Mauvaise âme

« Quiconque combat des monstres doit s'assurer qu'il ne devient pas lui-même un monstre car, lorsque tu regardes au fond de l’abîme, l'abîme regarde aussi au fond de toi. » F. Nietzsche

Cette nuit là, ce fût la première fois pour Mara. La première fois qu'elle fût impuissante. La première fois qu'elle fût désœuvrée. Assise sur le lit de Rin, elle passa toute la soirée à regarder Yukio passer des coups de fils, criant à moitié. Lui qu'elle connaissait d'ordinaire si calme et serein, s'était transformé. « Mais enfin, comment ça, aucune brigade disponible ?! » « Vous vous foutez de moi ?! » hurlait-il. Sans pouvoir dire un seul mot, sans avoir aucune idée en tête, elle l'observait, totalement désarmée. Si elle partait à leur recherche, ils mourraient. Si elle ne faisait rien, ils mourraient probablement aussi. Lorsqu'elle pensait à son familier, qu'elle avait eu depuis son enfance, les larmes lui montaient aux yeux. Des souvenirs surgissaient. Des émotions aussi. Jack n'était pas qu'un renard à quatre queues puissant. C'était le cadeau de son oncle. C'était son premier ami, sa première invocation. Elle qui ridiculisait tant les humains à tenir à des personnes, des objets, des biens, des animaux, elle n'en était pas loin. Être émotive la rendait nerveuse. Cela ne lui était jamais réellement arrivé auparavant, elle qui n'avait connu que puissance et réussite, elle la fille de Mephisto Phèles en personne, elle la petite fille de Satan lui-même, rabaissée à ressentir de la douleur morale. Puis il y avait Rin. Ce drôle de gars, mi-démon mi humain qui n'avait cessé d'être sympathique avec elle malgré tous les fois où elle l'avait rabroué. Jamais il ne s'était découragé, jamais il n'avait abandonné. Au fond la curiosité de la jeune fille à son égard se transformait peu à peu en un sentiment qui se rapprochait à un mélange de jalousie et d'admiration. Cela aussi elle en était consciente et ne savait pas réellement comment réagir.

« _Mariko ! Fais quelque chose ! Donne moi des détails ! Quand tu es arrivée, qu'a-t-elle dit de plus ?! Où se trouve-t-elle ?! DIS-MOI !

L'adolescente le regardait, déconcertée et triste. Ne pouvant dire un mot. Elle se rendait compte que sans sa voix et sans Jack, elle n'était pas grand chose...

_ Tu as bien choisis ton moment pour ne plus parler !

Oh bien sûr, et puis quoi encore ? Cela était maintenant de sa faute ? Comme si elle avait choisit tout cela.

_Et ton imbécile de père, IL EST OU ?! Ah bien sûr, il est toujours là pour faire le pitre mais par contre, quand il s'agit de...

Yukio s'arrêta net. La petite-fille de Satan s'était levée et l'avait giflé violemment faisant voler ses lunettes à travers la chambre. C'en était de trop pour elle. Ce n'était pas un binoclard perdant le contrôle qui allait se permettre de dire de telles choses. Les poings serrés, elle se tenait devant lui, des larmes aux mille et un sentiments coulant sur ses joues. Le jeune Okumura redressa sa tête et la regarda. Il s'éclaircit la gorge et marcha jusqu'à son bureau pour ouvrir son tiroir d'où était précieusement gardé une dizaine de paires de lunettes ; il en prit une, et les mit sur son nez avant de s'éclaircir la gorge.

_Je... J'ai été trop loin. Excuse-moi. Allons voir si nous pouvons soigner tes cordes vocales. »

Il regarda sa montre qui indiquait trois heures du matin. « Je sais chez qui aller » dit-il. Il enfila son long manteau noir, et sortit du bâtiment, Mara sur ses talons. Il marchèrent quelques minutes, traversèrent un pont et montèrent quelques marches avant d'arriver devant une maison que la jeune fille ne connaissait pas. Yukio frappa à la porte et attendit quelque minutes avant de frapper une seconde fois, plus fort. « Oui ! Oui ! J'arrive ! Mais qui ça peut être à une heure pareille ?! » Scanda une voix de femme.

