Never Light Without Darkness

Chapitre 9 : Bonus

Chapitre final

4674 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/11/2017 22:35

Un tintement strident et régulier m’arracha brutalement du profond sommeil dans lequel j’avais pris plaisir à me perdre. La tête dans l’oreiller, je tentai d’éteindre à tâtons l’objet de mon présent malheur. Au bout de près d’une minute, tandis que mes oreilles atteignaient leur seuil de tolérance, je donnai un coup de poing sur l’appareil satanique et le fis définitivement taire dans un grognement rageur.

Je poussai un soupir d’aise lorsque ma porte s’ouvrit.

–  Tsunata-chan, fit ma belle-sœur en entrant doucement. Tu vas être en retard pour la ren… Ne me dis pas que tu as encore cassé ton réveil ?

Je relevai suffisamment la tête pour que mon œil gauche puisse la toiser d’un air las, puis analysai ses premières paroles.

En retard pour quoi ?

Lorsque mon cerveau acheva les connexions manquantes, j’écarquillai les yeux et tentai de bondir de mon futon, avant que la couverture ne s’enroule autour de mes pieds et me fasse lourdement chuter.

–  C’est la rentrée ? m’exclamai-je.

–  Oui, rit Miya. Dépêche-toi si tu ne veux pas arriver la dernière, encore.

–  Je vais prendre note de tes conseils.

Elle s’esclaffa à tue-tête tandis que je luttais ardemment contre l’emprise de mon futon. Une fois débarrassée, je pris une douche trop brève à mon goût, enfilai l’uniforme de mon nouveau lycée, relevai mes cheveux en arrière, puis dévalai les escaliers pour avaler en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire le petit-déjeuner préparé par Miya. Par chance, mon frère s’en était déjà allé.

–  Je ne dirai rien à Akio pour le réveil, mais c’est la dernière fois.

–  T’es une chic fille, lui répondis-je les joues pleines de céréales.

Je ne m’attardai pas davantage et pris la direction de la porte. Avant que mes écouteurs ne prennent leur position habituelle, j’entendis la fiancée de mon aîné accourir pour me sourire :

–  Au fait, joyeux anniversaire, Tsunata-chan !

Je lui répondis dans une expression similaire et partis pour Daiichi. Je m’appelle Tsunata Nara, et aujourd’hui âgée de dix-huit ans, je m’apprête à faire mes premiers pas dans le lycée de Karakura. Là-bas, je ne connais personne, sinon la jeune femme qui travaille dans la boulangerie où j’adore flâner, Orihime Inoue, ainsi qu’Ichigo Kurosaki.

Sur le chemin du lycée, je songeais aux années passées à Kagamino, la ville qui m’avait vue grandir. Le fait d’avoir quitté mon ancien établissement scolaire ne m’attristait pas plus que ça, puisque je n’avais que peu d’amis et que j’étais intimement convaincue de les revoir un jour. Ce qui me dérangeait le plus était de renoncer à nos laboratoires qui, il fallait l’avouer, étaient une petite parcelle de paradis sur Terre.

Sans m’en rendre compte, je me retrouvai devant les grilles de Daiichi. Je vis au loin les gens se saluer avec entrain et rire de leurs expériences vécues au cours des dernières vacances. Les années précédentes, je n’avais jamais réellement pu entretenir ce genre de rapports avec autrui ; les autres me dévisagent sans cesse chaque fois que l’on m’accorde la parole en cours et pensent de surcroît que je les méprise pour leur normalité. Il n’en a jamais été question. Ceci dit, impossible de leur faire entendre raison, et je me résolus à l’idée qu’il en serait de même cette année.

Je me dirigeai donc d’un pas déterminé dans le hall du lycée, ma musique rythmant chacune de mes enjambées. Une fois encore, tout le monde m’observait d’un air interdit, probablement à cause de la couleur inhabituelle de mes cheveux. Je n’y prêtais plus attention depuis de longues années. De toute façon, je ne savais pas plus qu’eux pourquoi j’étais aussi différente, alors essayer de leur apporter une quelconque réponse était inutile.

