La vérité n'a pas de prix

Chapitre 3 : Plier tel l'if sous la pluie de mensonges

5906 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/12/2019 13:06

Dès que la sonnerie étouffée de son portable se fit entendre, Brennan enfonça sa bouche dans son oreiller pour hurler son exaspération. Deux heures, il n'avait dormi que deux heures. Peu importait l'identité du gêneur, il lui enverrait une Angela en furie. Si c'était Angela, il s'enverrait lui-même. Il se reprit à trois fois avant de se mettre assis sur son lit, avec ses chaussures aux pieds, toujours avec les mêmes vêtements puis il consulta son téléphone.

"Le Directeur-adjoint a donné son feu vert pour notre accord. ."

Un message de Booth. Alors qu'il était sur le point d'exulter, il remarqua la curieuse ponctuation. Déjà, c'était assez drôle de voir quelqu'un utiliser la ponctuation dans ce cas de figure mais même de la part de Booth, c'était étrange.


Malheureusement, l'anthropologue n'eut pas le temps de répondre qu'il entendit des bruits venant du couloir. Quelqu'un entrait. D'un coup alerte, Brennan se glissa hors du lit et marchait lentement sur son tapis pour étouffer le bruit de ses pas vers sa batte de baseball en érable. La mine fermée, la mâchoire contractée par la peur et le stress, il traversa le couloir en deux foulées souples, profitant de sa grande taille et tint fermement son arme de fortune. Dès qu’il entendit les cliquetis de son rideau de perles, il frappa une fois sur la télé prise par l'intrus et une fois dans son ventre et se rendit compte que la silhouette du voleur était petite. Il fit face au corps étalé par terre. C’était une femme. Son ex petite amie. Petra.

Il ne manquait plus que ça.

Brennan laissa tomber sa batte et l'aida à se lever. Il la transporta jusqu'au salon dans ses bras pour éviter qu'elle se blesse avec les débris de la télévision et lui somma de ne pas parler. Petra n'était pas la seule à ne pas être en état de parler. Il aurait bien voulu prendre un alcool fort mais il se résigna à boire simplement de l'eau, n'ayant pas eu le temps de faire les courses. Il n'était pas libre même chez lui.


Brennan revint avec de quoi passer la douleur et s’assit devant Petra tout en feignant un air détendu empli de lassitude.

- Tu m’as vraiment fait mal…

- Admettons que tu ne savais pas que j’allais rentrer aujourd’hui, j’ai une sonnette, tu pouvais frapper à la porte. Annoncer sa présence est la base, Petra, réprimanda Brennan, blasé.

- Écoute, j’ai repensé à notre histoire, pourquoi ça n’a pas marché.

- On ne s’aimait plus. On passait plus de temps à se disputer qu’à regarder des films sur ta télé.

- On se disputait car tu refusais de parler d’avenir. Tu passais ton temps à changer de sujet. Ça ne prenait pas avec moi. Tu prends toujours tes distances émotionnellement en compensant tout par le sexe. Même si ça se passait très bien à ce niveau-là…

Brennan ricana doucement en grattant sa barbe. C'était précisément pourquoi il avait rompu. Petra n'avait pas forcément tort mais s'il y avait trouvé une méthode pour se laisser aller, il n'aurait pas attendu sa venue pour le faire. Tomber sur des gens qui pointaient du doigt ses défauts, ils étaient légion. Peu cherchaient un moyen de communiquer avec lui, son ex ne comprenait que sa façon de faire. Il finissait par commettre la même erreur.

- Donc tu savais que j’étais de retour à Washington et tu t’es servie de la télé comme prétexte pour une dernière danse ? Non seulement je n’en ai pas l’envie mais j’ai surtout du sommeil à rattraper. L’ibuprofène doit déjà agir. Tu peux t’en aller.

Brennan reprit le verre d’eau et conduisit Petra vers la sortie, trop pressé d'être seul pendant au moins cinq minutes.

- Tu vois ? Tu recommences ! C’est parce que t’étais orphelin et que tu as peur d’être abandonné si tu t’engages dans une relation à long t…

- Parler de psychologie alors que tu es entrée chez moi sans t’annoncer alors que je manque de sommeil est tout sauf rationnel. Surtout quand on veut s’engager à long terme avec moi. Être une obsédée n’est pas un défaut en soi mais non merci.

