The New Substitute
Cet après-midi là, Shûhei conta à Izuru le récit de ses aventures dans une promenade mollassonne non loin des rues animées du Seireitei.
– Donc, ils voudraient conquérir la Soul Society pour prendre le contrôle des mondes qui y sont reliés ? résuma le blond.
– Apparemment.
Izuru remarqua l’absence d’intérêt total de son meilleur ami pour leur conversation ; depuis qu’ils s’étaient retrouvés, suite à l’incident survenu le matin-même, Shûhei semblait dans le vague, l’esprit ailleurs.
– Dis, qu’est-ce qui te tracasse, Hisagi ?
– Rien, ne t’en fais pas.
– Ce ne serait pas la jolie Tsunata qui te perturbe, par hasard ? dit-il d’un ton accusateur.
Le ténébreux de la Neuvième Division s’empourpra brutalement tandis qu’il considéra son ami de toujours avec des yeux arrondis à la perfection.
– C’est ce que je pensais, sourit Izuru, victorieux.
– Absolument pas ! protesta Shûhei.
– Tu veux savoir quoi à son sujet ? continua le blond.
– Rien du tout ! vociféra-t-il.
– Ah oui ? Dommage.
Izuru reprit donc sa route, laissant derrière lui un Shûhei tout penaud.
– Comment ça « dommage » ? s’enquit ce dernier.
Le Vice-Capitaine de la Troisième Division marqua l’arrêt et se tourna vers lui.
– C’est vrai qu’elle ne ressemble pas à la fille de tes rêves : elle n’est pas très grande, elle a une couleur de cheveux peu banale mais pas originale, ce n’est pas quelqu’un de faible, et encore moins une femme au foyer qui attend bien sagement le retour de son mari le soir…
– Ça va, l’interrompit le brun. Je disais ça pour que vous me lâchiez, toi et Rangiku. Et puis d’abord, depuis quand est-ce que vous êtes comme cul et chemise, tous les deux ?
– Quoi, t’es jaloux ?
A dire vrai, Shûhei n’éprouvait pas la moindre jalousie à leur encontre ; il était heureux que ses deux amis se soient trouvés et soient aussi complices. Bien sûr, il fût un temps où Rangiku représentait à elle seule l’idéal féminin du ténébreux, comme à beaucoup d’autres dans le Seireitei. Cependant, il avait toujours su au fond de lui qu’il ne se passerait jamais rien entre eux, si ce n’est une sincère amitié. Cela ne le touchait donc pas davantage de savoir qu’elle et Izuru entretenaient à présent une relation plus étroite et fusionnelle que par le passé ; en réalité, il en était le premier ravi.
De plus, il fallait être honnête : depuis sa rencontre avec la mystérieuse Tsunata Nara, rien d’autre n’avait une quelconque importance à ses yeux. Cette Shinigami remplaçante soulevait beaucoup trop de questions pour qu’il ne songe à autre chose.
Toutefois, il était certain que s’il en faisait part à son binôme, celui-ci se méprendrait sur ses réelles intentions et ne le lâcherait plus d’une semelle avec cette histoire. Aussi décida-t-il de lui répondre :
– Ça m’a surpris, c’est tout.
– Tant mieux, lui sourit sincèrement Izuru. Pour en revenir à ta question, figure-toi que c’est grâce à elle que Rangiku et moi sommes devenus plus proches.
– A elle ? répéta Shûhei, un sourcil rehaussé.
– Tsunata, dit-il en haussant les épaules, qui d’autre.
Sans réel motif, les joues du ténébreux se colorèrent soudainement. N’en tenant guère compte, son meilleur ami lui expliqua :
– Quand t’es parti, ça m’a laissé pas mal de temps pour ruminer seul, dans mon coin, ce qui s’était passé ici depuis la trahison d’Aizen. Le lendemain de ton départ, Urahara-san et Kurosaki-san l’ont emmené dans le bureau du Capitaine-Général afin de voir si elle pouvait obtenir le titre légitime de remplaçante, ce qu’il a accepté aussitôt.
Shûhei remarqua qu’à ces mots, Izuru émit un demi-sourire.
