Avant qu'Henry ne revienne

Chapitre 5 : Substitution (remplacement)

1196 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2022 16:09

1930-...

- M. Lawrence ? Pourriez-vous venir à mon bureau à onze heures demain ?

Son employé s'arrêta dans le couloir et se retourna vivement pour revenir vers lui.

- Il y a un encore un problème avec les dernières partitions ? Nous avons pourtant pris en compte vos corrections et nous devons avancer sur les suivantes si nous voulons être dans les temps.

Joey sourit légèrement au musicien toujours sur la défensive.

- Il ne s'agit pas d'une réunion, je pensais seulement vous demander de déjeuner avec moi. Peut-être que si nous nous connaissons davantage, nous nous accorderions mieux et qu'il y aurait moins de mes ratures parmi vos notes de musique. Je suis sûr que vous apprécierez.

Il arrêta de froncer les sourcils et eut l'air brièvement surpris. Il retrouva vite un visage neutre, mais Joey eut l'impression que la proposition ne lui déplaisait pas.

- ... D'accord, finit par dire Lawrence en hochant la tête.

Joey le regarda disparaître à l'angle du couloir. Il avait été sincère. Il ne connaissait presque pas son musicien principal, et pourtant, en l'embauchant, il avait repéré de grandes capacités chez le jeune homme blond. Il ne s'était pas trompé, bien sûr. Il avait un véritable don pour cerner rapidement les gens, et comptait beaucoup dessus.

Même si certaines choses lui échappaient par excès de confiance.

Il poussa la porte de son bureau en s'empêchant de crisper les poings. C'était inutile d'y repenser. Ça faisait déjà plusieurs semaines que Henry était parti, n'est-ce pas ? Il fallait vraiment qu'il parvienne à passer à autre chose.

.....

- Puis-je vous poser une question, M. Drew?

- Sammy... Je t'ai déjà dit de m'appeler Joey, non ?

Il haussa légèrement les épaules, mais sa main droite s'agitait nerveusement sur le bras de son fauteuil en cuir.

- Oui, mais appeler mon patron par son prénom me fait bizarre. Je n'ai pas été élevé de cette façon.

- Ah. Je ne pensais pas que tu me voyais encore uniquement comme ça, dit Joey d'un ton navré.

- Et bien, c'est justement de ça dont je voulais vous parler. Je ne comprends pas pourquoi vous cherchez ma compagnie de cette manière. On m'a dit que le seul avec qui vous déjeuniez avant était M. Stein, et seulement parce que vous êtes amis en dehors du travail.

"Plus maintenant. Pourquoi crois-tu que tu es là ?" pensa acidement Joey. Ce qui était idiot, mais entendre parler d'Henry le faisait encore beaucoup trop réagir. Il ne supportait pas la trahison.

- J'aime les gens passionnés, Sammy, lui répondit-il en jouant avec son verre de liqueur. Le Studio est plein de gens capables, oui, mais cet acharnement à atteindre la perfection n'est pas partagé par tout le monde.

Il releva les yeux vers le musicien.

- Je pensais que nous pourrions nous comprendre, puisque nous sommes faits de la même étoffe. Mais si tu es mal à l'aise, nous pouvons reprendre la relation employeur-employé que tu sembles préférer...

- Non ! Non, ce n'est pas ce que je veux. Je... J'étais perplexe, c'est tout. Il n'y a aucun problème.

- Très bien.

Joey sourit, même si une ombre avait été jetée sur le plaisir qu'il prenait à cette fin de journée avec Sammy. Il finit son verre, se leva, et le musicien fit aussitôt de même. Il le raccompagna à la porte de son bureau, lui souhaitant une bonne soirée.

Quand le silence retomba dans la pièce obscurcie par le crépuscule, il se demanda s'il n'avait pas fait une erreur. Ils se ressemblaient. Pas physiquement, bien sûr, et Henry avait été calme et serein là où Sammy était retenu et nerveux, mais c'était le même genre d'homme droit, talentueux et travailleur. Il se passa la main sur la nuque. Mais ce ne serait pas pareil. Il ne se laisserait pas Sammy l'approcher de trop près. Le musicien serait une agréable distraction, une compagnie pour chasser la solitude, un possible soutien dans le Studio.

Rien de plus.

..........

- Entrez... jeta Sammy d'une voix lasse. Son visage s'éclaira un peu quand il le vit.

- Joey ! Justement, je voulais te parler. J'ai vraiment besoin de...

Il le rejoignit en deux enjambées énergiques et lui donna une claque sur l'épaule sans le laisser finir :

- Oui, nous verrons ça plus tard, j'ai quelque chose à t'annoncer : j'ai réussi à convaincre Connors de rejoindre le Studio!

- Pardon ?

- Le représentant de la GENT, tu sais, je t'en ai déjà parlé. Je n'ai jamais rencontré de mécanicien aussi doué et je voulais absolument qu'il travaille pour moi sur la machine.

Sammy frotta le début de barbe qui lui ombrait les joues et le menton d'un geste las. Il eut besoin de quelques secondes pour s'en souvenir.

- Sur ce projet de fabriquer Bendy, c'est ça ?

- Exactement ! Je suis sûr qu'avec lui, ça va avancer.

- Sans doute.

Un sourire un peu amer joua sur ses lèvres fines.

- Tu obtiens toujours ce que tu veux.

Tout a sa joie, Joey choisit d'ignorer la pique et se fendit d'un rire léger.

- Je vais prendre ça pour un compliment, mon ami.

Sammy haussa les épaules dans sa chemise froissée. Ses yeux revinrent automatiquement vers les partitions sur son bureau comme s'il y avait trop travaillé, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de continuer.

- C'en est un, Joey. Je suis sûr que si quelqu'un peut parvenir à faire vivre des personnages de films pour enfants, c'est toi.

- Et bien, je te remercie ! Ça me va droit au cœur.

Sammy se contenta de lui sourire d'un air fatigué puis reprit son crayon, fronçant les sourcils devant une ligne incomplète.

Joey le regarda, pris par un brusque sentiment de satisfaction. Le musicien le soutenait les yeux fermés, alors qu'Henry aurait certainement eu des réserves et aurait tenté de le raisonner, de le ralentir en lui disant que c'était impossible. Il eut envie de le récompenser pour ça.

- Viens, on va fêter ça autour d'un repas ! Retournons à ce restaurant que tu avais apprécié la dernière fois.

- Ça aurait été bien, mais je n'ai pas terminé d'écrire cette chanson et les délais...

-Je te fais confiance pour la finir à temps, Sammy.

L'autre soupira, mais abandonna le combat. Il se leva pour attraper sa veste et son chapeau.

Joey avait eu la main aussi heureuse en le choisissant pour combler le vide laissé par son soi-disant meilleur ami. Sammy était bien plus malléable que Henry, plus bosseur et surtout plus loyal que lui. Il n'avait pas de famille, pas de compagne. Il avait également peu d'amis et Joey s'assurerait de faire ce qu'il fallait pour être sa relation la plus proche. Il ne voulait pas perdre à nouveau un aussi bon travailleur.

Il n'allait pas chercher de remplaçant à chaque fois.


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