Me voici enfin devant le grand tableau sur lequel étaient accrochées les feuilles d’appel de chaque classe. Je cherchai rapidement celles de terminale et les parcourus tout aussi vite. Il ne me fallut que peu de temps pour découvrir que je faisais partie de la seconde classe. En y regardant de plus près, je compris que je ne serai pas avec mes deux meilleurs amis, mais souris néanmoins en sachant qu’ils ne seraient pas séparés : Orihime était éperdument amoureuse du rouquin, et j’étais persuadée qu’il en était de même du côté de cet idiot borné.

Les couloirs jusqu’à ma salle me parurent interminables. Je redoutai une fois de plus de m’attirer les foudres de mes camarades pour des raisons qui m’échappaient. Comme pour mettre fin à mes tourments, j’augmentai le son dans mes écouteurs et secouai vigoureusement la tête. Je n’avais pas le droit d’être aussi négative alors que la journée ne faisait que commencer, qui plus est le jour de ma majorité.

Je vis le numéro de notre salle à quelques mètres. Je pris une profonde inspiration et poursuivis ma route, le regard plongé sur mon téléphone pour réduire de quelques décibels ma chanson préférée : un morceau des Spyair, du rock comme je l’apprécie. Mais au moment où je m’apprêtai à passer l’embrasure de la porte, je relevai la tête et m’arrêtai devant la personne que j’avais failli percuter. Nos regards se noyèrent l’un dans l’autre, et je sentis mon cœur s’arrêter : il s’agissait d’un jeune homme aux allures de punk, un grand brun aux yeux argentés et au visage balafré. Ses cheveux en bataille et les chaînes qu’il avait au cou auraient pu accentuer son air revêche aux yeux de tout le monde, mais aux miens, cela lui rajoutait un peu plus de charme. Malgré tout, je réussis à garder une contenance de façade et passai devant lui, comme si de rien n’était.

Mais, bon sang, qui était ce garçon ?

***

Le midi, dans la salle de classe de mes meilleurs amis, je songeai encore à cette rencontre. J’avais appris de la bouche de certains de nos camarades de classe qu’il s’appelait Hisagi, et qu’il ne jouissait pas d’une grande réputation. Je trouvai que leurs excuses pour le mettre à l’écart étaient toutes plus absurdes les unes que les autres. Personnellement, je ne voyais que sa souffrance et la douceur qui devait le caractériser secrètement.

Hisagi était assis deux rangées derrière moi, côté fenêtre tandis que je me trouvai dans l’allée centrale. Par moments, je sentais son regard posé sur moi et me retournais pour en être certaine, mais il détournait subitement son attention sur l’extérieur et je reprenais ma position de base, étrangement attristée de ne pas avoir pu le surprendre dans sa contemplation secrète.

J’étais tellement subjuguée par le souvenir de cette première matinée entre les murs de Daiichi que j’entendis à peine Ichigo beugler ceci :

–  Hé, blondie ! T’es avec nous ou tu cueilles des pissenlits avec les leprechauns dans ton monde merveilleux ?

–  C’est vrai, Tsuna-chan ? Tu connais des leprechauns ?

–  Question : pourquoi vous me parlez de leprechauns ?

–  Parce que t’es perchée, voilà pourquoi.

–  Quelque chose te tracasse, Tsuna-chan ?

Alors que je lançai un regard venimeux au rouquin, je me radoucis au son de la voix de ma meilleure amie. Je regardai d’un air pensif mon pain de viande et dis distraitement :

–  C’est ce garçon, dans ma classe.

–  Ah bah, tu perds pas de temps toi, lâcha celui que je me promettais d’étrangler en sirotant sa brique de jus de fruits.

–  Je suis sûre qu’il doit s’agir d’un gentil garçon ! Comment s’appelle-t-il ?

–  Vous connaissez un certain Hisagi ?

Mon meilleur ami cracha sa prochaine gorgée, les yeux exorbités. Tandis qu’il toussait comme s’il venait de frôler la mort de près, il me considéra d’un air effaré et s’égosilla presque :

–  Tu veux dire « Shûhei Hisagi » ?

Alors son prénom était Shûhei ? Je trouvai que ça lui allait à merveille.

Orihime tapa doucement contre le dos de celui pour qui son cœur battait tout en me prêtant un sourire rassurant.