– Une fois, continua-t-il, je l’ai croisé dans la forêt qui longe Rukongai. Elle était avec Rangiku et semblait la réconforter. Je me suis approché pour voir ce qu’il se passait. Elle m’a pris à part et m’a expliqué que c’était la mort du Capitaine Ichimaru qui la mettait dans cet état. Elle savait que j’en avais souffert, moi aussi, et m’a poussé à aller la voir pour qu’on puisse en parler. On a discuté toute la nuit sans même nous en rendre compte. Au début, la conversation tournait exclusivement autour d’Ichimaru et des souvenirs qu’on avait de lui, puis on a dérivé sur nos passés, et on a fini par parler de tout et de rien. Ça nous a fait beaucoup de bien de nous confier l’un à l’autre alors, depuis, on a pris l’habitude de se retrouver chaque fois qu’on en a l’occasion. C’est comme ça qu’on s’est autant rapproché.
Shûhei s’en voulut de n’avoir pris en compte plus tôt la souffrance de ses deux amis, alors que lui-même en partageait une similaire.
Il riva ses yeux argentés sur le sol et dit avec une pointe de remords :
– Je suis heureux que vous puissiez vous confier l’un à l’autre et aller de l’avant ensemble. Ichimaru était quelqu’un de bien, à sa manière.
– Oui, acquiesça Izuru avec nostalgie. Tu sais, toi aussi tu pourrais avoir ce genre de relation avec quelqu’un si tu voulais bien t’ouvrir un peu plus aux autres.
– Ah oui ? Et avec qui ?
– Tsunata, par exemple.
Le cœur de Shûhei rata un battement.
– Qu… Quoi ? bégaya-t-il. Absolument pas ! Et puis, je la trouve bizarre !
– Elle l’est un peu, en effet ! ricana Izuru. Au début, je dois t’avouer que je pensais que le Capitaine-Général devait sérieusement être en manque de présence féminine pour accepter un boulet pareil parmi nos rangs, mais elle me l’a fait vite regretter. Elle est très forte, peut-être même plus qu’Ichigo Kurosaki, et c’est une personne vraiment bien. Tu devrais lui accorder plus de crédit, je pense que tu ne le regretteras pas.
– Je ne crois pas, dit-il froidement. Et puis, elle a Kurosaki.
– Je n’insisterai pas comme pourrait le faire Rangiku, mais tu finiras par t’apercevoir qu’elle en vaut le détour. En plus, tu te méprends sur Kurosaki-san et elle. Ils ne sont que…
Un grand vacarme interrompit Izuru dans son discours. Lui et Shûhei échangèrent un regard entendu avant de se précipiter vers la clairière voisine, épicentre de cette cacophonie assourdissante.
Un épais nuage de poussière se répandait dans l’atmosphère, ne laissant aux deux amis qu’un champ de vision réduit. Cependant, plus ils s’approchaient, plus la voix irritante du fils Kurosaki devenait reconnaissable.
– T’as que ça dans le ventre ? vociféra ce dernier.
– Je peux te battre sans arme si l’envie m’en prend, alors la ferme !
Le Vice-Capitaine de la Neuvième Division reconnut sans peine la propriétaire de la seconde voix, bien plus mélodieuse que celle du rouquin de Karakura.
– Quoi ? hurla Ichigo. Alors là, ma p’tite, j’demande à voir !
La brume s’estompa, aussi les deux Shinigami purent apercevoir Ichigo Kurosaki et Tsunata Nara se faire face.
– Tiens, quand on parle du loup… crut bon d’ajouter Izuru.
A priori, les adversaires ne s’étaient pas laissé perturber par l’arrivée soudaine de leurs spectateurs. Shûhei en profita pour détailler la Shinigami remplaçante qui occupait ses pensées : bien loin de son regard pétillant de vie du matin-même, elle arborait un faciès glacial trahissant sa détermination à remporter le prochain affrontement, tandis que ses longs cheveux dorés virevoltaient au gré du vent.
Izuru perçut au même titre que le ténébreux le sérieux de Tsunata et remarqua que son opposant n’allait pas non plus se contenter de faire dans la demi-mesure. Il saisit alors l’épaule de Shûhei et le traîna à sa suite.
– On devrait reculer un peu, je pense.
