When in Rome

Chapitre 30 : Le droit chemin

4213 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/12/2020 20:47

PARTIE 6 - The torch I bear

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Chapitre 30 Le droit chemin


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Dawn avait posé ses valises dans l'appartement anglais de Giles où elle était venue de nombreuses fois. Elle hésitait toutefois à les défaire complètement. Comme prévu, sa famille et elle allaient y rester cinq semaines avant de repartir vers l'Allemagne où ils resteraient deux ou trois ans. Maya frétillait d'impatience car elle ne s'était pas vraiment fait d'amies en Italie et avait hâte de changer. Andrew essayait de prendre les choses comme elles venaient, s'absorbant dans les préparatifs pour ne pas penser trop à ce qu'il laissait derrière lui.

Alors que d'ordinaire elle aimait plutôt bien cette valse qui lui donnait l'impression de passer des vacances dans tous les pays du monde, le retour au temps mitigé qui dominait Londres lui minait le moral. L'anticipation de passer l'automne et l'hiver à la même latitude que Manchester l'accablait un peu plus. La chaîne météo était formelle : Rome baignait encore dans un grand soleil, ce qui la rendait à la fois envieuse et nostalgique.

Depuis quinze jours, elle avançait cette piètre excuse thermique pour éviter de sortir, restant emmitouflée dans un plaid, à lire, dessiner ou zapper devant la télévision. Il n'y avait pourtant que dix degrés d'écart entre Rome et Londres. Le sentiment d'être « entre deux » n'était pas propice à son investissement dans quoi que ce soit.

La veille, les cernes sous ses yeux lui avaient semblé plus sombres et creusés que dans son souvenir. Sa peau qui débronzait rendait les rides plus apparentes, et avoir arrêté les « entraînements » avec Maya ne lui valait pas grand-chose de bon pour la silhouette. Son sommeil n'était pas excellent.

Et ce matin, elle avait aperçu dans le miroir ses cheveux blancs qui lui faisaient un bon centimètre à la racine. Elle aurait dû les teindre en arrivant, mais avait reporté l'opération à plus tard, parce qu'elle sortait peu et n'avait pas d'obligations officielles, avant sa prise de fonction à l'École de Hambourg.

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Au petit-déjeuner son mari l'avait embrassée sur le front pour lui demander si tout allait bien. Elle avait répondu qu'elle était un peu carencée, faute de pouvoir manger les fruits et légumes méditerranéens crus gorgés de vitamines (et totalement absents de la cuisine britannique depuis que les Anglais avaient quitté le giron de l'Europe). A la vérité, il savait que quelque chose la tracassait bien plus que ce qu'elle voulait en dire car, pour des raisons pratiques, ils partageaient la même chambre.

Parce qu'il était très grand, l'appartement de Giles hérité de ses tantes servait de point de chute londonien. Il hébergeait souvent plusieurs personnes en même temps et il était rare que chacun puisse disposer d'une chambre individuelle.

Celle qu'on leur avait concédée possédait une ornementation riche, peut-être un peu too much : grands rideaux rouge sombre, embrasses au fil doré, tapis au motif floral serré, chandeliers de métal vieilli sur la cheminée… Au mur, des portraits sévères qui auraient mérité une bonne restauration ajoutaient à l'atmosphère théâtrale lourde et intimidante… Il avait plaisanté à ce sujet la première fois, quand elle s'était pelotonnée contre lui au moment du coucher. Bien qu'ils disposent d'un grand lit double, Dawn tendait à ne faire usage que de la moitié d'Andrew… Elle cherchait son contact, comme une aide possible à l'endormissement, parce que ses nuitées souffraient de nombreuses coupures.

Dormir avec elle ne le dérangeait pas du tout, et d'autant moins que Pietro, resté en Italie, laissait un vide important dans sa vie affective. Gérer leur futur emménagement ne l'aidait pas à oublier.

Il ne s'était pas attendu à cette idylle qui avait fleuri quand l'apprenti bibliothécaire du Conseil s'était présenté, deux ans après leur affectation. Et pourtant, c'était arrivé. Andrew avait cherché à lutter au début, et puis s'était dit qu'il préférait la vivre et caresser son souvenir, plutôt que de regretter de ne pas l'avoir vécue… Tant pis si elle ne survivait pas à la distance. Tant pis, car cela aurait été précieux, tout le temps que ça avait duré. Enfin, ça c'était la théorie. En pratique, c'était une autre chanson.

