Never Light Without Darkness

Chapitre 1 : Numéro huit

4600 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/09/2017 16:25

« Un tintement strident et régulier me tira peu à peu du profond sommeil dans lequel je m’étais plu à me perdre. D’un œil mal éveillé, je tournai mon réveil dans ma direction et constatai à mon plus grand damne que l’heure était effectivement arrivée. L’heure de quoi, vous demanderez-vous ? Eh bien, l’heure pour moi de devoir aller au lycée. Tandis que je baillai de tout mon saoul en songeant à l’apaisement que m’avait procuré cette nuit de fin d’été, je me décidai à m’extirper de mes draps pour aller me préparer, non sans traîner des pieds.

Je m’appelle Shûhei Hisagi, et aujourd’hui âgé de dix-neuf ans – bien que mon apparence laisse transparaître dix années de plus –, je suis en classe de terminale. Si le simple fait de mentionner ma scolarité est une raison suffisante pour m’arracher un long soupir las, c’est uniquement parce que toute motivation m’a subitement quitté, deux ans auparavant, lorsque le seul professeur qui m’accordait du crédit est subitement décédé. Depuis ce funeste jour, mes résultats ont connu une brusque déchéance, qui m’a valu entre autre le redoublement de mon année de première.

En plus de figurer parmi les derniers du classement du lycée, mon style vestimentaire et mon attitude vis-à-vis d’autrui ont été les vecteurs de mon actuelle solitude de plomb. Depuis le printemps, ma classe est principalement composée de gens plus jeunes que moi, issus de familles aisées qui ne jurent que par les résultats probants de leurs enfants, tandis que moi, orphelin, je n’ai personne. Sans doute est-ce ce cumul de différences qui ont fait de moi l’éternel pestiféré, toujours est-il que malgré les deux tirages au sort ayant déjà eu lieu pour l’attribution des places au sein de la classe, ceux désignés pour s’installer à côté de moi ont toujours pour requête de migrer le plus loin possible de ma table – faveur que les professeurs leur accordent allègrement. Ainsi, en dépit d’une volonté que je n’ai pas, mon échec scolaire ne fait plus le moindre doute.

Ceci dit, il est inutile de vous apitoyer sur mon sort : cette solitude me convient parfaitement. Je n’ai nul besoin d’être assimilé à ce genre d’individus qui n’ont de préoccupation que de savoir si leur smartphone est toujours celui à la mode, ou si leur montre a plus de valeur que celle de leurs prétendus camarades. Je me contente amplement de mes coéquipiers du club de basket qui, eux, sont des personnes tout ce qu’il y a de plus normal.

Toutefois, je dois avouer mentir lorsque j’assure être indifférent de cette mise à l’écart volontaire ; non pas que cette bande de snobinards m’intéresse particulièrement, loin de là. Cependant, le jour de la rentrée des classes, alors que je venais de constater avec amertume qu’aucun de mes amis ne partagerait mon calvaire à mes côtés cette année et que je rejoignais ma salle avec nonchalance, mon destin a soudain été bouleversé : au moment où je m’apprêtais à franchir le seuil de la porte, mon regard s’est porté sur la personne qui arrivait dans ma direction par l’autre côté du couloir. Mon cœur a marqué un arrêt lorsque j’ai croisé ses yeux d’un vert si intense. J’avais été mis dans la confidence qu’une nouvelle élève allait arriver – une métisse, apparemment – et que celle-ci était dotée d’une beauté stupéfiante. Ô combien les rumeurs étaient pour une fois dans le vrai. Ses longs cheveux semblables à de l’or étaient ramenés en une queue de cheval haute qui dégageait ainsi son visage dessiné à la perfection par les Dieux eux-mêmes. L’uniforme réglementaire saillait ses formes féminines, les dissimulant dans une pudeur qui émoustillerait à coup sûr l’imagination de n’importe quel homme normalement constitué.

