The New Substitute
– Ne fais pas ça !
L’impact sonore des deux attaques simultanées étouffa le cri désespéré de la Shinigami remplaçante.
Un nœud dans l’œsophage, le souffle bruyamment saccadé et le cœur lourd, Tsunata arriva à grand-peine à faire mouvoir ses jambes de plomb et s’élança vers le lieu du précédent affrontement. L’onde de choc soulevait ses longues mèches dorées et dévoilait son visage rongé par l’angoisse qui la gagnait.
Lorsqu’un bruit sourd lui parvint aux oreilles, elle s’arrêta net, attendant que la fumée daigne s’atténuer.
– Non…
Le nuage de poussière se dissipa dans une lenteur infinie tandis qu’un corps inerte apparaissait peu à peu devant les yeux écarquillés de la blonde.
– Non !
Ce corps, aucun doute sur le fait qu’il ne s’agissait de celui de…
– Shûhei !
Alors que de grosses larmes menacèrent de dévaler le long de ses joues, Tsunata courut à en perdre haleine ; son coéquipier, celui avec qui elle adorait passer ses journées, celui dont la simple présence suffisait à changer son humeur du tout au tout, gisait au sol dans une flaque de sang de plus en plus conséquente. Son zanpakutô, à terre également, retrouva la forme d’un katana ordinaire et se brisa devant la jeune femme ; tout ceci ne signifiait rien de bon, aussi la panique s’empara soudainement de sa raison.
Dans sa course effrénée, Tsunata trébucha mais ne s’en préoccupa aucunement, trop obsédée par l’état de santé de son acolyte qui, par la présente, n’émettait plus le moindre signe de vie. A la limite du sprint, elle utilisa inconsciemment un shunpo et parvint enfin au chevet de son précieux ténébreux.
– Shûhei ! s’écria-t-elle. Réponds-moi, allez !
Quatre imposantes plaies parallèles d’une profondeur non négligeable jonchaient le torse du jeune homme ; son sang s’en déversait dans un flux inquiétant qui coupa la respiration de sa partenaire.
– Ça ne sert plus à rien, il est mort.
La remplaçante tourna promptement son minois ruisselant de larmes vers l’auteur de cet odieux crime et se redressa dans une expression de rage. Saisissant le manche de son zanpakutô fraîchement apparu dans son dos, elle le fit apparaître intégralement. Tsunata dirigea la lame de son sabre vers le sol et le lâcha en grognant :
– Ce que tu viens de faire à Shûhei… est impardonnable.
– Alors, j’avais raison ! jubila-t-il. Cet homme était ton point faible ! Comme c’est amusant.
– Ban-kai…
Croyant un instant avoir mal entendu ce que la Shinigami venait d’articuler entre ses dents serrées, le Kurotama se persuada rapidement du contraire : tandis qu’un souffle surpuissant se dégageait d’elle, des rubans de soie rose tournoyèrent et rejoignirent le bout des doigts de Tsunata avant de disparaître sous forme de particules spirituelles de la couleur des cerisiers en fleurs. Ouvrant de nouveau les yeux, elle gratifia son opposant d’une lueur monstrueusement assassine.
– Qu’est-ce que…
– Sukai Tetsuribon* !
Sentant le danger planer, Fujimaro ordonna du doigt aux derniers survivants du Hueco Mundo jusqu’alors restés en retrait de s’interposer, mais le Bankai libéré de la Shinigami remplaçante les arrêta aussitôt dans leur course meurtrière ; de ses phalanges sortirent à une vitesse ahurissante des rubans éblouissants de reiatsu. Tournoyants dans cette même vélocité, ceux-ci se divisèrent en plusieurs groupes et frappèrent les Hollow.
Tout cela se produisit en à peine une seconde, et le premier surpris par la puissance de ce choc quasiment invisible fut bel et bien le Kurotama aux cheveux turquoise. Alors que la blonde venait seulement de prononcer le nom de sa deuxième forme de libération, la désagréable impression de s’être pris un boulet de canon dans l’estomac le submergea. Axant son regard d’un magenta criard sur sa zone douloureuse, il constata dans un hoquet de surprise que son thorax était ni plus ni moins en train de se désagréger.
– Cette force… dit-il d’une voix faiblarde.
– La plus grosse erreur que tu aies commise est celle qui t’as mené à ta perte, Fujimaro Nasu. Shûhei n’est pas mon point faible, bien au contraire.
