Sentinelle du désespoir
Chapitre 1 - Le hall de feu
Avec leur bannissement récent, Yoruichi, Tessai et Kisuke avaient fui dans le monde des vivants avec les Vizards. Une occasion pour les trois Shinigamis, ou dorénavant, ex-Shinigamis, de préparer, loin des yeux de la Soul Society, la contre-attaque qui blanchirait leurs noms. Un objectif qui aurait dû être simple et sans réel danger. Cachés parmi les humains, ils auraient eu l'éternité devant eux pour mettre en place un plan sans faille, mais à peine étaient-ils arrivés dans la petite ville de Karakura qu'un premier problème — et pas le moindre— s'était présenté.
Leur fuite n'avait pas totalement épargné Kisuke de la sentence du Central 46, peu à peu ses pouvoirs de Shinigamis s'effaceraient. D'ici quelques mois, jours ou heures, il ne serait plus qu'une âme errante sans force et sans zanpakuto, ainsi qu'une piètre menace pour Aizen Sosuke. Une option inenvisageable qui éloigna Kisuke de ses amis. Disparaissant comme une ombre dans la nuit, il se faufila entre les immeubles de Karakura avec aisance jusqu'à se retrouver finalement seul dans une cour intérieure loin des regards indiscrets. S'ils avaient connu son état et ses plans, Tessai et Yoruichi auraient sans doute tenté d'intercepter leur ami, un temps perdu que lui n'avait pas.
Pour un Shinigami tel que Kisuke Urahara, arriver aux Enfers était quelque chose de facile. Les portes et portails n'avaient aucun secret pour lui et ce n'était pas l'interdiction de les ouvrir qui avait autrefois empêché le capitaine de la Douzième division de les franchir, simplement pour voir s'il en était capable. Cependant mettre le pied sur les terres interdites n'était que la première étape. S'il voulait prétendre à sa revanche contre Aizen Sosuke, Kisuke devrait passer un marché avec le seigneur des lieux. Une tâche qui serait beaucoup moins aisée que la précédente.
Lorsqu’Urahara s'aventura pour la seconde fois aux Enfers, il y pénétra avec un objectif précis : rompre le sceau que lui avait imposé le Central 46 quelques heures auparavant pour sa prétendue trahison et sauver le Shinigami qu'il était.
Les Enfers étaient un lieu fascinant, hiérarchisé en une suite de cercles s'enfonçant de plus en plus profondément dans la Terre et régi par de nombreuses règles, à la fois très simples et peu permissives. La première d'entre elles reflétait la raison d'être du royaume : à chaque âme son cercle de tourment approprié et son gardien, nul ne quitte son étage sans la permission du roi des Enfers.
Malgré son bannissement récent et la présence du sceau à moitié formé, Kisuke Urahara demeurait un Shinigami à part entière aux yeux des créatures extérieures à la Soul Society. Un ancien capitaine, au haori blanc marqué du symbole de la Douzième division, dont la présence ici ne serait pas appréciée. Son arrivée au royaume des flammes n’avait certainement pas échappé à son seigneur. Se sachant observé, il avait alors deux options pour rencontrer le roi : l’intriguer ou provoquer sa colère.
Il se retrouva au Niveau IX, le premier cercle et la porte des Enfers. C'était une zone de flammes, immense, sans gardien. Elle ne contenait que les âmes les plus faibles, celles qui n'avaient pas pu être placées ailleurs. Ces âmes n'avaient pas su retrouver une forme de conscience dans les Enfers et la vie après la mort, car leur esprit avait été brisé. De simples coquilles vides qui déambulaient sans destination. Une morosité que partageait le hall des Enfers. Il n'y avait qu'une triste impression de non-vie à cet étage, ni souffrance ni mort. Ce qui pouvait être étonnant pour les Enfers et amena Kisuke à se demander si cet endroit remplissait une quelconque mission dans la hiérarchie des Enfers.
Plusieurs jours durant, il erra dans les flammes comme les êtres qui en étaient prisonniers, la chaleur étouffante était devenue surmontable et la présence de la grande entité embrasée qui y vivait était devenue familière. Kisuke détestait par-dessus tout les créatures qui résidaient là. Visiblement, le seigneur des Enfers n'avait pas jugé bon de mettre un véritable gardien doté d'une conscience pour veiller sur les esprits brisés. Alors il y avait simplement placé ce que le Shinigami appela "La Flamme". Une créature sans parole ni volonté propre, dont la seule fonction semblait être de produire les flammes éternelles dans lesquelles baignaient les Enfers. Elle avait l'apparence d'une immense sphère, un soleil dont l'énergie brûlante se libérait en permanence pour le plus grand malheur des curieux qui osaient s'aventurer ici-bas.