Alors qu’elle réajustait ses écouteurs, elle m’a accordé un regard qui m’a d’abord paru vide, avant que je ne repasse la scène plusieurs fois dans mon esprit et m’aperçoive qu’un léger éclat parsemait en réalité ses iris tandis que ses joues se pigmentaient faiblement d’une couleur rosée tout bonnement divine. Puis, elle s’est concentrée de nouveau sur sa route, a enfoncé davantage son écouteur gauche dans son oreille et s’est dirigée vers l’intérieur de la classe. Il lui aura fallu un fragment de seconde pour chambouler mes principes du tout au tout, pour remettre en question cette solitude qui me plaisait depuis toujours et aurait dû continuer à me satisfaire jusqu’à la fin de mes jours. Je ne connaissais rien d’elle, mais une chose était sûre : cette fille allait changer le cours de ma vie.

Une fois tous installés, notre professeur lui a demandé de se présenter à l’ensemble de la classe. C’est alors que j’ai appris qu’elle s’appelait Tsunata Nara, et qu’elle venait de Kagamino, la ville voisine. Les raisons de son départ restèrent un mystère des plus entiers lorsqu’elle a rejoint dans un silence pesant sa place sous les yeux médusés de nos camarades. Si les garçons salivaient littéralement devant elle et se battaient pour savoir lequel d’entre eux serait le premier à lui voler son cœur, les filles, elles, la jalousaient du plus profond de leur âme ; et ceci n’a fait qu’empirer lorsque les véritables aptitudes de Tsunata ont éclaté au grand jour.

Ce matin-là, après une heure de Japonais moderne, nous découvrions tous que notre année de sciences physiques porterait sur la physique quantique et la relativité. Pour tester nos connaissances en la matière – qui, soit dit en passant, frôlaient le néant –, Urahara-sensei a posé une équation apparemment simple de visu, mais qui nous combla rapidement de désespoir lorsqu’il fallut la résoudre. A peine une minute plus tard, Tsunata posait son crayon et recevait l’accord du professeur pour faire la démonstration de son calcul au tableau. Son raisonnement tenait du génie. C’est alors que j’ai compris qu’un fossé nous séparait, tous les deux, et que jamais elle ne me porterait le moindre intérêt.

Malgré tout, je ne cessais de nourrir l’espoir qu’un jour, elle et moi mettrions fin à cette solitude qui nous habitait l’un et l’autre, mais cet espoir me paraissait chaque jour un peu plus absurde : si le prince charmant avait daigné faire son entrée sur son grand cheval blanc, Tsunata lui aurait simplement dit d’emprunter le chemin inverse, avant de remettre ses écouteurs en position et de replonger le nez dans un roman étranger. Elle ne semblait pas asociale, puisqu’elle avait deux amis en dehors de la classe, mais elle refusait obstinément de se lier aux autres. Peut-être avait-elle déjà un petit-ami ? Ou peut-être était-elle simplement hautaine ? Mais cette dernière hypothèse ne collait pas avec son côté altruiste qui la poussait à venir en aide aux autres avec entrain lorsque ceux-ci la sollicitaient. En outre, cette fille me perturbait par bien des aspects.

Tourmenté par sa présence, je passais ainsi le plus clair de mon temps à rêvasser en l’observant discrètement et en esquivant soigneusement son regard lorsque le mien était apparemment devenu trop insistant, ce qui n’aidait en rien mes résultats. A la dérive, le lycée était devenu pour moi le théâtre de toutes mes frustrations, dont la plus grande restait le trou noir qui me séparait de celle vers qui toutes mes pensées convergeaient.

Durant les vacances, affalé de tout mon long sur mon lit, je contemplais le plafond que je recouvrais des souvenirs de ma rencontre avec la jolie blonde, de cet échange de regards qui, bien que bref, me paraissait s’être déroulé sur les cinq mois ayant suivi notre rentrée.

Aujourd’hui sonnait la fin des vacances d’été, et une nouvelle fois, je devrais faire face à l’air renfrogné de l’abruti qui tirerait au sort le numéro de la place voisine à la mienne, avant de soupirer de lassitude en détournant mon regard vers la belle et mystérieuse Tsunata.

Lorsque j’entrai en classe, Urahara-sensei me tendit la fameuse boîte cartonnée dans laquelle je piochai un morceau de papier sans même prêter attention aux regards inquiets que les quelques personnes présentes me jetaient. Je le dépliai avec une hâte douteuse qui en mit quelques uns hors d’eux, puis constatai avec étonnement que je venais de tirer le numéro neuf, une fois encore.

