Never Light Without Darkness

Chapitre 2 : Bon appétit !

3261 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/09/2017 21:08

La journée de notre rentrée passa bien plus vite que je ne l’aurai voulu, ce qui me surprit véritablement alors que je vouais un profond mépris pour tout ce qui touchait de près ou de loin à l’univers scolaire.

Lorsque quinze heures trente sonnèrent, Tsunata rangea d’un geste vif l’ensemble de ses affaires et dégaina l’objet qu’elle semblait vénérer secrètement. Avant de se murer dans son monde à elle, elle se tourna vers moi et m’adressa un sourire que je m’empressai de graver dans ma mémoire.

–  A demain, Shûhei !

Tandis que les autres gars de la classe nous regardaient avec des yeux ronds comme des billes, à la limite d’une dépression ponctuée par un décrochement de la mâchoire, je lui rendis son attention avec fierté et répondis :

–  A demain, Tsunata.

Si je n’avais pas eu entraînement ce soir-là, je lui aurai proposé de la raccompagner, mais les autres m’attendaient d’ores et déjà au gymnase, et je ne pouvais me permettre de les abandonner sans le moindre justificatif.

Alors que nous nous échauffions avec beaucoup de soin, Kira augmenta ses foulées pour s’approcher de moi.

–  Tu devais pas me dire un truc, Hisagi ?

–  Parce que tu trouves vraiment que c’est le moment de discuter ? rétorquai-je.

Notre manager nous vit au loin et souffla de toutes ses forces dans son sifflet pour nous interpeler.

–  Vous deux, fit-elle d’un ton menaçant, approchez.

Sans plus de cérémonie, Kira et moi nous exécutâmes tandis que je le toisais avec une rancœur devenue presque physique. Lorsque nous arrivâmes à sa hauteur, Rangiku Matsumoto passa ses bras autour de nos épaules et rapprocha nos oreilles de sa bouche.

–  Alors, les gars, c’est quoi les commérages du jour ?

Définitivement, il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Sans doute était-ce pour cela qu’ils avaient fini par se mettre ensemble durant les vacances de printemps. Kira afficha un air sournois sur son visage d’habitude débordant de lassitude et ricana :

–  Je crois qu’Hisagi est distrait.

Je grognai de rage. En appuyant de la sorte sur ce mot, Kira savait pertinemment à quelle conséquence cela allait aboutir. C’est ainsi que Rangiku s’exalta sans la moindre discrétion :

–  Tu t’es enfin trouvé une copine ?

Rouge jusqu’aux cheveux, je me retournai et constatai que tous s’étaient arrêtés de courir pour n’avoir désormais d’yeux que pour nous.

–  Arrêtez de nous fixer comme ça ! vociférai-je. Je n’ai pas de petite-amie, alors occupez-vous de ce qui vous regarde !

Je pus remercier silencieusement ma réputation de punk peu fréquentable en cet instant, puisque les curieux reprirent leur entraînement d’un commun accord sans broncher davantage. Je soupirai d’un demi-soulagement, avant de fusiller Kira du regard.

–  Pas la peine de me dévisager, dit-il en croisant les bras. Je te rappelle que la veine sur la tempe, ça fonctionne pas avec moi.

–  Allez, Shûhei ! supplia presque Rangiku. Dis-nous ce qui te préoccupe tellement !

Je leur expliquai dans les moindres détails le miracle qui s’était produit en début de journée, ainsi que tous les évènements ayant fait s’emballer mon cœur. Je ne saurai dire la manière avec laquelle je leur énumérai chaque aspect de cette rentrée, mais Kira semblait captivé par le moindre de mes mots tandis que son alliée rougissait d’une joie plus qu’explicite. A la fin de mon récit, elle joignit les mains sous son menton et chantonna avec des yeux pétillants d’émerveillement :

–  Je l’adore déjà ! Qui est cette jeune fille ?

–  Tsunata Nara, répondis-je avec fierté.

–  Tsuna…

Nul doute que je l’avais dit un peu trop fort, puisqu’un silence de mort prit de nouveau en otage l’ensemble du gymnase. C’est alors qu’apparurent dans mon dos trois membres de l’équipe que je considérai comme de très bons amis, mais de qui j’évitai soigneusement les conseils.

–  Tu veux dire que t’as réussi à amadouer la blondinette ? jubila Ikkaku Madarame.

–  Elle est d’une rare beauté, crut bon d’ajouter Yumichika Ayasegawa.

