BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 5 : La proposition

2828 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/03/2021 01:42

Chapitre 5 : La proposition


           Le marché était simple, aussi simple que la décision était compliquée à prendre. Elaine Fitzgerald ne passa pas par quatre chemins et nous expliqua de but en blanc la raison de sa venue, en continuant de mâcher son bâton de sucette.

« Je suis à la tête d’un groupe de recherche, le centre Gorland pour la recherche, à Boston. Là-bas, on étudie les modifications génétiques sur les plantes et sur d’autres espèces vivantes depuis des années. Alors, bien-sûr, lorsqu’on a appris qu’une ville au fond de l’océan était le théâtre d’une véritable expérience scientifique, mes confrères et moi n’avons pas hésité à réunir des fonds pour retrouver et étudier toutes les merveilles de cette ville. Tout ce que je souhaite, c’est quelqu’un pour me montrer la voie.

           J’observai du coin de l’œil la réaction de Porter, qui semblait manifestement aussi perplexe que moi. Son histoire était très jolie, mais certains éléments manquaient à l’appel.

— Comment vous nous avez retrouvé ? demandai-je, intriguée.

           Elaine émit un petit rire.

— Je peux pas dire que j’en suis fière, mais j’ai été forcée de te faire suivre, pour ne pas te perdre de vue. Depuis que tu as appelé PHE, les gars qui bossent avec moi ne t’ont pas lâché d’une semelle.

           Certaines connexions commençaient à se créer dans mon esprit, les pièces du puzzle s’assemblaient progressivement.

— Alors, vous travaillez avec PHE ?

           Elaine me pointa furtivement du doigt, comme un professeur qui féliciterait un élève.

— Tout juste. Ils créent les documentaires, nous on s’occupe du reste.

— Le reste ? m’enquis-je.

           Elaine leva un sourcil.

— Eh bien, on leur donne de la matière, et de leur côté, ils montent leurs documentaires à deux sous. S’ils retrouvent des personnes ayant vécu à Rapture, ils nous préviennent. C’est gagnant-gagnant, tu vois ?

           Ses propos soulevaient beaucoup d’interrogations.

— Si j’ai bien compris, continuai-je, ça veut dire que si on participe à vos recherches, on sera obligé, en contrepartie, de participer à l’un de leurs documentaires ?

           Un grand sourire se dessina sur son visage.

— Non, justement. Il est là, le marché. Vous nous aidez à trouver la ville, et en échange, vous n'avez plus aucun commentaire à faire aux gars de la télé. Vous êtes libres, en quelque sorte. C’est quand même un sacré privilège, non ?

           Elaine détourna son regard pour examiner la réaction de Charles, qui était resté atone jusque-là.

— Alors, qu’est-ce que vous en dites, Charles ? Intéressé ?

           Un silence tendu s’installa, avant qu’il ne donne finalement sa réponse.

— Non, affirma-t-il posément. Je ne le suis pas.

— Vous êtes sûr ? Vous allez devoir vous taper des tas de questions qui …

— Pas la peine d’essayer de me faire changer d’avis, ma décision est prise, décida-t-il avec fermeté, coupant court à la conversation.

           Elaine montra les paumes de ses deux mains et releva ses sourcils, montrant qu’elle respectait sa décision. Puis, elle se tourna vers moi.

— Et toi, tu es de la partie ? me demanda-t-elle.

           La tension commença à monter en moi. Je brûlais d’envie de lui répondre que non, comme me l’avait aussi demandé Alan, mais une envie profonde me poussait à lui répondre positivement. Il était évident que cette aide allait avoir de lourdes conséquences, mais il fallait aussi comprendre que la libération de toutes mes obligations envers la société PHE n’était pas négligeable. S’il y avait un prix à payer, peut-être devais-je le payer, après tout.

— Je vais… Je vais y réfléchir, répondis-je finalement.

           Elaine me rendit un grand sourire, derrière le pauvre bâton de sucette mâchouillé jusqu’à l’os.

— Réfléchis-y vite, Sarah. La science n’attend pas.

           Elle m’adressa un clin d’œil, avant de se lever du bureau d'un bond.

— Bon, bah, je vais vous laisser discuter, alors.

           Elle posa sa main sur mon épaule.

— J’attends ta réponse, tu sauras où nous trouver.

           Elle quitta la pièce en laissant un froid glacial et un silence de mort. Charles sembla se détendre légèrement. Toujours assis sur mon bureau, il s’approcha de mon visage et me regarda droit dans les yeux.

— Sarah, expliqua-t-il, tu dois refuser. Nous ne savons rien de cet… énergumène. Je ne sais pas d’où elle sort, mais elle a l’air d’en savoir beaucoup trop. Ce n’est pas normal.