Sans plus de cérémonie, accueilli par les soupirs de soulagement de ceux qui n’auraient pas à demander de changement dans les minutes suivantes, je parti prendre place près de la fenêtre qui donnait sur l’entrée du lycée, sur la table qui m’avait déjà accueilli durant le premier trimestre. Après un tour d’horizon, je remarquai que l’objet de mes pensées n’était toujours pas arrivé, aussi me languissais-je en attendant le moment de son entrée et en priant secrètement qu’elle ne se retrouve pas au fond de la classe, auquel cas le seul moyen pour moi de la voir serait de me retourner ce qui, soyons honnête, serait d’une discrétion inexistante.

Les minutes passèrent. Mon attention s’était à présent détournée de la porte de notre salle pour finir sur l’écran de mon téléphone tandis que je planifiai avec mon meilleur ami, Izuru Kira, les derniers détails de notre prochain match. Au moment où je refusai une énième invitation de sa part pour aller boire un verre avec sa petite-amie et une de ses amies, une voix m’arracha soudainement du monde dans lequel je m’étais un peu plus tôt isolé.

–  C’est bien ici, la table huit ?

Je relevai la tête d’un geste quasiment mécanique, près à foudroyer du regard l’impudent venu me déranger pour finir de le dissuader de s’installer à mes côtés, lorsque mon cœur s’arrêta de nouveau.

Un mois était passé depuis la dernière fois où je l’avais vue, mais elle paraissait plus belle encore qu’elle ne l’avait jamais été. Peut-être était-ce dû au fait que ses joues rougissaient faiblement, ou encore parce que c’était la première fois qu’elle s’adressait directement à moi, je ne saurai l’expliquer.

Un temps bouche bée par cette confrontation inopinée, je réalisai enfin qu’elle venait de poser une question à laquelle je n’avais toujours pas daigné répondre. Visiblement amusée par mon air interdit, elle se pencha légèrement en avant et lut l’étiquette collée au coin supérieur gauche de la table voisine à la mienne. Je m’aperçus à cet instant qu’elle avait ôté ses précieux écouteurs pour me parler. Cela pourrait paraître anodin pour n’importe qui, certes, mais Tsunata était clairement quelqu’un qui ne savait se passer de sa musique en fond sonore, même lorsqu’elle donnait un cours particulier aux autres ; je rougis davantage encore.

Elle me considéra de nouveau de ses grands yeux verts et me sourit avec beaucoup de douceur, finissant de m’hébéter au plus haut point.

–  Apparemment, oui.

Puis, contre toute attente, elle tira la chaise située à ma droite et suspendit son sac au crochet prévu à cet effet. Comme pour répondre aux interrogations de tous nos spectateurs – et, accessoirement, aux miennes –, je m’enquis sans plus attendre :

–  Tu… Qu’est-ce que tu fais, là ?

Elle haussa son sourcil gauche après s’être assise et me répondit :

–  Eh bien, je m’installe à ma nouvelle place. Pourquoi, ça te pose un problème ?

Abasourdi, au même titre que les autres, je papillonnai de stupéfaction.

–  Tu ne veux pas changer de place ? insistai-je.

–  Pour aller où ?

–  Je ne sais pas, quelque part loin de moi ?

Son visage prit alors une expression incroyablement sérieuse.

–  Je suis navrée que ma présence t’importune, mais je ne bougerai pas d’ici. Il faudra t’y faire.

–  Non, ça n’a rien à voir ! m’affolai-je, les joues enflammées. Tu n’as pas peur de moi ?

Elle me toisa de haut en bas et pouffa d’un rire mélodieux qui irradia son être de lumière.

–  Tu dis toujours autant d’absurdités ou c’est le soleil qui te fait cet effet ?

Je la détaillai de mes yeux ahuris en me demandant si je n’étais pas tout simplement en train de rêver. Comme pour mettre fin à mes doutes, la jolie blonde enchaîna :

–  Je suis désolée, je ne me suis même pas présentée à toi depuis le début de l’année. (Puis, elle me tendit sa main.) Tsunata Nara !