Sans même prêter attention au fait que son meilleur ami le tirait en arrière, le ténébreux continua de fixer la jeune femme. Tsunata semblait vraiment menaçante et, pourtant, elle ne possédait sur elle aucun sabre. Pas même un fourreau n’ornait sa tenue traditionnelle, rien. Comment pouvait-elle se prétendre à la mesure du Shinigami remplaçant si elle n’avait pas de zanpakutô ?
Celle-ci leva son bras droit face à elle, conservant l’air glacial qui avait imprégné son visage, tandis que le Shinigami écarquillait ses yeux bruns à leur paroxysme.
– Attends, t’es pas sérieuse là quand même ?
– Je n’ai qu’une parole, affirma-t-elle. Arme-toi, ou je devrai expliquer à Orihime pourquoi elle ne te reverra jamais.
– Quoi ? pesta Ichigo. Qu’est-ce qu’Inoue vient faire là-dedans ?
Pour toute réponse, Tsunata pointa deux doigts vers lui, indiquant qu’il devait se presser s’il ne voulait pas par la suite amèrement le regretter. Ichigo saisit alors Zangetsu et le tint face à lui, anxieux quant à la tournure qu’allaient prendre les événements.
Shûhei, connaissant plus ou moins bien les pouvoirs du sabre du suppléant de Karakura, savait que si elle se prenait une attaque de plein fouet, Tsunata ne s’en relèverait pas. Cette idée le glaça sur place : il s’inquiétait de son sort, c’était indéniable. Aussi, il ne pût se contenir et s’époumona :
– Kurosaki, ne fais pas ça !
Alors qu’il tenta de s’approcher des deux adversaires, Izuru le retint par l’avant-bras et lui intima de rester en retrait. Shûhei, affolé, ne sut plus quoi faire pour mettre un terme à cette situation tragique.
Les deux autres, loin de s’être aperçus de la mise en garde du Vice-Capitaine de la Neuvième Division, concentrèrent leur reiatsu et prononcèrent synchroniquement :
– Getsuga Tenshô !
– Souffle Blanc !
Deux puissantes énergies fondirent l’une sur l’autre et se heurtèrent de plein fouet. L’onde de choc provoquée coucha les spectateurs en une fraction de seconde et leur coupa le souffle.
L’intensité surréaliste de la collision des deux attaques suffit à convaincre Shûhei que c’en était fini de la mystérieuse Shinigami remplaçante. Une quantité innombrable de ressentiments lui nouèrent la gorge : pourquoi ? pourquoi ne s’était-il pas interposé avant qu’un tel drame ne survienne ? Une fois de plus, la Soul Society allait sombrer dans le deuil, dont le crédit lui en revenait partiellement.
C’est alors qu’un détail le frappa : l’incantation de Tsunata ne ressemblait en rien à une formule de kidô, et ce ne pouvait être le nom de son Shikai, puisqu’elle ne possédait – à sa connaissance – pas de zanpakutô. Alors, qu’était-ce ?
Le calme revint progressivement dans la clairière voisine des habitations du Seireitei, seulement perturbé par quelques râles de souffrance. Lorsque la vue fut de nouveau accessible, Shûhei redressa rapidement son visage. Il se remit debout et entama sa course vers le lieu de l’affrontement, suivit de près par Izuru.
Tandis que son cœur martelait contre sa cage thoracique, le ténébreux ne ralentit pas. C’est uniquement lorsque lui et son meilleur ami arrivèrent à quelques mètres de leur destination qu’il se stoppa net, bouche bée, devant une scène dont le blond de la Troisième Division n’avait pas douté : Tsunata Nara se tenait debout, impeccable, sans la moindre égratignure, alors que son coéquipier – et occasionnellement adversaire – gisait au sol. Une plaie béante ornait son torse saillant ; il haletait, et crachait quelques giclures de liquide rougeâtre.
Shûhei n’en revint pas ! L’issue de ce combat lui parut complètement invraisemblable. Cette fille avait battu Ichigo Kurosaki, le sauveur des mondes, à mains nues ! Elle avait arrêté son Getsuga Tenshô par la seule force de son étrange attaque, sans la moindre arme à son appui, et avait infligé au jeune homme une sévère blessure.
