When in Rome

Chapitre 58 : It's a new dawn, it's a new day, it's a new life...

5673 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/01/2022 20:38

Chapitre 58 It's a new dawn, it's a new day, it's a new life

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« Bird flying high, you know how I feel.» (Nina Simone)



Elle choisit de s'échapper. Sautant à bas du lit par réflexe, elle recula à tâtons jusqu'à ce que ses talons cognent contre le mur le plus proche avec un choc sourd. Où était-elle ? Serrant les bras autour d'elle, elle tentait de discerner un visage dans la pénombre dense.

Le cœur tambourinant, paralysée par la frayeur qui glaçait ses membres, elle devinait que ça ne pouvait être que lui. Même s'il avait parlé bas, ses intonations et son accent étaient assez caractéristiques. Personne ne disait « chaton » comme lui.

Le froissement d'un drap se fit entendre et la lampe de chevet allumée lui apporta une irrévocable confirmation. Assis le dos appuyé à la tête du lit, c'était indubitablement lui, tout décoiffé, sourcils froncés, très certainement tout nu et tout décontenancé.

Qu'est-ce qu'il fichait dans son lit ? Et puis tout câlin en plus, à insinuer des... trucs ?

Leur mutuel silence abasourdi ne dura pas. Se reprenant le premier, il le brisa aussitôt en l'avertissant qu'il allait se lever pour « passer un froc ». Comme elle restait sans réaction, il ajouta avec un regard interrogateur et un petit rictus que si elle voulait se retourner, c'était maintenant ou jamais. En le voyant amorcer déjà le mouvement, elle s'empressa de regarder ailleurs.

Il y avait un peignoir déposé sur un petit fauteuil recouvert de tissu à fleurs. Elle se jeta dessus comme si sa vie en dépendait, enfilant gauchement les manches avant de bien croiser les pans soyeux contre elle pour recouvrir sa poitrine.

— C'est bon, je suis décent.

Elle risqua un regard timide sur le côté pour voir si c'était vrai. La tête penchée vers le plancher, il furetait, probablement pour trouver quelque chose d'autre à se mettre et ne pas rester torse nu… À son cou, brillait une chaîne d'argent en maille anglaise dont le poli lui avait toujours fait penser aux écailles d'un serpent. Ce détail fit remonter un kaléidoscope de souvenirs. Mais comment était-ce possible qu'il l'ait encore ? Il trouva ce qu'il cherchait par terre : un t-shirt (clair !) qu'il passa rapidement. L'idée incongrue qu'il avait pu le retirer dans une hâte fébrile et puis le jeter n'importe où, pinça une corde qui vibra dans son ventre en la laissant désemparée.

Bien qu'elle se sente encore très chamboulée par leur contact physique, il y avait un problème bien plus prioritaire que le pourquoi de sa présence : le comment.

Ne pas savoir où ils se trouvaient n'arrangeait rien. Elle était sûre que cette pièce lui était inconnue et pourtant ce décor dégageait une forme de familiarité. Les rayonnages des deux bibliothèques pleines à craquer ployaient sous le même genre de livres reliés cuir qu'elle avait vus chez Giles, le lit double à la courtepointe champagne lui rappelait un peu celui de sa mère, des peintures fascinantes encore placées sur des chevalets captivaient son attention en l'attirant presque dans une transe étrange qu'elle refusa aussitôt, de peur de s'y laisser happer.

Mais ce qui lui mit les larmes aux yeux en la frappant en plein cœur, c'était les aquarelles de Sunnydale au mur, si délicates et si vivantes qu'elles ouvraient les vannes à un terrible afflux de nostalgie, pas encore vraiment guérie.

Ainsi savait-elle qu'elle n'était pas « nulle part » mais en un lieu qui pourtant faisait sens.

Et puis, il y avait donc cet éléphant blond platine aux yeux bleus, planté au milieu de la pièce.