           L’argument qu’il soulevait était intéressant. Je me demandais vraiment d'où sortait cette fille. Cependant, ma vision était beaucoup plus pragmatique.

— Ecoutez, Charles, je crois que je préfère encore aider des scientifiques plutôt que de devoir évoquer Rapture à la télévision, devant des milliers de personnes. Tout le monde serait au courant, Charles ! Mon mari serait au courant. Les gens deviendraient fous.

— Il vaut mieux croire aux légendes plutôt que d’y participer, rétorqua-t-il, avec sagacité. Si ces « scientifiques », comme ils se font appeler, réussissent à remonter quoi que ce soit des profondeurs, nous avons beaucoup à craindre de notre avenir. Le monde entier deviendrait une Rapture à grande échelle ! J’ose à peine imaginer ce qui pourrait arriver si jamais les plasmides se retrouvaient dans la nature.

— Et si leurs intentions étaient louables, Charles ? S’ils utilisaient leurs découvertes pour… je sais pas moi ! Pour soigner le cancer par exemple.

— A ton avis, pourquoi Tenenbaum n’a jamais dévoilé ses secrets ? C’est parce que certains secrets doivent rester enfouis, à jamais.

— Tenenbaum n’a jamais eu la science infuse, Charles, répliquai-je avec conviction, la gorge un peu serrée. Elle aussi a commis des erreurs. J’en suis la preuve vivante.

           Porter se tut et baissa le regard, confus.

— Je suis désolé, Sarah, je ne voulais pas te blesser.

           J’opinai de la tête, compréhensive. Je fis reculer la chaise et me levai avant d’empoigner le pommeau de la porte du bureau.

—Faites-moi confiance, Charles, je prendrai la bonne décision.

           J’ouvris la porte, qui émit un léger grincement.

— Je l’espère, pria-t-il.

 

*

*        *

           Après être passé devant Bethany, qui semblait toujours un peu perturbée par ce qui venais d’arriver, je quittai le bâtiment et me mis à marcher dans les rues en direction de mon hôtel, les mains dans les poches de mon manteau, les musiques de Noël des magasins alentours résonnant dans mes oreilles. Mais je n’avais pas la conscience tranquille.

           Accepter cette proposition allait avoir un énorme coût. Cela signifiait que j’allais devoir désobéir à Alan, mais aussi trahir tous ceux qui avaient fait tant d’efforts pour me sortir de cette ville maudite et pour m’aider à m’en sortir, en revenant dans la ville de tous mes cauchemars, la ville qui m’avait vu naître, pour une cause dont j’ignorais tout.

           Et si Charles avait raison ? Comment pouvais-je faire confiance à une fille qui se prétendait scientifique et que je connaissais à peine ? Je n’avais aucun moyen de vérifier les dires de cette Elaine Fitzgerald.

           Mais elle avait un argument de taille : je serais délestée de toute obligation d’entretien avec PHE pour un de leurs documentaires. Mes sentiments étaient partagés. D’un côté, ces documentaires m’avaient permis de retrouver Sally, mais de l’autre côté, ils avaient été créés dans le but de retrouver des gens comme moi, qui avaient vécu à Rapture.

Ils m’avaient tendu un piège, et j’étais tombée dedans comme une mouche dans une toile d’araignée. Ils m’avaient suivi, et je ne m’étais rendu compte de rien, jusqu’à présent. Quelle organisation pouvait se permettre de faire suivre les gens comme cela ? Ce centre de recherche était décidément bien mystérieux.

Absorbée par mes pensées, je mis quelques temps avant de me rendre compte que je venais d’arriver devant mon hôtel. Je m’apprêtai à pousser le tourniquet de l’entrée jusqu’au moment où j’aperçus du coin de l’œil Elaine, assise sur l’un des bancs du square, juste en face. Elle n’avait pas mis longtemps à me retrouver. Je lâchai la poignée, qui fut directement attrapée par l’un des résidents de l’hôtel, un vieil homme à la barbe fourni, qui me jeta un regard suspicieux avant de pénétrer dans l’hôtel.

Je traversai la rue, en évitant une voiture, qui me klaxonna au passage, pour me retrouver dans le petit square qui faisait face à l’hôtel, dans lequel les enfants jouaient à cache-cache et s’amusaient à se poursuivre. Elaine n’était pas seule, elle était accompagnée de deux hommes à la carrure d’athlète assez inquiétants.

Elaine remarqua ma venue et nota la nervosité qui m'animait à la vue de ses deux gardes du corps.

— Ils sont envoyés par le centre de recherche pour ma mission et ma protection, ne t’inquiète pas.