Une telle chose finit par fasciner Urahara en même temps qu'elle le repoussait : à quoi bon exister sans conscience ? Le premier jour, il l'avait observé avec dédain, cherchant une explication à sa présence fantomatique. Visiblement dépourvue de toute âme, comment s'était-elle retrouvée aux Enfers ? Qu'était-elle ?
Malgré l'urgence de sa mission, il ne put s'empêcher de laisser son esprit vagabonder et analyser La Flamme, jusqu'à développer de la curiosité vis-à-vis de ce qu'il détestait. Pouvait-elle être tuée, ou du moins, éteinte ? N'étant ni une machine, ni un être vivant, faisait-elle alors partie du royaume lui-même ? Il en vint à se demander si le royaume lui-même n'avait pas une forme d'âme, et si, ce soleil sans fin ne serait pas cette dernière. Se pourrait-il alors que le pendant des Enfers au-dessus du monde des vivants abrite aussi un être semblable ? Après tout, les deux royaumes partageaient déjà de nombreuses similitudes : capitaines du Gotei et Sentinelles, assurant respectivement la protection et le fonctionnement de leur monde, au service d'un roi. Kisuke avait longtemps parcouru la Soul Society et ses recoins, jamais il n'avait vu quelque chose de similaire, mais il n'avait jamais non plus rencontré son ancien roi. Aussi mystérieux demeurait-elle, Urahara s'était toujours persuadé de l'existence de cette entité gouvernant la Soul Society, et ce, malgré les nombreux Shinigamis qui doutaient de la présence de ce roi.
Des questions auxquelles il n'aurait sans doute jamais la réponse, d'autant plus que les jours passaient et qu'il ne progressait toujours pas. Pour provoquer le seigneur, il espérait quitter cet endroit, briser les règles établies. Mais ce niveau était une véritable énigme, Kisuke avait bien trop d'hypothèses à tester et pas assez de vie pour y parvenir. Beaucoup d'entre elles étaient particulièrement risquées, mourir en essayant de s'enfoncer plus profondément dans les Enfers n'était pas une option.
D'un autre côté, laisser le sceau détruire son Reiatsu n'en était pas une non plus. Alors, il regarda les âmes des faibles autour de lui en se questionnant.
Il avait toujours été un capitaine proche de ses Shinigamis, loyal et bon. Veiller sur les prisonniers du Mugen, libérer l'un d'entre eux pour lui offrir une nouvelle chance, ses décisions avaient toujours été prises en pensant au bien-être des autres. Peut-être cela devait-il changer ? Peut-être que son objectif devait devenir prioritaire sur les limites qu'il s'était fixées jusque-là ? Aizen avait commis de nombreuses atrocités et il n'y avait aucun doute, il en commettrait beaucoup d'autres sur son chemin. S'il devait à son tour franchir les limites pour arrêter son némésis, Kisuke pourrait-il être pardonné ? Quels étaient les dommages collatéraux tolérables dans cette quête ? Le Shinigami fit le vide dans son esprit, dans ces moments-là, une seule voix pouvait l'aiguiller. Son monde intérieur, foyer de son zanpakuto était mourant et en proie aux flammes, mais Benihime, aussi faible était-elle, n'ignora pas ses appels.
La princesse n'était que rage et amertume, elle criait vengeance, pas uniquement contre Aizen, mais aussi contre le Central 46 et le Gotei. Tous ces Shinigamis cachés derrière les murs d'ivoire et leurs règles hypocrites alors que la majeure partie de la population se meurt dans le Rukongai. Aizen avait pu mener ses expériences parce que personne ne se soucie des morts au-delà de la cité blanche. Kisuke avait été banni parce que la parole d'un lieutenant de la Cinquième division avait plus de valeur que la sienne. Pourquoi s'enticher du jugement que ces personnes pourraient porter ? Avaient-elles pesé le bon et le mauvais avant de prendre leurs décisions ? Benihime se moquait bien du pardon ou de l'approbation de la Soul Society, elle ne désirait que survivre. Survivre pour mettre à ses pieds tous ceux qui s'en étaient pris à son royaume.
La princesse écarlate avait rarement été aussi directe et agressive dans un échange avec son maître, mais sa colère était tout ce dont Kisuke avait besoin pour sauter le pas. Oubliant toute pitié, les résidents qui l'entouraient devinrent les sujets de ses expériences.
Et au bout d’une semaine, il descendit d’un étage.
En tant que Shinigami, Urahara n’était que peu familier avec les Enfers et leurs coutumes, mais il savait avec certitude que jamais de simples résidents ne franchissaient les limites de leur niveau. Il avait obtenu l'attention du seigneur en place.