BioShock Beyond – Tome 3 : Un océan de rêves

Chapitre 20 : Para Bellum

4173 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/04/2023 15:45

Chapitre 20 : Para Bellum


« Oui, c’est vrai, la guerre approche. On peut la sentir. La peur. La haine. La mort, qui frappe tous les jours. Mais combien seront-ils encore à souffrir si nous nous révoltons ? La violence engendre la violence, je le sais. Je l’ai vu. Un esprit rationnel cherchera toujours une solution pacifique, un terrain d’entente, mais… Quel terrain d’entente peut-on trouver pour un père qui regarde son enfant se vider de son sang en pleine rue ? Comment lui refuser le droit de se venger ? Je connais bien ce feu qui brûle en vous… Je le connais même trop bien. Et quand l’heure sonnera… serai-je capable de retenir la main ? »

Daisy Fitzroy

****



Toutes les expériences que nous avions vécues, tout ce savoir accumulé. Grâce à eux, je pensais enfin être prête à affronter Fontaine et sa fille, mais je me fourvoyais. Certes, nous avions retrouvé nos sens et nous avions des armes mais nous n’avions aucun pouvoir. Comme toujours, Elizabeth semblait scruter nos pensées, telle une joueuse d’échecs qui plaçait ses pions avec minutie. En nous montrant l’univers de ce fumier nommé Fontaine, elle avait un objectif en tête : nous préparer à l’inéluctable. Tôt ou tard, nous aurions à nous occuper de lui et affronter nos peurs les plus profondes, quoiqu’il nous en coûterait. Mais tout le monde savait que ce serait le combat le plus difficile de notre vie.

A notre retour sur L’Olympien, un silence de mort régnait dans sa cabine. Toute l’équipe s’y était réuni. Durant ce laps de temps, pendant lequel je pouvais presque humer une odeur de cramé qui semblait provenir de nos cerveaux en ébullition, les éléments du puzzle s’assemblaient dans mon esprit.

« J’espère que vous comprenez maintenant pourquoi je vous ai amené là-bas et pourquoi je vous ai montré tout ça, nous expliqua Elizabeth. Des ennemis de tous les univers vous attendront au cours de cette bataille, et tout le monde devra verser le sang pour que votre réalité survive au lever du jour.

— Alors, il ne reste plus qu’une chose à faire, réalisa Masha, nous préparer.

— Que veux-tu faire de plus ? rétorqua Leta. Nos pouvoirs sont limités à leur strict minimum.

— Le Penseur pourrait nous aider, non ? demanda son amie, après s’être caressé vigoureusement la tête. Il doit y avoir un moyen de retrouver toutes nos capacités sans devenir accro à l’ADAM.

— Le Penseur est corrompu, dis-je d’un ton solennel. C’est pour cela que les hommes de Fontaine ont pu pénétrer à l’intérieur de Wang Laboratories et que Charles n’a pas pu se défendre face à eux.

— Sarah a raison », opina Charles, qui avait repris du poil de la bête après ces évènements traumatiques, mais que la vieillesse et les années passées dans son armure de Sujet Sigma n’épargnaient certainement pas. Il se redressa sur le canapé en grimaçant et balaya l’assemblée du regard avec gravité, l’air un brin terrifié. « Le Penseur, il s’est comme retourné contre moi. Je crois ne l’avoir jamais vu dans cet état !

— Nous, si, répondit Sally du tac-au-tac. Et Fontaine va se servir de lui pour nous détruire.

— Donc, si j’ai bien compris, notre Penseur… n’est plus de ce monde, assimila Maura en déglutissant.

— Disons plutôt qu’il a été supplanté par une version supérieure de lui-même, corrigea Charles, une version venue de cet autre univers dont vient Fontaine, mais cela revient au même. De toute évidence, je ne pourrai pas le ramener à sa version d’origine, quand bien même je pourrais mettre la main sur lui à New York ou dans les planques de Tenenbaum. Il est bien trop puissant.