- Arrête de rejeter la faute sur les autres, Thomas. Tu veux vraiment passer le reste de ta vie tout seul ? demanda Petra, dans une colère mêlée d'une inquiétude sincère.

- Le reste de ma vie ne regarde que moi mais je me sens prêt à continuer ma relation à court terme avec mon lit pour l’instant.


A croire que c’est un crime de vouloir être seul pour dormir…


Brennan ouvrit la porte et poussa doucement Petra hors de son appartement.

- Comment on fait pour la télé ? Tu me rembourses la moitié ?

Brennan allait envoyer une pique bien cinglante mais la sonnerie du téléphone fixe l'incitait à abréger ces retrouvailles. Il fusilla Petra du regard, vexé qu'elle ait parlé de lui de manière superficielle. Peut-être était-ce une juste rétribution ? A traiter les gens de manière superficielle, ils nous rendaient la pareille.

- Au revoir, Petra, conclut Brennan en fermant la porte.

Il décrocha le téléphone fixe, balayant ces questions par ce même geste.

- Quoi ? Lâcha-t-il, exténué.


Parfois, la vie professionnelle allait aussi vite que la vie privée. Brennan adorait quand les choses aillent vite mais là, il allait devoir rattraper le temps rapidement pour une douche et des vêtements propres. Creusant davantage sa fatigue, augmentant la taille de son cercle vicieux.


Deux mois, quatorze ans. Quelle différence à la fin ?



Institut Jefferson

Service d’imagerie du laboratoire médico-légal

Matin 3


Booth observa Angela mimer un "Wouah !" en rentrant dans le bureau. Intriguée, l'agent haussa légèrement des sourcils pour lui répondre.

- Il est légèrement soupe au lait ce matin, expliqua Angela, toujours de bonne humeur.

- Il s'est passé quelque chose ? s'enquit Booth, prudente.

- Le Docteur Brennan n'a pas dormi depuis plus de quarante-huit heures. Sans compter son séjour au Guatemala. Il m'a dit que le manque d'hygiène de vie est l'ennemi numéro un des anthropologues, dit Zack en s'assurant du maintien du crâne dans le sas de scan.


Booth ne lui avait pas fait de cadeau, elle l'avait littéralement piégé. Cependant, elle se doutait qu'il avait ses propres raisons. Bones n'était pas le genre d'homme à ne pas savoir dire non. Au contraire, il avait une singulière imagination pour manifester son refus de coopérer. Booth se sentait toujours coupable. Elle se noya dedans en contemplant la peinture de crucifiement devant elle.

- Si seulement il n'y avait que ça. Apparemment, il y a eu une visite surprise. Amusant : il part pour fuir une femme et dès qu'il revient, il la retrouve !

- Ça m'étonnerait que le Docteur Brennan parte rien que pour fuir une femme, Angela, rétorqua Zack, incrédule.

- Pour une fois, je suis d'accord avec lui, souffla Booth, toujours absorbée par le tableau.

Sans le faire exprès, Booth avait plongé la pièce dans le silence perplexe. Troublée par le manque de conversation, elle se retourna, constatant l'étonnement d'Angela puis celle de Hodgins, ne comprenant pas la situation.

- Booth, je suis sacrément surprise ! s'exclama Angela, ravie.

Hodgins interrogea du regard Zack qui secoua la tête négativement, ne comprenant pas plus que lui.

- D'avoir un avis qui peut coïncider avec celui de l'assistant...? tenta Booth, pas plus avancée que les autres.

- Je pensais que vous étiez toujours...enfin...tous les deux...en froid. Avec Brennan.

Booth baissa les yeux pour trouver les bons mots et revint vers le tableau d'Angela pour trouver une meilleure source d'inspiration.

- On fait ce qu'on peut vu les circonstances.

- Dites plutôt qu'on n'a pas le choix, se plaignit Hodgins en se plaçant déjà devant l'écran.

Booth tourna de nouveau la tête, fixant du regard Hodgins puis Angela, arborant un sourire malicieux et complice en guise de réponse. L'agent répondit par un très léger sourire à Angela, complimentant son travail de peintre.

- C’est un tableau très intéressant, Angela.