           Je m’assis à côté d’elle et frottai mes mains gelées les unes contre les autres, après avoir pris soin de retirer mes gants.

— Drôle d’escorte, fis-je remarquer, avec sarcasme.

— Ma mission est très importante. J’imagine que l’on ne veut pas que le cadavre de la chef de la recherche scientifique soit retrouvé dans la Tamise.

           Une question qui me brûlait mes lèvres me revint soudainement à l’esprit.

— Comment devient-on responsable de la recherche scientifique dans un centre à cet âge ?

           Elle émit un petit ricanement.

— Ma mère m’a pratiquement tout appris. Elle était scientifique, elle aussi. Les autres matières, ce n’était pas trop mon truc. Mais la physique, la chimie et les sciences, ça c’était totalement mon domaine. J’ai pu profiter de ses coups de pouce pour avoir un poste assez haut placé et me faire un nom dans le secteur.

— Et ton père ? m’enquis-je.

Elaine soupira, le regard perdu au loin.

— Je ne l’ai pas revu depuis longtemps, on est en froid depuis des années. Il était dans la marine marchande, la dernière fois que je l’ai vu.

           Elle semblait absorbée par la vision de tous ces enfants, qui jouaient dans l’enceinte du square, autour du sapin qui trônait en son centre. Tandis que j’observais son expression, je crus déceler une certaine impression désagréable de dégoût dans son regard.

— Alors, est-ce que tu as fait ton choix ? demanda-t-elle.

           « Ai-je vraiment le choix, pensai-je. Si je refuse, ils me poursuivront sûrement pendant des années ».

           J’inspirai profondément avant de répondre.

— Je dois bien avouer que j’ai quelques réserves.

           Elaine fronça les sourcils.

— Lesquelles ?

— Eh bien, pour commencer, je n’ai jamais entendu parler de ce… centre Gorland pour la recherche.

— C’est bien normal, rétorqua Elaine, comme une évidence, avec un soupçon de ressentiment dans sa voix. C’est un groupe de recherche privé. L’Etat ne nous finance pas. On ne vit que des dons et des fonds privés. Apparemment, la recherche génétique sur les plantes, ça n’intéresse pas forcément tout le monde.

           Je jetai un œil aux deux gorilles qui nous surveillaient. Je me demandais vraiment comment un centre de recherche pouvait se payer ce genre d’extras. Peut-être que le potentiel illimité de Rapture avait attiré certains financements opportuns.

— Si je participe, j’espère que vous comprenez aussi que je n’étais qu’une enfant lorsque j’ai quitté Rapture. Je ne suis pas sûre de pouvoir retrouver la ville aussi facilement.

           Elaine fit un geste de la main qui me fit comprendre qu’elle s’en fichait.

— Ecoute, Sarah, si je t’engage, ce n’est pas seulement pour ton lien avec Rapture, c’est aussi pour tes talents en ingénierie maritime. Mon équipe est sur le coup, on a pratiquement retrouvé la ville. Mais ton expérience ne serait pas de refus, c’est sûr. On ferait un bond de géant et on aurait un guide parfait.

— Très bien, répondis-je, encore hésitante. Si je participe, j’aurais une requête à te confier.

           Elaine passa l’une de ses mèches derrière son oreille droite et s’approcha de moi, toute ouïe.

— Dis-moi tout, dit Elaine, dont le sourire semblait se faire plus grand au fur et à mesure qu’elle arrivait à me convaincre.

— Je veux que ni moi, ni Charles, ni aucun autre ancien habitant de Rapture n’ait à parler devant les caméras. Je veux que tout ce qui se passe à Rapture reste à Rapture.

           Elaine se frotta le menton.

— Je ne vais pas mentir, Sarah, je vais avoir du mal à convaincre PHE, mais je ferai de mon mieux.

           Elaine marqua une pause, attendant peut-être une autre de mes requêtes.

— Alors, c’est entendu ? dit-elle, en me tendant la main.

           Je regardai alternativement sa main puis son visage. Mon cœur battait à cent à l’heure. J’avais l’impression de faire une énorme bêtise, j’avais l’impression qu’Alan m’épiait du coin de l’œil, attendant de me voir échouer lamentablement. Pourtant, une sorte d’instinct me dictait qu’il fallait apprendre à faire confiance à cette fille, que si je ne le faisais pas, quelque chose de grave allait arriver.

         Après quelques secondes, qui me parurent interminables, j’attrapai sa main et la lui serrai, avec les mains moites et pourtant toujours aussi gelées.

— Tu as fait le bon choix, Sarah, répondit Elaine. Je ne te décevrai pas.

Le pacte était désormais scellé. Je venais de trahir la confiance d'Alan. A mon grand regret.


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