–  Eh bah ça alors ! me félicita Renji Abarai en frappant synchroniquement sur mon épaule. Si on s’attendait à un tel exploit de ta part !

–  Fermez-la ! grognai-je.

Rangiku sembla réfléchir ardemment, ce qui n’était vraiment pas pour me rassurer, puis elle frappa son poing dans la paume de sa main d’un air déterminé, comme si le génie venait de traverser son esprit.

–  Il faut que tu suives ses conseils, Shûhei !

J’haussai un sourcil pour lui faire comprendre mon incrédulité.

–  Tsunata t’a dit de te faire plus confiance, et que tu étais en mesure d’augmenter tes résultats tout seul. Ça signifie donc qu’elle croit en toi.

–  Putain, t’as vraiment fait fort, sur ce coup-là, constata Abarai.

Alors que je m’apprêtai à lui exprimer ma façon de penser, Rangiku intervint de nouveau.

–  Tu n’as pas le droit de la décevoir ! affirma-t-elle. Il faut que tu te reprennes en mains !

–  Que je me reprenne en mains ? Mais, comment ?

–  Fais ce que tu n’as plus fait depuis la disparition de Tôsen-sensei, ajouta Kira. Ouvre un bouquin, et étudie.

Je les toisai l’un l’autre de mon air le plus ahuri.

–  Regarde la vérité en face, dit Rangiku. Avant ce drame, tu ne t’en sortais pas si mal. De plus, aujourd’hui, tu as une motivation supplémentaire : montre à Tsunata qu’elle n’a pas eu tort d’avoir confiance en toi, montre-lui l’étendue de ta détermination et comme tu es quelqu’un qui en vaut le détour. Montre-lui qui est réellement Shûhei Hisagi.

De telles paroles m’auraient étonné sortant de la bouche de n’importe qui, mais certainement pas de la part de Rangiku Matsumoto. Elle, Kira et moi, nous nous connaissions depuis le plus jeune âge, et seuls ces deux là avaient un réel pouvoir sur moi. Du moins, à présent, je pourrais sûrement y ajouter ma voisine de classe.

–  Bien ! me résolus-je.

Ce soir-là, je rentrai tard dans mon studio dépourvu d’une quelconque présence autre que la mienne. Allongé sur mon lit déplié, je ressassai chaque élément de cette incroyable journée. Moi, étudier sérieusement et augmenter mes résultats de mon propre chef ? Cela me semblait irrationnel. Cependant, alors que le sommeil me gagnait, je songeai à combien j’aimerais inscrire sur le visage de Tsunata Nara une profonde fierté à mon égard.

Le lendemain, pour la première fois depuis des années, je me réveillai au comble du bonheur et sautai de mon lit dans un enthousiasme non dissimulé. J’étais si pressé de me trouver de nouveau aux côtés de ma voisine de table que je pus à peine manger le tiers du petit-déjeuner que je m’étais préparé. Je fonçai prendre une douche minutieuse, me coiffai avec un soin peu commun, m’appliquai à m’habiller comme à mon habitude et pulvérisai dans le creux de mon cou davantage de parfum qu’à l’accoutumée. Ainsi, avec près d’une demi-heure d’avance, je sortis de chez moi et entamai avec entrain le chemin menant jusqu’au lycée.

Comme la veille, j’arrivai avant elle et m’installai à la table neuf, près de la fenêtre. D’un air faussement absent, je sondai le portail pour voir arriver celle qui habitait chacune de mes pensées. C’est alors que je ressentis une présence à proximité de mon visage et qu’un bruissement musical parvint à mon oreille droite.

–  Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

Je sursautai instantanément en posant contre mon cœur affolé une main crispée par la surprise, les joues dorénavant cramoisies. Cette réaction des plus excessives arracha à la jeune femme son rire le plus mélodieux.

–  Tsu… Tsunata ?

–  Désolée de t’avoir fait si peur, Shûhei, mais tu avais l’air complètement subjugué par ce qui se passait dehors. Alors, qu’est-ce qui t’intrigue autant ?

–  R-rien ! mentis-je. Je rêvassais, c’est tout !

Elle s’installa en ne cessant d’afficher son sourire si parfait, puis sembla s’embarrasser légèrement en préparant sa prochaine question.

–  C’est le basket qui te fatigue autant ? L’entraînement doit être dur, non ?

Surpris, je mis un temps à lui répondre.

–  Euh, oui, un peu. Mais ce n’est rien, j’adore ça. Et toi, tu fais du sport ?

