de dire “pas maintenant”. » dit-elle enfin. « On se démerde avec le chaos, les Cylons et tout le reste en plus. Et… »


Elle se penche légèrement. Leurs visages ne sont plus qu’à quelques centimètres. Il sent son souffle contre sa bouche.

« Et on accepte que c’est catastrophique. »


Un sourire fragile, insolent, presque douloureux.

« Frak, Lee… on l’a toujours été, tous les deux. »


Il éclate d’un rire qui se brise dans sa gorge, un son qui emporte avec lui quelque chose d’ancien, de coincé. Et cette fois, quand il l’embrasse, ce n’est plus un accident, ni une fuite, ni une urgence arrachée à une alarme. C’est un choix. Un vrai. Le hangar continue de vivre autour d’eux : quelqu’un siffle, une remarque grasse fuse, un technicien gueule sur un boulon récalcitrant. Mais Lee s’en fiche. Pour la première fois, il s’en fiche vraiment. Ses mains se posent sur ses hanches, l’ancrent. Elle répond à son baiser avec la même intensité que dans le vestiaire. Mais quelque chose a changé. Ce n’est plus seulement la peur de perdre. C’est aussi la décision de prendre. De garder. De ne plus lâcher. Quand ils se séparent enfin, essoufflés, leurs fronts se rejoignent dans un contact brûlant.

« Ça ne change rien au fait qu’on doit voler demain. » dit-elle, toujours réaliste.

« Je sais. »

« Ça ne change rien au fait qu’on peut mourir dans cinq minutes. »

« Je sais. »


Elle ouvre les yeux. Dans les siens, une étincelle nouvelle. Fragile. Mais têtue. Presque dangereuse.

« Mais ça change le fait que, » elle déglutit, « si je crève dehors, tu pourras pas dire que t’as pas su. »


Il sourit. Douloureux, heureux, terrifié, vivant.

« Moi non plus, Kara. »


Il pose une main sur sa nuque, doucement.

« Tu pourras plus prétendre que tu savais pas. »


Elle souffle, secouée, et lui donne un petit coup sur l’épaule avec son casque, comme pour alléger le moment avant qu’il ne devienne trop réel.

« On verra, Apollo. Une catastrophe à la fois. »


Elle se détourne, rejoint le flux des pilotes et des mécanos, déjà happée par les rapports de mission, les engueulades, la routine de la survie. Mais alors qu’elle marche, sans même se retourner, sa main cherche la sienne en arrière. À l’aveugle. Naturellement. Comme si c’était devenu un réflexe. Lee n’hésite pas une seule seconde avant de la saisir. Juste là. Entre un Viper cabossé et un technicien qui jure en tentant de réparer une attache. Au milieu de la guerre, du métal, du bruit et du chaos, ils avancent quelques pas, doigts entrelacés. Comme si le « maintenant » venait enfin de trouver une brèche pour se frayer un chemin dans la catastrophe. Et pour la première fois depuis longtemps, Lee se surprend à penser que, peut-être, au cœur même du pire moment, quelque chose vient de commencer.


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