- Bonjour à tous, salua Brennan en entrant rapidement dans la pièce.


Le visage de Booth reprit son air ferme, comme à son habitude et ne répondit pas aux salutations de son partenaire. Hodgins rendit la politesse d'un geste de la main. Il y avait assez d’espace pour qu’une dizaine de personnes puisse regarder sans se gêner mais Zack avait choisi de rester dans un coin de la pièce.

- Tu lui déjà as montré les images, Angela ?

- Non, on t’attendait. Je vais quand même expliquer ce que je fais ici à Booth. Depuis la première affaire, on a compris qu’il fallait de belles images pour convaincre un procureur fédéral.

- Un jury surtout, corrigea Booth.

- Croyez-moi, j’ai pas chômé ! J’ai mis au point un programme pour regrouper énormément de données sur différents types de corps, d’armes et autres détails pour faciliter la visualisation de la ou des victimes. Tout ça pour un calcul rapide pour afficher des scenarii selon les indices récoltés et les interactions possibles entre elles. Le tout grace aux connaissances de l’institut, ce que les agences fédérales ont pu nous donner et le reste par des contacts extérieurs que ça soit en liaison avec le Jefferson ou avec Brennan. Je l’appelle l’Angelatron même si c’est qu’un grand écran haute résolution. C’est le programme qui est le plus important. Le brevet est déposé !

Fier, Brennan ne se priva pas pour regarder Angela, amusée par sa façon d'expliquer puis glissa son regard taquin sur Booth.

- Vous avez suivi, Booth ?

- J’ai compris que c’était pour que n’importe qui comprenne les détails d’une affaire et que mademoiselle Montenegro est très fière de son bébé au point d’avoir déposé un brevet pour ça.

Angela sourit à Booth pour l’encourager.

- C’est l’essentiel, renchérit Brennan

- Je vais prendre en exemple l’affaire sur laquelle on bosse maintenant : Brennan a reconstitué le crâne de la victime et a placé des marqueurs tissulaires. Grace à son travail, j’entre les données pour obtenir un visage de la victime pour l’identifier, indiqua Angela en montrant le crâne dans le sas puis l'écran.

- Son crâne est très abîmé mais les indicateurs raciaux, la dimensions des os des joues, l’os nasal et la taille de l’occipital évoquent une afro-américaine.


Angela utilise sa tablette pour régler des paramètres et entre les données.

- Voilà son visage.

Sans un bruit, Booth s’approchait de l’écran, les yeux étrécis, un brin admirative.

- D’un carnet de croquis à une image en haute définition… Vous n’avez pas chômé, Angela. En un an, c’est très impressionnant.

Brennan se joignit à sa collègue du FBI abruptement, aussi observateur qu'elle.

- Tu peux former un autre visage mais en entrant les paramètres d’une femme de type caucasien ?

Angela s’exécuta, ne sachant pas où Brennan voulait en venir. Ce dernier plissa davantage les yeux et les ouvrit davantage ensuite, quelque peu estomaqué.

- Elle me rappelle quelqu’un… Personne n’a une idée ?

- Non… répondit Booth, intriguée.

- Diminue les valeurs pour obtenir un mélange des types afro-américain et caucasien.

- Lenny Kravitz ou Vanessa Williams ?

- Lenny Kravitz a bien trop de valeurs différentes et Vanessa Williams est accro au botox. Je suis sûr qu’il y a plus flou comme exemples mais ce n’est pas le plus important…

- Tu es un peu trop compliqué…

- Tu es là pour rendre plus simple mon travail. Je te fais confiance pour les paramètres. Je te dirai ce qu’il faudra changer dans les détails.

Angela réfléchit et entra de nouveaux paramètres pour former un visage d’une métisse. Booth ouvrit doucement ses yeux à son tour. Elle avait visiblement reconnu la personne mais ne dit rien.

- Tu peux réduire la profondeur des tissus entre les os des joues et la mâchoire, Angela ?

Booth était de plus en plus tendue, regardant le crâne mis dans un sas de scan. Elle semblait un peu plus peinée et revint à l’écran pour reprendre sa concentration.

- Quelqu’un la reconnaît cette fois ? Interrogea Brennan.

Hodgins regarda Booth, Brennan et Angela tour à tour. Zack prit enfin la parole mais lui non plus n’avait pas de réponse. Angela avait enfin saisi l’identité de la victime.

