Sentinelle du désespoir

Chapitre 2 : L'hiver des lâches

2108 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/09/2022 22:12

Chapitre 2 - L'hiver des lâches



Le Niveau VII était fort désagréable. C'était un lieu froid. Les flammes des Enfers l'entouraient pourtant, sur la grande dalle de pierre qui formait le sol, Kisuke ne voyait qu'une épaisse couche de cendres gelée jusqu'à l'horizon. Il comprit très vite ce qu'était le second cercle : ici régnait la peur. Celle qui glaçait les os, qui paralysait chacun de ses résidents, les empêchait d'agir ou bien de s'échapper. 

C'était un paysage déconcertant. De toutes les façons dont les Enfers avaient pu être décrites ou imaginées, personne n’avait jamais évoqué un grand froid et des cendres qui recouvraient le sol comme de la neige. Kisuke s'aventura avec détermination dans la nuée grise. Il sentait l'air glacé que créait la peur des occupants, mais au fond, il ne partageait pas leur frayeur. Peut-être parce que ce n'était pas là son tourment ?

Qui vivait au milieu de cet hiver sans fin ? Il eut bien vite la réponse : des âmes égarées, peureuses, sans une seule once de courage. Des lâches. Ils se rassemblaient en petits groupes, cherchant par tous les moyens à échapper… à quoi ou à qui, le Shinigami l'ignorait encore. 

Urahara se mêla à de nombreux camps, posa des questions qui n'eurent que peu de réponses et il comprit finalement ce qui traquait les âmes ici-bas. Un clan, d'anciens soldats d'une guerre d'un autre temps, venait de le trahir, préférant l'offrir en sacrifice aux Mange-peurs, comme les nommaient les résidents, plutôt que de perdre la vie.

Ces Mange-peurs étaient des créatures mi-loup mi-chien, peu attirantes. Pourvues de deux grandes griffes pâles à l'extrémité de leurs membres, elles portaient un voile noir écorché sur la tête. À moins que cela ne fut leur propre peau ? Le Shinigami n'avait pas eu le temps de chercher la nuance lorsqu'il les avait affrontées. 

Sans yeux, ni oreilles, elles n'avaient que leur museau pour sentir la peur qui émanait de leurs proies. Le squelette qui les constituait ressortait au niveau de leur dos, laissant apparaître leur colonne vertébrale ainsi que leurs côtes. Un atout évident pour se faufiler au milieu des corps gisant sur le sol et effrayer les damnés ; un point fragile dans leur constitution qui avait permis à Kisuke de prendre le dessus et de se libérer des monstres.

Leur pelage était embrasé, ainsi, les Mange-peurs produisaient en permanence de la fumée. Les âmes percevaient ces colonnes grises et noires comme le camp de leurs confrères. Un feu qui leur apporterait chaleur et réconfort. Mais au contraire, rien de plus que les tourments ou la mort ne les attendaient au bout de ce piège macabre.

Kisuke apprit à éviter tout ce qui erraient à cet étage. Les âmes étaient traîtresses, fourbes et déterminées à voir le Shinigami être dévoré à leur place. Les prédateurs étaient vifs et nombreux, mais jamais le Shinigami ne tomba dans l'un de leur piège : il évitait le feu qui était le signe des résidents. En de rares occasions, il se résignait à tuer quelques bêtes lorsque celles-ci le surprenaient dans la brume. Il espérait seulement que cela ne serait pas trop pénalisant pour ses futures négociations avec le seigneur des Enfers ou son émissaire.

Déambulant seul à travers l'étendue glacée, il n'avait plus prononcé un mot depuis son arrivée aux Enfers. Le silence était une compagnie étonnement agréable, laissant la place à ses pensées et aux murmures de Benihime qui s'éteignait lentement avec son Reiatsu. La compagnie des vivants lui manquait peu, lorsqu'ils perdaient sa concentration, son esprit allait à Yoruichi et Tessai qu'il avait abandonné sans explication. S'il sortait d'ici vivant, il faudrait encore qu'il survive à ces deux là… 

C'était finalement en se perdant qu'il approcha la nuée qui bordait l’étage. Le niveau était un cercle parfait, lévitant au-dessus du vide, et derrière cet épais nuage se cachait sans aucun doute la fin de cette dalle. 

