Avant qu'Henry ne revienne

Chapitre 3 : Responsibility ( responsabilité)

1191 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2022 15:44

1940 - 1959

Joey ouvrit doucement la porte de la salle de machine à encre. Il ne devait pas signaler sa présence dans le Studio, car il était attendu et n'avait pas le temps de s'occuper des jérémiades de Sammy. Il voulait seulement voir ce que ça avait donné. C'était la première fois qu'il utilisait un "donneur" qu'il n'avait pas sacrifié lui-même, et dont le corps était aussi abîmé... Mais il ne fallait rien perdre, n'est-ce pas? Peut-être que cela donnerait un résultat intéressant tout de même. Et quand l'encre aurait complétement corrompu le corps, il n'y aurait plus de preuve flagrante d'un quelconque meurtre dans son Studio. Il aurait donc fait d'une pierre deux coups.

Mais quand il alluma la lumière, il n'y avait rien dans le gros plateau sous le tuyau de sortie de la machine. Il était éclaboussé d'encre encore liquide, oui, mais son dernier sujet d'expérience ne s'y trouvait pas. C'était étonnant, d'habitude ils étaient trop faibles, hébétés ou occupés à pleurer comme des veaux pour en bouger. Joey claqua la langue, agacé. Où cet idiot était-il passé ? Il commença à faire lentement le tour de la machine à encre, remarquant que le silence n'était troublé que par ses propres bruits de pas, et espérant vraiment ne pas à avoir à chercher cette chose dans tous les départements. Il se redressa et jeta un coup d'œil à sa montre. Le temps passait. Il balaya la pièce du regard, et une voix retentit soudain dans son dos.

- Vous m'êtes familier.

Joey tressaillit et se retourna vivement. Entre-lui et la porte se tenait un être fait d'encre, presque aussi bien formé que Lawrence, qui le regardait d'un air pensif. La seule chose qui le distinguait des autres, c'était son cou. Il était coupé en deux avec un espace visible assez large pour que Joey aperçoive un bout de la porte de l'autre côté. Pourtant, le haut de son cou et sa tête se tenaient droit sur ses épaules alors que rien ne les retenait. "Intéressant. La cause de la mort du sujet impacte visiblement la forme d'encre qu'il adopte ensuite. Je n'en étais pas sûr, mais c'est évident maintenant. Il faudra que je le dise aux autres pour qu'on puisse prendre ça en compte lors des prochains essais." Cela dit, il était inutilisable dans cet état. Autant profiter de son calme pour gagner sa confiance et régler le problème tout de suite. Il lui sourit.

- Vraiment ? C'est assez flatteur. Vous vous souvenez d'autre chose ?

- Non. Je me suis réveillé ici, dans le noir. Je... Je ne sais plus comment je suis arrivé là.

- C'est tout à fait normal, ne vous inquiétez pas.

- Normal? Pourquoi ? Est-ce que j'ai eu un accident ?

- En quelque sorte, oui. Si vous voulez bien venir par ici, je vais pouvoir...

- Je ne me souviens plus de mon nom. Ni... Ni de mon visage. Pourquoi ai-je oublié mon visage ? Ou la couleur de ma peau ? Et... Je ne me souviens pas de ma famille, ni d'aucun événement de ma vie avant mon réveil ici !

Sa voix devenait de plus en plus percante, se transformant en long cri terrifié quand il baissa les yeux sur ses mains.

- Qu'est-ce que c'est que ÇA ? QU'EST-CE QUI M'ARRIVE ?

Joey retient une grimace en pensant au bruit. Il garda son calme et son sourire, se voulant rassurant.

- Tout va bien. Vous êtes tombés dans l'encre, c'est tout. Rejoignez-moi et je pourrais vous aider...

"... En vous remettant aussi sec dans la cuve pour un autre passage dans la machine à encre," pensa-t-il en vérifiant discrètement qu'il avait bien les clefs pour ouvrir la trappe. Oui, elles étaient dans sa poche.

- Vous le pouvez vraiment ?

- Oui, bien sûr. Cette machine à encre est à moi. Je sais exactement ce qu'il faut faire pour que tout s'arrange, il vous suffit de me faire confiance.

L'être, qui avait fait un pas vers lui, s'arrêta à ce mot.

- Confiance ? Non. Pas à vous, M. Drew.

Il eut l'air très brièvement étonné d'avoir pu le reconnaître, puis sa voix se chargea de colère.

- Oui, je me souviens maintenant ! Vous avez passé votre temps à nous mentir ! Pour l'encre, et puis pour les disparitions, et même pour la banqueroute du Studio. Je m'en doutais et j'étais à l'affût, c'était tellement évident que même ces trois gosses ont menés une enquête et... Les gosses ! Ils avaient décidé de fouiller le Studio ! J'espère qu'il ne leur est rien arrivé. C'est bizarre que je ne me souvienne de rien après leur avoir parlés... Je les ai laissés, et en revenant, j'ai entendu un bruit derrière moi... J'ai ressenti cette horrible douleur dans le cou... Et puis...

Sa voix mourut. Il regarda encore ses mains, la machine et ensuite Joey.

- C'EST VOUS ! C'EST À CAUSE DE VOUS QUE JE SUIS MORT !

Il se jeta vers lui, les doigts tendus en avant.

- TOUT EST DE VOTRE FAUTE!

Sans reculer, Joey prononça un mot unique et l'être s'effondra en tas devant lui. Il haussa les épaules, chassant du pouce une goutte d'encre sur sa joue.

- Je n'aime pas parler de fautes. Il y a eu des erreurs qui ont été commises, et quelques accidents regrettables, effectivement. Mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Je ne le fais pas que pour moi, mais en mémoire de ceux qui ont donné leur temps et leur vie pour ce rêve. C'est ma responsabilité de continuer malgré tout.

Joey se permit un petit sourire.

- Je suis sûr que toi aussi, tu n'as pas envie d'avoir "perdu la tête" pour rien, Norman. D'ailleurs, ça me fait penser...

Il coula un regard pensif vers la cuve, tendit la main pour prendre ses clefs et l'ouvrit en ignorant les bruits à mi-chemin entre les sanglots et les suppliques que l'être essayait douloureusement de prononcer. Il plongea la main dans l'encre qui y clapotait sans peur et tâtonna un moment, avant de réussir à saisir par les cheveux ce qu'il cherchait. Il la sortit, trop imbibée d'encre pour saigner encore, et la jeta négligemment dans la première caisse ouverte qu'il vit. Laissant la trappe béante, il attrapa ensuite une grosse pelle et un seau, et se dirigea vers l'être d'encre qui tremblait un peu plus à chaque pas qu'il faisait vers lui.

- Voyons voir comment ton esprit va résister à l'encre sans ta tête. Je ne pense pas que tu vas en garder grand-chose, et je dois dire que ça m'arrangerait. Ce serait vraiment ennuyeux que tu aies cette force d'âme la prochaine fois. Tu pourrais avoir une influence détestable sur les autres... Je ne peux pas le permettre, malheureusement. Conserver le moral des troupes a toujours été l'une de mes responsabilités les plus importantes.



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