- Est-ce que c’est bien celle que je crois ? Non…

Hodgins se réveilla :

- Si ! C’est cette femme qui a eu une aventure avec un sénateur, je crois… Je ne me souviens plus de son nom…

Booth se détourna du visage sur l’écran pour scruter de nouveau le crâne, gardant la douleur pour elle.


- Elle s’appelle Cléo Louise Eller. Fille unique de Ted et Sharon Eller. Vue pour la dernière fois vers vingt-et-une heure le six avril deux mille trois, elle quittait sa salle de sport sur K street. Elle n’a pas atteint son véhicule.

Brennan dévisagea Booth, les bras croisés, respectueux.

- Très bonne mémoire, Booth.

- Je suis payée pour la retrouver.

- Toutes mes félicitations, vous avez réussi, ironisa Hodgins.

- Je n’envisageais pas nos retrouvailles comme ça…


Brennan vit à quel point Booth était devenue bien plus sérieuse et investie qu’avant. Il n’embraya donc pas sur une autre remarque sarcastique et laissa Booth dans sa réflexion en paix, ne lâchant pas l'image de Cléo Eller.



Institut Jefferson, entrée du musée d’histoire naturelle

Midi 3


Pendant qu'une partie de l'équipe en profitait pour prendre leur pause déjeuné, le travail des deux compagnons de route ne faisait que commencer. Néanmoins, Booth avait des détails à clarifier sur la victime pendant que les autres mangeaient leur repas. De son côté, Brennan utilisait ce petit temps de répit à bon escient en marchant les pieds nus sur la pierre chaude en bas des escaliers pour ne gêner personne.

- Cléo Eller n’était qu’une simple jeune femme disparue, exposa Booth.

- Elle était stagiaire au Sénat et s’envoyait en l’air avec le sénateur Allan Bethlehem, enchaîna Hodgins.

- J’étais adjoint à l’enquête concernant la disparition de Cléo et on n’a jamais pu le prouver.

Booth ouvrit le dossier, examina les tirages de la reconstitution du visage et la compara à une photo de Cléo trouvée sur internet grace à Angela. Elle n’en revenait toujours pas des progrès foudroyants de cette équipe entre deux affaires criminelles, en l’espace d’un an. Elle savait que Brennan allait se moquer d’elle pour oser poser une question aussi évidente mais elle comptait sur l’égo démesuré de son coéquipier pour parer son prochain coup. Elle se lança.

- Comment avez-vous fait pour la reconnaître avant même d’avoir vu son visage ?

- J’en ai reconnu les caractéristiques fondamentales et le reste, c’est que de l’habillage, répondit sobrement l'anthropologue.

Finalement, le coup vint de Zack :

- Je ne suis pas psychologue mais je pense que vous devriez être contente.

- Heureuse, très heureuse, rétorqua froidement Booth.

- Ça ne m’a pas échappé, personnellement, plaisanta Angela.

- Tout ce qui a été dit et découvert reste strictement entre nous, ordonna Booth en claquant ses talons bas contre la pierre des escaliers par de rapides foulées.

- Alors ? On étouffe l’affaire ? Demanda Hodgins.

- Hors de question de nourrir votre paranoïa de la théorie de la conspiration !

- C’est vraiment de la paranoïa d’affirmer que Monica Lewinsky était une espionne travaillant pour le KGB ?


Traiter avec des scientifiques quand on n'avait terminé que le lycée était assez exaspérant comme ça mais elle avait la conviction qu'elle était tombée sur les pires. Le fana des complots, l'insensible robot et l'apollon condescendant. Ce dernier s'était au moins calmé malgré sa matinée perturbée. Cependant, seule Angela était d'un réel secours. La question était jusqu'à quand.

La patience était une ressource stratégique pour Booth.

Pourquoi avait-il fallu qu'elle tombe sur un cas aussi sensible à la deuxième enquête ? Le premier était tout aussi difficile. Booth trottait rapidement pour traverser les jardins, tentant de fouler du pieds ses doutes. Elle avait déjà tant demandé aux membres de l'institut Jefferson, ils manquaient encore de la pratique mais cela n'allait pas suffire comme excuse devant le Directeur-adjoint. Autant les mettre sur le banc de touche pour mieux se préparer pour leur prochain match. Dans l'éventualité que Bones accepte une prochaine collaboration. Elle préférait risquer leur partenariat que la vie du scientifique et l'élucidation du meurtre de Cléo Eller.