L’expression de son visage changea soudainement, et j’aurai voulu me gifler pour avoir été aussi indiscret. Affolé, je m’empressai d’ajouter :

–  Excuse-moi, je ne voulais pas te faire de mal ! J’ai dit quelque chose qui ne fallait pas, c’est ça ? Ce que je peux être con, des fois !

Elle retrouva sa mine amusée et posa sa main sur mon avant-bras.

–  Ne dis pas n’importe quoi, j’ai seulement été un peu surprise. Arrête d’être aussi dur avec toi-même, je t’assure que tout va bien.

Tout n’allait pas bien, et j’en étais parfaitement conscient. C’est sûrement à cause de l’inquiétude qu’elle avait pu lire sur mon visage qu’elle déclara en baissant les yeux :

–  Pour tout te dire, j’ai eu un accident l’automne dernier, et je suis dispensée de sport pour l’instant.

Sans m’en rendre compte, je réduisis la distance entre nous et plongeai mon regard soucieux dans le sien.

–  Un accident ? Et tu vas bien ?

–  La preuve, rit-elle, je suis devant toi !

Alors que je m’insurgeai de ma stupidité, son visage changea une fois encore d’expression. Je la considérai sérieusement lorsqu’elle s’approcha et huma soudainement mon cou. Parcouru d’un violent frisson, mes joues ne tardèrent pas à être le théâtre d’un nouvel incendie. Elle recula doucement pour accrocher mon regard et dit d’une voix étonnamment suave :

–  J’aime vraiment ton parfum.

Abasourdi, je ne fis pas même attention à l’entrée du professeur et au début des hostilités. Cette fille avait un don indéniable : celui de me perturber. Mais pourquoi agir ainsi avec moi, celui qui effrayait tout le monde par sa simple présence, alors qu’elle suscitait la convoitise de tous sans même avoir à ouvrir la bouche ? A elle seule, elle représentait pour moi une énigme complète.

La matinée suivit son cours après que j’eus réussi à retrouver une once de calme. Comme la veille, à chaque intercours, Tsunata se retenait de mettre ses écouteurs et m’accordait quelques regards d’une douceur presque palpable avant de me sourire discrètement ; comme la veille, je n’arrivais toujours pas à vaincre ma timidité et à l’aborder sur un sujet, aussi quelconque soit-il.

L’heure du déjeuner arriva, et Tsunata se dirigea vers la porte. Je redoutai qu’elle ne mange cette fois avec ses amis, mais j’étais décidé à mettre mon plan à exécution.

Je compris qu’elle s’était en fait rendue à la cafétéria lorsqu’elle revint dans la salle quelques minutes plus tard en mâchouillant de ce minois adorable une bouchée du pain de viande qu’elle venait d’acheter. Elle se stoppa net dans l’encadrement lorsqu’elle me vit attablé en sirotant distraitement une brique de jus prise dans ma réserve le matin-même. Ses joues se parsemèrent d’une couleur rosée dont je ne me lassais pas, puis elle me rejoignit et s’assit à côté de moi.

–  Tu ne manges pas avec tes amis ? me demanda-t-elle après avoir avalé sa bouchée.

–  Ils avaient tous quelque chose à faire, mentis-je de nouveau.

Aux vues de son large sourire, je compris qu’elle n’avait pas réellement accordé de crédit à mon excuse, mais elle se contenta de garder ce constat pour elle seule. Avec un intérêt certain, elle se pencha vers moi et me demanda :

–  Alors, qu’est-ce que tu manges de bon ?

Je regardai avec un peu de honte la boîte qui jonchait ma table et répondit :

–  Des onigiri.

–  Des onigiri ?

Son air surpris m’incita à lui révéler le contenu exact de mon repas, et ses yeux s’agrandirent à la vue des deux pauvres onigiri que je n’avais pas trouvé la force d’avaler au petit-déjeuner. D’un sourcil arqué, elle revêtit un faciès apparemment contrarié et s’indigna :

–  Tu vas te contenter de ça ?

Elle fit tiquer sa langue contre son palais et arracha en deux son pain de viande, me tendant par la suite la partie qu’elle n’avait pas touché et qui faisait plus de la moitié de son repas.

–  Tu dois manger plus, Shûhei, sinon tu risques de tomber malade ou de te blesser pendant un match.

–  Quoi ? Mais, et toi ?

–  Ce que j’ai me suffit.

–  Tu plaisantes ? Ton cerveau fonctionne à mille à l’heure toute la journée, tu as besoin de forces autant que moi !