Son regard vert dont l’intensité n’avait d’égal que la détermination qui s’en dégageait se planta sans crier gare dans celui souffrant du sous-officier de la Quinzième Légion.
– Il est ma force, ma raison de me battre.
Suffoquant, le visage luisant de sueurs froides, le Kurotama continua d’écouter, éberlué, celle qui venait de gagner cette bataille.
– En le blessant, tu m’as retiré la seule chose qui aurait pu te permettre de t’en tirer.
La jeune femme s’avança vers sa victime.
– Avant que tu ne disparaisses définitivement, je voudrais que tu éclaircisses certains points qui demeurent obscurs à mes yeux.
Enfin à sa hauteur, elle le saisit par le col de son uniforme et dit d’un ton menaçant :
– Qui est-elle ? Qu’est-ce qu’elle veut ? Pourquoi en a-t-elle après moi ? Et enfin, pourquoi me portez-vous autant d’intérêt ?
Dans un râle qui fit émerger à la commissure de ses lèvres un filet rougeâtre, le Kurotama ricana :
– Tant de questions pour si peu de réponses. Le moment arrivera bientôt, Nara Tsunata, et ce jour-là, tu auras matière à satisfaire ta curiosité. Malheureusement, chère amie, ce ne sera pas de ma bouche que tes interrogations seront comblées. Prends soin de ton chéri, en attendant. Ah ! j’oubliais, il est mort…
Puis, après un dernier rictus moqueur qui suscita une perte de sang-froid fulgurante chez la remplaçante, Fujimaro se volatilisa, littéralement, dans un éclat de particules spirituelles accordées à sa pigmentation capillaire.
Tsunata contracta le poing qui maintenait encore peu de temps auparavant leur agresseur dans un grognement de frustration. Réalisant enfin quelles étaient les priorités en cet instant fatidique, elle se tourna d’un geste bref ; Shûhei baignait toujours dans une imposante flaque pourpre continuellement alimentée par ses blessures. Alors que son cœur se serra brutalement, la blonde rappela son sabre à elle et dévala les quelques mètres qui la séparait de son coéquipier.
– Shûhei !
Se ruant à ses côtés, elle atterrit sans la moindre amorce sur les genoux et redressa aussitôt la tête de son doux et tant adoré partenaire.
– Shûhei ! Est-ce que tu m’entends ? Dis quelque chose, bon sang ! Je t’en supplie !
Le secouant prudemment, Tsunata ne remarqua même pas la vitesse à laquelle son cœur, prisonnier d’un étau, battait férocement. Les yeux saturés d’émotions, le souffle entrecoupé, elle le détailla dans son ensemble : sa blessure était bien trop vilaine pour qu’elle ne puisse y faire quoi que ce soit, il fallait bien qu’elle l’admette ; cependant, les secours n’arriveraient jamais assez rapidement pour lui sauver la vie.
Ce constat lui noua la gorge ; pourquoi ne l’avait-elle pas écouté plus tôt ? Si elle avait accepté de quitter son poste ne serait-ce que l’espace de quelques heures pour s’accorder un repos amplement mérité, son coéquipier – non – la personne la plus importante dans tout l’Univers à ses yeux serait encore debout, son sang ne s’écoulerait pas de la sorte sur le sol poussiéreux du Dangai et sa chaleur corporelle ne serait pas en chute libre, comme actuellement.
Une larme ; puis deux ; puis de nombreuses autres roulèrent le long de ses joues blêmes, avant de terminer leur sinistre course sur le visage balafré du ténébreux inconscient.
– S’il te plaît, Shûhei ! Tu as dit que tu ne me laisserais jamais seule !
Ce contact humide sur sa peau sensibilisée fit émerger le Vice-Capitaine dans un grognement de douleur. Prit au dépourvu par une quinte de toux, il cracha quelques gouttes de sang.
– Tsu… Tsunata… murmura-t-il difficilement.
Hoquetant sous la surprise, Tsunata releva ses yeux larmoyants sur la cause de sa tristesse et l’analysa un instant.
– Shûhei ! s’exclama-t-elle enfin.
Tandis que chaque parcelle de son corps musclé était secouée de brusques frissons spasmodiques, Shûhei parvint à atteindre de sa main le visage de sa coéquipière ; avec toute la délicatesse dont il disposait – si ce n’est plus encore – il essuya de son pouce la dernière larme évadée des prunelles si particulières de la jeune femme, puis lui adressa le sourire le plus chaleureux qu’il pût.