C'était là qu'il l'aperçut depuis un amas de débris : l'Alpha, dominant de la meute qui terrorisait les résidents et sans nul doute le gardien de ce niveau. Urahara soupira, le visage crispé, c'était assez décevant. Converser avec un gardien, une "Sentinelle" des Enfers, aurait pu le mener au seigneur après une habile négociation, mais un gardien-bête compliquait les choses. Malheureusement, à chaque jour qui passait, le sceau continuait de progresser et les paroles de Benihime se faisaient de plus en plus rares. Il se résigna et décida de tenter le tout pour le tout, il n'aurait pas le temps de résoudre l'énigme de ce cercle : descendre à l'étage suivant n'était plus une option.

Dans un premier temps, il commença par regrouper les torches que confectionnaient les résidents. Faites d'os et de débris, leur feu représentait la seule source de réconfort du domaine. Pour s'en emparer, Urahara n'hésita pas à défier les résidents, sans s'interroger sur ce qui adviendrait de ceux qu'il tranchait sans remords. Ils étaient si faibles, il ne fallut que quelques assauts avant que le Shinigami ne leur inspire une crainte similaire à celle des Mange-peurs. Un détail qui ne manqua pas flatter l'homme, il éprouva une grande satisfaction à voir les visages se tordre à la vue de son haori blanc. Benihime n'avait pas volé son titre, intérieurement, la princesse écarlate se délectait de cette supériorité malgré son état.

En quelques heures à peine, l'ancien capitaine de la Douzième division alluma le plus grand brasier que le septième cercle ait connu. Les carcasses des bêtes qu'il avait vaincu, les torches et les abris conçus par les âmes et les corps de ses derniers, agonisants alors qu'ils tentaient de toucher le feu de leurs mains fébriles. Tout s'était embrasé. Le crépitement des flammes couvrit les cris effarés des survivants, puis un rouge vif et brûlant noya les alentours. Les Mange-peurs affluèrent en nombre — le feu étant habituellement le signe des proies qu'elles traquaient sans fin. Kisuke rit, un sourire menaçant sur son visage, bien heureux d'avoir retourné le piège des créatures contre elles.

Urahara repoussa les attaques une à une et chaque bête ainsi défaite alimentait son feu. Après quelques vagues, le protecteur de la meute se présenta enfin.

C'était un Mange-peurs bien plus imposant que ses frères. Il possédait également le drap enflammé sur son crâne, mais une lueur pâle comme la glace se dégageait depuis de ce tissu déchiré. Le Shinigami supposa qu'il était comme le reste des siens et ne possédait pas d'yeux, mais cette aura donnait réellement l'impression que l'Alpha le fixait continuellement du regard.

Guidée par la colère, la créature s'avança vers le Shinigami, relevant les babines pour exposer ses crocs ! Quelqu'un avait tué les siens et défiait encore son autorité, deux points inacceptables pour la Sentinelle.

Aucun des deux camps n'en demanda davantage pour déclencher la bataille. Avec Benihime à ses côtés, Urahara poussa la créature dans ses limites. Cela faisait bien longtemps que la princesse n'avait pas eu à affronter plus qu'une âme apeurée, la soif de la bataille provoquait une excitation inespérée. Le Kido, quant à lui, était d'une aide précieuse pour le Shinigami, la bête était certes d'une grande taille, mais elle était vive. Les techniques d'immobilisation offrirent des ouvertures et une fois le monstre piégé, Urahara se propulsa sur son dos.

"Kamisori, Benihime !", cria-t-il.

L'énergie écarlate qui se déploya depuis sa lame prit la forme d'une éruption sanglante et trancha la tête de la créature. 