— Mais… alors ça veut dire que…

— Tous les abris sont potentiellement compromis, oui, approuva Charles. Si on passe un pied dans l’un de ces bunkers, on pourrait finir réduit en bouillie. »

Tous mes compagnons baissèrent les yeux. On entendit même quelques soupirs par-ci par-là. Jack se frotta le visage énergiquement, laissa exprimer un grognement guttural avant de s’enfoncer dans son fauteuil. La nouvelle d’un énième échec ne rassurait personne sur la suite et dans tout ce chaos, seule Elizabeth gardait la tête froide. Je remarquai même un léger sourire se dessiner sur son visage marqué par le temps.

« Et si je vous disais… qu’il y a un autre moyen pour vous de retrouver vos pouvoirs ? nous dit-elle.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? demandai-je.

— Et s’il existait une autre copie du Penseur sur ce paquebot ? » avança Elizabeth, dont le sourire s’élargit soudainement.

Nos regards se croisèrent et Elizabeth se mit à rire d’un ton doux et léger, maternel.

Afin de répondre à nos interrogations, elle nous conduisit dans une autre salle qui nous était jusqu’à cet instant inaccessible, sur l’un des derniers ponts du navire. Elle tourna la valve et nous révéla un véritable laboratoire, bien plus imposant que ceux qu’avait construits Tenenbaum tout au long de sa vie. Des paillasses en métal se chevauchaient au centre et contre les murs, donnant à cet espace un aspect industriel. Tout au bout de la pièce, entre deux hublots, je vis un écran que je ne m’attendais plus à voir. Même si l’ordinateur était bien plus moderne que celui qui se trouvait à Rapture, j’ai tout de suite compris : le Penseur – ou en tout cas l’une de ses versions – se trouvait sur L’Olympien depuis le début. Je crois n’avoir jamais entendu un silence aussi profond, tant mes camardes étaient totalement ébaubis.

Elizabeth brisa le calme en nous expliquant comment elle avait récupéré cet assemblage du Penseur, dans un monde où Rapture avait survécu à la guerre civile et s’était ouverte au monde extérieur après la mort de Ryan. Le nouvel habillage du Penseur le faisait ressembler aux ordinateurs que l’on pouvait voir dans les magazines de science de 1984 et, même si je préférais l’ancienne version, j’étais si heureuse de revoir sa caboche de métal parmi nous. Une véritable bénédiction.

Sa présence signifiait aussi autre chose : il nous restait une chance de devenir de véritables Grandes Sœurs boostées aux hormones sans subir les conséquences de l’addiction à l’ADAM ou du conditionnement mental. Grâce aux capacités de calcul du Penseur, on pouvait enfin créer la formule idéale pour ça. Enfin, ça, ce fut avant que l’on se rendît compte que le Penseur l’avait déjà fait pour nous car dans la réalité d’où ce dernier venait, Tenenbaum avait elle-même imaginé cette formule. Lorsqu’Elizabeth avait rapatrié le Penseur sur son navire, elle avait alors demandé au Penseur de recréer la formule à grande échelle, en prévision de ce grand combat qui nous attendait.

Son idée était brillante ! Bien sûr, elle n’avait aucun mérite, elle était omnisciente après tout. Quand je lui demandai pourquoi elle n’avait pas fait ça plus tôt, elle me répondit que nous devions d’abord voir ce qu’il advenait des autres univers avant de prendre notre décision. Personnellement, j’étais nettement moins convaincue par cette deuxième idée, tant les souvenirs de tous ces mondes me retournaient encore l’estomac.

Il nous fallut une heure pour inoculer la formule surpuissante à toute notre escouade. Certaines filles parurent réticentes au premier abord, mais finirent par voir que notre évolution était inéluctable. Celles qui n’hésitèrent pas une seconde étaient celles dont les enfants se trouvaient en danger. Pour elles, pas question de se laisser rouler dessus, il était temps d’agir. Le cocktail explosif qui coulait dans nos veines ne tarda pas à se manifester par quelques tremblements et un sentiment d’inhibition extraordinaire.

