When in Rome

Chapitre 56 : Je ne puis arracher cet amour de mon coeur

3936 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/12/2021 20:24

Chapitre 56 Je ne puis arracher cet amour de mon cœur

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Faith leva les yeux et se contenta de fixer Angel immobile devant elle. Son regard était plein d'une incertitude qu'elle essayait de contenir derrière ses paupières mi-closes en attendant qu'il lui dise… quoi.

— Quoi ? offrit-il obligeamment.

Est-ce qu'on se présentait ainsi à une fille qu'on n'avait jamais vue ?

Mains dans les poches de son blouson de cuir, plantée en appui sur une jambe gansée de noir, Faith fronça les sourcils cherchant à comprendre ce qui se passait. Parce qu'on voyait bien qu'il respirait, qu'il avait même les joues un peu colorées... mais aussi l'air de la reconnaître.

Ou alors, c'était bien le meilleur acteur au monde comme il s'en était vanté autrefois. Quand il lui avait fait croire qu'il était de nouveau un mauvais vampire, méchant, mesquin, retors, juste assez brutal, terriblement excitant… Il s'était moqué d'elle, cela l'avait blessée à l'époque, mais elle avait convenu en son for intérieur que tout ceci n'était arrivé que parce qu'elle avait laissé la porte ouverte à des sentiments. Le Maire de Sunnydale en était responsable. En la traitant comme sa fille, Wilkins lui avait fait croire qu'elle pouvait être aimée pour elle-même comme elle était. Quand Angel l'avait mystifiée à la suite de cela, la petite étincelle narquoise dans sa tête avait soufflé « Tu le savais... Bien fait pour toi ».

Comme il ne bougeait pas, elle pensa s'être bercée d'illusions à nouveau. C'était le bon moment pour essayer de se souvenir des maigres infos qu'elle avait potassées distraitement, concernant l'homme qu'il était avant d'être vampirisé… Comment se comportait-il avec les femmes déjà ? « Comme un gros connard » lui soufflait sa mémoire, avant de corriger « Non, pas qu'avec les femmes, avec tout le monde… ».

— J'ai même pas droit à un câlin ? insista-t-il au bout d'un moment en ouvrant des bras accueillants.

Avec un petit air distant et prudent malgré un inavouable déferlement de soulagement, elle concéda que ça pouvait être dans ses cordes. Mais dès qu'elle fut dans ses bras, elle ressentit aussitôt la tiédeur nouvelle qui émanait de lui et elle trouva ça étourdissant. Même son odeur était tout autre. Après avoir posé le dos de ses doigts sur le bas de ses joues un peu râpeuses, elle déclara avec sérieux :

— Tu es trop chaud !

— C'est rien… répondit-il avec un demi-sourire en choisissant de le prendre au premier degré. Je fais un peu de fièvre, un petit réajustement de rien du tout à ma nouvelle condition.

Faith s'enroula aussitôt bras et jambes autour de lui, indifférente aux regards gênés des trois autres spectateurs de la scène. Angel tangua et gloussa parce qu'elle manqua de les déséquilibrer et de les flanquer par terre.

— Hey, fais un peu gaffe, j'ai moins de force et d'endurance qu'avant dans ce petit corps fragile…

Elle prit sa tête entre ses mains, paumes à plat pour ressentir toute la chaleur et l'embrasser avec ferveur. Quand elle n'eut plus d'air dans les poumons, elle rompit le contact pour répondre :

— Ça tombe super bien, moi aussi…

Sans brusquerie, il décrocha les jambes fines qui lui enserraient la taille, avec un petit mouvement de tête pour chuchoter :

— J'aime beaucoup ce qui se passe en ce moment mais on nous observe.

— C'est le destin des Tueuses et des vieux vampires que de passer leur vie sous l'œil des observateurs. On s'en fout ! Dis-moi juste comment c'est possible que tu n'aies pas tout oublié, demanda-t-elle en le pressant possessivement contre elle.