Une dame brune ouvrit la porte, un calumet à la main. L'exorciste prit instantanément la parole :

« _Veuillez m'excuser pour l'heure tardive mais nous avons besoin de votre aide immédiatement. Je...

_Pourquoi ce ton aussi formel Yukio ? Entrez, je vous en prie. 

Elle ouvrit sa porte en grand et les deux visiteurs pénétrèrent dans ce qui se trouvait être une immense pharmacie. Des plantes en pots jonchaient les murs, posées sur des étagères. Le jeune garçon lui expliqua alors toute l'histoire. La succube vampire, la perte de voix de Mara, l'enlèvement de son frère et des familiers...

_[...] Voilà pourquoi je viens vous demander un remède pour qu'elle puisse retrouver la parole au plus vite. C'est une question de...

_Oui, oui, j'ai compris mon petit. Alors voyons voir... Remède pour la gorge, pour les cordes vocales...

Elle farfouillait parmi tous ses pots aux substances parfois très étranges avant de s'arrêter sur l'une d'elle et de l'attraper. Elle continua sa recherche et sortit encore trois pots, un de feuilles, un de miel et un indéfinissable. Mara regarda tout cela d'un œil écœuré : La substance inconnue jaunâtre paraissait même bouger lorsqu'on la fixait trop.

_Voilà ! Du thym à thujanol, du miel retravaillé par ma fille, allez savoir ce qu'elle a mit dedans... Et du sirop des chantres. Tu mélanges le tout dans un bon verre, tu avales cul-sec trois fois par jour, matin-midi et soir et dans un jour ou deux tu auras de nouveau ta voix ! Bien sûr il ne faut pas oublier...

Elle pointa du doigt le quatrième bocal.

_ De la cendre de Coal Tar ! Très bon pour la régénération des tissus cellulaire et l'activation de la micro-circulation !

_Merci infiniment madame Moriyama.

_Je t'en prie mon petit. Si je peux faire quoique ce soit... Je suis de tout cœur avec vous ! Évidemment je n'en parlerai pas à Shiemi, elle serait capable de se mettre en danger et de VOUS mettre en danger pour essayer d'aller sauver son ami.

_Je comprends. Gardez-la en dehors de tout ça, et dites lui que les cours de pharmacologie son annulés jusqu'à nouvel ordre.

_Très bien. Et bon courage, Yukio. »

Ils saisirent les remèdes et l'apothicaire les raccompagna à la porte. Les deux jeunes sortirent pour se diriger sur leur lieu de départ.

« _Il me paraît évident que, vu que tu es une démone, tes pouvoirs de régénération vont faire la quasi-totalité du boulot, mais si tout cela peut aider, alors prends-les. »

Mara acquiesça silencieusement. A l'intérieur de la bâtisse, un calme pesant régnait. Yukio ne perdit pas de temps et demanda à la jeune fille d'essayer de dormir. Elle s'exécuta en montant dans sa chambre sans faire opposition. Bien sûr, se reposer était impossible. Une fois la porte fermée, elle regarda les bocaux pendant de longues minutes et les ouvrit, décidée. C'était de sa faute si tout cela arrivait.C'était à elle de tout régler et la première étape était de retrouver sa voix, son pouvoir. Elle n'avait pas le temps d'attendre, ou de n'avaler qu'un verre trois fois par jour. Il fallait une solution rapidement. Elle engloutit avec peine les liquides et cendres, manquant de régurgiter le tout à la fin. Le goût était infâme, même pour un démon. Elle tenta de parler, mais rien. Assise sur le sol de sa chambre plongée dans le noir, elle commençait à perdre patience. Les trois succubes n'étaient pas du genre à plaisanter, mais si Alouqua avait donné 48h, rien de trop grave devait arriver avant l'échéance. Les démons ne tenant pas réellement parole d'habitude, là, elles avaient tout intérêt à le faire. Leur liberté, leurs vies étaient en jeu. Les heures défilèrent à une vitesse plus lente que d'habitude, les pas de Yukio raisonnant dans la chambre de la jeune fille aux cheveux violet. Ce n'est que lorsque le soleil pointa le bout de son nez que le jeune exorciste toqua avec empressement sur la porte de Mara et c'est également sans attendre qu'il rentra dans sa chambre.