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Un mois après leur retour à Londres, Dawn continuait plus que jamais à se nicher contre lui, prétextant qu'elle avait froid, malgré leurs pyjamas coordonnés et l'édredon. Ces vieilles baraques étaient ruineuses à chauffer en hiver, disait toujours Giles avec raison. Encore qu'il était peut-être un tantinet abusif d'avancer que l'hiver commençait en juillet. En général à Londres, c'était plutôt en août.

Ce soir-là, l'appartement était tranquille. La lecture de son journal terminée, il alla le déposer sur le bureau devant la fenêtre, mais en revenant vers le lit pour se coucher et éteindre la lumière du chevet, c'est là qu'il avisa l'expression de Dawn qui le laissa désemparé. Même dans le noir, il sentait qu'elle le fixait toujours, et après un temps, elle lui demanda timidement, si elle pouvait rester près de lui encore un petit peu.

Pourquoi non ? Andrew était tout à fait libéral en ce qui concernait les gestes tendres entre eux, d'autant mieux qu'ils donnaient ainsi le change aux soupçonneux. Son absence de désir physique pour elle n'excluait pas des sentiments sincères et profonds. Il ne la voyait pas du tout comme une « sœur ». Elle était sa femme, sa collègue, son amie, la mère de l'enfant qu'ils avaient élevée ensemble. Leur vie commune lui avait toujours semblé naturelle, sans mensonge et adéquate.

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Bien sûr, autrefois, il était plutôt dans le camp des ennemis. Mais une fois soustrait à l'influence néfaste de Warren Mears, il avait enfin commencé à faire des choix mesurés. Le vrai déclic toutefois, s'était produit le jour où il avait vu Anya, une ancienne démone, se sacrifier (bêtement avait dit Alex) pour que lui vive.

Sunnydale était morte et lui avait vu ça comme l'occasion de faire table rase de son passé, un formidable élan pour reconstruire sa vie qui avait si mal démarré.

Il avait proposé ses services aux Observateurs, en les assurant qu'il était vraiment désireux d'apprendre, et qu'il ne réclamait rien d'autre que cette chance. Presque tous les Observateurs ayant péri sous les poignards des Bringers, son offre et sa motivation avaient donc été difficiles à refuser.

Avec tous les Observateurs survivants qui étaient en divers endroits inaccessibles du monde, ils avaient reconstruit un Conseil et c'était Giles qui le présidait. Les choses avaient radicalement changé sous sa direction. Andrew n'avait jamais cherché à exercer la moindre fonction particulière. Il s'était contenté d'étudier des manuscrits, de répondre à des demandes exigeant de fouiller dans des archives. Une activité laborieuse mais où il se sentait protégé de tout mal, de tout risque de rechute parce qu'il connaissait son plus gros travers : l'influençabilité, le manque de discrimination, le désir de plaire... La solution lui était apparue claire : s'entourer de meilleures personnes qui lui procureraient la guidance et les valeurs qui lui avaient fait défaut.

Les Observateurs précédents avaient eu des comportements parfois très éloignés de toute moralité. Mais c'était fini à présent.

Après un temps de service plus actif, Andrew s'était ravisé, et avait pensé qu'il se préserverait mieux en adoptant un profil bas, en évitant de contrarier qui que ce soit. En évitant même qu'on sache qu'il était là. Cet effacement pendant quelques années lui avait permis d'être repéré à l'époque où Giles avait été tué. Comme on le prenait pour un personnage falot, il avait été élu à la tête du Conseil, chaque membre pensant qu'il serait la marionnette idéale. Ce que personne n'avait vu venir faute de s'être intéressé à lui, c'était qu'il avait un talent d'organisateur, très mésestimé dans un environnement où l'autorité et le pouvoir faisaient florès.

On avait bien dû reconnaître qu'il y était habile. On avait bien dû admettre aussi qu'il était une très mauvaise marionnette. Prodiguant des assurances par devant, opinant à ce qu'on voulait, il en faisait exactement à sa guise par derrière.