— Volontiers, si je ne meurs pas étouffé avant… Mais les autres vont me redemander la même chose, tu t'en doutes. Ce ne serait pas mieux que je raconte l'histoire qu'une seule fois et à tous ?

— Ça dépend.

— De ?

— Tu veux qu'on passe ta première nuit de mortel ensemble ?

— Peut-être.

— Quand une fille dit « peut-être », c'est qu'elle veut dire « non ». Tu sais ça, hein ?

— Et moi quand je dis « peut-être » c'est parce que je te connais et je sais qu'il ne faut pas te tenir pour acquise...

Elle lui accorda une petite grimace avant de lui mettre la main aux fesses en déclarant qu'il était un malin. Il protesta en exigeant de ne pas être traité comme un homme-objet, mais avec bien la mine de quelqu'un qui plaisantait. Pourquoi s'appesantir sur le fait que ce n'était pas exactement sa « première » nuit de mortel. Il y en avait eu une autre, longtemps avant.

Pour éviter de remâcher des regrets inutiles, il demanda de but en blanc qui était cette petite chose en boule sur l'escalier. Et sans attendre, il s'approcha pour faire connaissance. En posant la question, il se doutait à moitié de la réponse qu'il allait obtenir mais...

— Bonjour, mais qu'est-ce que tu fais là dehors en pleine nuit, toute seule ? Ou tout seul ? T'es une fille ou un garçon ?

— Bonjour... Une fille. Et je suis dehors parce que j'allais rentrer chez moi…

— Quelqu'un va venir te chercher ?

— Oui, oui. Ils ne vont plus tarder.

Angel s'appuya à la balustrade de pierre claire sculptée de volutes florales moelleuses, en continuant à la scruter. Une émotion indéfinissable se dégageait d'elle… Il aurait pu dire qu'il était attiré si cela n'avait pas eu une connotation mal appropriée envers une enfant si jeune. Toujours saisi par une légère fièvre, il frissonna. Pas une attirance physique mais un magnétisme qui l'obligeait à s'approcher sans même y penser, sans même qu'il le veuille. Dans ces iris tourmentés, quelque chose le retenait et le fascinait. Du diable s'il pouvait dire quoi. Elle avait l'air d'une petite brindille.

Têtu, il ne voulut pas abandonner mais au contraire parvenir à mettre le doigt sur ce qui lui échappait. Il jeta les yeux au sol pour essayer de ne pas se laisser perturber par ce qu'il voyait d'elle. Il avait déjà rencontré tellement de gens à qui elle pouvait lui faire penser. La forme d'un œil, l'arrête d'un nez, l'ovale d'un visage… La fragilité d'un cou, le creux d'une tempe, le pli d'une bouche... Quand on vivait assez vieux, la vérité c'est qu'on finissait par croire qu'on avait déjà vu tous les traits humains quelque part… En scannant les yeux fermés l'infinité de visages qui se pressaient dans sa mémoire – aussi intacte qu'elle pouvait l'être – il allait finir par trouver.

Tout à fait sur le ton de la conversation, il commenta à voix basse:

— C'était presque bien. Le fait d'avoir pensé à me regarder en face, c'est un bon truc. Mais tu ne devrais pas cligner autant des yeux, pas plus d'une fois pour que ça ait l'air naturel. Et si tu veux un conseil, tâche de penser fixement à une vraie certitude que tu aurais dans la vie.

Étrangement, elle acquiesça et le remercia en disant que ce serait très utile. Interloqué, il essaya de consulter Faith pour savoir si elle en savait davantage… ce qui n'était pas le cas.

— C'est une mioche pas comme les autres, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? C'est Spike qui l'a ramassée je ne sais où.

L'intéressée, qui n'aimait finalement pas davantage que le vampire blond qu'on parle d'elle à la troisième personne, tenta une autre approche. Si tout marchait ici comme ailleurs, ça pouvait lui garantir de pouvoir déguerpir rapidement. Elle se leva d'un bond pour se placer sous le nez d'Angel en disant d'une petite voix enfantine :

— Comme vous êtes grand !