La remplaçante attrapa la main de son partenaire et la serra tendrement, geste qui le toucha plus qu’il n’aurait su l’expliquer.
– Pourquoi… pleurs-tu, Tsunata ?
– Imbécile, sourit-elle tristement.
Une fois encore, elle examina du regard les quatre plaies parallèles qui trônaient sur le torse saillant de Shûhei ; lorsque ses sanglots redoublèrent, ce dernier comprit.
– Je… je vois… souffla-t-il.
– C’est beaucoup trop grave pour qu’on attende l’arrivée de la Quatrième Division !
– Non, Tsuna…
– La ferme ! le coupa-t-elle.
Un temps interloqué par ce cri désespéré, Shûhei finit par lui sourire tendrement par-delà le filet de sang qui s’échappait à la jonction de ses lèvres minces.
– Ça… ça faisait longtemps…
– Ne parle pas, tu ne feras qu’aggraver les choses.
– Tsunata, écoute-moi…
– Tais-toi !
Tsunata, secouée par sa tristesse, rendit sa liberté à sa prise et joignit ses mains tremblantes au-dessus des blessures du jeune homme.
– Non ! hurla ce dernier dans un effort surhumain.
Choquée par l’éclat de voix qui venait de l’interrompre dans l’entreprise de son dessein, la remplaçante parvint seulement à balbutier :
– Qu’est-ce que…
– Il est… il est hors de question que tu fasses ça, Tsunata…
– Et en quel honneur, j’te prie ? s’écria-t-elle, le visage baigné de larmes.
– Tu ne… t’en relèverais pas…
– Parce que toi oui, peut-être ?
– Non…
La blonde, sujette à un hoquet de surprise, se pencha brusquement en arrière. Les yeux dilatés par l’effroi, de nouveaux flots menaçant de ravager sa peau de pêche, elle souffla par-delà sa gorge nouée :
– Quoi ?
Le Vice-Capitaine de la Neuvième Division lui sourit une fois encore faiblement, remettant dans un dernier élan de force l’une des nombreuses mèches d’or de sa coéquipière derrière son oreille, dévoilant davantage ses joues rougies par le chagrin.
– Ce n’est pas grave, tu sais… J’ai eu… une longue vie…
– La belle affaire ! Tu crois que c’est en me sortant ce genre de conneries que je vais te dire « bon, d’accord, à la revoyure dans une nouvelle vie » ? Tu te fous de qui, là ?
– Je suis… beaucoup plus vieux que… j’en ai l’air…
– Ça m’fait une belle jambe !
– Malgré toutes ces années, continua-t-il de l’ignorer, les plus beaux moments que j’ai vécus… sont ceux passés avec toi…
D’abord émue, Tsunata ne tarda pas à faire entendre de nouveau sa perte de sang-froid.
– Alors pourquoi ? pleura-t-elle à chaudes larmes. Pourquoi veux-tu me quitter si tu es si bien avec moi ?
Essuyant une fois de plus les joues de la jeune femme, Shûhei se cambra sous le joug de la douleur lancinante qui le torturait de part et d’autre de son buste.
Paniquée, la Shinigami remplaçante lui saisit la main et la serra du mieux qu’elle le pût.
– Shûhei !
Toussant le sang infiltré dans ses poumons, il arriva toutefois à reprendre le contrôle de sa voix.
– Je ne veux pas… te quitter, Tsunata. Si… si ça n’en tenait qu’à moi, rien de tout ça… ne serait arrivé…
– Je peux t’aider à aller mieux ! affirma-t-elle dans une tentative désespérée. Comme ça, on n’aura plus à se séparer !
– Chaque fois… chaque fois que tu as utilisé la permutation, tu as failli y laisser ta peau et… et les blessures que tu as soigné, étaient bien moins importantes… que les miennes…
– C’est faux ! hurla-t-elle, effondrée.
– La permutation a… ses limites, c’est Kurosaki qui… l’a dit lui-même. Qui de mieux que lui peut savoir… ce qu’il t’en coûtera de prendre ce risque…
– Toi ! répliqua Tsunata. Tu me connais mieux que quiconque ! Tu sais que je ne te laisserai jamais seul, je te l’ai promis, Shûhei ! Et toi aussi, tu me l’as promis ! Alors ne la rompt pas, je t’en supplie, ne rompt pas la seule promesse qui ait vraiment de la valeur à mes yeux !