« _Ils ont peut-être une piste ! »

Il n'en fallut pas plus pour que la démone attrape son arbalète et saute sur ses deux pieds, se précipitant en dehors du bâtiment, en dehors de l'Académie, toujours sur les talons de Yukio qui courait presque.

Ils se rendirent près d'une vieille maison abandonnée où tout un groupe d'exorcistes les attendaient de pieds ferme malgré le jour à peine levé. La démone sentit une présence plus que familière qui émanait de la maison. Elle marcha lentement vers son porche, sans écouter les autres qui lui déconseillait fortement d'y aller. Yukio la suivit prudemment sous les menaces de ses supérieurs. Qu'importe ce qu'ils pouvaient dire, c'était son frère et il s'était juré de le protéger envers et contre tout. Rien ne dérogerait la règle. Lorsqu'ils posèrent les pieds sur les deux marches, le vieux bois grinça. A tout moment, la maison manquait de s'effondrer. Les fenêtres étaient brisées et le vent soufflant à travers donnait l'impression lugubre et glauque de chuchotements. La prudence n'étant pas son fort, la fille de Mephisto ouvrit la porte à la volée, son arme braquée devant elle, prête à tirer. Mais rien, personne, nada. Rien à part un bruit de chaînes raclant le vieux plancher rongé par la moisissure à certains endroits. Mara et Yukio se divisèrent, les autres exorcistes se plaçant autour de toute la maison, au cas où quelque chose voudrait s'en enfuir. Prenant des directions différentes et étant désormais chacun seul dans une pièce, Okumura commençait à stresser, mais, égal à lui-même, il ne laissait rien transparaître. Parfois, sa main tenait son pistolet tremblait, les émotions le gagnant petit à petit. Jamais il ne laisserait quoique ce soit de grave arriver à Rin et c'est pour cette raison que sa main tremblait. La peur. La peur de perdre un être cher. Il avait déjà perdu son père à cause de Satan, il ne laisserait sûrement pas des démons lui faire perdre son frère. La détermination était quelque chose d'inné chez les Okumura et Yukio traquerait chaque monstre croisé et aucun élément ne sera laissé au hasard. De son côté, plongée dans le peu de luminosité de la pièce, Mara courait presque à travers l'étage, suivant son instinct et le bruit des chaînes. Si un danger apparaissait, elle lui exploserait la tête avec ses flèches. Pas besoin de voix pour faire ça. Elle avait fait toutes les pièces à présent, et se heurtait à une porte fermée à clef. Les bruits métalliques venaient de là. Elle n'eût aucun mal à bidouiller la serrure pour faire sauter le verrou et lorsque la porte s'ouvrit ses yeux s'écarquillèrent et elle se jeta à genoux. Jack était là. Gisant sur le sol, il bougeait faiblement, et quelque chose était différent chez lui. Mais il n'était pas mort ! C'était tout ce qui comptait à présent pour Mara. Elle le sera très fort dans ses bras, le démon rapprocha faiblement sa tête de celle de sa maîtresse, et y fit une léchouille avant de se nicher dans son cou. Yukio arriva sur place, venant vérifier que tout allait bien, étant donné qu'elle n'avait plus de voix pour prévenir de quoique ce soit et se stoppa net à ce qui restait de l'encadrement de porte. En lettres sombres incrustées dans le mur au dessus de Mara et Jack était écrit « Tic, tac. Tic, tac...Tu continues la chasse, mauvaise pioche. A vouloir traîner avec des humains, on récolte ce que l'on sème ! Bonne chance à Jack ! »