Et parce qu'il avait avalé un comique ce soir-là, il répondit d'un air modeste :

— Eh bien j'essaie, j'essaie. Mais ça demande beaucoup de travail…

— Et comment vous vous appelez ?

— Angel.

— Pourquoi ?

Le « pourquoi » et le visage stupéfait qu'elle affichait lui semblèrent déconcertants. Ce n'était qu'un pseudonyme mais il avait perdu son vrai prénom depuis une éternité. Il évalua les bonnes raisons de ne pas les expliquer à une enfant de cet âge. Il se revit soudain le dire à Buffy qui était déjà sûrement plus âgée à l'époque, et combien il avait eu honte, et peur, qu'elle ne se détourne de lui quand elle saurait la vérité et son goût immoral pour les nonnes affolées.

— Parce que j'aimais bien sortir la nuit pour aller écouter les prières du soir.

— Alors… vous êtes un homme de foi ?

— Exactement et plus que jamais ! répondit Faith en le prenant par le bras pour l'entraîner vers la maison.*

La conversation avec cette gamine qui regardait Angel avec admiration lui semblait avoir assez duré.

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La petite les regarda s'éloigner avec un léger sourire, leur petit conciliabule sotto voce ne lui échappait pas. La dame qui avait des cheveux un peu gris répondait « Mais non regarde, elle n'est pas toute seule, il y a Pietro qui vient… ». Comme ils s'éloignaient d'elle, elle ressentit encore cet étrange et désagréable vertige qui l'avait saisie en rencontrant Cheveux-Jaunes. Elle essaya de le chasser en tirant, sans doute un peu hâtivement, la seule conclusion qui était à sa portée en l'état de ses connaissances : les gens de cette planète étaient dangereux. S'ils avaient le pouvoir de s'insinuer dans sa tête, c'était une raison supplémentaire de ne pas rester.

Arrivé à la porte, l'homme se retourna à demi dans sa direction, comme s'il avait été piqué. Ressentant une folle urgence et un vertige encore plus grand qui commençaient à s'abattre sur elle, elle courut à petites foulées en direction de la voiture brillante, où une autre jeune dame aux courts cheveux rouges était restée assise.

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— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Faith la main sur la poignée pendant qu'elle le sentait frissonner. Petite poussée de fièvre ?

— Je ne sais pas trop. Mais je crois que je comprends enfin l'expression « comme si quelqu'un avait marché sur ma tombe ». Cette gamine, j'essaie de me rappeler si j'ai rencontré quelqu'un de sa famille. C'est dans le haut de son visage, je crois. J'espère que je n'ai pas tué ses grands-parents ou un truc dans le genre…

— Bah, t'as manqué de présence d'esprit. Au lieu de flirter en faisant le mariole, t'aurais pu lui demander si elle appartenait à un clan roumain… Et si c'était la réincarnation de Jenny Calendar, revenue parmi les vivants pour te tourmenter ? se moqua-t-elle.

— Mais je ne flirtais pas du tout !

— Mhh, c'est donc bien que n'as vraiment pas envie de coucher tout seul ce soir ! le railla-t-elle.

Il lui envoya un coup d'œil fâché mais elle fit fondre sa résistance aussitôt quand elle tritura un bouton de sa chemise sombre et ajouta en creusant sa fossette mutine :

— En tous cas, moi non. Je suis tellement heureuse que tu te souviennes de moi et que tu ne m'aies pas regardé d'un air abruti en disant « Bonjour madame ».

Il rit tout bas en lui caressant du pouce le dos de la main.

— Non. Mais je compte bien faire le coup à Spike…

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Pietro s'était faufilé avec un bonsoir rapide pour Giles et Evan, et un simple hochement de tête en direction de Spike. De toute façon, ce dernier ne faisait guère attention à lui, tant il était absorbé par Dawn qu'il dévorait des yeux sans même essayer de s'en cacher. Traversant le salon comme une flèche, le jeune Observateur grimpa l'escalier qui menait à l'étage puis se présenta à la porte de la chambre de Joy où il frappa deux petits coups, avant de l'entrebâiller pour savoir s'il était le bienvenu.