– Qu’est-ce que… s’étrangla Shûhei.
Le visage de Tsunata laissa de nouveau paraître ses émotions ; son regard brillait d’une étrange lueur et ses lèvres se tordaient dans une grimace d’effroi.
– Ichigo ! souffla-t-elle.
Sans réfléchir une seconde de plus, elle accourut à ses côtés et s’agenouilla près de lui. Les Vices-Capitaines, jusqu’ici restés en arrière, suivirent la Shinigami remplaçante et se précipitèrent au chevet d’Ichigo. Arrivés à leur niveau, Shûhei remarqua que la panique avait gagné la jeune femme : son corps frissonnait tandis que son souffle s’entrecoupait de façon anarchique.
– Ichigo, fit-elle d’une voix douce et tremblante, pardon…
– Idiote, sourit-il difficilement. Ne… ne t’excuses pas, tu m’as eu.
– La ferme, crétin ! paniqua-t-elle. Tu vas aggraver ta blessure !
Izuru posa sur son épaule une main apaisante. Alors qu’elle se tournait dans leur direction, Shûhei remarqua avec peine les cernes d’inquiétudes qui soulignaient ses yeux d’un vert si particulier. Alors que cette vision le chamboulait plus qu’il ne l’aurait cru, le visage de Tsunata s’illumina à la simple vue du ténébreux. Néanmoins, elle détourna le regard pour se concentrer de nouveau sur le vaincu blessé.
– Il faut appeler la Quatrième Division, décréta Shûhei.
– Non, trancha Tsunata.
Il écarquilla ses yeux gris sous l’incrédulité : cette fille s’apitoyait sur le sort de son compagnon, mais refusait de le soigner ? Il ne comprenait rien, si ce n’est qu’elle avait le don de le faire tourner en bourrique.
Mais Izuru, lui, avait parfaitement saisi les intentions de la blonde. Inquiet, il prononça dans un souffle :
– Non, tu ne vas pas faire ça ?
Tsunata garda le silence, faisant comprendre à Ichigo la gravité de la situation.
– Tsu… Tsunata, peina-t-il à articuler, je… je t’interdis de faire ça.
Toujours aucune réponse de sa part. Le lycéen tenta tant bien que mal d’accrocher son regard, mais le fait qu’elle le fuit sans vergogne ne fit que confirmer ses soupçons.
– Tsunata ! s’écria Ichigo dans un effort surhumain. Non !
– La ferme, dit-elle d’un ton sec.
– Tsunata, renchérit Izuru, c’est trop dangereux ! La blessure est trop profonde !
– Tsunata !
– Tsunata !
– Il me semble vous avoir dit de la fermer ! hurla-t-elle.
Une puissante aura rose pâle engloba sa silhouette et repoussa de quelques pas les deux hommes placés derrière elle, les dissuadant de tenter une nouvelle fois de l’arrêter.
– Tsunata… souffla douloureusement Ichigo.
– Permutation !
Elle plaqua soudainement ses mains contre la large entaille de son coéquipier, faisant jaillir de cette dernière une lumière blanche éblouissante. Le phénomène ne dura en tout et pour tout qu’une poignée de secondes, mais l’intensité fut telle que Shûhei et Izuru crurent qu’une éternité venait de s’écouler.
La clarté s’estompa progressivement, avant qu’un bruit sourd ne résonne.
– Idiote ! s’égosilla Ichigo.
Comment une simple bagarre, à la base amicale, avait-elle pu dégénérer de la sorte ?
Shûhei ouvrit les yeux et fut saisi par l’horreur : le corps de Tsunata, face contre terre, paraissait totalement inerte ; une marre de sang naissait sous sa poitrine et s’écoulait le long des brindilles d’herbe voisines. Ichigo, quant à lui, se portait comme un charme : hormis ses yeux bruns ouverts à l’extrême, il ne possédait sur lui plus le moindre traumatisme de leur précédent affrontement. Adossé contre un mur, prit de panique, il peinait à respirer et n’osait toucher sa coéquipière, de peur d’aggraver ses maux.
