BioShock Beyond – Tome 2 : Retour vers les abysses

Chapitre 6 : L'expédition

4421 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/07/2021 17:01

Chapitre 6 : L’expédition


Quelques semaines plus tard, j’avais rejoint l’équipe menée par Elaine, qui avait ses quartiers dans le sud de l’Islande, plus précisément dans une petite ville portuaire nommée Grindavík. Au fur et à mesure, cette ville était devenue le centre des opérations pour leurs explorations sous-marine, car elle s’était révélée être un endroit bien plus discret que Reykjavik, la capitale, qui grouillait d’activités. Bien-sûr, Elaine avait réussi à obtenir l’aval du gouvernement islandais, en prétextant effectuer de simples missions de collection de végétaux en tous genres, sans préciser que ces explorations avaient surtout pour objectif la découverte de la ville tant convoitée. Mais le mieux était de ne pas attirer l’attention.

Après mon arrivée dans la petite ville, Elaine m’avait présenté les quelques membres de son équipe, qui constituaient le détachement envoyé pour cette mission. Tous s’étaient réunis dans un grand bâtiment en bois rouge, aux abords du port, un hôtel reconverti en QG. Cette équipe réduite comportait des portraits assez divers : Éric André, un ancien soldat français, Stan Pleasance, un scientifique britannique dont les études avaient pour objet la génétique, comme Elaine, et Mandy Raven, la capitaine du navire de recherche océanographique, qui s’occupait aussi des submersibles avec l'aide de son équipage.

Bien qu’elle fût en sous-effectif, cette équipe se révéla être plutôt efficace : la recherche de la ville avait été laborieuse, sans les coordonnées exactes sous la main. Mais en se basant sur l’étude des plantes subaquatiques et leur niveau de modifications génétiques, elle avait réussi à rendre une approximation de la localisation de Rapture. L’ADAM avait en effet eu des effets assez impressionnants sur la faune et la flore locale : des coraux phosphorescents et des énormes poissons avaient désormais fait leur nid tout autour du site. Il ne restait plus qu’à trouver l’endroit exact où se trouvait Rapture. Et c’est là que j’intervenais.

  Au bar, assise à une vieille table ronde en bois, devant un bon verre de Brennivín, un alcool fort typiquement islandais, l’équipe devait me briefer avant que j’entre en scène. Bien installée sur ma chaise en bois, un verre à la main, je balayai du regard l’équipe avec qui j’allais devoir passer un bon bout de temps.

Stan devait avoir à peu près mon âge, il avait de longs cheveux roux et gras, des tâches de rousseurs plein le visage et une vieille chemise à carreau à moitié ouverte, laissant apparaître son torse nu et poilu et laissant deviner un ventre plutôt bien dodu. Quant à Éric, qui s’occupait de la sécurité, c’était un homme d’une quarantaine d’année, le crâne chauve, une moustache couleur châtain très fournie, qu’il arborait fièrement sur son visage et une cicatrice sur le front. Enfin, Mandy était une femme pleine de poigne, les muscles saillants, le regard bleu et vif, le crâne surplombé d’une grande tignasse blonde frisée.

Elaine, qui se trouvait à ma gauche, entama la conversation.

« Bon, comme les présentations sont faites, je vous propose de passer au sujet qui nous intéresse tous ici. Je crois qu’on a clairement tous fait de grandes avancées pour en arriver là. Mais il nous reste encore beaucoup de choses à faire.

Elaine se tourna vers Stan.

— Stan, je crois que tu sais désormais quelle direction il faut emprunter, pas vrai ?

— Absolument, répondit-il avec un grand sourire, en tapant la paume de sa main sur la table. J’ai réussi à localiser l’emplacement approximatif de Rapture en analysant les données qu’on a récupéré. Plus qu’à fondre sur la proie !

— Mandy, demanda Elaine en se tournant vers la femme taillée dans le roc, est-ce que tu crois qu’on va pouvoir appareiller demain ?

— Oui, ma bonne dame ! répondit Mandy, détendue, les jambes étalées sous sa chaise et les mains derrière la nuque. Y a aucun problème, le bateau mouille un peu plus loin, les sous-marins seront prêts pour demain. Faut juste que le temps soit de la partie.