Soudain, elle entendit des bruits de pas étouffés, Bones l'avait vite rattrapée avec ses grandes foulées, pieds nus. Souhaitant garder le plus de dignité possible, Booth ne prit pas le risque de lui faire face.

Droite, carrée, concise.

- On commence par quoi ? On va interroger le sénateur ?

- Écoutez, Bones…

- Arrêtez de m’appeler «Bones». Ça me fait plus penser à un chien renifleur d’os qu’un anthropologue de renommée mondiale, riposta Brennan.

- Ce que je veux dire est qu’il sera difficile de faire mon travail si je dois vous surveiller en même temps vu la...

Bones ralentit sa course, Booth savait l'avoir déçu. Encore une fois. Le pire était qu'elle ne pouvait pas être désolée. Cela relevait du bon sens et rien de plus.

- Non mais c’est pas vrai, quelle saleté de…

- ...vu la nature de l’enquête. Le directeur adjoint Cullen va sûrement constituer une équipe entière que je vais devoir diriger. Si je fais déjà la liste des agents que j’ai en t…

- Vous avez juste à m’ajouter dans votre liste !

- Non, non, non ! Hors de question ! Là, on doit tenir nos positions : vous au labo et moi sur le terrain !

- Mettez-moi encore à l'écart et l’institut lâchera un communiqué de presse dévoilant l’identité de la victime avant même que vous puissiez constituer votre équipe ! menaça Bones, fulminant.


Booth stoppa sa marche rapide, net. Elle affronta l'anthropologue du regard, la mâchoire contractée, la colère froide visible dans ses yeux marrons. Ils avaient tant œuvré pour faire taire ces tensions mais elles revenaient toujours au galop. Elle aperçut quelque chose de nouveau en lui. De l'amertume. Il se sentait trahi. C'était légitime mais elle ne pouvait pas se permettre de ployer devant un chantage.

- Ça porte un nom, plusieurs même, murmura Booth d'une voix lugubre.

- Oui, je vous fais chanter.

Booth s’approcha sans faire de bruit et le fusilla du regard.

- Chantage sur un agent fédéral et obstruction à la justice.

- Non coupable pour l’obstruction à la justice, vous vous mettez des bâtons dans les roues toute seule, se moqua Bones, acerbe.

- Ce n’est pas la bonne manière pour établir une relation de confiance, vous voulez vraiment m’énerver à ce point ?

- Me mentir non plus. C’était ce qui était convenu. Vous Mulder, moi Scully.

Bones sortit son portable d'un coup sec et lui montra le dernier message que Booth lui avait envoyé. elle ferma les yeux lentement pour faire le point. Elle se souvint qu’elle aimait beaucoup l'obstination de son partenaire. Face à un sénateur et le Directeur-adjoint, cela pourrait faire la différence. Booth fit un geste pour inviter Bones à la suivre.

- Il va falloir vraiment que vous m’expliquer de qui vous parlez. Et hors de question que vous montiez dans ma voiture les pieds nus.

Bones se pressa de remettre ses chaussures pour rattraper Booth qui marcha tranquillement vers sa voiture, profitant de ce laps de temps pour se demander s'il avait remarqué le deuxième point dans le message. Non, il l'aurait narguée une fois de plus.


Et ainsi éviter une humiliation de trop.



Bureau du secteur de Washington

Bureau Fédéral d’Investigation

Début d’après-midi 3


Toutes ces procédures... Quand Brennan parlait d'aller sur le terrain, il ne pensait pas à cela. Après tout, le cas était sensible, il fallait en informer régulièrement le Directeur-adjoint. C'était l'occasion d'arrondir les angles avec lui. Il n'avait pas laissé une très bonne impression la dernière fois... Etait-ce cela qui rendait nerveuse Booth ? Toujours impassible mais son regard dur fixé à la porte du bureau en disait long.