Elle réfléchit un instant, puis proposa :

–  Dans ce cas, en échange de ce morceau de pain de viande, tu me donnes le plus petit de tes onigiri. Comme ça, je ne mourrai pas de faim, et tu auras l’énergie nécessaire pour terminer la journée. Ça te va ?

Non, ça ne m’allait pas du tout : en plus de se sacrifier pour moi, elle voulait manger quelque chose que j’avais préparé la veille sans grand enthousiasme ! Ma crédibilité à ses yeux allait de nouveau être bafouée, mais avant que j’eus le temps de protester, elle mit à exécution le troc qu’elle venait de décider et me sourit comme pour me rassurer :

–  Bon appétit !

Je voulus l’en empêcher, mais elle fut plus rapide que moi et goûta mon plat avant même que je n’ai eu le temps de dire ouf. Je l’observai alors mâcher doucement sa première bouchée et m’horrifia en découvrant que son visage prenait quelques couleurs au gré où ses yeux s’écarquillèrent. Elle se tourna d’un geste vers moi, me faisant de nouveau sursauter, et s’enquit :

–  C’est toi qui as fait ça ?

Je ne savais comment réagir, mais je décidai d’être honnête et d’acquiescer silencieusement. C’est alors que son regard s’illumina de multiples étincelles et qu’elle s’exclama :

–  J’ai jamais rien mangé d’aussi bon !

Je m’étranglai avec ma propre salive. Etait-elle sincère, ou essayait-elle simplement de m’être agréable ? Lorsque je la vis prendre une nouvelle bouchée avec passion, je compris qu’elle n’était pas du genre à se forcer pour faire plaisir aux autres, et qu’elle disait simplement ce qu’elle pensait quand elle le pensait. Amusé de la voir si enthousiaste, je pris l’initiative de manger le pain de viande qu’elle venait de me donner. Tsunata ne le savait probablement pas, mais il s’agissait d’un des plats que j’affectionnais particulièrement, et que je ne pouvais m’offrir qu’en de rares occasions en raison de la faible allocation que je recevais chaque mois de mon parrain. De plus, elle n’avait pas eu tort lorsqu’elle avait attesté que je me sentirai plus repus de cette manière. Pour la première fois depuis longtemps, je finissais la pause du déjeuner le ventre plein, et le cœur débordant de chaleur.

Je pris un plaisir indissociable à l’observer manger son repas près de moi, guillerette au possible. En totale opposition avec la distance dont elle avait fait preuve au premier trimestre à l’égard des autres, elle me montrait une facette d’elle qui s’extasiait de tout, relativisait toujours et restait optimiste coûte que coûte. Sa simple présence suffisait à rendre mon existence plus douce, et je ne regrettais en aucun cas d’avoir ainsi abandonné mes amis sur le toit avec pour excuse un simple mail que Kira comprendrait sûrement.

Un quart d’heure avant la reprise, tandis que nous discutions tout en dégustant notre déjeuner partagé et que Tsunata riait à tue-tête, je m’aperçus qu’un peu de sauce surmontait sa lèvre supérieure. Sans réfléchir, je me penchai vers elle en l’apostrophant :

–  Tsunata, tu…

A l’instant où j’essuyai de mon pouce son visage rougissant, nous entendîmes au fond de la salle la consternation de ceux présents parmi nous.

–  Comment ose-t-il la toucher ? s’insurgea l’un d’entre eux.

–  Nara-san est bien trop gentille avec lui, il ne mérite pas une telle attention de sa part !

–  C’est dégueulasse, je me demande ce qu’il a bien pu lui faire pour qu’elle s’intéresse à lui !

–  Si tu veux mon avis, il doit sûrement la menacer en dehors des cours.

Je sentis mon sang ne faire qu’un tour en constatant à quel point la stupidité n’avait pas de limite, et alors que je m’apprêtais à user de la force pour les faire taire, Tsunata prit les devants.

–  Tu sais, Shûhei, je me fiche de ce que tout le monde peut bien dire sur toi.

Elle dirigea son regard sur moi et sourit :

–  Je n’ai pas besoin d’eux pour savoir quelle personne formidable tu es.

Mon cœur manqua une fois de plus un arrêt fatal. Elle venait de le dire suffisamment fort pour que toute la classe l’entende, et tandis qu’elle reprenait le cours de notre précédente conversation, je sentis fulminer les autres d’une honte qui fit davantage gonfler ma fierté.




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