Shûhei, lui, ne se posa aucune question de ce genre ; il se précipita vers Tsunata et la souleva légèrement, seulement de quoi pouvoir la retourner. Installée dans ses bras, elle était inconsciente, et son corps tout entier frissonnait par la hausse de sa température interne. Elle haletait, tandis qu’un filament de liquide pourpre s’écoulait par la commissure de ses lèvres. Son kosode, toujours fermé, était peu à peu maculé d’une énorme tâche chaude et humide qui prédominait sur sa poitrine. Cela ne laissa rien présager de bon. Pour tenter de se rassurer, le Vice-Capitaine effleura avec délicatesse la zone aqueuse qui le préoccupait tant, avant de constater que ses craintes étaient fondées : la peau de ses doigts était couverte de sang. Une importante plaie semblait se dissimuler derrière le vêtement de la Shinigami.
Il entreprit de le défaire pour analyser l’ampleur des dégâts, mais fut bien vite interrompu par la voix éreintée du suppléant à la chevelure flamboyante.
– J’peux savoir ce que tu fous avec elle, pervers ? siffla Ichigo.
– Elle est blessée ! hurla Shûhei. Il faut la soigner !
Le brun, affolé, serrait précieusement la jolie blonde contre lui.
– Elle respire ? demanda Izuru.
– Oui, balbutia le ténébreux.
– Alors elle va bien, se calma Ichigo. Quelle crétine ! Elle aurait pu y rester !
– Tu la connais, s’exaspéra Izuru, impossible de lui faire entendre raison.
Dire que Shûhei ne comprenait rien à rien aurait été un euphémisme ; il y avait de ça quelques secondes, les deux étaient tout aussi paniqués que lui, n’osant même pas approcher la blessée de trop près, et maintenant, ils employaient un comportement totalement détaché.
– J’peux savoir ce qui vous prend ? siffla-t-il.
– Ça ne sert à rien de t’affoler, Hisagi, assura Izuru. Elle va s’en remettre, regarde.
Il se pencha vers Tsunata, toujours inconsciente, et descendit son kosode avec précaution jusqu’au-dessus de sa poitrine : seule une mince entaille subsistait, et son état se calmait.
Shûhei en resta pantois, les yeux écarquillés ; la vitesse de guérison de Tsunata était impressionnante.
– Comment ? souffla-t-il.
– C’est Tsunata, dit Ichigo, c’est tout.
Ah ! quelle réponse pertinente. Le Vice-Capitaine comprit alors qu’il n’en aurait pas fini d’en voir de toutes les couleurs avec ces deux là. Toujours est-il qu’il se sentait grandement soulagé de constater que la jeune femme ne saignait plus abondamment, comme il en avait été question quelques instants auparavant. Il se permit donc de pousser un léger soupir, lorsque le rouquin grogna :
– N’en profite pas non plus pour la tripoter, sale vicieux.
– Pour qui tu me prends ? rougit furieusement Shûhei.
– Vous pourriez arrêter de crier, s’il vous plaît…
La faible voix de la Shinigami remplaçante les ramena à la réalité. Shûhei dirigea son attention sur elle, toujours prisonnière de ses bras puissants : Tsunata, sortant de son état léthargique, peinait grandement à ouvrir synchroniquement ses deux yeux. Cependant, lorsque ce fut chose faite, le cœur du ténébreux s’emballa ; la couleur de ses iris était vraiment intense, il ne pouvait pas le nier.
Sans crier gare, la main de la jeune femme agrippa le kosode de Shûhei et le serra du mieux qu’elle le pût. Le contact de ses doigts sur sa peau hâlée électrisa le ténébreux. Alors qu’il s’empourprait, Tsunata l’analysa brièvement avant de plonger son regard, marqué de cernes noirs, dans le sien.
– Hi… Hisagi-san ? balbutia-t-elle.
Shûhei tressaillit.
– Nara-san ? s’empressa-t-il. Ça va ?
– Oui, juste… un peu fatiguée.
– Tu nous as fait peur, blondinette, sourit Izuru.
Un maigre sourire se forma à son tour sur les lèvres de Tsunata, encore tremblantes.
– Si c’est pour nous faire des frayeurs comme ça, on ne se battra plus, ma p’tite ! la gronda Ichigo. Imagine si t’étais morte, comment j’aurai fait, sale égoïste ? Et Inoue, t’y penses à elle ?