La secrétaire prit un appel interne et invita Booth et Brennan à entrer dans le bureau du Directeur-adjoint Cullen. Booth prit place, le dos bien droit, les mains tenant le dossier de l'affaire sur ses cuisses. Brennan en fit de même, prenant davantage ses aises en essayant de décontracter ses épaules. Booth commença à faire son rapport, d'une voix monocorde, révélant l'identité de la victime de l'étang. Des rides supplémentaires apparurent sur le front de Cullen, lui-même sentait que les ennuis ne faisaient que commencer. Brennan était heureux de ne pas être aussi instinctif qu'eux, c'était assez inconcevable pour lui de donner son maximum dans ces conditions. Les faits, les preuves, c'est tout ce qui comptait. Cullen se tourna vers Brennan, l'air sévère.

- Vous êtes certains que c’est Cléo Eller ?

- Tout correspond : l’âge, la race, la taille, répondit Brennan, sérieux.

- Y compris ses prouesses au tennis durant sa scolarité, soutint Booth.

- Parlez-moi du sénateur, consentit Cullen.

Booth sortit trois photos et les confia à son supérieur. Elle n’allait pas parler que de son suspect numéro un, autant gagner du temps.

- La victime a travaillé pour le compte sur sénateur Bethlehem, rappela Booth.

- Il a été établi qu’ils ont eu des rapports sexuels, souligna Brennan.

- Ce qui n’a pas été confirmé, rectifia Booth.

- Le sénateur est reconnu pour être un coureur de jupons, agent Booth.

- Poursuivons tout de même dans la liste des suspects, encouragea Booth en invitant Cullen à passer à la photo suivante, Ken Thompson, le petit ami de Cléo.

- Il est toujours assistant du sénateur. Il tient son agenda. Ça me semble étrange qu’il n’était pas au courant d’une aventure entre son patron et sa petite amie. Si on ne prouve pas qu’il y a bien eu relation sexuelle, il n’y a pas de mobile, poursuivit Cullen en changeant de photo, c’est l’hypothèse du stalker ?

- Oliver Laurier, il suivait Cléo Eller mais je ne veux pas commencer par là. Je dois d'abord rapporter la nouvelle aux parents de la victime.

- Moins de personnes seront au courant, plus vous aurez de chances de coincer l’assassin Ses parents peuvent attendre encore un peu. Cela remonte à quand ? A peu près deux ans ? Conseilla Cullen.

- Sauf votre respect, monsieur, je connais bien la famille de la victime, particulièrement le Major Eller. Deux ans ou moins, l’attente reste une torture.

Brennan jeta un coup d’œil complice vers Booth, semblant comprendre les raisons qui la poussaient à prendre ce chemin et tenta de le soutenir.

- Cela nous laissera le temps d’obtenir les détails sur la cause du décès au plus tard cet après-midi.

- Cela sera un bon point de départ, renchérit Booth.


Rassuré, Cullen approuva d’un hochement de tête et laissa son agent et son consultant partir. En espérant que ce partenariat tienne jusqu'au bout cette fois.



Voiture de Booth

Après midi 3


Avant d’aller rendre visite aux Ellers, Booth et Brennan étaient revenus au labo pour prendre rapidement les derniers résultats. Brennan les lit pendant le trajet, visiblement peu enthousiaste.

- Hodgins a identifié les particules que j’avais trouvé sur le crâne de la victime. C’est de l’acier laminé utilisé pour des outils. Comme un marteau par exemple. On a trouvé du ciment et de la terre de diatomée.

D'un geste vif, Brennan empêcha Booth de s’emparer du tube contenant la poudre.

- Vous avez décidé de prendre le volant, les yeux sur la route, Booth, taquina Brennan.

Avant qu'elle rétorque quoi que ce soit, il présenta le tube devant elle en posant sa main sur le volant. Ce qu’il ne fallait pas faire pour qu’elle travaille en conduisant. Brennan fit tourner le tube pour montrer la consistance et la finesse de la poudre et le rangea.

- Je vois pour le ciment mais à quoi sert la terre de diatomée ? La poudre est homogène, je suppose que ça ressemble à du ciment.

- Presque, il s’agit d’une poudre de créatures marines fossilisées. Son usage ne va pas vous plaire : agent filtrant, nettoyeur abrasif, céramique… Un marteau et une poudre qu’on voit partout. Le flou le plus total pour l’instant.