Il n'aurait pas tenu longtemps s'il n'avait pas fait des merveilles. Tout le fonctionnement du Conseil, son nouveau rôle, le lancement des écoles pour pallier le faible nombre d'Observateurs face à la marée de Tueuses, l'assainissement des finances… Toutes ses décisions étaient d'autant moins attaquables qu'elles étaient bonnes et produisaient des résultats non seulement efficaces, mais surtout bien meilleurs que tout ce qui avait déjà été fait – car il ne recherchait pas le pouvoir. Il était vacciné.

Il travaillait énormément à l'époque. Il allait superviser l'ouverture de chaque nouvelle école autour du globe, pour s'assurer que tout allait bien et que personne ne cherchait à dévoyer le système… Et ces voyages réguliers n'avaient jamais vraiment cessé.

En revenant de l'un d'entre eux, il s'était trouvé hébergé chez Dawn qui avait de la place. Avec effarement, il y avait vu une jeune femme devenue l'ombre d'elle-même. Il savait qu'il devait énormément à Buffy. Que sans elle, il n'aurait jamais eu la vie meilleure dont il jouissait aujourd'hui… Aider sa jeune sœur avait été une façon de montrer qu'il était reconnaissant. Prendre soin d'elle alors qu'elle en avait terriblement besoin et qu'aucun de ses amis ne semblait le voir lui avait semblé évident.

Puis Maya était née et sa demande en mariage avait suivi dans la foulée. Dawn avait été soumise à un pervers sous son nez, il se sentait toujours mal de n'avoir rien compris… En tant qu'administrateur du Conseil, il gagnait un salaire décent, bien suffisant pour entretenir une famille. L'idée était certainement folle mais il n'avait même pas hésité. Dawn n'avait pas eu un début de vie facile : il pouvait arranger ça au moins pour sa petite fille.

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Entre eux, les choses avaient été claires dès le début de leur union. Il n'avait pas l'intention de lui imposer quoi que ce soit, ni de renoncer à une vie amoureuse et sexuelle qu'il était d'accord pour garder discrète. Il ne voyait pas pourquoi elle n'aurait pas fait la même chose de son côté.

Une seule fois, elle lui avait demandé de consommer leur mariage, quand elle avait été suffisamment remise des relevailles. Il leur avait fallu d'abord apprendre à dormir ensemble. Puis le moment venu, ils avaient été nerveux et de longs préliminaires avaient été nécessaires, pour chacun parvienne à un état d'esprit adéquat… Qu'Andrew ait déjà eu des aventures féminines à une époque, et sa prévenance naturelle avait certainement aidé. Elle l'avait remercié pour cela et ils avaient aussi convenu que cela n'avait pas besoin de se reproduire à l'avenir.

Ils se donnaient l'accolade, ils dansaient aux fêtes et cérémonies joyeuses, il aimait lui donner le bras, ou passer un bras autour d'elle avec Maya sur le canapé et sous une couverture commune pour regarder un film. Le contact fortuit ou une réassurance de la paume au bras, à l'épaule ou sur la joue, n'avait rien d'embarrassant entre eux. Ni interdit, ni équivoque.

Aussi quand il avait senti une main fraîche se faufiler sous la veste de son pyjama de flanelle fine pour se poser sur son cœur et le caresser du pouce, en fut-il passablement surpris. Là, elle le caressait délibérément, à même la peau.

Il avait cessé tout mouvement et presque de respirer tant son cœur battait fort – plutôt par appréhension qu'autre chose. Pourtant, c'était léger et doux, comme à peu près tout ce qui se passait entre eux, mais ce contact direct sur le torse et encore plus le ventre (!), c'était loin du périmètre habituel de leur tendresse.

— Qu'est-ce que tu fais, ma douce ? chuchota-t-il la gorge séchée par une respiration un peu plus courte.

Elle battit vite en retraite.

— Pardon. Je crois que je profitais un peu de toi…

Situation des plus inédites. Choqué, il était pourtant certain de ne pas vouloir se montrer brutal pour la repousser, alors il essaya de plaisanter avec un larynx peu coopératif.

— Allons bon, Mme Wells ! Essayeriez-vous de me détourner du droit chemin ?