— Le temps sera bon demain, rétorqua Elaine, j’en suis sûre.

— Y a intérêt, intervint Éric, avec un accent français à couper au couteau, les mains jointes sur la table, le regard blasé. Je ne veux pas avoir votre mort à déplorer.

Voyant mon inquiétude, Elaine se sentit obligée d’intervenir.

— Il n’y aura aucun mort sur cette mission, répliqua-t-elle, avec conviction. Il me faut de l’enthousiasme. On s’apprête à faire l’une des plus grandes découvertes de l'histoire.

— Je ferai la fête quand tout le monde sera rentré sain et sauf et que j’aurai eu ma paye, objecta Éric, après avoir passé sa main sur son crâne.

Elaine lui jeta un regard noir, avant de continuer le briefing en me désignant du doigt.

— Sarah ici présente est une ancienne habitante de Rapture, elle sera notre guide sur site. Une fois là-bas, je veux que tout le monde l’écoute avec attention.

Les trois autres membres de l’équipe me dévisagèrent pendant quelques instants. Je ne pouvais pas me voir dans une glace, mais au vu de la chaleur qui envahit mon visage et mes joues, je devais être rouge comme une écrevisse.

— Comment on sait qu’on peut lui faire confiance ? s’enquit Éric, d’une voix placide, après avoir terminé son verre.

— Je lui fais confiance, donc vous lui faîtes confiance, c’est aussi simple que ça, rétorqua Elaine, avec sa répartie habituelle.

Un silence lourd s’installa, un silence seulement brisé par les bruits de verre qui s’entrechoquent, causés par le barman à quelques mètres de la table. Elaine était la plus jeune d’entre nous, mais c’était elle qui dirigeait l’opération. Et elle savait comment s’y prendre.

Elle se tourna enfin vers moi.

— Demain à l’aube, on quitte le port avec notre navire en direction de Rapture. Le voyage durera environ un jour. Ensuite, on prendra nos deux-sous marins, qui seront chargés à bord, pour explorer les fonds marins et récupérer ce dont on a besoin. Ça marche pour toi ?

J’acquiesçai d’un signe de tête, légèrement intimidée.

— Bon, continua-t-elle. Eh bien, je crois qu’on s’est tout dit. Je vous laisse aller vous coucher. On a une longue route à faire demain. »


*

*        *

Effectivement, le voyage fut long. Bercé par les flots de l’océan, le Typhon III, notre navire océanographique, commandé par Mandy, avait fait son chemin jusqu’à l’endroit supposé où devait se trouver la ville oubliée. Chercher une ville au milieu de l’océan n’était pas une tâche aisée, d’autant plus que le phare, qui servait à repérer la ville avait été englouti par les eaux lors d’une tempête, d’après ce qu’avait entendu Mandy auprès de plusieurs capitaines de navires marchands. Seulement, ils n’avaient pas été en mesure de lui révéler l’emplacement exact de la ville oubliée.

Stan était un vrai bourreau de travail quand il s’y mettait. Quand il n’était pas occupé à fumer des joints dans sa cabine, en tous cas. D’après lui, il n’y avait que cela qui lui permettait de se détendre. Dans le labo, qu’il avait organisé sur le navire, il m’avait expliqué avec passion comment il avait pu trianguler la position de la ville avec tout de même peu de précision. J’essayai donc de lui indiquer certains éléments intéressants qui auraient pu nous permettre de préciser l’endroit exact. Il fut très heureux d’apprendre que la ville avait été construite à proximité de cheminées géothermiques, ce qui lui permis de réduire drastiquement le champ des recherches.

Notre arrivée sur le site fut assez mouvementée. Le courant était si fort que nous dûmes attendre quelques heures avant de pouvoir effectuer la descente dans de bonnes conditions, sous un soleil fort agréable. Pour se faire, nous étions en possession de deux magnifiques sous-marins dernier cri, appartenant au centre de recherche. Sur chacun d’eux était inscrit en tout petit une devise latine : Statera Restituere, rétablir l’équilibre. Lorsque je demandai à Elaine ce que cela signifiait, elle m’expliqua qu’il s’agissait de la devise du centre Gorland pour la recherche, sans plus d’explications.

