The New Substitute
– Dépêchez-vous ! Ce sont les seuls survivants !
– Comment cela a-t-il pu se produire ?
– Je l’ignore, Capitaine ! Mais ils sont dans un sale état, il faut faire quelque chose au plus vite !
La pluie tombait en trombes pour la première fois depuis longtemps dans la Soul Society ; pourtant, son bruit était couvert par celui des pas martelant le sol de la grande pièce occupée par une trentaine de blessés graves dans un rythme agité.
– C’est impossible… C’est un cauchemar… dit le Capitaine.
Alors que tout le monde s’affairait pour soigner les malheureux, la porte principale claqua violemment et mit un terme aux activités de chacun. Par-delà l’encadrement, la jeune femme à la tête de la section des soins du Seireitei distingua une silhouette tenant péniblement sur ses jambes flageolantes, essoufflée et trempée jusqu’aux os.
Les yeux écarquillés, Isane Kotetsu prononça dans un souffle :
– Toi ?
Un vrombissement tinta dans son crâne, lui procurant quelques nausées désagréables. Plus le temps s’écoulait, plus il lui était possible de distinguer les murmures dans un périmètre proche de sa personne.
– Comment se portent les membres de la Troisième Division ? demanda une voix féminine.
– A part pour le Capitaine, le pronostic vital des survivants n’est plus engagé, lui répondit une deuxième plus mâture. Si elle n’avait pas été là, nous aurions eu à dénombrer davantage de pertes.
Les sensations de son corps commencèrent de nouveau à se faire ressentir ; à en juger par la pression exercée dans le creux de ses reins, un matelas devait accompagner sa position allongée.
– Le Capitaine Ôtoribashi n’est toujours pas tiré d’affaire ?
– Malheureusement, non. On ignore pourquoi, mais ses soins n’ont rien changé à son état. Il se pourrait qu’il ait été blessé par une arme ou une technique dont les caractéristiques dépassent tout ce que l’on connaît à l’heure actuelle.
La chaleur de l’endroit l’imprégna peu à peu, accentuant son sentiment de bien-être au même titre que la douce pression qui s’exerçait le long de son flanc gauche.
– Elle a fait tout ce qu’elle a pu, n’est-ce pas, onee-san ?
– Bien évidemment, elle a dépassé ses propres limites pour nous venir en aide, malgré le piteux état dans lequel elle se trouvait à son arrivée. Elle a fait abstraction de ses ressentis et a foncé tête baissée pour les aider.
– Oui, la pauvre a dû vivre bien des épreuves et pourtant, elle a fait son maximum.
Un amer sentiment remonta la pente de son œsophage, l’impression que quelque chose n’allait pas.
– Elle vient seulement de s’endormir, dit la voix mâture. Nous devrions la laisser se reposer un peu, Kiyone, elle en a besoin.
– Oui, bien sûr, onee-san.
Tout commença à lui revenir, comme le souvenir d’un terrible cauchemar : les larmes, le sang, les cris, le contact de sa peau contre la sienne, son parfum, son visage…
Sa gorge se noua brusquement ; ces affreuses remémorations l’obligèrent à forcer l’ouverture de ses yeux pour déterminer si tout cela tenait du fictif ou, comme sa plus grosse crainte le lui suggérait, du réel.
Ne semblant s’en apercevoir, les deux personnes continuèrent leur conversation murmurée.
– Elle a refusé de rentrer chez elle pour ne pas être loin de lui, se souvint Isane d’une voix étranglée.
– C’est si triste, elle qui tient tant à lui…
– Oui, ce sont malheureusement des choses qui arrivent lorsqu’on est un Shinigami, qui plus est avec un grade comme celui de Vice-Capitaine.
La lumière lui brûla la rétine, mais cette inquiétude de plus en plus palpable qui lui prenait aux tripes – surtout après ces affirmations de la part des deux jeunes femmes – fut une raison suffisante pour persister dans son effort.
– Je le sais, onee-san, en convint Kiyone. Mais, ce regard qu’elle avait quand elle est arrivée…
– A moi aussi, il m’a arraché le cœur. Ce que Tsunata-san éprouve pour Hisagi-san est pur et sincère, devoir le perdre l’a anéanti.
Isane Kotetsu et sa petite sœur – respectivement Capitaine et Vice-Capitaine de la Quatrième Division – parlaient à l’entrée de la pièce dans laquelle son corps reposait confortablement. La fatigue qui marquait leur visage, ainsi que cette expression d’appréhension qu’elles arboraient tout en discutant, lui retourna l’estomac.
Il n’y avait à présent plus l’ombre d’un doute, tout ceci s’était réellement passé.