– La ferme…
– Ma parole, tu sais dire que ça ? s’enflamma le lycéen.
Le Vice-Capitaine de la Neuvième Division se surprit à glousser face au comportement des deux partenaires.
Interloquée, Tsunata le détailla dans son intégralité : déjà lors de leur rencontre, elle avait été frappée par son charme, mais le voir sourire de la sorte lui donna quelques rougeurs discrètes tandis que son rythme cardiaque accéléra de façon non négligeable.
Remarquant la réaction de sa coéquipière, Ichigo se racla bruyamment la gorge.
– Dis donc, Hisagi-san, ça va ? La vie est belle ? T’as pas l’impression d’être un peu trop près d’elle ?
Shûhei réalisa qu’il serrait toujours Tsunata avec poigne contre lui. Les joues en feu, il entreprit de l’éloigner.
– Pa… pardon ! bafouilla-t-il.
Mais sa tentative avorta lorsque, contre toute attente, la blonde serra fermement le haut de son shihakushô, le dissuadant de poursuivre son geste. Son dos se cambra faiblement sous l’effet des vestiges de ses anciennes blessures. D’une voix épuisée, elle prononça dans un soupir :
– Non.
– Nara-san ? fit Shûhei, ahuri.
– Je veux… rester ici.
Le cœur battant la chamade et le souffle saccadé, le ténébreux la considéra silencieusement, le regard vibrant.
Comprenant qu’une fois de plus il n’arriverait pas à faire entendre raison à sa tête-de-mule de coéquipière, Ichigo se renfrogna.
– C’est pas vrai, dit-il en se tapant le front. Bon, Hisagi-san, on va la ramener chez elle. Ça te dérange de la porter ?
– Euh, non, aucun problème.
– Bien ! Suis-moi.
– Je dois vous laisser, les coupa Izuru, mon Capitaine m’attend. Tsunata, repose-toi et reviens vite, sinon Rangiku va devenir complètement folle et tu risques de la voir débarquer chez toi en furie.
– Oui, sourit-elle difficilement.
Puis il s’évapora dans un shunpo.
– Tu te sens prête ? demanda Shûhei à Tsunata. Je peux te soulever ?
Elle hocha positivement son petit minois à bout de force. Shûhei posa son pied gauche à terre pour s’en servir d’appui et parvint à se lever ; la remplaçante était encore plus légère que ce à quoi il s’était attendu. Seulement, lorsqu’il fut debout, Tsunata grimaça de douleur. Pris de panique, il la scruta entièrement du regard.
– Ça va aller ? s’affola-t-il. Je t’ai fait mal ?
– Non, tout va bien…
Une quinte de toux prit la blonde au dépourvu. Lorsqu’elle ôta la main qu’elle avait préventivement placée devant sa bouche, elle constata que quelques gouttelettes rougeâtres au goût de fer la souillaient.
Shûhei et Ichigo, témoins de la même scène, écarquillèrent les yeux d’un commun accord.
– Hé, Tsunata, qu’est-ce que tu fous ? s’inquiéta le roux.
– Il faut se dépêcher ! décréta Shûhei. Une fois chez elle, on ira chercher la Quatrième Division !
Sans prendre la peine de répondre, Ichigo s’élança dans une direction, talonné de près par le Vice-Capitaine de la Neuvième Division.
Après plusieurs minutes de course effrénée, ils s’arrêtèrent devant une charmante maisonnette, entourée d’autres d’un style architectural similaire, dans un des nombreux quartiers habités du Seireitei. Ichigo fit coulisser la porte d’entrée en catastrophe, dévoilant l’intérieur de l’habitat de la nouvelle arrivante.
L’odeur sucrée de Tsunata embaumait la pièce principale tandis qu’un rayon orangé filtrait par la fenêtre située à la tête du lit occidental de la jeune femme. Une commode à proximité de ce dernier, surplombée d’un miroir ovale, était couverte de produits et accessoires de beauté : rien d’extravagant, seulement quelques brosses de diverses tailles et morphologies, un spray coiffant, un flacon de parfum, et quelques pinces à cheveux. Une bibliothèque portant quelques dizaines de grosses encyclopédies ainsi que des ouvrages de poche habillait le mur adjacent. Sur un meuble semblable à un secrétaire se trouvaient entreposés quelques sachets cartonnés provenant du monde des humains qu’elle avait sans doute ramené avec elle le matin-même.