Je clignai deux ou trois fois des paupières avant de la saisir sans trop de conviction et de balbutier :

–  Shû… Shûhei Hisagi.

Elle serra ma main dans un sourire sincère et ironisa :

–  Shû-Shûhei ? C’est pas commun, ça, comme nom !

–  Mais non ! m’empourprai-je. C’est juste Shûhei !

Elle rit de plus belle.

–  Eh bien, juste Shûhei, je suis ravie de faire ta connaissance !

–  M-moi aussi, Nara-san.

Sans lâcher ma main, elle noya ses iris verts dans mon regard et dit d’un ton égayé :

–  Tu peux m’appeler Tsunata, Shûhei.

Au même instant, la sonnerie retentit, signalant ainsi le début des cours. Alors que de nombreux murmures tels que « Regarde, la nouvelle s’est installée à côté du punk ! Et en plus, elle rigole avec ! » fusaient çà et là dans la salle, je ne cessais de rougir en songeant de nouveau à la scène improbable qui venait de se tenir. Moi qui pensais être seul une fois de plus et devoir me contenter d’observer de loin l’incarnation de la perfection à mes yeux, je me retrouvais assis à quelques centimètres d’elle, si près que je pouvais me délecter du doux parfum qui émanait d’elle tandis qu’elle observait avec beaucoup de concentration les diverses notes que le professeur inscrivait devant nous.

Elle venait de s’excuser de ne pas s’être présentée à moi durant les derniers mois, mais si mes souvenirs étaient bons, ce dont je ne doutais pas, elle ne l’avait fait avec aucune autre personne dans cette classe. Elle m’avait sommé de l’appeler par son prénom alors que nous ne nous connaissions pas, et avait prononcé le mien d’une façon qui me faisait frémir chaque fois que j’y songeais. Et, plus que tout, elle avait accepté de s’asseoir à côté de moi, celui que tout le monde s’accordait à considérer comme la bête noire de la classe, sinon de l’établissement tout entier, et avait ri à la simple mention de la peur qu’elle aurait dû ressentir à mon égard. Tsunata Nara ne cessait de nourrir le mystère planant autour d’elle.

Comme au début de l’année scolaire, notre premier cours fut Japonais moderne, et je me sentis soulagé de ne pas me trouver en difficulté dès les premiers instants passés à côté de la première au classement du lycée. Ce que j’avais en revanche oublié, c’était que le deuxième cours sonnerait le glas de ma crédibilité à ses yeux.

Pour ne rien arranger à ma situation, Urahara-sensei s’était exalté de mettre en place un test de connaissances sur la théorie de la relativité restreinte. Après avoir déglutit péniblement, je me creusai les méninges comme je ne l’avais jamais fait depuis de nombreuses années. Malheureusement, celles-ci ne semblèrent pas apte à reprendre du service aussi soudainement, et ma feuille conserva son blanc immaculé après que j’eus inscrit un « b » majuscule dans la marge.

A cet instant, je maudis Urahara-sensei comme jamais je n’eus maudit quelqu’un auparavant. Et pour ne rien arranger, j’entendis sans cesse le crayon de Tsunata gratter frénétiquement sa feuille. Je fulminai littéralement. J’eus beau retourner le problème dans tous les sens, je ne parvins pas à me souvenir de la formule précise que l’on me demandait, et les résultats que j’obtins furent d’une absurdité qui me révolta outre mesure.

Alors que je bouillonnai en constatant l’étendue de mon ignorance qui me vaudrait sans le moindre doute un second redoublement, j’entendis le son d’une feuille glisser légèrement vers moi. Interloqué, je découvris sous le bras de Tsunata une note à mon adresse, rédigée dans une écriture au moins aussi raffinée que sa propriétaire.

« N’oublie pas que sous terre, tout a une racine ;) »

Je la regardai d’un air abasourdi auquel elle répondit par un petit gloussement ensoleillé dont elle seule avait le secret. C’est alors que me vint la clef de mon erreur : « sous terre, tout a une racine ». J’avais oublié d’appliquer la racine carrée à l’ensemble de mon dénominateur. Sans ménagement, je me frappai le front et corrigeai ma faute pour enfin parvenir à résoudre l’exercice. Si nous n’avions pas été en public, je peux certifier que je me serai jeté à genoux pour la vénérer.