En ce début d’après-midi, l’équipage s’affairait sur le pont afin de tout mettre en place. Mandy supervisait l’opération, d’un œil avisé. Elle semblait prendre grand soin de ses joujoux. Si mon métier m’avait appris quelque chose, c’était que l’appareillage de ces engins demandait une précision de maître. Mais alors que les deux sous-marins semblaient prêts à être jetés à l’eau après leur inspection et leur préparation minutieuse, un bourdonnement se fit entendre dans le ciel. Au loin, une forme apparut dans l’horizon. D’abord toute petite, elle se mit à grossir et je pus discerner de quoi il en retournait. C’était un imposant hélicoptère militaire, qui, après s’être posé sur l’héliport du navire, déversa cinq hommes surarmés sur le bateau.

Dès l’instant où je les vis, je compris que l’équipe ne m’avait pas tout dit sur la nature de l’expédition. Je courus quérir des informations auprès d’Elaine, accoudée à la balustrade, à la proue du bateau, le regard vers l’horizon.

« Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? criai-je, afin que ma voix porte malgré le bruit des hélices. C’est qui ces gars-là ?

— Ils sont là pour notre protection.

— Un seul soldat ne vous suffisait pas ?

— Pas pour cette mission, non.

C’est alors que je réalisai qu’Elaine ne voulait pas se contenter d’explorer les environs de Rapture, elle voulait pénétrer au cœur même de Rapture, alors même que la ville devait sans doute être encore remplie de dangers que je ne pouvais moi-même imaginer.

— Tu es folle ! hurlai-je, atterrée. C’est une mission-suicide !

Les pales de l’hélicoptère s’arrêtèrent de tourner, laissant place au bruit de l’océan et de l’équipage qui s’agitait, ce qui permet de baisser le niveau de ma voix.

— Si on rentre dans cette foutue ville, on risque de ne jamais en ressortir, poursuivis-je.

Elaine me désigna les soldats d’un signe de tête.

— C’est pour ça qu’on les a engagés, a-t-elle répondu.

— Ça ne suffira sans doute pas.

— Pas d’inquiétude, j’ai moi-même prévu un petit quelque chose.

Elaine souleva le bas de son manteau sur son flanc pour que je puisse admirer le magnifique revolver qu’elle avait en sa possession, bien calé au fond de la poche arrière de son pantalon. Elaine laissa retomber le pan de son manteau, un sourire en coin. Je ne pouvais que lui renvoyer un regard désapprobateur.

— Tu n’as aucune idée de ce que renferme cette ville, Elaine. Un petit pistolet et quelques soldats ne feront pas le poids.

Je quittai Elaine, réellement échauffée, pour retourner à la poupe du bateau, où se préparait l’expédition. Les soldats, en rangs bien formés, se présentèrent devant Mandy et Éric, qui leur montrèrent le deuxième sous-marin dans lequel ils allaient prendre place. Je me postai à côté de Stan, qui s’était allumé une petite cigarette et qui fumait juste à côté du pied de la grue qui servait à manœuvrer les submersibles.

— Tu étais au courant pour eux ? l’interrogeai-je. Je pensais que nous allions simplement explorer les fonds marins, pas que nous allions aller dans cet enfer.

— Bien-sûr que je le savais ! a-t-il répondu avec franchise. Tu ne croyais quand même pas qu’elle allait se contenter d’observer la ville de loin ?

— Honnêtement, je le pensais. Jusqu'à maintenant.

— Eh bien, c’est que tu ne connais pas Elaine, alors. Quand elle a une idée en tête, elle va jusqu’au bout. »

Stan jeta sa cigarette, l’écrasa du bout du pied, et s’en alla rejoindre Mandy et Éric, me laissant seule avec mes doutes et mes interrogations. Je ne savais vraiment pas dans quoi je m’étais embarquée en venant sur ce navire.