–  Hisagi-kun est quelqu’un de plutôt réservé, mais je suis sûre que c’est une bonne personne.

Je souris en retour. Il était rare que quelqu’un arrive à s’attirer les foudres de ma meilleure amie, donc sa remarque était à prévoir. Néanmoins, j’en retins ce que j’avais déjà pu observer : il s’agissait d’un jeune homme peu avenant.

–  Ouais, bah bon fond ou pas, c’est pas vraiment le genre de gars qu’on présente à ses parents pendant un repas de famille.

Puis Ichigo me regarda droit dans les yeux et dit dans un rictus moqueur ponctué par ses sourcils froncés :

–  Mais puisque t’es une tête de mule, je suppose que tu te fous royalement de ce que les gens peuvent penser de lui, pas vrai ?

Il marquait un point : j’étais plutôt du genre à aller dans le sens inverse de la marche, à me démarquer des autres, à ne me soucier que de ce dont moi j’avais envie et non pas ce que la société voudrait que je fasse. Ce que le commun des mortels pouvait penser de Shûhei Hisagi m’était donc complètement égal, du moment que lui n’en souffrait pas.

–  Bon, qu’est-ce que tu veux savoir à son sujet ?

Dans une moue émerveillée, je lui demandai de me transmettre tout ce qu’il avait en sa connaissance à propos de mon camarade de classe. J’appris donc qu’il jouait au basket, et qu’il était si doué qu’il était aussi surnommé « l’espoir de Daiichi ». En dehors de cette notoriété sportive, son apparence et son comportement faisaient qu’il n’avait aucun ami, si l’on faisait abstraction de ses équipiers du club. Quant aux petites-amies, Ichigo ne pouvait me certifier qu’il n’en avait pas, mais doutait sérieusement qu’une fille soit assez folle pour s’y risquer – enfin, à part moi, avait-il cru bon d’ajouter.

Sans m’en apercevoir, je souriais chaque fois qu’il énumérait de nouveaux faits sur son passé. J’étais si absorbée par notre sujet de conversation que je faillis ne pas entendre la sonnerie. Lorsque je partis en vitesse vers ma salle de classe, je pus entendre Orihime dire à Ichigo dans un sourire :

–  Je crois qu’elle a eu un coup de foudre.

Je rougis de la tête aux pieds. Moi ? Un coup de foudre ? Jamais une telle chose ne m’était arrivée. Mais si c’était avec ce mystérieux Shûhei que cela devait se produire, alors j’en étais heureuse. Puisque personne ne l’abordait jamais, j’allais briser la glace et me présenter à lui ! C’est avec cette motivation que je me hâtai de retourner dans la salle 3-2.

Les membres de mon groupe de rock favori m’encouragèrent dans chacun de mes pas. Je sentais mon cœur battre à tout rompre dans ma cage thoracique tandis que l’excitation de lui parler me faisait tourner la tête. J’arrivai enfin devant la porte. Je pris une profonde inspiration et apparus dans l’encadrement.

Quand je le vis, l’air pensif, mon courage décida de prendre un congé sabbatique. Il leva les yeux sur moi, et je m’empressai de détourner le regard, comme si le fait de passer à la chanson suivante était tout ce qui m’importait. Je m’insultai mentalement.

« Allez, Tsunata, remue-toi un peu ! Tu vas le regretter si tu ne le fais pas maintenant ! »

Mais alors que je redressai péniblement mon regard dans sa direction, je sentis une main se poser contre mon épaule. Je sursautai, puis constatai qu’il s’agissait de notre professeur, Urahara-sensei. Cet homme ne me semblait pas très net, et chacun de ses sourires sournois me donnait envie de le secouer comme un prunier.

–  Il est temps de retourner à ta place, Nara-san.

Je fulminai intérieurement.

« Dégonflée ! Tu peux bien te moquer d’Ichigo, tu vaux vraiment pas mieux que lui ! »

Puis j’allai m’assoir, poussant un bref soupir tandis que j’ôtai mes précieux écouteurs. Je pris mon crayon en main, puis tournai légèrement la tête vers Shûhei Hisagi. Un rayon de soleil caressait quelques unes de ses mèches ébène, et son regard argenté, plongé sur la feuille qu’il griffonnait d’un air absent, scintillait comme de véritables joyaux.