– Ts…
Tandis que les deux sœurs se tournèrent comme un seul homme vers la source du bruit faiblard qui venait de perturber le calme morbide régnant au sein des locaux de la Quatrième Division, celle-ci tenta une fois encore de s’exprimer.
– Tsu… Tsuna… ta…
Isane et Kiyone écarquillèrent les yeux avant de se poster précipitamment à son chevet.
– Vice-Capitaine Hisagi ! s’exclama la cadette.
– Hisagi-san, comment te sens-tu ? s’enquit l’autre.
Sa tête tournait affreusement, et son cœur battait la chamade. Alternant son regard entre la droite et la gauche, le brun entreprit une analyse de la situation.
– Tsuna… Où est…
Isane l’incita à baisser de quelques décibels.
– Ce n’est pas la peine de t’en faire pour Tsunata-san, chuchota-t-elle. Elle a seulement besoin de repos.
– Je veux la… voir…
– S’il te plaît, Hisagi-san, arrête de t’agiter comme ça. Non seulement tu vas rouvrir tes blessures, mais en plus tu risques de la réveiller.
Les yeux dilatés autant qu’ils le purent, il observa d’un air incrédule la grise lui sourire et pointer son doigt vers son flanc gauche.
– Ça fait deux jours qu’elle veille sur toi, expliqua le Capitaine de la Quatrième Division. Elle vient seulement de s’assoupir, alors laisse-la se reposer un peu.
Axant difficilement son regard argenté sur l’endroit que lui indiquait Isane, Shûhei découvrit de longues mèches dorées éparpillées sur son corps allongé ; la tête de sa coéquipière était appuyée contre ses mains, elles-mêmes posées sur le torse du jeune homme recouvert d’un drap blanc. Sa respiration, lente et profonde, suggérait en effet qu’elle s’était endormie, ce qui rassura tant le ténébreux que cette vision l’enivrait d’une agréable sensation. L’énorme enclume qu’il avait en guise d’estomac depuis son réveil se dissipa au gré où il réalisa que sa précieuse partenaire s’était sortie de ce cauchemar indemne.
– Elle est vraiment têtue, tu sais. Le simple fait d’évoquer votre séparation ne serait-ce que pour qu’elle puisse se reposer la mettait hors d’elle. Elle a fini par tomber de fatigue, il y a de ça environ une demi-heure.
– Elle ne voulait en aucun cas rater votre réveil, appuya Kiyone. Mais, c’est raté.
Rougissant discrètement malgré son état de fatigue avancé, Shûhei contempla silencieusement celle qui avait tant veillé sur lui durant son coma. Au même instant, il réalisa que sa main était faite prisonnière par celle de la remplaçante, accélérant soudainement son rythme cardiaque.
– Tu comptes vraiment beaucoup pour elle, affirma dans un tendre sourire l’aînée des Kotetsu. Tsunata-san s’est dévouée corps et âme pour sauver les membres de la Troisième Division, mais elle n’a jamais cessé de prendre soin de toi. Elle refusait farouchement qu’on la relaie à ton chevet.
– Nara-san vous parlait sans cesse en vous tenant fermement la main. D’ailleurs, elle s’est endormie en le faisant.
– La Troisième Division ? reprit le brun. Que s’est-il passé ?
Isane baissa la tête et lui répondit :
– Eh bien, pendant leur mission dans le monde réel, le Capitaine Ôtoribashi et ses subordonnés ont été pris en embuscade par l’ennemi. Les Kurotama qui les ont attaqué étaient bien trop puissants et nombreux pour qu’ils ne puissent rivaliser, ils n’ont rien pu faire.
– Comment vont-ils ?
– Vingt-trois Shinigami ont perdu la vie. Parmi les survivants, seul le Capitaine souffre d’un mal inconnu et reste inconscient. Kira-san et les autres sont tous hors de danger, grâce à Tsunata-san.
– Tsunata ? répéta Shûhei. Mais, comment ?
La grise plaça ses yeux sur le corps inerte de la blonde, incitant le ténébreux à en faire de même ; il découvrit alors des ecchymoses sur sa main – seule parcelle de peau qu’elle laissait visible – qui s’estompaient dans une lenteur peu commune pour l’organisme de la suppléante.
– Elle a permuté sur elle leurs blessures jusqu’à ce que leur pronostic vital ne soit plus engagé, expliqua Kiyone. C’est pour ça que nous l’avons harcelé pour qu’elle rentre chez elle se reposer.
Constater ce que sa coéquipière venait de subir durant ces deux derniers jours crispa le Vice-Capitaine au plus haut point ; aussi ne pût-il retenir sa main libre et caressa affectueusement le sommet de la chevelure d’or de Tsunata.
– Ça ne m’étonne pas d’elle, sourit-il tendrement.
– A ce propos…
– Non, Kiyone ! intervint son aînée et Capitaine. Souviens-toi de ce qu’elle a dit.