Avant toute chose, Elizabeth organisa des séances d’entraînement à nos nouveaux pouvoirs, en faisant apparaître des sacs de sable bardés de cibles sur le navire et en nous laissant vagabonder et sauter à notre guise sur L’Olympien avec nos armures de combat respectives que nous avions personnalisées à notre guise, tandis que la musique si douce de l’Océan de portes continuait de chanter dans le lointain horizon.

C’était incroyable ! L’astucieuse formule chimique jouait des tours à notre cerveau et lui faisait croire que nous avions encore une limace de mer au fond de notre estomac et notre corps nous octroyait dès lors des tonnes de capacité : l’agilité du guépard, les flammes de l’Enfer ainsi que la discrétion d’Houdini et les pouvoirs télékinétiques d’une Carrie en furie à notre disposition, sans parler de l’incroyable lien télépathique qui liait désormais toutes les Grandes Sœurs.

Il s’agissait là d’un vestige de l’ancienne capacité d’Eleanor qui demeurait toujours en elle, du temps où elle pouvait contrôler les nouvelles Petites Sœurs par la pensée. Après un simple prélèvement sur le corps d’Eleanor, le Penseur avait intégré ce lien, contenu dans l’ADAM qui circulait dans le sang d’Eleanor, au sein de sa formule. Par conséquent, alors que nous nous trouvions à différents endroits du bateau, nous pouvions voir ce que chacune d’entre nous faisait, comme si nous échangions nos corps. La première fois que l’on s’était tour à tour regardées, nous avions eu cette impression étrange que nous n’étions pas tout à fait à notre place, tout simplement car nos corps et nos esprits s’étaient mélangés. Il nous avait fallu dix bonnes minutes pour apprivoiser cette nouvelle capacité, qui nous serait sans aucun doute fort utile en plein combat.

De son côté, malgré la fatigue qui se faisait de jour en jour plus grandissante du fait de l’arrêt de son traitement, Jack promit qu’il serait à nos côtés. Ce serait « sa dernière chevauchée », comme il se plaisait à le dire. En revanche, il était clair que Charles était bien trop faible pour affronter nos opposants. Il proposa néanmoins de venir avec nous, mais Elizabeth le convainquit de rester sur L’Olympien, où il serait plus en sécurité. A contre-cœur, il accepta, non sans nous faire promettre de mettre un terme à toute cette histoire. « Je ferai tout ce que je pourrais pour ça », lui avais-je promis, avec un large sourire.

Celle qui posa le plus gros problème fut Mandy.

Depuis que nous l’avions sauvée et ramenée sur le paquebot, elle était restée dans un mutisme quasi-absolu, n’ouvrant la bouche que pour demander s’il existait un moyen de ramener sa copine à la vie. Il faut dire que je l’avais salement amochée. Mais malgré tout ce qu’elle avait vu, elle ne semblait toujours pas avoir accepté la dure réalité. Alors, à la fin de mon entraînement, je décidai d’aller lui parler dans sa cabine. Elle paraissait abattue et esseulée – et comme je la comprenais – mais aussi agacée. Nous n’avions pas encore reparlé du combat qui nous avait opposé mais je devinais que le pardon mutuel ne serait pas facile.

« Ecoute, Mandy, je crois qu’il est temps de… crever l’abcès, lui dis-je avec un certain sens du repentir.

— Crois-tu que ce soit aussi simple ? me répondit-elle avec sincérité.

— Je le crois, oui. Dans une situation aussi désespérée que la nôtre, alors que nous sommes au pied du mur, il nous faut avancer dans la même direction. Qu’en penses-tu ?