Mon cœur loupa un nouveau battement. Comment personne n’avait jamais pu se déclarer à lui ?

***

Le lendemain, alors que je sentais naître en moi la descendance de ma détermination perdue pour enfin aborder celui qui monopolisait mon esprit depuis le jour de mon anniversaire, je marchai dans les couloirs en feuilletant un ouvrage de Charles Dickens. Il était question d’un conte de Noël que j’affectionnais tout particulièrement. Je dévorai chaque page les unes après les autres, évitant instinctivement les obstacles sur ma route, lorsque j’entendis des cris au-dehors.

–  Hisagi ! Hisagi !

Je m’arrêtai et jetai un coup d’œil par les grandes vitres qui me séparaient de l’extérieur. Là, je compris que le club de basket s’était réuni dans la cour pour s’entraîner durant leur temps libre. Le premier joueur que j’aperçus fut bien évidemment le ténébreux auquel je ne cessais de penser : ses cheveux étaient humidifiés par la sueur, sa chemise était partiellement ouverte et laissait visible la naissance de son torse musclé, et ses gestes étaient d’une précision qui me stupéfia.

Lorsqu’il envoya le ballon à son ami chauve et que celui-ci marqua un panier fictif, le mystérieux punk passa la main dans sa frange pour dégager son front. Une partie de ses cheveux se plaça en arrière. Ce qu’il pouvait être séduisant.

–  Pas la peine de te dandiner en hélant mon nom, Madarame.

Même sa voix était incroyablement suave.

–  Tu veux bien répéter ce que t’as dit, pour voir ?

–  En plus d’être chauve, t’as un problème d’audition ?

–  Je n’suis pas chauve, enfoiré ! Je préfère me raser la tête, où est le mal ?

Alors qu’il soupirait de consternation et répondait par une nouvelle réplique cinglante, je me rembrunis. Shûhei était sportif, et il était vraiment doué ; quant à moi, je ne faisais plus de sport depuis le jour où j’avais été renversée, quelques mois auparavant. J’arrivais tout juste à marcher la journée. Je ne le montrais pas, mais la douleur dans mes chevilles était insoutenable. Le soir, lorsque je rentrais, je m’empressais de passer de l’eau froide sur les parties qui me faisaient souffrir et de les masser avec une attention toute particulière.

Ma motivation me quitta pour de bon, substituée par une profonde résignation. Jamais il ne s’intéresserait à une personne telle que moi, autant s’y faire et aller de l’avant.

***

Cinq mois plus tard, je n’allais toujours pas de l’avant. Les vacances d’été venaient de passer, et je n’avais toujours pas réussi à sortir Shûhei Hisagi de ma tête. Pourtant, j’avais fait en sorte de ne pas montrer les sentiments qu’il m’inspirait chaque fois que l’on se croisait, et je pouvais me féliciter d’avoir plutôt bien réussi cet objectif.

De plus, j’avais la très nette impression que, à l’instar d’une majorité de mes anciens et actuels camarades de classe, lui aussi me méprisait pour la personne que j’étais. Pourquoi ? Eh bien, parce que lorsqu’un cours était trop compliqué au goût des autres, ceux-ci me sollicitaient pour obtenir mon aide ; avec un plaisir non dissimulé, je le leur offrais bien volontiers. Toutefois, alors qu’il était en bas du classement de notre classe – et quasiment à la même position dans celui du lycée –, Shûhei ne me demandait jamais de lui expliquer quoi que ce soit. Pourtant, chaque fois que l’on m’apostrophait pour apporter plus de précision à telle ou telle consigne, je le regardai furtivement, comme pour lui assurer que cela ne me poserait aucun problème d’en faire de même avec lui, mais le jeune homme m’observait de biais et finissait par détourner son regard de moi en soupirant. Je comprenais alors qu’il valait mieux que je reste à ma place.

Aujourd’hui, donc, était le jour de notre rentrée. Je m’habillai de mon uniforme d’automne et constatai que le bronzage obtenu lors de notre semaine à la plage avec Ichigo, Orihime, Chad et Uryû ressortait davantage avec les pièces blanches de ma tenue. Je poussai un profond soupir, soulagée de ne pas avoir hérité du même coup de soleil que les deux rivaux qui s’étaient alors endormis sur le sable blanc juste après le déjeuner, les bras croisés sur le torse. Je ne pus me retenir de glousser en songeant à la tête de ces deux idiots à leur réveil, trois heures plus tard. Toutefois, je finis de me préparer et me hâtai de prendre la direction du lycée.