La souffrance de sa partenaire serra le cœur du ténébreux bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer ; dans le fond, savoir qu’il avait tant d’importance pour elle l’emplissait de fierté, mais penser aux lendemains que devrait affronter la belle blonde venue du monde réel l’anéantit. Du peu qu’il en savait, Tsunata n’avait jamais eu de vie paisible, et savoir que par sa faute, cette tragédie ne connaitrait pas sa fin, acheva de le mettre hors de lui ; seulement, le refus de cette main tendue par sa Shinigami s’expliquait par une noble raison, accompagnée d’une volonté de fer digne des plus valeureux soldats du Gotei 13.
– Te perdre me serait… insupportable…
– Et pour moi, alors ? s’exclama-t-elle.
– Tsunata, vis… Par pitié, continue de vivre… Continue de réchauffer le cœur de ceux… qui t’entourent par ton sourire. Continue de… de te battre pour tes idéaux… Continue de rire, de pleurer, de hurler, de… de te chamailler avec Kurosaki, Abarai, Madarame, et les autres… Pour moi, s’il te plaît, Tsunata, mène la vie… dont tu as toujours rêvé…
– Et comment je suis censée faire sans toi ? sanglota-t-elle d’une voix à peine audible.
– Je serai… toujours là…
– Bien sûr ! et les Arrancar sont des angelots ? On sait tous les deux que c’est imposs…
Elle s’arrêta net, axant son regard là où une chaleur nouvelle se répandait sur sa peau ; ainsi, Tsunata découvrit appuyée sur sa poitrine, à l’emplacement du cœur, la main de son coéquipier.
– Idiote, sourit-il. Je serai toujours là...
– Ce n’est pas suffisant, pas pour moi !
– Promets-moi…
– Rien du tout ! l’interrompit-elle.
– … de me laisser partir, Tsunata. N’utilise pas la permutation… sur moi…
– On vient de se rencontrer ou tu perds les pédales ? Moi, vivante, une promesse pareille ? Plutôt crever maintenant !
– Si… si tu me soignes, jamais, tu m’entends, jamais je ne te le pardonnerai…
Voyant qu’elle restait de marbre, il poursuivit sur cette même lancée.
– Si je venais à me réveiller, Tsunata Nara, ce sera pour toi… comme si j’étais mort…
– Je m’en fiche ! Tu ne le seras pas, c’est amplement suffisant pour moi !
– Non seulement je… je ne t’adresserai plus la parole, mais en plus je te… je te détesterais, je te haïrais comme jamais je n’ai haïs… quelqu’un…
– Tu n’as pas le droit de me demander une chose pareille !
– Fais-le…
– Non !
– Tsunata, il ne me reste plus beaucoup de temps… Accorde-moi… cette dernière faveur…
Resserrant ses mains autour de celle toujours prisonnière de Shûhei, Tsunata dissimula son visage derrière et sanglota de tout son être.
– Je ne veux pas que tu partes… Shûhei, tu es la personne la plus importante pour moi…
– Je prends ça… comme un oui…
Caressant une dernière fois cette crinière aux reflets semblables à ceux des rayons du soleil d’Août qu’il adorait détailler à l’accoutumée, et respirant de plus en plus difficilement, le jeune homme commença à sombrer.
– Pardon de… te faire pleurer…
N’arrivant plus à articuler le moindre mot, Tsunata pleura, fiévreuse, tandis que son corps tremblait de toutes parts.
– Et merci pour… pour toutes ces belles journées à tes côtés. Merci pour ton sourire, pour ta joie de vivre… pour tout ce que tu m’as apporté, Tsunata… ma précieuse Tsunata, je t…
Peinant de plus en plus à garder les yeux ouverts, le Vice-Capitaine se laissa aller à la pénombre ; comme un bruit lointain, le cri de détresse de la jolie blonde lui noua la gorge. Dans un dernier rictus, alors qu’il sentait sur son visage s’écraser les gouttes salées qui s’évadaient du regard dans lequel il aimait tant se perdre, il songea pour la toute dernière fois :
« Je te remercie d’avoir été le rayon de soleil de ma vie, Tsunata… »
*Rubans de fer célestes.