*

*        *

Je rejoignis l’expédition à contrecœur, avec la boule au ventre. Notre sous-marin devait partir en premier afin de guider le reste de la troupe. Nous entrâmes donc avec Stan et Elaine dans le premier sous-marin, après que celui-ci fut déposé sur l’eau. Éric et les soldats privés engagés par Elaine et le centre devaient, quant à eux, se contenter de l'autre sous-marin. Mandy, elle, restait sur le navire. Le submersible était peu spacieux, mais il ferait l’affaire. Il paraissait solide et prêt à affronter les rudesses de l’océan.

Vers 15h, nous entamâmes notre descente vers le plancher océanique. Il fallait environ une heure pour atteindre le fond de l’océan. Les quelques poissons que nous avions croisé au début de la descente se faisaient plus rare au fur et à mesure que nous nous enfoncions vers les profondeurs, tout comme la lumière du soleil.

Finalement, nous arrivâmes au fond. Elaine alluma la lumière extérieure et se dirigea vers l’endroit que Stan avait désigné, en se basant aussi sur le sonar que nous avions à disposition. Grâce à mes indications, Stan avait compris que la ville n’était pas située aussi profondément qu’il le pensait. C’est ainsi, après plusieurs mètres, que le sonar sembla repérer quelque chose. Ce n’était pas de simples rochers, c’était quelque chose de bien plus imposant. Sûrement ce que l’on cherchait. Stan donna l’information à l’autre sous-marin qui nous suivait.

Après avoir dépassé une grande colline, des silhouettes déformées entourées d’un halo lumineux bleu se détachèrent de l’horizon, d’immenses formes pointant vers le ciel comme les doigts d’un géant de métal plantés dans le sable. C’étaient les ruines d’une ancienne civilisation, les ruines d’une utopie déchue. Rapture. Nous l’avions trouvé.

« Ouah ! s’exclama Stan, qui resta béat d’admiration.

— Alors c’est ça, Rapture ? lâcha Elaine à voix basse, ébahie par le spectacle qui s’offrait à elle.

L’équipe découvrait la ville pour la première fois. Pour moi, ce n’était qu’un retour. Un retour qui ne m’enchantait pas particulièrement, surtout depuis que je connaissais l'intention d'Elaine.

Le sous-marin avançait lentement, ondulant parmi les rochers, les bouts de métaux et les végétaux à la taille impressionnante. Stan en profita pour en extraire quelques échantillons, grâce aux pinces mécaniques, greffées au sous-marin. La fortune lui sourit lorsqu’il tomba sur une limace de mer, coincée entre deux rochers, qui semblait encore contenir un peu d’ADAM. Il était excité comme jamais je ne l’avais vu auparavant. Nous continuâmes notre route, afin de se rapprocher de la ville. Même si elle était toujours impressionnante, la merveilleuse cité d’autrefois n’était plus qu’une épave parmi les autres.

Lorsque nous pûmes enfin déambuler parmi les gratte-ciels et les appartements, comme les seuls témoins d’un monde anéanti, nous réalisâmes le poids des années que portait Rapture sur ses frêles épaules.

Des immeubles entiers, bardés par endroit de stalactites de rouille, s’étaient écroulés les uns sur les autres, comme de vulgaires dominos. Certains bâtiments, complètement immergés, laissaient apparaître à travers leurs fenêtres brisées des corps sans vie, flottants tels des spationautes livrés à eux-mêmes dans l’espace froid et glacial. La nature avait repris ses droits et des algues touffues pendaient sur les corniches, se balançant au gré du courant.

Je reconnus avec un pincement au cœur quelques bâtiments qui abritaient jadis mes balades de Petite Sœur, certains quartiers entiers étaient totalement inondés, rayés de la carte. Au lieu d’être horrifiée à l’idée de revenir, comme je le pensais, cette excursion m’inspirait en cet instant un grand sentiment de nostalgie. Stan était comme un fou. Elaine, quant à elle, semblait plus réservée et concentrée. Tandis que notre parcours se poursuivait parmi les immeubles abandonnés, comme dans la rue d’une ville fantôme, nous aperçûmes un requin, d’une taille vraiment conséquente, passer juste au-dessus du sous-marin.