— Ne te moque pas de moi, souffla-t-elle.

— Je ne me moque pas. J'aimerais juste savoir ce qui se passe…

— Rien, rien. Je suis bizarre en ce moment, pardon, je n'aurais jamais dû faire ça. Bonne nuit.

Après une bise sans poids sur sa tempe, elle regagna sagement son côté du lit King Size, arrangea son oreiller et lui tourna le dos. Le cœur battant encore sous l'effet de l'adrénaline, il resta un long moment à écouter sa respiration quasiment inaudible.

Il se sentait idiot d'avoir réagi maladroitement. Il n'imaginait pas qu'il aurait pu être aussi mal à l'aise, compte tenu de la confiance qui s'était établie entre eux de longue date. Peut-être que son appréhension et son mouvement de recul étaient dus à la peur de voir cette confiance s'écrouler tout d'un coup, sans qu'il l'ait vu venir. Après la perte de Pietro, il n'était vraiment pas prêt à voir une autre relation si proche être ruinée d'un claquement de doigts.

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Ce qui le réveilla d'un sommeil brumeux alors que la nuit était encore d'encre, ce fut le friselis d'un souffle paisible chatouillant son thorax, la sensation d'un corps chaud pressé contre le sien et le bras qui pesait en travers de sa taille.

L'esprit toujours entre deux eaux, il ne réagit pas, heureux de sentir Pietro tout près de lui. Machinalement, il l'avait enserré plus étroitement avant de reglisser dans le sommeil. Sa joue douce était posée sur contre son cœur. Il se laissa dériver.

Si douce.

Il rouvrit les yeux d'un coup.

Trop douce ! Loin de la barbe naissante râpeuse du jeune homme !…

Cette fois pleinement réveillé, il poussa un petit cri articulé en prenant conscience qu'il s'agissait de Dawn. Il chercha à se reculer et à s'excuser de sa méprise, mais la seconde suivante, elle passa audacieusement une jambe par-dessus lui pour venir le chevaucher. Elle prit d'assaut sa bouche pour l'investir d'un baiser à la fois suave et fiévreux.

Il aurait bien voulu s'extraire de là. Bien voulu. Mais sa surprise était telle qu'il s'était senti totalement paralysé et abasourdi qu'elle puisse adopter un comportement pareil, sans même s'assurer qu'il était d'accord… Il avait bien sûr conscience qu'elle était jolie, et d'aucuns allaient jusqu'à la trouver belle. Il ne voulait pas ce qui était en train de se produire. Refuser, la repousser avec fermeté, ne pas sentir la pression qu'elle exerçait contre son ventre… voilà ce qu'il fallait faire.

Même si c'était étrange de découvrir qu'elle embrassait aussi bien…

Andrew, Andrew, arrête de faire l'idiot ! Tu es en train de tout ficher en l'air.

Il la prit aux épaules et l'écarta de lui vers le côté, le souffle court.

— Non Dawn, s'il te plaît… Stop.

— Je… je m'y prends mal ? demanda-t-elle, parlant pour la première fois.

Sa voix était légèrement cassée, au bord du sanglot.

— Mais non, mais…

Inquiet et la poitrine comprimée, il arrêta ses petits doigts qui se battaient avec les premiers boutons nacrés de sa veste de pyjama, les rassemblant dans sa paume pendant qu'il lui caressait le front et les joues pour d'un geste qu'il voulait apaisant.

— Chérie, chérie, attends… Qu'est-ce que tu fais ?

— J'ai besoin d'être tout contre toi. C'est vraiment trop si j'enlève ta veste ? Tu ne veux pas ?

— Non, je ne veux pas… Ce que je veux par contre, c'est comprendre ce qui t'arrive soudain et pourquoi tu crois pouvoir te passer de me demander avant ! Je ne t'ai jamais vue comme ça et ça commence à m'inquiéter…

Elle se recula de son côté pour se recroqueviller contre la tête de lit, les genoux haut devant elle. Silencieuse, immobile, fragile, osant à peine respirer, elle resta un petit moment là, et sa question hachée déboula de nulle part, sortant avec peine de sa gorge nouée.

— Est-ce que tu m'aimeras toujours, Andrew ?