Les yeux mi-clos comme s'il refusait de la dévisager, il regardait ses pieds nus comme s'il n'en avait jamais vu de sa vie, ce qui ajouta à son malaise. Sa mâchoire tendue lui rendait son air de toujours et, une fois encore, elle ne sut si elle devait s'en alarmer ou au contraire se laisser submerger par une autre émotion, parce qu'il lui avait manqué affreusement. Il avait été retiré si brutalement de leurs vies comme un tapis sous leurs pieds, alors qu'il avait donné si souvent l'impression d'être increvable et de pouvoir se tirer de toute situation dangereuse. Pas cette fois-là, pourtant.

Plus tard, elle avait demandé ce qui s'était passé quand Buffy et lui étaient restés seuls en dessous du Sceau à faire face aux Turok-Han, et comment il avait pu ne pas remonter alors qu'il avait le temps. Sa sœur avait pressé les paupières un instant. Sa réponse lui avait semblé dépourvue d'émotion. « Parce qu'il a brûlé intégralement en moins de vingt secondes. ».

Dawn était assez mûre pour comprendre que la Tueuse avait passé des mois à ne tenir debout que grâce à cette carapace de dureté, sans laquelle elle se serait peut-être effondrée. Mais le comprendre intellectuellement ne changeait pas ses sentiments. Elle n'aurait su dire quelle Buffy elle avait détesté le plus. Celle qui ployait sous un fardeau inhumain avec la certitude qu'elle envoyait tout le monde à la mort, ou celle qui avait fait semblant ensuite d'avoir tourné la page, de rire et de plaisanter… en la maintenant éloignée d'elle. Comment la jeune fille aurait-elle pu deviner qu'on pouvait lire dans ses yeux un jugement qui tarauderait son aînée jusqu'à la fin de sa vie et au-delà : tu l'as laissé mourir.

Le disparu, qui était pourtant devant elle, semblait attendre qu'elle dise quelque chose. Elle rassembla son courage.

— Est-ce que… Est-ce que t'es la Force revenu pour me tourmenter ?

La surprise céda rapidement le pas à l'amusement sur son visage anguleux. Il jeta un regard oblique vers le lit puis de nouveau sur elle. Son sens de la communication non-verbale était au point.

— Si je me souviens, il était incorporel. Je crois que tu as pu vérifier que c'était pas mon cas.

Maudissant la fuite de ses neurones face au stress, elle ferma les paupières sur son embarras. Ne pas penser à ça. Ne pas penser à ça. Ne pas penser que sans la trouille monumentale, elle aurait presque pu se dire que ce bref contact de ses lèvres et de ses mains avait été cent fois plus agréable que les dix minutes qu'elle avait passées avec ce guitariste à la manque, avec lequel elle avait eu la stupidité de perdre sa virginité.*

Elle se reconcentra sur la situation actuelle.

— Mais t'es mort, non ?

Il eut l'air de débattre intérieurement de la question en haussant les sourcils, dodelinant un peu de la tête, avant de pousser un soupir.

— Ah… ouais. Mais comme tu vois, ça s'est arrangé finalement. Je n'ai pas manqué la fête très longtemps.

Ce n'était pas crédible une seconde. Une information de cette nature aurait forcément émergé aussitôt. Buffy l'aurait dit. Ou Spike serait venu cogner à leur porte un soir, ou en journée sous une couverture fumante. Et il aurait pris sa sœur par les bras, l'aurait calée impétueusement contre un mur, et il l'aurait embrassée comme une ventouse inconvenante. Voilà ce qui aurait dû se passer. Juste avant qu'elle ne le repousse, ou qu'elle ne l'étreigne par les épaules en pleurant – si la vie avait eu un sens.

Elle se croisa les bras.

— Je ne crois pas que tu sois Spike. Je pense que tu es une créature qui peut prendre l'apparence des gens, c'est tout. Mais l'apparence ce n'est pas suffisant pour convaincre. Qu'est-ce que tu me veux ?