Toutefois, je conservai mon calme jusqu’à la fin du cours de physique. Une fois sûr qu’Urahara-sensei était sorti, je me tournai vers la jolie blonde et bafouillai par-delà mes joues colorées de gêne :

–  Merci, pour tout à l’heure.

Elle se tourna vers moi, apparemment surprise, et me sourit avec une douceur palpable :

–  Je n’ai rien fait de spécial. Tu avais la réponse, c’est seulement que tu ne te faisais pas suffisamment confiance et que tu as fini par te laisser gagner par le stress. Tu as les capacités d’y arriver, Shûhei, il faut seulement que tu arrêtes d’en douter.

Je me demandai sincèrement comment elle avait fait pendant ces derniers mois pour ne pas avoir rameuté derrière elle une horde de groupies. Impossible qu’une fille pareille soit disponible, encore moins pour un type comme moi. Mais je ne pus empêcher mon cœur de battre la chamade tandis que ses mots m’envahirent d’un sentiment proche de celui que l’on ressent lors des premiers jours de soleil après un hiver sans fin.

Je n’ajoutai plus un mot et attendis que le reste de la matinée se passe, non sans accorder régulièrement un regard en coin à la petite intellectuelle qui siégeait à présent à côté de moi. Je constatai avec étonnement que, contrairement au premier trimestre, Tsunata ne s’empressait plus de remettre ses écouteurs à chaque intercours. J’aurai pu penser qu’elle s’était sans doute lassée de sa musique durant l’été, mais le simple fait d’imaginer qu’elle le faisait pour rester à mon écoute me comblait d’une fierté sans précédent. Seulement, et ce à mon plus grand damne, je n’arrivai pas à surpasser la timidité que sa présence m’imposait pour la questionner à son sujet.

L’heure du déjeuner arriva à grands pas, et Tsunata se dirigea vers la sortie avant même que je n’ai pu l’en empêcher. De toute façon, Kira m’attendait sur le toit avec les autres pour discuter de la stratégie que nous allions adopter lors de notre prochain match.

Durant cette demi-heure, je m’interrogeai sur les compétences de Tsunata en épreuves sportives : si elle excellait dans les sciences, elle brillait par son absence lors des cours de sport. J’avais demandé à quelques uns des membres de mon équipe du jour – car il n’y avait guère qu’au cours de ce genre d’opportunités que les autres trouvaient une certaine utilité à me parler –, mais personne n’en connaissait les raisons.

Kira sembla remarquer mon trouble puisqu’à la fin de la pause, il me prit à part.

–  Qu’est-ce qui t’arrive, Hisagi ? C’est limite si tu souris, aujourd’hui.

–  C’est rien, ne t’en fais pas.

–  A d’autres, dis-moi ce qui te travaille.

Je pris une profonde inspiration et lui assura :

–  Je t’expliquerai ce soir, pendant l’entraînement.

–  T’as plutôt intérêt, mon vieux.

Puis il partit, et j’en fis de même. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’en rentrant dans la salle, je découvris Tsunata, assoupie sur sa table, les écouteurs profondément enfoncés dans les oreilles. Avec volupté, je me glissai derrière elle et atteignis ma chaise sans même la faire sourciller. Une fois installé, je profitai du spectacle offert par l’air serein de son visage, jusqu’à ce que la sonnerie coupe court à ce moment de plénitude inattendu.

Comme tout un chacun aurait pu l’envisager, la musique de Tsunata l’empêcha de s’éveiller au son du début de l’après-midi. Prenant mon courage à deux mains, j’approchai timidement de ma camarade en analysant chaque partie d’elle qu’elle laissait involontairement visible. Sa respiration, lente et profonde, soulevait régulièrement sa poitrine rebondie tandis que ses joues, légèrement rosées par la chaleur, étaient à demi dissimulées par quelques unes de ses longues mèches dorées. Son parfum, à la fois fruité et sucré, m’évoquait un sentiment de réconfort qui, en y repensant, ne m’étonnait guère venant d’elle. La peau de ses jambes, discrètement halée par le soleil et en partie camouflée par les grandes chaussettes de l’uniforme réglementaire, paraissait d’une douceur au moins égale à celle dont elle pouvait faire preuve à l’égard d’un rebut de la société tel que moi. Observer Tsunata dans son intégralité était un réel plaisir pour les yeux.

