Là Où s'Eteignent les Mondes

Chapitre 1 : Prologue : Cendres de Caprica

1507 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/12/2025 17:33

La nuit était déjà tombée sur Caprica City quand Mia Serak quitta la station aérienne. Le ciel, d’un bleu presque noir, se reflétait sur les façades vitrées des immeubles. Les rues restaient animées, éclairées par les néons pulsatifs des enseignes et par les holo-affiches qui se déployaient au-dessus des trottoirs. Des véhicules glissaient dans les airs dans un murmure grave, traçant des lignes lumineuses entre les tours. Mia n’y prêtait qu’une attention distraite. La fatigue lui pesait sur les épaules. Jeune pilote de vingt-six ans, elle avait le visage marqué par la journée : cheveux bruns relevés en un chignon serré, quelques mèches s’échappant pour encadrer ses traits anguleux ; ses yeux bleus, habituellement perçants, étaient brouillés par l’épuisement. Sa tenue de vol encore ouverte laissait voir le col noir de son sous-uniforme, taché de graisse de Viper. Elle avait terminé son service bien plus tard que prévu et n’aspirait maintenant qu’à rejoindre les quartiers des pilotes pour dormir quelques heures, loin du bruit, des ordres et des rappels de mission. Elle ralentit en passant devant un panneau publicitaire où s’affichait, sur dix mètres de haut, le visage lisse et confiant de Gaius Baltar. Le génie scientifique. Le prodige médiatique. Le narcissique impénitent. Son visage parfait. Cheveux noirs impeccablement coiffés, barbe de trois jours parfaitement entretenue, regard brun calculateur semblait suivre les passants avec condescendance, comme s’il observait une population trop lente pour le comprendre. Son sourire, subtilement asymétrique, avait cette arrogance polie que Mia détestait. Elle plissa les yeux, puis secoua la tête, agacée.

« Toujours lui… »

« Je parie qu’il t’entend. »


Mia se retourna d’un geste vif. Kara Thrace avançait vers elle, les mains enfoncées dans les poches de sa veste de pilote, un sourire insolent accroché aux lèvres. Ses cheveux blonds coupés court, légèrement ébouriffés par le vent, lui donnaient cet air de rebelle indomptable que rien ne pouvait lisser. Ses yeux bleu acier, brillants d’une malice constante, semblaient scruter le monde avec une intensité presque dangereuse. Plus petite que Mia mais ancrée dans une assurance farouche, Kara avait cette présence électrique, volatile, celle qui remplit l’espace et attire les ennuis aussi sûrement qu’un Viper attire la vitesse. Sa démarche décontractée tranchait avec l’agitation des passants pressés autour d’elle. Elle se mouvait comme si la rue lui appartenait, comme si rien, ni la foule, ni les obligations, ni même la hiérarchie, ne pouvait réellement la toucher.

« Qu’est-ce que tu fais encore là ? » demanda Mia, un sourcil relevé.

« Je t’attendais. » répondit Starbuck d’un ton faussement innocent. « J’avais parié avec moi-même que tu parlerais toute seule en croisant Baltar. Et devine quoi ? Ça m’a pris deux minutes pour gagner. »


Mia soupira, mais un léger sourire lui échappa malgré elle.

« Très drôle. »


Kara se plaça à côté d’elle et elles reprirent leur marche. Fait rare, Starbuck resta silencieuse quelques secondes, observant la foule, les lumières, la ville vibrante autour d’elles. Puis, d’un ton détaché qui ne trompait personne :

« J’ai croisé Lee aujourd’hui. »


Mia tourna légèrement la tête vers elle, intriguée malgré elle.

« Et alors ? »

« Rien. » répondit Kara, un peu trop vite. « Il était juste… lui. »


Mia ne répondit pas. Le nom, elle le connaissait. Tout le monde le connaissait. Lee Adama : fils du Commandant, pilote décoré, officier modèle, l’exemple vivant de la discipline militaire. L’exact opposé de Kara Thrace sur bien des points, ce qui expliquait sans doute beaucoup de choses. Starbuck en parlait souvent, parfois pour s’en moquer, parfois pour éviter d’en dire trop. Mia avait appris à reconnaître ce ton-là, celui qui annonçait toujours un sujet qu’elle ne voulait pas vraiment aborder.

« Tu n’as jamais voulu le rencontrer ? » insista Kara.

« Je ne le connais pas. » répondit Mia en haussant les épaules. « Et je ne suis pas sûre d’avoir envie d’entendre quelqu’un me répéter que je devrais “me tenir à carreau”. »


Kara éclata de rire.