Sa colère montait en remplaçant la peur parce qu'il restait là debout comme une bûche, à ne rien expliquer, avec l'air piteux de celui qui avait été pris la main dans le sac. Il y avait une autre réalité qu'elle ne pouvait ignorer : cotonneuse et confuse, elle se sentait courbatue, elle avait mal aux jambes comme si elle avait refait du sport… L'air coupable qu'il avait était peut-être justifié. Qu'est-ce qu'il lui avait fait ? Boire quelque chose ? Ce n'était pas pour rien qu'elle évitait les fêtes de fratries sur le campus. Elle savait trop bien comment on pouvait finir droguée et ligotée, puis offerte en pâture à un serpent géant par des crétins avides de richesse et de pouvoir… Elle savait trop bien qu'on y rencontrait des imbéciles qui vous laissaient tomber après avoir obtenu de vous ce qu'ils cherchaient…

— Je suis désolé si je t'ai fait peur. Je ne suis pas un foutu métamorphe. Demande-moi un truc qu'on est seuls à savoir si tu veux.

— Peut-être que tu peux lire dans mon esprit ? Ça ne prouverait rien, s'obstina-t-elle.

— Oh putain ! s'impatienta-t-il. A ce train-là, on y sera encore pendant des jours… Et je ne suis pas sûr qu'on en ait autant.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Il fit quelques pas pour s'assoir sur le lit avec une sorte de lassitude, hésitant manifestement à partager des informations. Elle le regarda avec insistance, encore un peu plus convaincue qu'il n'était pas Spike car ce dernier avait une fâcheuse tendance à dire tout haut ce qu'on aurait aimé que personne ne dise du tout… Se montrer fatigué, ou désabusé, ou hésitant, ce n'était pas son créneau.

— Justement, je ne sais pas. Parce que d'habitude, tu ne me reconnais pas, tu ne sais pas qui je suis. Je comprends que tu sois en pétard après moi, mais je cherche une explication qui ne te ferait pas trop flipper...

D'habitude ? D'habitude de quoi ? Face à ses énigmes, elle jeta les bras en l'air et leva les yeux au ciel avec un petit grondement agacé. Sa voix prit du volume quand elle scanda certains mots.

Flipper ? Je crois que tu ne sais pas bien à qui tu as affaire… J'ai combattu des vampires, un poltergeist qui a ruiné ma maison et je l'ai eu en faisant de la magie, je me suis battue contre des hordes de crétins chevaliers et moines maléfiques, j'ai survécu à des apocalypses. Et si j'ai appris un truc, c'est que flipper, ça ne te sauve pas… Alors, mets tes tablettes jour, la gamine à protéger, elle est plus là depuis longtemps.

Après cette tirade, penché vers elle en avant et manifestement pas du tout impressionné par son palmarès, il lui adressa un sourire en coin.

— Ah, longtemps ? Oui, excuse-moi, poussin, j'oubliais combien un an, ça compte énormément à ton âge…

Vexée, elle ravala sa fierté. Malgré tout ce qu'ils avaient traversé, Spike pouvait encore se moquer d'elle ? Elle n'y avait jamais pensé très sérieusement jusqu'à présent, mais si ça se trouvait, Buffy avait peut-être des circonstances atténuantes pour le taper si souvent, finalement.

Ce trait de caractère décevant sonnait toutefois trop vrai pour être ignoré.

Elle quitta sa place pour aller et venir au milieu de la pièce. Sur sa peau, la sensation déplaisante de ce déshabillé de vieille maquerelle l'empêchait de réfléchir posément. Pourquoi portait-elle ça au lieu d'un pyjama normal ? Habillée des pieds à la tête, avec un col roulé si possible, elle se serait sentie plus confiante, parce que sa façon de la regarder était dérangeante. Et son silence aussi.

— Donc, tu ne vas rien expliquer ? Vraiment rien ? On est où ? Est-ce que je suis prisonnière ? Qu'est-ce qui se passe ? Non ?... Eh bah, ok ! Puisque c'est comme ça, je vais trouver les réponses toute seule ! Merci pour rien. Salut.