Lorsque j’arrivai devant la porte de notre salle de classe, je vis l’homme qui occupait chacune de mes pensées les plus douces taper avec un intérêt tout particulier sur l’écran de son téléphone. Il devait probablement répondre au message d’un de ses amis ou, qui sait, de sa petite-amie. Un nouveau soupir passa la barrière de mes lèvres, mais celui-ci était bien plus empreint de tristesse que l’autre émis au souvenir de l’air incrédule de mon meilleur ami face à ses couleurs d’écrevisse après sa cuisson au soleil.

Je m’apprêtai à prendre place là où j’avais siégé avant les vacances d’août, mais une poigne que je reconnus aussitôt me saisis l’épaule. Je le considérai d’un regard neutre.

–  Allons, jeune fille, dois-je te rappeler qu’il faut d’abord que tu tires au sort le numéro de ta nouvelle place ? me souris niaisement Sensei.

Ah, c’est vrai, le changement de place. Il avait déjà eu lieu une autre fois, entre avril et juillet, car même si mes camarades étaient à la majorité issus de grandes familles et se donnaient des airs d’aristocrates, ils n’en demeuraient pas moins bruyants. Ô combien de fois ai-je dû me retenir de ne pas envoyer une chaise à l’intention des perturbateurs ! Je me contenais toujours en me convainquant que cela apporterait des problèmes à mon aîné et ma belle-sœur, mais Shûhei, lui, ne se privait pas d’agir pour moi. Cet homme était un héros à mes yeux.

Je plongeai donc la main dans la boîte cartonnée que ce pervers mal rasé me tendait, puis dépliai le petit papier pioché par le destin.

Huit.

Je papillonnai d’hébétement. Le numéro huit ? Shûhei Hisagi n’était-il pas assis à la place numéro neuf ? Mon cœur commença à cogner très fort dans ma poitrine.

–  Bon courage, Nara-san, dit le professeur en lisant à son tour le papier blanc que je tenais. Si tu ressens le besoin de changer de place, n’hésite pas à me le faire savoir.

Etait-il stupide ?

Je le toisai d’un regard cinglant et décrétai avec beaucoup d’assurance :

–  Je ne pense pas que ce sera nécessaire.

Puis, dans un mouvement capillaire presque théâtral, je pris la direction de ma nouvelle place. Mon souffle était saccadé par l’affluence de nombreuses émotions. Cependant, je décidai de revêtir un masque de profonde indifférence, histoire qu’il ne me méprise pas davantage.

Après une traversée qui me parut interminable, j’arrivai enfin devant la table vide qui m’était destinée. Le jeune homme ne sembla pas s’apercevoir de ma soudaine apparition. Je pris une profonde inspiration pour me donner contenance, ôtai mes écouteurs et dis d’une voix étonnamment calme :

–  C’est bien ici, la table huit ?

Il quitta son téléphone du regard dans une vitesse alarmante et commença par me foudroyer silencieusement, avant que ses yeux ne s’écarquillent en m’analysant. Je sentis mes joues se colorer faiblement.

Voyant qu’il ne me répondait pas, je me penchai pour lire le numéro inscrit sur l’étiquette au coin de la table vide et souris doucement :

–  Apparemment, oui.

Puis je m’installai à sa droite sans demander mon reste, hébétée par ma propre réaction. Au fond de mon âme, tout était sens dessus dessous. D’ordinaire, le genre opposé ne m’inspirait que peu de choses, et j’étais devenue maîtresse dans l’art de repousser leurs avances avec la plus grande dignité. Mais lui, ce garçon si spécial, s’attirait sans la moindre raison toute la tendresse que je renfermais dans un coin secret de mon cœur.

Je sentis se poser sur moi tous les regards de la classe, ainsi que celui incrédule de mon nouveau voisin de table. Je commençai à paniquer : avais-je dit ou fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? Avais-je encore des miettes de croissant sur le visage ?