— Je croyais savoir où aller avant que tu me laisses la vie sauve, mais aujourd’hui, je ne suis plus sûre de rien. Tout ce que je sais, c’est que je ne peux pas cautionner ce que vous allez faire. J’ai dédié ma vie à la recherche de Carmen et tu comptes détruire la seule chose qui pourrait ramener… une autre Carmen. Tu comprends ? »

Sa question était rhétorique mais elle fut, par bien des aspects, révélatrice. Je n’avais pas pensé une seule seconde à me mettre réellement à sa place. Quand mon père faillit mourir et que je crus, pendant quelques instants, que Derek et Jack étaient eux aussi en danger, je vis ma vie défiler devant mes yeux, comme si je mourrais moi-même, comme si une part de moi se trouvait exterminée. Je ne voulais jamais avoir à revivre ça. En refusant à Mandy d’avoir cette machine, c’est pourtant exactement ce que j’avais l’impression de faire.

« Eleanor t’a dit que nous trouverions un moyen pour toi de revoir Carmen, rappelai-je à Mandy, et je compte honorer sa promesse. »

En fait, ça faisait un moment que je réfléchissais à ce problème, depuis le moment où Elizabeth nous avait révélé ses étranges pouvoirs. Cette femme était la machine que nous recherchions à elle toute seule, il suffisait de lui demander une destination et notre vœu serait exaucé. Quand j’exposai mon idée, un éclair de bonheur passa sur le visage de Mandy, qui n’avait clairement pas conçu les choses de cette façon. En réalité, elle avait si ardemment souhaité revoir Carmen qu’elle n’avait même pas imaginé qu’une autre vie pouvait l’attendre ailleurs, dans une autre réalité. Grâce à Elizabeth, elle pouvait entamer une autre vie dans un autre monde et tous les membres de l’Ordre aussi. Tout le monde pourrait retrouver son être cher là-bas.

« D’ailleurs, continuai-je, si tu ne souhaites pas prendre part au combat, je suis sûre qu’Elizabeth pourrait t’accorder cette faveur dès à présent.

— Non, Sarah. Je ne peux pas vous faire ça, à toi et aux autres, pas après ce que vous avez fait pour moi. »

Mandy m’assura alors qu’une fois arrivée à New-York, la ville dans laquelle le siège de l’Ordre international des Pions était situé, elle préviendrait les membres de son organisation qui lui portaient encore toute leur confiance de s’armer et de se préparer à combattre Elaine et son père. Même si elle s’accrochait à l’infime espoir de revoir Carmen en s’emparant de cette machine et qu’elle doutait encore, elle avait pour certitude que Elaine n’était certainement pas de son côté. Nous avions maintenant l’assurance que ses alliés viendraient grossir nos rangs. Après ça, nous serions définitivement quittes et Mandy et tous les membres de l’Ordre pourraient rejoindre leurs proches dans un autre univers, comme s’ils n’avaient jamais existé dans ce bas-monde.

Cette idée me rendait étrangement mélancolique mais c’était leur décision et je me devais de la respecter. Une fois cette bataille achevée, notre monde ne serait décidément plus le même.

Pour nous tous.

 

 

*

*            *

L’heure de quitter ce navire pour de bon approchait, mais il restait encore tant de choses à régler. Surtout, nous devions nous mettre d’accord sur le plan d’attaque.

Quand tout le monde fut fin prêt, Elizabeth nous convoqua dans la salle des commandes. Bien sûr, elle avait un plan, soigneusement préparé depuis près de dix-neuf ans. Elle avait vu toutes les portes et tout ce qui se cachait derrière ces portes.

Elle savait que Fontaine préparait quelque chose de gros, un discours au grand public devant le Rockefeller Center de New-York. Tout avait été habilement prévu, les publicités pour Wang Laboratories et son représentant américain Frank Fontaine avaient fleuri dans toute l’Amérique. La société faisait maintenant parler d’elle en raison de sa “nouvelle innovation incroyable en préparation”.