— Mais bien sûr !

— Même quand je serai toute ridée et avec des cheveux gris ?

Particulièrement quand tu seras toute ridée avec les cheveux blancs. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Rien, c'est juste que je me sens vieille et laide…

— C'est ridicule enfin... Écoute, je sais que tu es toujours un peu déprimée quand on quitte Rome. Tu aurais préféré rester là-bas encore un peu pour aider Pietro, et ne venir nous rejoindre qu'après notre installation ? Pourquoi n'as-tu rien dit ?

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Oui, pourquoi n'avait-elle pas dit son crève-cœur ? Et les yeux perçants de Spike qui la regardaient avec une amertume palpable au milieu de sa colère retenue. Il l'avait pourtant assurée qu'elle ne pourrait jamais rien faire qui le déçoive… Il avait bien raison. Quelque chose ne tournait pas rond chez elle.

Elle se força à un peu d'humour qu'elle ne ressentait pas, car elle s'était terriblement mal conduite et Andrew ne méritait pas cela.

— Et laisser ma fille de dix-sept ans et mon mari gay, tout seuls sans surveillance, dans un pays plein de beaux garçons exotiques ? N'y pense même pas.

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Maya reposa son bol d'un coup sec sur la table en bois. Au fond du large récipient, du chocolat chaud trop calorique tangua sur les parois comme un skateborder. Elle se pourléchait les babines, soucieuse de n'en perdre aucune goutte, dédouanée par la constitution particulière des Tueuses qui pouvait encaisser ce régime… Elle observait son père depuis dix minutes et il ne l'avait pas regardée une seule fois, répondant seulement par monosyllabes. Elle aurait très bien pu ne pas être là, s'en serait-il seulement rendu compte ? Du chausson, elle lui donna un petit coup de pied pas fort, pour attirer un peu son attention sur elle.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'y a encore ? Pourquoi tu dis rien en touillant ton café ? T'es pas réveillé ?

Il lâcha un gros soupir, et puis lui jeta un coup d'œil de côté sans la fixer, dodelinant de la tête. Il posa lentement la cuiller et porta la tasse à ses lèvres. La tiédeur du contenu bien en-dessous des espressi italiens lui arracha une grimace comique.

— Je me demande… Je me demande si on ne devrait pas avancer notre date de départ. Un changement d'air complet ferait peut-être beaucoup de bien à ta mère.

— C'est vrai que je la trouve plutôt amorphe. Elle a jamais envie de rien !

— Hum, fit Andrew en se frottant le coin de la bouche. Ça dépend…

Maya afficha une petite moue interrogatrice et s'avança vers le plateau de la table. Inclinant la tête de côté, elle cligna plusieurs fois des yeux.

— Aah ? Vas-y, dis ! S'il y a un truc qu'on peut faire pour qu'elle arrête de rester le nez sur la télé à glander dans son fauteuil … Euh, c'est bizarre que ce soit moi qui fasse ce genre de remarque…

— Je crois que j'aurais mieux fait de me taire.

— Mais non !

— Écoute, ce n'est pas le genre de chose qu'un père peut dire à sa fille !

Sa remarque brusque la surprit et l'inquiéta. Elle repensa à ces trucs directs que Spike lui sortait parfois quand il faisait semblant d'être « sans filtre ». Elle était sûre qu'il pouvait faire nettement pire – et on pouvait remercier Faith d'avoir balancé l'info avec un sourire perturbant...

Un peu coupable de cette répartie sèche, Andrew expira encore à fond et déglutit, l'ongle grattouillant une tache résistante sur la table. Au bout d'un moment, il arrêta et leva les yeux vers elle, se penchant imperceptiblement.

— Je ne peux pas vraiment t'en parler, ce serait plus qu'embarrassant.

— Embarrassant ? Tu dis ça comme si c'était grave, ça me fait un peu flipper...

— Disons que ta mère et moi, nous avons eu… un désaccord préoccupant. Et l'idée que notre confiance mutuelle disparaisse soudain, sans que je sache pourquoi, ni quoi faire…

— Quoi ? Quoi ? Mais vous vous êtes disputés ?

Il soupira, terriblement sérieux, les doigts croisés devant lui.

