The New Substitute
Les premières lueurs orangées du soleil s’emparèrent des rues assombries de la Soul Society.
Un rayon étonnamment chaud pour la saison pénétra par la fenêtre de la nouvelle Shinigami remplaçante au service du Seireitei et vint narguer sa peau dénudée, l’extirpant des bras de Morphée.
Tsunata ne se souvenait plus réellement des évènements de la veille, si ce n’est qu’une fois de plus, alors qu’ils s’entrainaient, Ichigo l’avait provoqué sur l’absence de son sabre ; excédée, ils avaient fini par en venir aux mains, au plus grand damne des malheureux arbres qui s’étaient trouvés sur leur passage. A la fin, elle avait juré qu’elle pourrait le battre sans arme, et cet idiot avait relevé le défi. Le reste n’était que brouillard pour la jeune femme, mais ses courbatures abdominales la laissèrent imaginer la tournure qu’avaient prise les choses.
Elle se redressa péniblement et remarqua le sang coagulé qui maculait son kosode. L’écartant partiellement, elle s’étonna de trouver sa peau si propre. Intriguée, la Shinigami se mit debout – non sans chanceler sérieusement – et se rendit vers la cuisine qu’elle s’était improvisée dans les appartements que le Commandant lui réservait lors de ses visites récurrentes dans le monde spirituel, faute de mieux : personne ne s’y trouvait, hormis quelque chose qui flottait dans l’évier, aussi en vida-t-elle le contenu et comprit que, à en juger par la couleur rougeâtre qu’avait l’eau souillée, quelqu’un avait probablement nettoyé ses plaies. Seulement, qui ?
Cette question en suspens, Tsunata s’accorda une douche qu’elle estima amplement méritée, enfila un shihakushô propre, se coiffa rapidement en s’attardant toutefois sur sa longue frange, puis sortit de sa demeure.
Dieu soit loué ! elle n’allait, pour une fois, pas être en retard à son entraînement quotidien. Le combat contre Ichigo s’était tenu en fin d’après-midi et, selon les options qui se présentaient à elle quant à la suite de sa journée de la veille, sa perte de connaissance avait dû survenir peu de temps après ; il ne fut donc pas étonnant qu’elle soit si matinale, aujourd’hui.
Arrivée sur le lieu où elle se rendait chaque matin lorsqu’elle se trouvait dans le Seireitei – et qu’elle se réveillait à l’heure –, elle sourit chaleureusement à ses maîtres d’apprentissage.
– Tiens, Tsunata ! fit un jeune homme au crâne lisse. Ça faisait longtemps !
– Et pour une fois en plus, tu n’es pas en retard, constata son acolyte plus coquet. Serais-tu tombée du lit, ce matin ?
– Salut, Ikkaku et Yumichika ! s’enjoua-t-elle. Bon, on commence ?
Ikkaku Madarame et Yumichika Ayasegawa, deux célèbres combattants de la Onzième Division, lui sourirent à leur tour tandis qu’elle s’arma d’un sabre en bois, plus déterminée que jamais à devenir une meilleure Shinigami.
Cette nuit-là avait été très agitée pour Shûhei Hisagi.
Après avoir constaté l’effet que lui faisait la nouvelle remplaçante du Gotei 13, le ténébreux avait tout mis en œuvre pour garder ses distances vis-à-vis de la concernée, conservant néanmoins un œil attentif à l’évolution de son état ; lorsqu’une équipe de la Quatrième Division était enfin arrivée, il était sorti le temps de l’auscultation, profitant de ce court laps de temps pour reprendre au mieux ses esprits.
Le jeune Hanatarô Yamada, aujourd’hui Cinquième Lieutenant de sa Division, avait certifié que Tsunata allait bien, qu’elle dormait paisiblement et que le brun ferait bien d’en faire de même. Shûhei s’était donc plié à sa volonté et était rentré chez lui.
Durant toute sa traversée – et même après –, il s’était questionné sur les raisons de son attitude envers la blonde. Le corps des femmes avait toujours eu un certain effet sur lui, c’était indéniable, mais jamais d’une telle manière. D’ailleurs, il n’y avait pas que son corps qui le perturbait de la sorte : c’était un tout, et ce depuis que leurs regards s’étaient croisés.
Shûhei avait ruminé sa rencontre avec la jeune femme mi-Shinigami mi-humaine jusqu’à ce que les premiers rayons du Soleil viennent annoncer le début de cette nouvelle journée. Impossible, il n’avait pas trouvé le sommeil ! Pourtant, les nuits blanches n’étaient pas un luxe qu’il pouvait se permettre, pas après son éprouvante et interminable mission d’un mois ! Il s’était donc tiré de son futon avec une humeur déplorable, des cernes noirs ancrés sous ses yeux agressés par la lumière qui inondait progressivement le Seireitei.