« Ah, ça, c’est exactement son genre. »


Elles passèrent devant un bar encore ouvert. La musique s’échappait par la porte entrouverte, mêlée aux éclats de voix et aux parfums d’alcool fort. L’endroit raviva un souvenir brutal : la bagarre, l’odeur métallique du sang, le verre brisé sous les bottes, le couteau qui brillait un instant sous les néons. Et Mia, se jetant entre Kara et l’agresseur sans réfléchir. La cicatrice fine sur son flanc droit tira légèrement sous sa veste, comme si la peau se souvenait. Kara ralentit, son expression changeant imperceptiblement.

« Ça va ? »


Mia inspira, chassant l’image.

« Oui. » dit-elle simplement. « C’est du passé. »


Kara hocha la tête, mais son regard resta accroché à elle une seconde de trop. Elle n’insista pas. Geste rare chez Starbuck. Comme si elle savait que certaines blessures ne se fermaient pas avec des mots.




Leur chemin les mena vers la base aérienne, légèrement en hauteur par rapport à Caprica City. De là, on voyait encore quelques lignes de lumière courir entre les immeubles, comme les derniers battements d’une ville qui ignorait qu’elle vivait sa dernière nuit de paix. Des projecteurs balayèrent le tarmac d’une lumière blanche, vive, découpant de longues ombres métalliques entre les hangars encore actifs. L’odeur familière du carburant, de l’huile chaude et du métal chauffé envahit l’air. Pour Mia, c’était presque réconfortant : un mélange de danger et de maison, de routine et d’adrénaline. Sous une arche métallique, deux Vipers Mark II attendaient, soigneusement alignés, leurs ailes maculées de reflets froids. Des techniciens terminaient leur ronde, silhouettes silencieuses se déplaçant comme des ombres. Kara ralentit, les yeux brillants d’une excitation enfantine.

« On pourrait faire un vol d’essai. Dix minutes. Juste un tour. » dit-elle, déjà en train de visualiser le cockpit.

« Kara… »


Mia secoua la tête, les bras croisés.

« On n’a pas l’autorisation. Et tu finis toujours par avoir des ennuis. »

« C’est faux. » protesta Kara en levant les mains… avant de sourire, insolente. « Enfin… généralement faux. »


Mia ouvrait déjà la bouche pour lui répondre lorsqu’un bruit étrange fendit l’air. Un son grave, profond, presque organique qui faisait vibrer la cage thoracique plus qu’il ne s’entendait réellement. Elles s’immobilisèrent. Kara tourna lentement la tête vers le ciel, les yeux plissés.

« Tu as entendu ? »


Mia déglutit, un frisson glacé remontant le long de sa colonne vertébrale.

« Oui. »


Pendant une seconde, le vent sembla retenir son souffle. Puis, au-dessus des nuages, des points lumineux surgissent. Pas des clignotements, non, des trajectoires. Rapides. Silencieux. Parfaitement coordonnés. Trop précis pour être civils. Trop nombreux pour être militaires. Mia sentit son estomac se nouer. Une secousse invisible fit vibrer le sol sous leurs pieds. Les projecteurs frémirent. Les lumières du hangar clignotèrent, un instant, comme si la base respirait de travers. Puis, au loin, une alarme retentit. Une sirène continue, gutturale, qui semblait venir des entrailles mêmes de la base. Kara attrapa le bras de Mia.

« Mia… » murmura-t-elle, le masque de légèreté envolé. « On y va. Maintenant. »


Elles se mirent à courir, mais n’avaient fait que trois pas lorsqu’un éclair blanc déchira l’horizon. La lumière engloutit tout. Le grondement arriva une demi-seconde plus tard. Un son monstrueux, ancien, impossible. Et la déflagration frappa la base comme une force divine. Mia fut arrachée du sol, projetée en arrière. Ses oreilles se remplirent d’un bourdonnement aigu qui écrasa tous les autres sons. Le monde devint un chaos de poussière et d’air brûlant. Kara se jeta sur elle, la plaquant au sol avec une force désespérée. Un souffle incandescent balaya les hangars. Les vitres explosèrent dans un cri cristallin. Les structures métalliques se tordirent comme du papier. Mia tenta de relever la tête. Juste un peu. Mais une seconde onde de choc arriva, plus violente encore, l’écrasant contre le sol comme si la planète elle-même s’effondrait. Son champ de vision se rétrécit. Les dernières choses qu’elle perçut furent le goût métallique de la poussière sur sa langue, le hurlement distordu de l’alarme, et le bras de Kara serré autour de ses épaules, brûlant, protecteur, désespéré. Puis tout devint noir.


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