- Cela reste un point de départ en attendant d’avoir d’autres indices qui pourront se lier à cette terre de diatomée. Restons positifs.

Brennan sourit légèrement. Malgré sa voix monocorde, Booth persévérait à maintenir le moral au beau fixe. L'anthropologue était heureux de compter sur elle, imaginant le travail sur soi que cela avait demandé.


En regardant la route défiler, il se focalisait sur ce point positif pour garder le bon état d'esprit. Ce qui était loin d'être facile alors qu'ils s'apprêtaient à annoncer la mort de Cléo à ses parents.



Domicile familial des Ellers.

Après-midi 3


- Bones ?

Brennan cligna des yeux en entendant Booth l'appeler. A peine sorti de la voiture, il regardait la route devant la maison, puis le jardin. Happé par des souvenirs qui n'étaient pas les siens.

- Elle a toujours vécu ici ? Toute son enfance et adolescence ? demanda-t-il d'une voix faible.

Fixant le dos de Brennan, Booth marqua une pause, réfléchissant sur sa réponse et sur le comportement de son partenaire.

- C'est le cas, Bones. Le Major a acheté cette maison en vue de fonder une famille.

Brennan continuait de regarder la rue, les passants, les arbres découpés par un ciel sans nuages. Il se pinça l'arête du nez en fermant les yeux, s'efforçant à reprendre une attitude plus professionnelle. Il rejoignit Booth sans la regarder, prêt à annoncer la mauvaise nouvelle. Ou plutôt livrer leur délivrance.


Contrairement à ce qu'il s'attendait, ce fut le mari qui les accueillit. Ses traits durcirent comme de la cire chaude au contact de la Borée dès qu'il reconnut Booth. Elle présenta sa plaque, regardant Ted Eller, solennelle.

- Bonjour, Major. Vous vous souvenez de moi ?

- Serg...agent Booth. Oui. Si vous êtes là...

- Pourrions-nous entrer, Major ? coupa Booth, soucieuse du respect de la vie privée de la famille.

La mâchoire crispée, Ted Eller les fit rentrer sans dire un mot de plus. Ce dernier laissa parler Booth puis alla à l'étage pour parler à sa femme. Les minutes défilaient lentement dans le couloir malgré la pendule à balancier, assurant que le temps n'était pas affecté par les événements.


Pas un cri, ni un sanglot, le couple Eller descendit des escaliers, digne malgré les circonstances. La femme livide s'acquitta même de sa tâche d'hôtesse en les installant au salon. Booth préféra le fauteuil près du foyer allumé pour laisser le canapé à Ted et Sharon Eller. Brennan suivit le mouvement de sa coéquipière et prit l'autre fauteuil. D'une voix ferme, un tantinet voilée, le Major prit la parole :

- Vous êtes sûrs qu’il s’agit de notre petite Cléo ?

- Avec 22 points de comparaison, je peux vous assur…

- Oui, résuma Booth sobrement tout en jetant un coup d’œil entendu vers Brennan, nous en sommes sûrs.

Brennan baissa un peu la tête et se mordit intérieurement la joue lentement pour se maîtriser.

- Est-ce que c’est lui ? Le sénateur ? insista Ted Eller.

C'était tout ce qui restait comme devoir à accomplir en tant que père à Ted Eller : la justice pour sa fille et il n'abandonnerait pas jusqu’à ce qu’elle soit faite.

- Vous avez été militaire comme moi, vous pouvez tout me dire.

- Major, nous ne pouvons pas parler de l’enquête à qui que ce soit, temporisa Booth d'une voix posée.

- Dites-nous au moins si elle a souffert…?

Sharon Eller, une mère qui, tant bien que mal, s'évertuait à adoucir le cœur de son mari. Et le sien.

Brennan ouvrit la bouche et se fit devancer par Booth. Brennan la lorgna et revint vers le couple pour ne pas éveiller les soupçons sur les mensonges qui s’enchaînent plus vite que les indices.

- Elle n’a rien vu venir.

Sharon se contenta de regarder devant elle, hochant la tête par réflexe. Ted baissa un peu la tête en mimant sa femme, la mine fermée.

- Merci, murmura le Major.