Le Vice-Capitaine était épuisé, et pas seulement sur le plan physique : son cœur lui jouait des tours et le faisait souffrir un peu plus chaque jour. La sensation que son âme se noyait peu à peu dans un déluge sans fin l’angoissait tant elle l’anéantissait.
A présent, arpentant les rues éveillées de la ville des Shinigami, Shûhei était plongé dans ses noires pensées au point de n’entendre aucun des nombreux soldats qui le saluaient sur son passage. Tous ces sentiments désagréables qu’il ressentait depuis quelques temps déjà avaient été amplifiés depuis sa rencontre avec la jolie blonde : une chose en elle le tourmentait, mais il n’aurait su dire quoi ; aussi, la meilleure solution à son humble avis restait de garder ses distances avec la jeune femme, ne serait-ce que le temps pour lui de s’éclaircir les idées.
Soudain, sans crier gare, il reçut une énorme claque dans le dos, coupant définitivement court à ses rêveries dépressives. Après un sursaut, la main sur son fidèle Kazeshini, il entendit la voix de Rangiku.
– C’est comme ça qu’on traite une femme dans la Neuvième Division ? s’offusqua-t-elle.
– Rangiku ? s’étrangla-t-il.
– En personne ! s’exclama cette dernière. Ça fait dix minutes qu’on t’appelle, Izuru et moi, et que tu ne réponds pas !
– T’es dans la lune ou quoi ? lâcha Izuru.
– N-non, bafouilla Shûhei. Je suis juste fatigué, c’est tout.
– Ohhh, il s’est passé quelque chose avec la belle Tsunata ? insinua Rangiku dans un clin d’œil.
Le Vice-Capitaine de la Neuvième Division s’empourpra brutalement.
– Non mais ça va pas ! rugit-il.
– C’est bon, on plaisante, tempéra le blond. Elle va mieux ?
Shûhei reprit doucement son calme et hocha la tête.
– La Quatrième Division est arrivée peu de temps après qu’on l’ait ramené chez elle, et Yamada-kun a assuré qu’elle avait seulement besoin de repos.
– Ah la la, soupira Rangiku, c’est bien du Tsunata tout craché, ça !
Tandis qu’Izuru opina du chef, le brun tiqua et s’enquit :
– Pourquoi tu dis ça ?
– Ça t’intéresse ? rétorqua-t-elle.
Ses joues s’enflammèrent de nouveau sous le regard amusé de ses deux meilleurs amis : la jeune femme savait appuyer sur la corde sensible et ne s’en privait visiblement pas.
– Mais non ! répliqua-t-il.
– Rangiku, arrête de le faire rougir, fit Izuru.
– Je ne rougis pas !
Manque de chance pour lui, ses couleurs s’accentuèrent au gré de la conversation, faisant littéralement exploser de rire les deux compères.
– Arrêtez de rire ! vociféra Shûhei. Je me demande juste ce que vous pouvez bien trouver à cette fille ! Tout le monde ne parle que d’elle alors qu’elle n’a rien d’exceptionnel ! De plus, ce n’est même pas une vraie Shinigami !
Leurs rires prirent subitement fin tandis que Rangiku Matsumoto s’imprégna d’une aura démoniaque que le Vice-Capitaine aux cheveux ébène aurait préféré ne jamais connaître.
– Ne dis plus jamais ça d’elle.
– Attends, Rangiku, je…
– Tu ne peux pas la juger sans la connaître, le coupa-t-elle. Tsunata est une fille formidable qui nous dépassera probablement tous un jour. Personne ne te demande de l’apprécier, et si tu ne la supportes pas, rien ne t’empêche de simplement l’ignorer. Cependant, je ne tolèrerai aucune insulte à son encontre.
Le ténébreux écarquilla les yeux : loin de lui l’idée de vouloir blesser qui que ce soit, ses mots avaient dépassé sa pensée, prit de court par son brusque embarras. Mais, de là à ce que son amie de longue date soit contrariée à ce point, cela ne pouvait signifier qu’une chose : il venait de franchir les limites à ne pas dépasser.
– Ce n’est pas la peine d’aller aussi loin, Rangiku, sermonna le blond. Toutefois, Hisagi, je suis d’accord avec elle sur un point : tu ne devrais pas dire de telles choses à son sujet. Elle ne paie pas de mine au premier abord mais, sans elle, on ne serait pas là en train de discuter à l’heure qu’il est.
– Comment ça ?
– Tsunata m’a sauvé la vie, il y a trois semaines de ça.
Les yeux de Shûhei s’écarquillèrent davantage. Au même moment, alors qu’il voulut demander plus de détails à son meilleur ami, deux présences firent leur apparition derrière eux.
– Tiens, qu’est-ce que vous faites là ? demanda Renji Abarai.
– Pas grand-chose, répondit Izuru, on se promène. Et vous ?