Il était plutôt content de la nouvelle décoration qui faisait la transition de la chambre de bébé à la chambre de petite fille. Une veilleuse en forme de cupcake projetait une douce lumière sur les murs d'un rose tendre où des étoiles blanches et argentées avaient été disposées en hauteur. Contre un pan de mur d'un ton plus soutenu de rose poudré, le nouveau petit lit bas de Joy, d'un joli vert céladon très frais, accueillait la mère et la fille pour un gros câlin d'avant la nuit. Les voir ainsi toutes pelotonnées et pouvoir assister à ce moment d'intimité paisible lui dilata le cœur. Même nantie d'une chambre « de grande », la petite mignonne ne transigeait pas au niveau du câlin vespéral…

Vêtue d'un simple pantalon de toile blanc et d'un pull de fine laine parme (qu'il lui avait offert), Maya était assise en tailleur, enserrant sa fille logée tout contre elle. Toute à la caresse de la main maternelle dans ses cheveux, la poupine rêvassait pendant qu'elle mâchait consciencieusement le nez pointu de son doudou en tortillant ses cheveux. Pietro se demanda une seconde d'où elle pouvait tenir ses petites couettes claires, avant de se rappeler que Maya lui avait dit qu'il y avait des blonds dans sa famille, des deux côtés.

Ressentant sa présence discrète, la jeune femme pencha la tête et l'invita à entrer d'un geste tandis qu'il s'enquérait de la situation avec une question muette.

— Qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce qu'il y a, amore ? dit-il en s'adressant à la petiote dans son pyjama à nuages.

— Je veux ma maman, marmonna-t-elle en se frottant le nez dans son giron.

Elle passa ses petits bras autour du cou de sa mère, sans parvenir à déranger l'ordonnancement de ses mèches châtaines, désormais très courtes qui bouclaient sur ses joues en dégageant sa nuque. Pietro n'aimait pas beaucoup cette mode « éco-responsable » : les cheveux courts équivalaient à gaspiller moins d'eau et à déverser moins de shampoing dans les égouts… Mais pour ce point précis, il se sentait vieux-jeu, regrettant les temps où ces parures triomphantes cascadaient sur les épaules des belle donne.

Touchée par l'affection un tantinet collante que son enfant lui témoignait, Maya lui embrassa le front avec un bruit gourmand avant d'afficher un sourire de connivence pour Pietro.

— Mademoiselle est tombée tout à l'heure, expliqua-t-elle. Mais elle n'a pas du tout pleuré, j'étais très impressionnée.

— Est-ce tu as saigné ?

Sortant de sa torpeur en soupirant, Joy confirma. Elle étendit la jambe pour lui montrer son genou.

— Là, on a mis du coton froid et un pansement pour cacher.

Fammi vedere… mhh. C'est un bon pansement qui tient bien. Ça va guérir vite.

Assis sur ses talons sur un petit tapis rond pelucheux, il resta un moment accoudé sur le bord du matelas à les contempler, amusé de voir que l'enfant lui jetait des regards en coulisse comme si elle pressentait sa future demande, et qu'en petite coquette, elle n'avait pas encore décidé si elle allait y accéder… Comme cela ne venait pas, Pietro se releva.

— Angelo è arrivato… prévint-il.

D'accord, je vais descendre. Joy, mon bébé, on va faire dodo ?

Nooon !

Tu veux que Pietro reste avec toi le temps que tu t'endormes ?

— J'aime mieux toi, Maman.

Et qu'est-ce que j'ai fait pour ça ? bouda faussement Pietro d'un air charmeur. Mi trovi brutto ?

Elle lui jeta un petit œil de biais avec la prunelle d'un maquignon exigeant en train de jauger la marchandise. L'Italien étira son sourire blanc qui contrastait avec sa peau mate, il battit ses longs cils, rajusta son col, et lissa de la paume ses cheveux souples et épais savamment décoiffés au gel en attendant le verdict.