Délicatement, je tendis ma main vers elle et saisit avec beaucoup de précaution son épaule gauche. Je la secouai doucement, aussi grimaça-t-elle d’un air adorable avant d’ouvrir péniblement les yeux et de m’interroger silencieusement. Je lui souris alors, sans trop savoir pourquoi, et elle me répondit par la même expression, accélérant de plus belle mon rythme cardiaque décidément mis à rude épreuve en ce jour de rentrée. Elle retira l’écouteur le plus près de moi, et je m’empressai d’ajouter :

–  La sonnerie vient de retentir, le cours va bientôt commencer.

Elle saisit son téléphone et ferma l’application musique avant d’enrouler le câble de ses écouteurs tout autour de l’appareil, puis de ranger ce dernier dans son sac. Elle resserra sa queue de cheval et débarrassa avec minutie les quelques mèches rebelles qui venaient agacer son visage encore ensommeillé.

Sans doute l’avais-je considérée avec un peu trop d’insistance, puisque la jolie blonde se tourna de nouveau vers moi et plongea ses yeux d’un vert si rare dans mon regard. Me sentant rougir, je me précipitai pour trouver de quoi détourner son attention de mon comportement à son égard.

–  Tu… tu manges dans la salle de classe ?

–  Ça m’arrive, répondit-elle en haussant les épaules. Pourquoi ?

–  Je pensais que tu rejoignais tes amis, avouai-je en passant la main dans mes cheveux ébène.

Elle me regarda avec curiosité avant de sourire sincèrement :

–  Avant, c’était le cas, mais depuis qu’Ichigo s’est enfin déclaré à Orihime, je préfère les laisser tranquilles.

–  Kurosaki et Inoue-san sortent ensemble ? m’exclamai-je avec plus de surprise que je ne l’aurai voulu.

–  Oui, depuis les vacances dernières, rigola-t-elle. Tu les connais ?

D’un air rembruni, je me tournai vers l’avant de la salle et appuyai avec nonchalance mon menton dans le creux de ma main.

–  Difficile de ne pas connaître Kurosaki : il faisait partie de l’équipe de basket, avant de nous quitter pour rejoindre le club de foot. Quant à Inoue-san, on était dans la même classe, l’année dernière. C’est quelqu’un de vraiment remarquable.

–  Patiente et délicate, il n’y avait guère qu’elle pour apprivoiser cette brute épaisse d’Ichigo, tu ne crois pas ?

Surpris qu’elle ait dit tout haut ce que je pensais alors tout bas, je me tus en la toisant de cet air effaré qu’elle devait penser être mon expression habituelle, puisque je la revêtais sans interruption depuis le matin même.

Urahara-sensei fit son entrée, et nous dûmes de nouveau nous concentrer. Toutefois, mon attention se détourna rapidement du cours d’anglais : bien qu’il ne s’agissait d’un secret pour personne, Tsunata n’avait pas paru surprise d’apprendre que je faisais partie du club de basket, le seul endroit où ma cote de popularité ne frôlait pas le néant. Débordant d’un égo injustifié, je me gratifiai du fait que, peut-être, la mystérieuse nouvelle s’était intéressée à mon sujet, avant de revenir sur Terre et de me dire qu’elle l’avait sûrement appris au détour d’une quelconque conversation avec Kurosaki et Inoue-san.

C’est alors qu’un autre détail me laissa un goût amer : une fois de plus, Tsunata s’était retrouvée seule. Je ne pouvais être en reste devant une situation que je ne connaissais que trop bien. Par respect pour ses amis, elle avait pris le parti de s’accommoder un peu plus à la solitude, et je ne pouvais pas laisser passer ça. Ainsi, une nouvelle résolution naquit en moi, et je me jurai de m’y tenir dès le lendemain.




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