– Nous devons nous rendre sur les lieux de l’entraînement au sabre, expliqua Rukia Kuchiki. Le Commandant nous demande de lui amener un Shinigami qui s’y trouve. Vous voulez venir ?
La petite sœur adoptive du noble Byakuya Kuchiki et le Vice-Capitaine de ce dernier effectuaient la plupart de leurs missions ensemble depuis un certain temps déjà ; mais, plus le temps passait, plus les deux amis d’enfance devenaient inséparables : ils se taquinaient, chahutaient, se tenaient plus proches l’un de l’autre au point que leurs mains se frôlent sans cesse, comme à l’instant précis. Shûhei était convaincu qu’il ne leur faudrait plus longtemps avant de se déclarer et d’officialiser leur relation.
– Pourquoi pas, souffla Rangiku. De toute façon, nous n’avons rien de mieux à faire. Pas vrai, Shûhei ?
Son ton cinglant suffit à convaincre le ténébreux, aussi hocha-t-il vivement la tête et tous partirent en direction de l’endroit où se tenait l’entraînement quotidien des jeunes recrues du Gotei 13.
Après une quinzaine de minutes de marche durant lesquelles Shûhei sentit le poids du regard lourd de reproches de Rangiku peser sur son dos, ils arrivèrent à leur destination. Pour plus de sécurité, les exercices de kidô et de combats au sabre se faisaient dans une large fosse dont il était interdit – sauf autorisation – de s’approcher de trop près.
Rukia, étant celle qui détenait ce fameux laissez-passer, continua seule vers Yumichika Ayasegawa, chargé aujourd’hui de veiller au bon déroulement et à la sécurité lors de l’entraînement. La brune lui montra son ordre de mission et, après un hochement de tête approbateur, le Troisième Lieutenant descendit appeler la personne demandée.
La petite Vice-Capitaine de la Treizième Division revint vers son groupe d’amis d’un pas ravi et assuré.
– Alors ? s’empressa Renji.
– C’est bon, elle arrive. Au fait, Hisagi, le Capitaine-Général te demande aussi.
– Quoi ? fit-il d’un air surpris. Pourquoi ça ?
– Tu verras bien quand t’y seras, rétorqua le rouge. On a reçu l’ordre de vous emmener dans son bureau, pas de tailler une bavette avec vous pour passer le temps.
Son ton acerbe piqua Shûhei au vif : il était si énervé qu’il n’en remarqua pas la soudaine apparition du Shinigami qu’ils attendaient.
– Te voilà enfin, lança Renji.
– Désolée de vous avoir fait attendre.
La voix calme et douce de celle qui venait d’arriver face à eux mit un terme à la rage grandissante de Shûhei ; il ne put le croire : tout, mais pas elle !
Le visage de la brunette du clan Kuchiki s’adoucit tandis que ses lèvres s’étirèrent dans un chaste sourire.
– Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vues, Tsunata, dit-elle d’une voix étrangement chaleureuse.
– Oui, lui sourit cette dernière, notre mission a duré un peu plus longtemps que prévu.
Les yeux de Shûhei s’écarquillèrent à leur paroxysme, son cœur rata un battement et ses joues se mirent à le brûler. Pourquoi diable fallait-il que ce soit elle ?
– Le Commandant te demande, intervint Renji. On doit se dépêcher.
– Ichigo n’est pas avec… vous ?
Le sourire de la blonde s’éteignit lorsque son regard se plongea dans celui éberlué de Shûhei, ses pommettes prenant une teinte rosée adorable. Alors qu’elle voulut entreprendre de le saluer avec son entrain légendaire, il détourna la tête. Interprétant son geste comme pur mépris pour sa nature – et ayant d’autres chats à fouetter –, elle fit mine de ne pas y prêter attention et axa de nouveau son attention sur son cortège.
– Non, lui répondit Rukia. Mais nous devons nous presser, il a dit que c’était urgent.
Rangiku ne put s’empêcher de remarquer l’attitude de goujat de son ami ténébreux, la mettant dans une colère un peu plus noire encore. Elle savait que Tsunata pouvait simuler l’indifférence, mais ses yeux la trahissaient toujours : toutes ses émotions passaient au travers de ce regard d’un vert peu commun, aussi voyait-elle parfaitement qu’elle n’allait pas si bien qu’elle voulait le montrer.
– Très bien, décréta-t-elle, allons-y.
La Shinigami remplaçante passa à côté du Vice-Capitaine de la Neuvième Division sans lui prêter la moindre importance. Sa chevelure dorée ondulait à chacun de ses pas d’un mouvement hypnotisant quiconque osait l’observer dans sa démarche gracieuse. Shûhei la regarda en coin, serrant les poings le long de son corps.
Ainsi, toute la bande partit d’un pas engagé vers le bureau du Capitaine à la tête des Treize Divisions, connu sous le nom de Shunsui Kyôraku, ne se doutant nullement de la tournure qu’allait prendre cette douce journée d’hiver ensoleillée.