Shûhei franchit timidement le seuil de l’entrée, détaillant attentivement chaque recoin du petit logis de celle qu’il tenait toujours dans ses bras.
– Pose-la sur le lit, dit Ichigo d’un ton autoritaire.
Le ténébreux s’exécuta et la déposa délicatement sur son matelas molletonné.
Une nouvelle grimace de souffrance déforma le visage de Tsunata, provoquant un pincement au cœur du Vice-Capitaine.
– Je vais chercher les membres de la Quatrième Division, assura-t-il.
Soudain, quelque chose agrippa son poignet avec une douceur jusque là inédite pour lui, l’interrompant dans son dessein. Shûhei se tourna et constata que Tsunata l’empêchait de s’éloigner davantage d’elle.
– Nara-san ? fit-il.
– Reste… souffla-t-elle.
– Il y a Kurosaki pour veiller sur toi. Je reviens avec des renforts.
Les doigts de la jeune femme se resserrèrent autour de leur prise.
– S’il te plaît… supplia-t-elle.
Il voulut d’abord la raisonner, voyant que la fatigue mêlée à la douleur la faisait complètement divaguer, mais une main sur son épaule mit un terme à ses réflexions.
– Reste avec elle, suggéra Ichigo. Si elle te le demande, c’est que ta présence lui fait du bien.
Il ôta sa main de l’épaule du Shinigami et la passa dans ses cheveux cuivrés.
– Rah, quelle idiote ! maugréa-t-il. Fallait bien que ça arrive, quelle plaie ! Bon, veille sur elle pendant mon absence. Et que j’apprenne pas que t’en as profité, OK ?
– Sérieusement, Kurosaki, tu me prends pour qui ? s’enflamma Shûhei.
Le remplaçant lui adressa un sourire narquois et annonça dans l’encadrement de la porte :
– Au fait, elle ne supporte pas qu’on l’appelle par son nom de famille alors, tu devrais t’abstenir si tu ne veux pas l’énerver.
Sur ce, il quitta la demeure de son amie aux cheveux blonds, la laissant seule avec le Vice-Capitaine.
Ce dernier, complètement hébété, la contemplait de bas en haut. Tsunata, cédant peu à peu au sommeil, relâcha son emprise sur le poignet de Shûhei tandis que son bras tombait lentement contre ses draps.
Le ténébreux s’avança vers elle et toucha son front. Constatant qu’il était anormalement chaud, il partit à la recherche d’une bassine et de quelques serviettes.
Avec douceur, il humecta d’eau fraîche un des tissus-éponges qu’il avait déniché et le posa contre le front brûlant de la suppléante, la faisant frissonner. Puis, il redescendit le kosode de la jeune femme, comme l’avait précédemment fait Izuru, et nettoya sa plaie. Shûhei fronça les sourcils sous la stupeur : la blessure de Tsunata n’était plus qu’un lointain souvenir, seul le liquide pourpre qui s’était échappé de ses veines demeurait sur sa peau porcelaine.
Il l’épongea donc soigneusement, jusqu’au moment où il prit du recul sur la situation : sa main touchait en partie l’atout féminin plantureux de la Shinigami ; pas de grand-chose, seulement ce qu’il avait découvert un peu plus tôt. Mais cette constatation suffit à lui faire effectuer un bref bond en arrière tandis qu’il essuyait nerveusement le filet de sang qui s’échappait de sa narine droite, les joues cramoisies.
Quel pervers ! Il comprenait maintenant pourquoi Ichigo Kurosaki ne lui faisait pas confiance, car il ne pouvait s’empêcher de penser à la jeune femme sous des angles qui en feraient rougir plus d’un.
Elle le mettait dans tous ses états, elle plus que n’importe quelle autre : d’un côté, son caractère de feu l’agaçait au plus haut degré et, de l’autre, cet adorable minois, ses yeux d’un vert si perçant et son sourire lumineux l’obsédaient.
Que lui avait-elle fait ?