Kisuke resta en position alors que cette dernière chutait lentement vers le sol. Il demeurait méfiant et concentré sur sa bataille. Ce n'était pas digne d'un gardien, ce monstre devait avoir d'autres options, une échappatoire. Mais le Shinigami n'eut pas le temps de voir le danger, même en l'ayant anticipé. En l'espace d'une seconde, une douleur immense se propagea depuis son épaule gauche et il fut projeté sur plusieurs mètres. La violence de l'impact n'était rien par rapport aux hurlements de son corps ou à la situation dans laquelle il s'était mis. La créature devant lui possédait maintenant trois têtes. L'une d'elles était figée dans sa direction — il pouvait sentir la haine derrière le halo de son regard —, la suivante était tranchée et les crocs de la troisième ensanglantés.

Un mélange de crainte et d'adrénaline envahit Kisuke, prenant le relais là où son esprit était trop occupé à chercher des raisons logiques aux nouvelles têtes de son adversaire et à sa douleur. Il aperçut finalement non loin de lui de son bras gauche, arraché par la puissante mâchoire qui lui faisait face.

"Bankai ! Kannonbiraki Benihime Aratame !" 

Les mots étaient venus naturellement, la seule réponse possible qui lui offrirait une chance de poursuivre le combat.

La grande dame pâle apparut derrière lui, de longs fils d'acier, fins comme une lame de maître, descendaient de ses mains. Ils emportèrent le bras et, avec une étonnante forme de grâce, vinrent le recoudre à sa place sur le corps du Shinigami. La manche déchirée de son haori laissait désormais apparaître cette nouvelle cicatrice, un détail sans intérêt ce jour-là, un futur sujet à justifier auprès de Yoruichi… Kisuke ferma plusieurs fois le poing, les dents serrées. La rapidité des événements ne lui avait pas permis de s'attarder bien longtemps sur cette sensation pour le moins perturbante et très éprouvante. Jamais encore, il n'avait eu recours à son Bankai avec autant de précipitation. C'était au contraire un atout qu'il préférait garder secret, même dans des situations que d'autres auraient pu qualifier de désespérées.

Le combat repris alors avec bien plus d'intensité, Urahara ne devait surveiller pas une, mais deux têtes s'il ne souhaitait pas revivre cette expérience ou pire. Avec son Bankai toujours actif, il cisailla lentement la bête, laissant les fils couper la chair d'eux même et la perte de sang ralentir le gardien, ses mouvements étant bien trop douloureux. Le Shinigami visa alors ces points faibles nouvellement créés et la bataille tourna rapidement à son avantage. Il contourna son adversaire, esquiva les griffes, utilisa le Shunpo pour quitter la portée des crocs et se retrouva prêt à porter le coup final :

"Kamisori, Benihime !"

Mais rien ne se passa comme prévu, au contraire, sa princesse s'écroula sous ses yeux. La dame pâle s'effaçait petit à petit, ses longs cheveux écarlates et son visage à moitié enseveli par la neige de cendre. Un rapide coup d'œil en direction de son zanpakuto suffit à Kisuke pour le voir reprendre sa forme originale. "Non, non, non ! pensa-t-il. Encore un instant ! Benihime !", le prénom n'était plus une pensée, mais un cri d'effroi qui lui avait échappé. Il ressentit alors le froid glaçant du niveau comme jamais auparavant et réalisa qu'il avait peur. Peur du silence qui ignorait ses appels. Ses pouvoirs disparaissaient avec ses espoirs, et la voix qui l'accompagnait depuis toujours, avec qui il avait partagé sa vie et sa conscience, se tut.

La rage prit le contrôle de son corps et de ses décisions, il n'avait pas fait tout ce chemin pour rien. Ni le Central 46, ni Aizen ne serait gagnant : personne ne le séparerait de Benihime. Il jugea la simple lame dans sa main tremblante. Ce serait bien plus que suffisant. Son adversaire saignait lentement vers la mort alors Kisuke s'élança, déterminé à l'achever. Il trancha les tendons de ses pattes, brisa deux cotes à la bête pour se hisser à nouveau là où il pourrait atteindre son cou. Il était fin prêt à détruire une nouvelle tête quand la bête disparut soudainement dans les flammes.

Urahara heurta lourdement le sol avec surprise. Il n'y avait rien, plus aucune trace du gardien et de leur duel. Alors l'ancien capitaine sourit simplement, le gardien pouvait bien mourir ou survivre, lui avait atteint son second objectif.


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