— Nan, t'es potable

Les deux adultes furent pris d'un fou rire. La petite ne sut pas s'ils se moquaient d'elle, mais les voir pouffer la fit rire aussi. Maya fit semblant de la gronder en protestant.

— Potable ?! Mais non ! Qui dit ça ? Pietro est très beau… Si un jour il vient te chercher à la petite école, tu verras que toutes les mamans viendront lui faire les yeux doux…

Elle leur adressa demi-sourire dubitatif à la franchise cruelle, comme seuls les petits en sont capables. Maya se releva et porta sa fille sans effort pour l'installer mieux dans son nouveau lit. L'enfant geignit un peu pour la forme mais se calma quand on lui expliqua – comme tous les soirs – que la petite lumière restait allumée et la porte ouverte, et qu'elle revenait dans cinq minutes pour voir si elle dormait bien.

— Tu veux que je reste un peu avec toi en attendant ? proposa Pietro.

— Nan.

— Ah, tu me brises le cœur... Buona notte, carina.

— Bouonanoté. Je peux avoir Monsieur Aki ?

Si, ma dov'è ? demanda-t-il avant de le repérer, la tête en bas au pied de la chaise en osier assortie au lit. Tu ne devrais pas le lancer par terre tout le temps. Il va s'abimer encore plus… Tu lui as déjà mangé tout le nez, le pauvre.

— Il s'en fiche. Je l'aime pareil.

— Je te l'ai donné pour qu'il veille sur tes rêves, pas pour que tu le grignotes. Il fait bien son travail au moins ?

— Ouais, il fait du bon boulot.

Pietro sourit. Joy copiait Evan qui ne trouvait rien de mieux que de copier Spike…

— Alors pourquoi tu le jettes ?

— Méé… il essaie de me parler quand que je veux dormir !

— Quoi ? Monsieur Aki est… Comment vous dites ?... Une pipelette ?

— Des fois !

— Il va falloir que je lui dise deux mots sur son comportement. Allez, tu dors maintenant. A demain.

Elle se retourna et enfouit son visage dans sa poupée de tissu qui avait eu autrefois une forme de longue souris anthropomorphe toute mince mais qui était désormais une pauvre chose jamais propre, quel que soit le nombre de lessives qu'on lui faisait subir...

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Ce fut un Pietro congédié qui sortit dans le couloir où l'attendait Maya. En bas, le groupe animé s'exclamait pour fêter Angel qui évoquait le sang d'un mystérieux démon Mohra.** La tête basse et pas franchement à l'unisson des réjouissances, il pausa en haut de l'escalier sans se résoudre à aller plus loin.

— Tu ne viens pas avec tout le monde ?

Mains dans les poches, il soupira, ne sachant s'il devait verbaliser ce qu'il ressentait. En avait-il le droit ? Et puis surtout, était-ce opportun ? Maintenant ?

— J'ai eu un peu de l'histoire déjà… Et quand vous êtes tous là, je me sens… outsider. Je ne sais pas où me mettre…

— Hey… Tout le monde a éprouvé ça. Maman, Faith, Angel, Spike, papa… et même moi. C'est comme un rituel d'intronisation. Dès que tu te sens hors du coup, tu as pigé un truc essentiel à propos du Gang, le taquina-t-elle.

— Oui, tu dis ça, tu dis ça... Mais s'il y a bien quelqu'un avec qui je ne devrais pas me sentir étranger, c'est la bambina.

— Ah, ça… comprit-elle enfin en lui tapotant gentiment l'avant-bras. Pietro, ne t'inquiète pas, elle est un peu timide avec toi…

Ma perché?

Il détestait sentir sa gorge nouée et même sentir sa compassion. Il se sentait misérable et avait honte de l'être autant.

— Elle va dans les bras de tout le monde, mais pas de moi. Je ne sais pas quoi faire… Et si elle ne m'aimait jamais ? Je me suis bien occupée d'elle depuis qu'elle est née, non ?

— Mais oui ! Très bien. Et en plus, tu avais l'expérience acquise avec Idji.

Le cœur lourd, il mordit un sourire piteux et détourna la tête.

