Avant qu'Henry ne revienne

Chapitre 13 : Reflection (reflet)

842 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/12/2022 18:37

1954

La journée s'annonçait mal, et ce, dès le matin. Il y avait eu de nouvelles inondations d'encre dans les escaliers du Studio pendant la nuit, suffisamment importantes pour retarder l'embauche de trois départements. Joey avait pataugé dans l'encre toute la matinée, rattrapant bon nombre d'employés qui pensaient en profiter pour rentrer chez eux et essayant d'organiser tant bien que mal le travail dans ces conditions.À peine le problème avait-il été réglé que M. Cohen lui était tombé dessus, surgissant dans son bureau avec un tas de factures sous le bras pour lui parler des dettes qui s'accumulaient. Le comptable, perpétuellement inquiet, ne savait pas voir au-delà des chiffres et passait son temps à ennuyer Joey avec les hauts et les bas du budget du Studio. Il l'avait embauché pour s'occuper de ce genre de choses, bon sang ! Agacé, il avait coupé court à l'entretien et s'était isolé un moment dans les W.C.

Il se lavait les mains quand la porte s'ouvrit dans son dos, coupant net sa trop brève accalmie.

- M. Drew? appela quelqu'un que Joey ne reconnut pas lorsqu'il leva les yeux pour regarder dans le miroir au-dessus des lavabos.

- Lui-même, répondit-il sèchement sans prendre la peine de se retourner.

Le jeune homme enleva son chapeau.

- Je voulais vous l'annoncer en personne. M. Meyer s'est pendu cette nuit.

Joey pinça les lèvres, trop énervé pour retenir le mépris qu'il ressentait.

- Tsss. C'est vraiment une mauvaise nouvelle. J'avais besoin des animations de sa partie du dernier film aujourd'hui !

L'autre se décomposa derrière lui.

- Comment...?

- Il avait des responsabilités," le coupa Joey en baissant les yeux sur ses mains." Je ne peux pas le plaindre alors que nous allons devoir trouver quelqu'un pour faire son travail à sa place.

- Mon frère est mort à cause de vous ! cria soudain l'autre M. Meyer.

- Je ne lui ai certainement pas demandé de se suici...

- Mais vous n'avez cessé de le charger de travail, encore et encore, en exigeant des dessins toujours plus beaux dans des délais de plus en plus courts. Charles ne vivait plus que pour son travail. Le stress avait fini par lui couper l'appétit et lui ôter le sommeil, il n'était plus lui-même...

- Il était le chef du département d'animation, c'est normal que sa charge de travail ait été importante. J'en demande autant aux autres, vous savez ? Et je travaille moi-même encore plus.

- Mon frère...

- ... à fait preuve d'une faiblesse regrettable. J'aurais dû placer quelqu'un avec de plus solide à son poste, effectivement. Nous n'aurions pas perdu autant de temps.

Il y eut un bref silence et Joey releva à nouveau les yeux pour le regarder à travers le miroir. Le mépris et la haine qui obscurcissaient son regard marron ne le touchèrent pas une seule seconde.

- Je ne sais pas comment vous faites pour réussir à vous regarder en face, laissa-t-il tomber.

Joey se jeta un œil. Il soutint son propre regard sans problèmes et se sourit même brièvement, avant d'accrocher les yeux qui le fusillaient toujours.

- Je rêve en grand. On ne compte pas les briques que l'on empile pour construire une cathédrale, M. Meyer. Je ne vais pas pleurer à chaque fois que l'une d'entre elle se brise.

Cette dernière réflexion eut l'air d'être la goutte de trop, et le frère de son chef du département de l'animateur laissa tomber son chapeau pour se jeter en avant. Joey le vit bouger dans le miroir, mais n'eut que le temps de lever une main pour se protéger le visage avant qu'il ne le saisisse, le retourne et le frappe. Le coup, même un peu dévié, fit exploser une douleur cuisante dans sa pommette droite. Joey parvint à le saisir par la manche avant qu'il ne le frappe à nouveau, et en profita pour lui bloquer fermement le bras contre sa poitrine, l'immobilisant juste assez pour pouvoir rapprocher leurs visages et de pencher agressivement sur lui.

- Vous êtes ici chez moi, monsieur. Touchez-moi encore une fois, et vous subirez un sort bien pire que celui de votre frère.

Joey vit la terreur s'épanouir sur son visage avec satisfaction. Il le lâcha ensuite et le jeune homme, blafard, trébucha et tomba presque en arrière dans sa hâte à s'éloigner de lui. La porte claqua brutalement alors qu'il sortait des W.C en courant. Joey, indifférent, pris un moment pour tirer sur les manches de sa chemise et remettre sa veste correctement. Quand il se tourna vers le miroir pour passer la main dans ses cheveux gominés, il aperçut la lueur rouge et malsaine qui s'était allumée dans ses yeux. Elle palpita brièvement puis s'éteignit et il sortit à son tour pour reprendre le cours de sa journée sans y penser davantage.

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