— Je ne sais pas. En quelque sorte. Je me doute que certains diraient que je me fais une montagne de pas grand-chose, mais je n'ai pas l'habitude. Ta mère et moi on s'est toujours très bien entendus, et on est d'accord sur beaucoup de choses. Alors je reconnais que ça me fiche un coup au moral.

— Mais... qu'est-ce qu'il faut faire maintenant ?

— Eh bien toi, tu ne fais surtout rien, c'est mon problème et à moi de le régler… Tu voulais savoir ce qui me tracassait, je te l'ai dit. Allez, ne fais pas cette tête. Les choses vont sûrement s'arranger entre nous. Le changement de décor, voir de nouvelles têtes nous sera peut-être bénéfique. Ta mère pourrait se faire de nouveaux amis ?

La petite touche de légèreté, qu'il avait essayé d'y mettre pour déplomber l'ambiance, tomba à plat. Il s'en voulait plutôt d'avoir amené sur la douce frimousse de sa fille ce pli d'inquiétude qui lui barrait à présent le front. Maya les aimait tant. Ils avaient eu de la chance que cela dure autant. Mais elle allait arriver à un âge où elle découvrirait que les parents ne sont que des gens faillibles qu'il n'est plus possible d'idéaliser.

— De nouveaux amis ?

— Oui… il n'y a pas que moi qui appréciais la compagnie de Pietro, ta mère aussi. Et j'étais heureux qu'elle s'ouvre un peu à lui. Il va laisser un vide, c'est certain.

— Mais… et Spike alors, il ne compte plus ? souffla-t-elle au bout d'un moment.

Il lui sourit avec gentillesse et soupira lentement.

— Spike… Je sais que tu adores ton parrain, et je veux bien te concéder que c'est un homme et un vampire fascinant qui a vu plus de choses que nous n'en verrons jamais. Il a un look de bad boy, du bagout, des yeux expressifs, et bleus, ce qui ne gâte rien... Mais demande-toi combien de fois avons-nous trouvé ta mère en train de sangloter à cause de lui ?

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Mal coiffée, Dawn arriva dans la cuisine en traînant son manque de sommeil. Elle ceintura son peignoir jaune poussin et les regarda entre ses paupières bouffies. Le père et la fille se consultèrent silencieusement. Elle ne dit pas un mot. Comme si de rien n'était. Même pas un petit regard coupable vers Andrew… pas de regard du tout d'ailleurs.

— Je crois que j'ai envie qu'on déménage plus tôt ! déclara aussitôt Maya avec assurance. Londres, c'est bien mais on connait. Et puis c'est un hall de gare ici… ça va, ça vient… On n'est jamais tranquilles. Si on arrivait là-bas un peu avant la rentrée, on aurait le temps de visiter les coins sympas ou de repérer ceux où aller en week-end avant d'être dans le rush ? Hein ? Moi je vote pour ! dit-elle en levant la main avec enthousiasme. Papa est pour aussi. Maman, tu dis quoi ?

Elle haussa les épaules en mettant la bouilloire en route avant de farfouiller partout pour essayer de trouver une boîte de thé.

— Les trucs ne sont jamais à la même place... maugréa-t-elle. Oh, moi ça m'est égal. Si tout est prêt et qu'on a bien une maison pour nous accueillir… oui, pourquoi attendre ?

La jeune fille regarda ses parents qui étaient décidément de bien mauvais acteurs. Maintenant qu'elle savait qu'il y avait eu une dispute entre eux (désaccord, c'était bien le mot élégant pour dire la même chose ?), elle ne voyait que cela. Ils avaient l'air si tristes… Elle se lança :

— Maman, on devrait faire du shopping avant ! Il me faut des vêtements plus chauds pour le temps qu'il fait là-bas.

— Pourquoi ? Où sont les derniers qu'on t'a achetés ? s'étonna-t-elle en attrapant un pot de confiture de fraises sur la pointe des pieds.

— En 2033, avec mes 13 ans, répondit-elle avec impertinence. Papa peut pas. Il a trois ans de rapports d'activité démonique à lire, et tous les dossiers des élèves. Tu ne vas pas laisser ta carte bleue dans les mains d'une ado irresponsable ? Si ?….

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