–  Tu… Qu’est-ce que tu fais, là ? bégaya le punk qui habitait chacun de mes rêves.

Ah, c’était donc ça ?

Pour ne pas lui montrer que cela me touchait, j’haussai un sourcil et répondis comme s’il s’agissait d’une évidence :

–  Eh bien, je m’installe à ma nouvelle place. Pourquoi, ça te pose un problème ?

Il papillonna un instant, comme si je venais de dire une énormité, puis insista :

–  Tu ne veux pas changer de place ?

Mon sang ne fit qu’un tour.

–  Pour aller où ? répondis-je, profondément irritée.

–  Je ne sais pas, quelque part loin de moi ?

Je sentis mes traits se tirer. Que cherchait-il, au juste ? Etait-il conscient que m’énerver seulement une demi-heure après mon petit-déjeuner était de très mauvais augure ?

–  Je suis navrée que ma présence t’importune, mais je ne bougerai pas d’ici. Il faudra t’y faire.

–   Non, ça n’a rien à voir ! s’exclama-t-il en rougissant d’une adorable manière. Tu n’as pas peur de moi ?

Hein ? Peur de lui ? Je l’observai de la tête aux pieds pour être sûre de ne pas m’être trompée de personne ; non, il s’agissait bel et bien de celui qui faisait battre mon cœur depuis la rentrée. Lui, m’inspirer de la peur ? Le seul en mesure de me faire connaître l’effroi était sans nul doute mon grand frère lorsque je cassais maladroitement quelque chose – ou volontairement dans le cas des nombreux réveils morts sur le champ d’honneur –, mais un peu de pommade et un joli sourire innocent suffisaient à absoudre ses envies de meurtre à mon égard.

Finalement, je pouffai de rire devant mon camarade.

–  Tu dis toujours autant d’absurdités ou c’est le soleil qui te fait de l’effet ?

Alors qu’il me considérait de son air effaré, je décidai de profiter de cette opportunité pour faire ce dont je rêvais depuis le jour de notre rencontre.

–  Je suis désolée, je ne me suis même pas présentée à toi depuis le début de l’année. (Je lui tendis la main.) Tsunata Nara !

Contre toute attente, après avoir cligné des paupières sous l’effet de l’incrédulité, il saisit ma main et balbutia :

–  Shû… Shûhei Hisagi.

Je serrais sa main. Je serrais la main de Shûhei Hisagi. Cette main incroyablement puissante qui pourtant prenait garde à ne pas exercer une force trop grande sur la mienne. Sa peau était si chaude, si agréable à toucher…

Il ne fallait pas que je rougisse, pas maintenant. Bien que mes lèvres s’étirèrent dans un large sourire contre mon gré, je décidai d’ironiser pour mimer l’indifférence :

–  Shû-Shûhei ? C’est pas commun ça, comme nom !

Mon humour en situation de crise m’affligeait profondément.

–  Mais non ! rougit-il jusqu’aux cheveux. C’est juste Shûhei !

Il me croyait sérieuse ? Je compris qu’il devait être encore plus tendu que moi. Sa réponse m’arracha un rire que je n’avais plus émis depuis longtemps.

–  Eh bien, juste Shûhei, je suis ravie de faire ta connaissance !

–  M-moi aussi, Nara-san.

Nara-san ? Sérieusement ? Ah non, hors de question d’être aussi formel avec moi ! De plus, je déteste sincèrement ce nom qui est le mien. Si je ne reprenais pas le commun des mortels lorsqu’il m’interpelait de la sorte, il ne pouvait qu’en être autrement pour mon camarade. Je plongeai mon regard dans le sien et lui dis d’une voix qui trahissait mes sentiments à cet instant :

–  Tu peux m’appeler Tsunata, Shûhei.

Puis la sonnerie retentit, et alors que les murmures dans notre dos m’auraient agacée en temps normal, je ne m’en préoccupai pas. Je dirigeai mon attention sur le tableau en ne priant pour qu’une seule chose :

« S’il vous plaît, faites qu’il n’entende pas les battements de mon cœur. »



NDA : merci d'avoir lu cette school fiction ! J'espère que vous vous serez autant amusé à la découvrir que moi à l'écrire ! :3

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