– Pardon, onee-san.
– De quoi parlez-vous ? s’inquiéta le brun.
Tandis que les deux sœurs étaient gagnées par une gêne croissante, la douce et petite main de Tsunata se serra autour de sa prise dans un ronchonnement trahissant son réveil imminent. Redressant paresseusement la tête, elle frotta énergiquement ses yeux clos de son autre poing, bougonnant sous le joug de la fatigue.
– Qu’est-ce qu’il se passe ? fit-elle d’une petite voix.
Souriant de manière non dissimulée devant ce minois somnolent, Shûhei serra également son imposante main autour des doigts de la jeune femme.
Tsunata stoppa son mouvement, ses yeux verts écarquillés à leur paroxysme.
– Bonsoir, Tsunata.
Tournant son attention vers la voix qu’elle aurait pu reconnaître entre mille autres, la Shinigami remplaçante dévoila au Vice-Capitaine alité la lueur qui scintillait de plus en plus dans son regard surpris.
– Shûhei ? souffla-t-elle.
Le jeune homme, touché par cette réaction, acquiesça dans un sourire sincère.
– Shûhei ! sourit-elle.
Malgré son indéniable fatigue, Tsunata se jeta sur Shûhei et le serra contre elle du mieux qu’elle le pût, l’écrasant accessoirement.
– Tu es réveillé ! s’exclama-t-elle, folle de joie.
– Vous… ne m’aviez pas dit… qu’elle était épuisée ? ironisa le ténébreux, étouffé.
– Euh… si, en effet, confirma Isane, une main sur la joue.
– Nara-san, vous allez le tuer ! s’affola Kiyone.
Réalisant enfin que son geste était probablement de trop pour un blessé en pleine convalescence, la blonde recula légèrement en desserrant son étreinte, observa silencieusement son coéquipier, puis plaça affectueusement son front contre le sien, le faisant rougir brutalement.
– Tu m’as fait si peur, idiot.
Shûhei posa sa main sur les cheveux d’or de Tsunata, renforçant cette sensation de proximité inédite pour l’un comme pour l’autre.
– Pardonne-moi, Tsunata.
Remarquant que le corps de la jeune femme était secoué de frissons, il l’analysa furtivement pour tenter d’en comprendre la cause.
– Ne t’excuse pas, dit-elle d’une voix étranglée. Tu es là, c’est tout ce qui compte. Ne me refais plus jamais une chose pareille, Shûhei.
– Tsunata ? s’inquiéta-t-il.
– Nara-san !
– Tsunata-san ! Tu dois te reposer, tu ne tiens plus debout !
En effet, la suppléante au service du Gotei 13 venait de s’affaisser lourdement contre son précieux équipier, quoique « lourdement » n’était pas le terme approprié ; l’ayant déjà porté plus d’une fois, il ne fut pas difficile pour le Vice-Capitaine de constater qu’en l’espace de deux jours, la blonde avait perdu plusieurs kilos.
La maintenant contre lui, Shûhei remarqua avec horreur que ses mains faisaient à présent bien plus que le tour de ses bras.
– Je… je vais bien, assura-t-elle.
– Non, tu ne vas pas bien du tout ! s’écria presque Isane. Tu en as trop fait !
– Non, je…
– Tsunata, intervint le brun.
Tandis qu’elle monta son regard en direction de celui du Vice-Capitaine, Tsunata lui dévoila les cernes violets qui creusaient son si doux visage.
Camouflant tant bien que mal l’inquiétude qu’elle suscitait en lui, il prit sa voix la plus rassurante et dit :
– Je suis réveillé, maintenant. Tu peux rentrer te reposer.
– Mais, je…
– S’il te plaît, insista-t-il.
D’abord interloquée, la jolie remplaçante finit par se plier à la volonté de celui qui partageait sa vie.
– Tu as raison, avoua-t-elle tristement.
Les deux sœurs, celles qui s’étaient bataillés à de nombreuses reprises avec la blonde durant ces dernières quarante-huit heures pour lui faire ouvrir les yeux quant à sa santé qu’elle mettait en péril en refusant de s’octroyer un moment de répit, en restèrent pantoises.
– Si je ne suis pas au mieux de ma forme, je ne pourrais être utile à personne. Tu vas bien, et c’est tout ce qui m’importe. Je reviendrai d’ici deux heures environ.
– Allons, Tsunata-san, tu peux prendre un peu plus de temps pour toi. Hisagi-san ne va pas s’envoler, et nous allons prendre grand soin de lui en ton absence. Rien ne sert de te précipiter.
– Isane-san, c’est déjà un véritable exploit que j’accepte de me tenir à l’écart pendant un délai aussi long, alors ne m’en demande pas trop, s’il te plaît.