Mais qu’en était-il de la machine, dans toute cette histoire ? Était-ce cette fameuse innovation ? Non, d’après Elizabeth. Sans qu’elle puisse l’expliquer, elle était persuadée que la machine était bien cachée, dans un endroit que seul Fontaine connaissait. Et bien qu’elle ignorât où la machine se trouvait, elle savait où il se terrait : les Pêcheries Fontaine, sur les docks.  

Comme toujours, la société qui gérait les Pêcheries était une fraude : avant d’entrer dans Rapture, Frank Fontaine, qui portait alors un autre nom, avait gentiment poussé le véritable M. Fontaine vers la sortie – autrement dit, il s’était débarrassé de lui – avant de prendre sa place et de récupérer toutes ses propriétés. Ces Pêcheries en faisaient partie et c’était d’ailleurs l’entreprise qu’il avait poursuivi à Rapture après cela.

En tout état de cause, Fontaine n’avait certainement pas envie de révéler qu’une machine telle que la sienne permettait de voyager dans d’autres dimensions. Non, il fomentait autre chose mais Elizabeth ne pouvait pas dire avec précision de quoi il s’agissait. En revanche, elle savait que le monde entier était en péril et que, tant que cette machine lui appartenait, il aurait toujours un coup d’avance. Nous ne pouvions pas atteindre cette machine sans passer par lui. Hélas, tout portait à croire que ce ne serait pas chose aisée.

Fontaine et sa fille avaient beaucoup appris de la bouche des Lutèce, les jumeaux scientifiques qui avaient apporté leur aide à Elaine afin qu’elle ramène son père parmi nous. Elizabeth en ignorait la raison – ou du moins, c’était ce qu’elle nous laissait penser, car j’avais peine à croire que tous ses êtres omniscients ne communiquaient jamais entre eux.

Grâce à eux et leurs connaissances, Fontaine avait ordonné la construction de plusieurs “syphons” afin de se prémunir des capacités d’Elizabeth. Elle nous expliqua que ces syphons étaient des appareils capables d’engorger son pouvoir quantique dans le but de l’empêcher de l’utiliser à son plein potentiel. Il s’agissait selon elle du même mécanisme que son père, Zachary Comstock, avait employé pour lui soutirer ses pouvoirs et lui cacher la vérité sur ses origines.

Elizabeth, sachant que le combat serait rude, a, pendant dix-neuf longues années, parcouru le Multivers à la recherche de combattants dignes de lutter à ses côtés. Comme elle le disait si bien, tout commençait toujours par un phare. Alors, elle s’était focalisée là-dessus et elle avait trouvé deux autres univers. On n’y trouvait ni Rapture ni Columbia, mais deux autres villes tout aussi époustouflantes.

Dans le premier monde, il y avait un phare, situé au beau milieu du désert du Sahara, cachant une cité millénaire qui abritait une communauté de guerriers redoutables ; dans le second, une citadelle, perdue au fin fond de l’espace, dotée d’une avance technologique phénoménale, qui servait de royaume à une intelligence artificielle démentielle.

Elizabeth avait bataillé pour obtenir une promesse de la part de chacun de leur dirigeant, mais elle avait réussi à les convaincre que si Fontaine gagnait la bataille et achevait son dessein, il n’hésiterait pas à faire de même partout ailleurs, dans toutes les réalités possibles et imaginables.

Ensemble, nous pouvions réussir.

Pourtant, alors que l’exposé du plan s’éternisait, des interrogations s’élevèrent naturellement parmi nous, à commencer par Jennifer, toujours aussi impliquée pour ramener sa fille à la maison.

« Et nous dans tout ça ? demanda-t-elle avec inquiétude. Qu’est-ce qu’on doit faire, hein ? »

  Elizabeth coula son regard vers elle en se frottant les mains.

« L’un d’entre vous va devoir rendre les armes devant Fontaine, c’est la seule solution.

— Pardon ? hurla l’assemblée.

— Vous m’avez bien entendu. Vous allez vous livrer à lui et l’occuper, le temps que j’aille chercher les renforts qui nous attendent ailleurs.