— C’est incroyable ! s’enthousiasma Stan. Toute cette faune et toute cette flore, qui ont passés des années à être exposés à l’ADAM. Et cette limace que l’on a récupérée. On va faire des avancées du tonnerre !

— Si on veut trouver plus d’ADAM, fit remarquer Elaine, il vaut mieux trouver un moyen d’entrer dans l’un des bâtiments encore en état.

Leur intention de trouver de l’ADAM était louable. Mais cette idée, qui semblait les préoccuper, me rendait méfiante. Bien qu’Elaine m’eût expliqué son envie de faire progresser la science, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il y avait anguille sous roche. Il est dans la nature humaine de vouloir s’emparer de choses qui dépassent la compréhension et de les utiliser à des fins peu convenables. J’espérais sincèrement que leur volonté était purement désintéressée.

L’expédition se prolongea donc avec pour objectif de trouver une ouverture. Le sous-marin conduit par Elaine se dirigea vers la droite dans ce qui pouvait s’apparenter à une autre rue adjacente. La vue qui s’offrait à nous était toujours aussi peu réjouissante et les résidences immergées ou détruites semblaient être désormais être monnaie courante. Elaine dut descendre le sous-marin pour éviter une énorme poutre en métal qui barrait la rue, se repérant à la seule lumière du submersible. Presque toutes les lumières et les néons de la ville, autrefois scintillants comme des astres, étaient éteints. La ville semblait endormie, figée dans le temps.

Tout était calme, trop calme.

Soudain, j’entraperçus du coin de l’œil une énorme ombre filant à travers les immeubles sur notre droite à une vitesse hallucinante. Stan, trop occupé à récupérer des donnés, ne remarqua rien, contrairement à Elaine.

— C’était quoi, ça ? s’exclama-t-elle, en sursaut.

— Quoi ? demanda Stan, qui leva les yeux de son calepin.

Elaine arrêta le sous-marin et tourna lentement la lumière pour observer l’immense et profond trou, niché dans la façade du bâtiment sur la droite, dont les ténèbres ne permettaient pas de voir ce qu’il dissimulait. Une fine gouttelette de sueur apparut sur ma tempe. Avec la gorge sèche, redoutant l’arrivée de la chose que nous avions aperçue, je m’accrochai fermement aux parois du sous-marin. C’est alors que la créature, jusque-là tapie dans l’ombre, s’avança lentement vers la lumière du sous-marin, dévoilant petit à petit des parties de son corps, qui me submergèrent d’effroi. Un œil immense. Et des tentacules. Des énormes tentacules de la taille du sous-marin.

— Oh mon dieu ! s’écria Stan, impuissant.

Sans que l’on eût le temps de réagir, la créature s’élança d’un bond vers notre véhicule et cogna son corps contre notre submersible. Le choc fut terrible : le sous-marin se mit à virevolter comme une feuille au gré du vent, avec une force telle que je tombai en arrière et que ma tête heurta violemment la paroi. Il pivota complètement, laissant apparaître dans le hublot le bout des tentacules du monstre, qui s’éclipsa dans la noirceur des profondeurs, de l’autre côté de la rue, en survolant les immeubles.

Le sous-marin tournoya encore comme une toupie pendant un instant avant qu’Elaine ne reprenne les commandes et ne réussisse à stabiliser l’appareil.

— Tout le monde va bien ? demanda Elaine, à bout de souffle.

Assise contre la paroi, je me mis à évaluer les dégâts. Un passage de la main sur l’arrière de mon crâne me permis de constater qu’une petite quantité de sang s’en écoulait. Je jetai un œil à Elaine et Stan, qui semblaient aller parfaitement bien, mis à part leur état de stress anormalement élevé. Puis j’observai l’intérieur du sous-marin. Heureusement, il ne semblait pas y avoir de défaut dans notre carapace en métal. Nous avions échappé au pire.

— Plus ou moins, marmonnai-je, en montrant le sang sur ma main.

Après avoir compris ce qui venait de m’arriver, Stan se dirigea vers moi et examina l’arrière de mon crâne avec attention.