Oui, il y avait quelque chose de différent, et le fait était, que Jack était devenu mortel. Il n'était plus esprit, il était devenu simple animal sans pouvoirs, sans rien d'autre que l'instinct habituel des animaux. Se lier d'amitié avec des humains était un affront dans la Géhenne et Mara avait été punie. Elle passait d'invocatrice de familier très puissant à avoir un vulgaire animal de compagnie. Mais qu'importe elle ne s'en souciait pas, le plus important étant qu'il soit en vie. Mais elles allaient payer ; Oh oui, elles allaient le payer tellement fort...

Une brigade de quatre hommes entra, et vint libérer Jack de ses entraves et ils sortirent tous de la maison, le renard dans les bras de sa maîtresse. Comme les succubes avaient vu juste, Mara continuait les recherches, donc le deal était annulé. Tout cela signifie qu'ils n'avaient plus 48h, et qu'à présent, chaque minutes comptaient. Rin et Kuro pouvaient être n'importe où dans cette ville et ils étaient déjà en danger de mort.

Comptant sur le sadisme des démones, Mara se voulu rassurante en disant à Yukio qu'elles ne les tuerais pas tout de suite, mais la diplomatie n'était pas encore son fort. Il ordonna qu'on passe la maison au peigne fin, peut-être y avait-il un indice qu'il n'avait pas vu de lui-même. Ils rentrèrent tout deux chez eux et quelle ne fût leur surprise lorsqu'ils virent Shura assise dans la salle à manger, les pieds sur la table, se balançant sur sa chaise, bière à la main.

« _Alors comme ça, on ne m'informe même pas que le morveux a disparu ?!

_Shura ? Je n'ai prévenu personne, je n'ai pas la tête à ça. Si tu as la moindre info, dis le moi !

_Wow, tu calmes le binoclard. Si j'avais des infos, je serais pas là ! Et toi là, la fille d'l'autre clown de Mephisto, tu n'as pas une petite idée sur l'endroit où pourrait se terrer les démons par hasard ?

_....

Ils s'assirent en face de la femme aux cheveux rouge et or.

_Elle a perdu sa voix à cause de fantômes, elle ne peut rien dire pour l'instant alors ne l'agresse pas Shura. Et enlève tes pieds de cette table !

_Wahouuuu ! Ca dit même plus « s'il-te-plait », c'est qu'il est énervé le petit ! Le taquina-t-elle, Bon trêve de plaisanterie. Toute la ville est dessus Yukio. On va le retrouver ton frère. Crois moi que je vais pas laisser un des deux rej'tons de Chihiro crever comme ça ! Réfléchissons. Elles sont forcément dans un coin sombre, assez reculé de la population vu qu'elles ont capturé quelqu'un, il ne faudrait pas que les autorités tombent dessus par hasard...

_Oui, j'y réfléchi depuis hier à ce genre d'endroits ! J'y ai passé la nuit sans trouver quoique ce soit. C'est une ville vivante ici et il n'y a pourtant pas 150 endroits esseulés !

_ Oui, c'est sûr. Quelque part où même un promeneur ne passerait pas forcément.. continua Shura

_ Peut-être un lieu assez difficile d'accès pour un humain normal... réfléchi Yukio à haute voix

_Oui, ou alors le genre d'endroit avec une sale réputation, quelque part où, d'ordinaire, on ne s'aventure pas... marmonna Shura, se grattant la tête

Yukio arrêta tout mouvement d'un coup et lui et Shura se regardèrent d'un air stupide. D'une même voix, ils dirent :

_ LE TEMPLE DE TOSHIO ! »