— Alors, ça veut dire que tu seras seule ? s’enquit Jack, avec une fêlure au creux de la voix.

— Oui. Fontaine sait que vous allez venir, il faut donc qu’il pense vous avoir eu par surprise. Vous ferez semblant de chercher la machine lorsqu’il vous tombera dessus. Et, quand il verra que je ne suis pas avec vous, il cherchera à obtenir de vous ma position. Il était déjà après moi à Wang Laboratories et ça ne risque pas de changer. Cela me laissera le temps de disposer les troupes au cœur de New-York, comme les pièces sur un immense échiquier. Hélas, une fois que je serai dans la ville, les syphons réduiront mon champ d’action, alors il vous faudra le retenir le plus longtemps possible. Il va finir par quitter l’entrepôt et dès qu’il commencera son discours au Rockefeller Center, nous serons là pour l’accueillir.

— Si je comprends bien votre plan, vous allez nous laisser avec ce taré pendant que vous, vous allez vous battre ? s’emporta Jennifer. Vous êtes aussi malade que lui !

— Non, je ne vous laisserai pas tomber, nous rassura Elizabeth. Je ne pourrais pas gagner sans vous. Quelqu’un viendra vous chercher, je vous le promets. »

Je balayai la salle du regard, histoire de prendre la température. Tout le monde semblait aussi circonspect que je l’étais. Nous ne savions pas encore ce que Fontaine nous réservait, et cette plongée dans l’inconnu nous terrifiait. Masha, Leta, Natasha, Sally et moi étions encore dans l’expectative. De plus, j’avais la désagréable impression qu’Elizabeth se résignait à nous reléguer au rang de chair à pâté. Toutes les années qu’elle avait passées seule l’avaient décidément rendue froide et calculatrice.

« Et une fois qu’on sera dans la place, lançai-je à Elizabeth, comment vous voulez qu’on s’occupe de Fontaine ? Il va sûrement s’attendre ce qu’on s’en prenne à lui, non ?

— Bien sûr qu’il le sait, affirma Elizabeth. C’est pour cela que vous ne devez surtout pas en savoir trop sur la façon dont cette bataille va se dérouler. Moins vous en savez sur mon plan, moins il pourra en obtenir de vous et plus il sera difficile pour lui de s’adapter aux changements. »

Le groupe tout entier opina du chef, sans trop y penser plus que ça. Moi aussi, je me disais qu’elle devait avoir la situation bien en main. Mais en la dévisageant, je crus remarquer une sorte d’hésitation dans son regard fuyant. Pour la première fois, j’avais l’impression qu’elle doutait de ce qu’elle faisait. Et ça n’était pas pour me rassurer. On suivait ses ordres depuis le début, sans être sûr de là où elle comptait nous mener, comme des moustiques attirés par la lueur des flammes.

Néanmoins, elle prit soin de nous assigner nos rôles respectifs : deux groupes devraient voyager avec elle au-delà de notre dimension pour rallier nos alliés ; quant aux autres, ils devraient rester à New York pour un face à face avec Fontaine. Bien sûr, Elizabeth me demanda de rester à New York, ce que j’acceptai sans hésiter. Néanmoins, je gardai pour moi que je comptais bien être la seule à affronter Fontaine. Je ne voulais pas que les autres se mettent en danger inutilement en confrontant ce fou furieux, surtout parce que c’était Elizabeth qui l’avait ordonné.

Mandy, de son côté, se chargerait vraisemblablement d’appeler les membres de l’Ordre pour un soutien supplémentaire. Mais comme Elizabeth se levait pour quitter la timonerie, Mandy l’interpela.

« Et la machine ? Comment allons-nous nous en débarrasser ? »

Elizabeth tourna la tête vers elle, en lui adressant un sourire en coin.

« Ne vous en faites pas pour ça non plus, dit-elle, cette machine, j’en fais mon affaire ».

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