— Allons bon, tu vas vouloir un câlin toi aussi ? proposa-t-elle d'un ton léger mais sans moquerie.

— Pour que les autres se moquent ? Grazie, no!

Elle lui pressa les mains dans les siennes et lui sourit, comme il ne semblait pas se dérider vraiment.

— Les autres ou juste Spike ? Oublie-le, il est jaloux. Écoute, tu as été formidable avec Evan. Mais pour Joy, tu as été bien au-delà… Je te serai toujours reconnaissante, Pietro, toujours. Tu as écouté les choses bizarres qui me passaient par la tête et les rêves incompréhensibles qui m'obsédaient. Toi, tu m'as crue quand d'autres à ta place auraient plutôt cherché à me faire enfermer et tu m'as aidée…

Elle chercha ses mots, submergée à son tour par un peu d'émotion.

— … sans Joy, je ne sais pas si Maman serait toujours avec nous, tu sais ?

— Oh, si tu pleures, je pleure aussi, stop… Je sais, je sais tout ça. Je suis heureux d'avoir pu me rendre utile, dit-il avec un petit rictus embarrassé. Je croyais pouvoir être dans la générosité et rester détaché, mais c'est... pernicieux. J'ai commencé à penser que je n'aurai peut-être pas d'autre chance. Pourquoi je deviens égoïste maintenant ?

— Non, non, non. Tu as des trésors d'amour à donner et… je crois simplement que tu t'impatientes.

Il hocha la tête, un peu confus de devoir l'admettre. Cette fameuse « horloge biologique » que les hommes n'étaient pas censés avoir, avait sonné pour lui aussi.

Il y avait pensé avec Andrew. Leur écart d'âge était un peu problématique, il faut de l'énergie pour pouponner… Pietro avait juré qu'il serait celui qui se lèverait la nuit. Parce qu'Evan avait fait grandir en lui l'assurance qu'il pouvait et voulait accueillir un enfant, lui était prêt. Andrew avait hésité encore, puis il avait fini par accepter pour le rendre heureux. L'accident était survenu quinze jours après.

Loin d'être vieux, il aurait pu refaire sa vie. Mais après ce drame, Pietro n'avait pas eu envie de chercher si vite quelqu'un avec qui l'envisager. De fait, redevenu célibataire, ses chances de pouvoir adopter avaient fondu comme neige au soleil, il avait dû se faire une raison et renoncer à une aspiration qui était devenue un rêve inaccessible et douloureux.

— Je ne veux pas perturber ou rien… soupira-t-il en fermant les yeux, la tête en arrière pour ravaler des larmes. Je voudrais simplement la prendre dans mes bras et l'embrasser, sans qu'on me regarde comme si j'étais « bizarre », tu sais ?

Elle ne lui répondit pas tout de suite, sans doute parce qu'elle ne voyait rien à répondre à cela. Maya était une merveilleuse jeune femme, beaucoup plus attentionnée qu'elle n'aurait dû. Trop, disait-on au Conseil, même pour une Tueuse à temps partiel.

— Pietro, je vois bien que tu es malheureux de cette situation. Écoute, si tu peux attendre que tout le monde soit parti et qu'on soit un peu tranquilles...

Il tiqua et secoua la tête pour refuser avec obstination.

— Mais, ça pourrait prendre des jours !... Prego, Maya… S'il te plait, pas plus tard. On a attendu plus tard avec Andrew et voilà ce que ça a donné... Je ne veux pas t'imposer une annonce officielle. Je veux pouvoir entrer là, me mettre à côté d'elle et lui dire la vérité... que je l'aime de tout mon cœur et que c'est moi son vrai papa.

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Notes

Le titre du chapitre est un vers d'André Gide.

* Jeu de mot minable (foi / faith, un homme de Faith). Vous ne savez peut-être pas que les dialogues de mes fics naissent en anglais ?

** Parfaitement canon dans la série Angel. Ce dernier est devenu humain lorsque son sang s'est trouvé mélangé au poison contenu dans celui d'un Mohra.

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