Shûhei s’apprêtait à riposter pour appuyer les paroles du nouveau Capitaine de la section des soins du Seireitei, mais l’affirmation de sa coéquipière le fit virer au rouge pivoine avant qu’il n’en ait eu le temps, amusant la cadette de la grise.
Tsunata, quant à elle, nullement consciente de l’effet que ses mots avaient sur le beau ténébreux balafré de la Neuvième Division, se tourna une nouvelle fois vers lui et lui accorda un regard des plus doux.
– S’il y a le moindre souci, je reviendrai dans la seconde, Shûhei.
– Tu n’es pas obligée d’être autant à mes petits soins, Tsunata. Ce que tu as fait pour moi est largement suffisant.
La jeune femme se tendit et baissa la tête de façon à ce que ses longues mèches camouflent la partie supérieure de son visage.
– Tu n’as aucune idée de ce que j’ai pu faire durant ces deux derniers jours, assura-t-elle.
– J’ai quelques soupçons.
– J’en doute.
Alors qu’il resta en suspens, la remplaçante réduisit la distance entre leurs deux visages ; sans qu’il n’ait eu le temps de comprendre ses intentions, Tsunata posa ses lèvres contre le front de Shûhei et lui offrit un tendre baiser. Douceur et chaleur accompagnèrent ce contact, le tout mélangé au parfum sucré dont le ténébreux s’était épris. Ses cheveux au toucher soyeux caressèrent les joues du jeune homme et finirent de l’électriser.
Après que la blonde se soit reculée de quelques centimètres, il plongea dans son regard profond ses yeux dilatés par la surprise tandis que son cœur tambourinait contre ses côtes.
Constatant la lueur éblouissante qui dansait dans les iris gris de son partenaire, Tsunata déposa avec toute la délicatesse dont elle disposait sa main contre la joue tatouée de ce dernier.
– Ne me laisse plus jamais, Shûhei.
Sous le choc, il n’avança pas le moindre argument, laissant ainsi la Shinigami se relever et s’éloigner de lui.
Arrivée aux pieds du convalescent, la maîtresse de Tetsuribon marqua l’arrêt et lança aux deux soignantes :
– Je compte sur vous, Isane-san et Kiyone-san.
– C’est entendu, Tsunata-san. Rentre, et repose-toi. Nous nous occupons d’Hisagi-san.
– Vous pouvez nous faire confiance, Nara-san.
– Allons, cesse d’être aussi formelle avec moi, sourit tristement Tsunata. Après tout…
Elle tourna de quelques degrés son visage vers celui de la plus jeune des Kotetsu, ne laissant entrevoir que ce rictus fatigué qu’elle s’efforçait de leur adresser, souligné par son regard tout aussi épuisé.
– … je ne suis qu’une humaine.
Avant que quiconque n’ait eu le temps de l’interpeler, la jeune femme puisa dans ses dernières ressources et disparut dans un shunpo, abandonnant les trois autres dans leur stupéfaction commune.
Que lui arrivait-il ? Etait-ce la fatigue ? Non, sûrement pas, Shûhei le savait très bien ; d’ordinaire, envers et contre tout, Tsunata défendait son titre de Shinigami remplaçante, membre à part entière des Treize Armées comme n’importe quel autre Shinigami. Se qualifier elle-même de simple humaine revenait à renier ses plus profondes convictions, et cela était tout bonnement impossible lorsqu’il s’agissait de Tsunata Nara.
Interpelé par cette réaction plus qu’inhabituelle de sa camarade d’infortune, Shûhei Hisagi axa son regard perçant sur les deux membres de la Quatrième Division.
– Que s’est-il passé avec Tsunata ? s’enquit-il, la mâchoire contractée.
– Tsunata-san ne va pas très bien en ce moment. Ne l’aviez-vous pas remarqué, Vice-Capitaine Hisagi ?
Alors que le concerné dû mettre quelques instants avant d’identifier le détenteur de cette voix, Kiyone sursauta et s’écria :
– Que fais-tu ici ?
– Je t’interdis d’en dire davantage ! s’interposa Isane. Nous sommes tenus au secret ! Si tu poursuis, je serai obligée de…
– Ne vous en faites pas, Capitaine, je ne dirai rien au Vice-Capitaine de la Neuvième Division. En revanche, s’il pouvait comprendre de lui-même, ce serait sans doute une bonne chose pour elle.
– Ya… Yamada-kun ? balbutia Shûhei.
Dans l’entrebâillement de la porte opposée à celle par laquelle la blonde venait de disparaître se tenait Hanatarô Yamada, lorgnant les trois occupants de la pièce les bras croisés.
– Ravi de vous revoir sur pieds, Vice-Capitaine Hisagi.