Il savait qu’ils venaient de mentir et les remercie pour cela. Ils tentaient de tenir comme ils le pouvaient. D'un ton plus suave que d'habitude, Brennan en profita pour poser une question qu’il jugeait moins lourde vu le contexte.

- Madame Eller. Il me semble que votre fille portait quelque chose autour du cou. Pourriez-vous m’en parler, s’il vous plaît ?

D'un coup, elle sembla être un peu plus réveillée. Elle pressa ses fines lèvres et chercha dans sa mémoire.

- L’étoile de bronze de son père, répondit-t-elle en montrant une photo derrière Brennan, il l’a reçue de la Guerre du Golfe et lui a donnée...pour qu’elle lui porte chance…

Maltraitée par les souvenirs de sa fille, Sharon Eller fondit en larmes et son mari, Ted, la prit dans ses bras. Tandis que Booth baissa les yeux en signe de respect, Brennan était un peu plus rassuré devant des émotions plus visibles. Il avait l’habitude de tout garder pour lui, raison de plus de ne pas se considérer comme un modèle dans ce cas de figure. Au moins, Sharon Eller n’était pas seule et aurait bientôt un corps à enterrer.


Ce n'était peut-être pas une si bonne idée de venir "sur le terrain". L'impression de vivre le martyr de Saint Barthelemy lui donnait la nausée et la sensibilité d'un écorché vif.

Le laboratoire lui manquait.



Extérieur du domicile des Ellers.

Après midi 3


C'était pire que ce qu'il avait imaginé. Le calme de Booth attisait davantage son agitation.

- Pourquoi être venus ici si c’était pour mentir tout le long ?

- Leur fille a été assassiné, c’est suffisamment horrible comme ça. La vérité sans le mensonge ne soulage personne, rétorqua Booth en se saisissant de la clef de la voiture sur son trousseau nerveusement.

- Ils pourront le lire dans le rapport d’enquête, sans mensonge ajouté.

- Ils ne le liront pas, soyez-en sûr. Déjà de son vivant, Cléo et ses parents ne se parlaient presque plus.

- Ils vous l’ont dit ?

Alors qu'elle allait déverrouiller la voiture, Booth soupira longuement en jetant un regard plein de reproche, excédée. La colère lui fit froncer les sourcils mais elle n'était pas assez intense pour faire hausser le ton de sa voix. Elle était désespérément mesurée.

- C’est mon travail d’obtenir des informations auprès des vivants. C’est différent que d’en obtenir sur des ossements. Les os ne mentent pas, c'est facile pour vous mais déceler la vérité au milieu des gens qui mentent tout en préparant des mensonges blancs aux familles des victimes est bien plus compliqué que vous l'imaginez. Alors évitez de juger sans savoir.


Brennan sentait la rage monter en lui mais il voulait se maîtriser. A être aveuglé par la colère, il n'obtiendrait jamais la vérité. Surtout venant de Booth.

- Je ne juge pas, j'essaie de comprendre. Je vois que vous étiez dans l'armée tout comme le père de la victime. J'ai senti comme un lien solide entre vous. Peut-être que si vous me dites ce que vous avez fait précisément, je pourrai...

- Vous ne pourrez rien comprendre car vous ne donnez rien de personnel en retour, Bones. A croire que vous vous entendez mieux avec des macchabées. Manque de chance pour vous, je ne suis pas un squelette encore. Il va falloir faire preuve de patience, désolée.

Booth ouvrit brusquement la portière et entra dans la voiture sans délicatesse. Brennan ferma les yeux comme s'il avait avalé un bonbon trop acide pour lui et cala ses mains sur la portière côté passager. Au moins, elle était directe contrairement à son ex. Un point positif bien maigre comparé au coup de poing asséné. S'il croyait au karma, il se serait dit que c'était justifié.

Il observa de nouveau le voisinage, ne trouvant aucun élément qui pouvait le réconforter. La gorge nouée, il entra dans la voiture à son tour avec la seule certitude que Booth avait tort : non, il ne s'entendait même pas avec les morts. Il héritait de leurs souvenirs comme sa collègue récoltait la douleur laissée dans le sillage d'un tueur.


Brennan n'allait pas s'abaisser à lui dire qu'elle s'entendait mieux avec la famille des victimes que les scientifiques de sa propre équipe.


Le trajet jusqu'au labo se fit donc dans le silence le plus total.

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