— On dirait que ce n’est pas grave, observa-t-il. En tous cas, il n’y a pas de fracture.

Il farfouilla dans tout le stock qu’il avait amené et trouva une trousse de premier soin. Il en récupéra le nécessaire afin de me faire un bandage correct. Pendant ce temps, Elaine, encore sous le choc, tentait de comprendre.

— Qu’est-ce que c’était que ça ? s’exclama-t-elle, avec angoisse.

Stan, qui coupait l’extrémité du bandage qu’il venait d’appliquer sur ma tête, semblait avoir la réponse.

— Je pense qu’on a eu affaire à un calmar géant. Mais jamais je n'en avais vu d’aussi gros. La présence d’ADAM, qui était contenu dans les limaces de mer et qui a depuis été déversé dans l’eau, a sans doute dû dérégler tout l’écosystème. Il devait se cacher dans ce bâtiment juste-là avant qu’on ne le dérange.

— C’est incroyable… murmura Elaine.

A ce moment-là, Éric, qui se trouvait dans le deuxième sous-marin demanda des nouvelles, par radio. Elaine lui dressa un portait de la situation, mais il ne sembla pas plus affecté que cela. Le principal pour lui était que nous restions en vie. Manifestement, quelques bobos et des calmars géants ne le concernaient pas.

Elaine retourna aux commandes après notre petit incident, toujours un peu sur les nerfs. Nous longeâmes les immeubles noyés sous l’océan pour chercher un moyen d’entrer dans la ville. Nous avions beau observer avec attention, il semblait pour l’instant difficile de trouver un endroit encore rempli d’air dans cette ville aux allures de fromage rempli de trous. Cependant, il devait forcément rester des endroits qui n’étaient pas submergés par les eaux dans cette ville. Le gratte-ciel qui se tenait devant nous, à plusieurs centaines de mètres, par exemple, semblait en parfait état. Ce gratte-ciel immense, je le reconnaissais. C’était là, au dernier étage, que Fontaine était mort, vaincu par Jack et les Petites Sœurs dont je faisais alors partie.

L’endroit ne devait pas être facilement accessible. Mais si cet immeuble était intact, alors cela voulait dire que ce n’était pas le seul endroit qui résistait encore à l’océan. Certains quartiers devaient sûrement encore grouiller de Protecteurs, arpentant les rues et réparant les infrastructures pour l’éternité.

De fil en aiguille, en éliminant les pistes qui me paraissaient compromises, grâce à mes souvenirs les plus enfouis, je mis le doigt sur une entrée qui me semblait plausible. Mais devais-je pour autant en parler à Elaine ? Si je ne lui disais rien, elle ferait sûrement demi-tour et tous ses rêves de grandeur seraient sans aucun doute oubliés.

Malheureusement, ce fut le moment que choisit Elaine pour aborder le sujet.

— Sarah, je crois qu’il est temps de trouver une entrée. Si tu as des idées, n’hésite surtout pas.

Je ne soufflai mot, indécise. Elle regarda mon visage, crispé et tendu et comprit ce qui me passait par la tête.

— Ecoute, il faut absolument que l’on pénètre à l’intérieur de ces ruines, continua-t-elle. Nous n’avons fait qu’effleurer la surface, on a besoin de plus de matière pour nos études.

— Nous, tout ce qu’on veut, c’est faire avancer la science avec ce qu’on va découvrir ici, me rappela Stan. On a aucune intention de vendre nos recherches au public ou même de piller la ville, si c’est ça qui t’inquiète.

Ce qui m’inquiétait le plus était que Charles puisse avoir raison. Que l’ADAM soit libéré dans le monde entier. Cela ferait des ravages tels qu’on n’en avait pas connu depuis la guerre. Des millions de personnes, armées de pouvoirs surnaturels, se déchirant et luttant pour devenir les maîtres. Cependant, Stan m’inspirait confiance. Après avoir été témoin du dévouement avec lequel il travaillait, cela ne pouvait que me réconforter dans mon choix de leur indiquer l’entrée de la ville.

— Très bien, opinai-je. Dans ce cas, j’ai peut-être un moyen d’entrer. »

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