Il se leva et s'interposa en un éclair pour tâcher de la dissuader. Il ne semblait pas réaliser qu'il empiétait gravement sur son espace personnel.

— Non mais tu vois bien qu'il fait nuit et vaudrait mieux que tu ne réveilles pas toute la baraque. Les gamins sont infernaux quand ils ont pas assez dormi…

— Pousse-toi de mon chemin, Spike ou qui que tu sois, ordonna-t-elle sèchement sans plaisanter.

Cette fois, elle eut la surprise de le voir réagir plus vivement qu'elle ne l'aurait cru. Son visage se renfrogna comme jamais. Plutôt qu'en colère, il avait l'air blessé et balança une pinte d'acide avec sa réponse.

— Ok ! Tu veux des réponses ? Voici tes réponses : on est à Rome, en Europe. Tu y vis avec ta famille, tu as même des petits-enfants. Ici, c'est ta chambre autant que la mienne, et depuis un sacré bail. Je ne sais pas pourquoi t'as fait ça mais je parie que tu l'avais prémédité… Je parie parce que tu me tenais littéralement par les burnes quand tu m'as fait jurer de pas te laisser. Ouais, pas la peine de rougir. Tu savais très bien ce que tu faisais, va. Très très bien… Pourquoi est-ce que tu me traites comme ça ? Je me suis donné à toi comme à personne, de toute ma putain de vie, personne, tu entends ? Mais depuis deux ans, tu me prends et tu me jettes. Et tu me reprends et tu me rejettes. Deux ans de ce régime yoyo jusqu'au point où je me demande pourquoi tu ne m'as pas laissé me finir quand tu en as eu l'occasion… Et ne me regarde pas comme ça ! Je sais que tu ne comprends rien à ce que je suis en train de dire et que c'est pas ta faute. Mais après une nuit comme celle qui vient de se passer, me faire un coup pareil et te voir tirer un trait sur nous de cette façon-là, en effaçant d'un claquement de doigts la femme que j'aime comme un fou, c'est…

Il s'arrêta de parler, comme s'il était conscient d'en avoir trop dit. Interdite, les yeux humides avec le sentiment de s'être fait gronder pour une faute qu'elle n'avait pas commise, elle le regardait les bras ballants. Parce que son discours était totalement aberrant mais il avait l'air sincère.

— Je suis désolée de t'énerver. Je vais aller… ailleurs.

La tête rentrée dans les épaules, elle se faufila hors de la pièce. Il ne chercha pas à la retenir et elle en fut soulagée. Parce que la seule explication qu'elle voyait pour l'instant, c'était qu'il était à nouveau complètement maboul…

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Elle referma doucement derrière elle et fit quelques pas dans ce qui lui semblait être un grand salon. Au sol, le marbre veiné était froid et lui fit regretter de ne pas avoir pensé à regarder si elle avait des chaussons. A petits pas de danseuse, elle navigua à vue en croyant apercevoir un canapé qu'elle tâta précautionneusement… Mauvaise nouvelle, c'était du cuir ce n'était pas avec ça qu'elle allait pouvoir se réchauffer… Elle finit par trouver une sorte de plaid léger, trop petit pour la recouvrir correctement mais c'était mieux que rien. Elle s'en enveloppa et s'assit face à une grande cheminée blanche qu'elle trouva très belle et qui contrastait avec un mur au ton plus soutenu qu'elle n'arrivait pas à définir. Sur le linteau en stuc, elle devina des cadres qui l'attirèrent. Malgré la froideur du carrelage, elle s'approcha pour regarder les photos, en espérant trouver des indices et des visages familiers.

Ce fut le cas. Le premier portrait la laissa stupéfaite car il représentait d'Andrew Wells. C'était à peu près le seul qu'elle reconnaissait. Mais ce n'était pas le pire. Le pire, c'était qu'il y avait une version d'elle-même plus vieille, avec un bébé dans les bras. Et plus loin, sur une autre photo, elle et lui posaient ensemble avec une fillette.

Spike avait dit qu'elle avait une famille… Est-ce qu'elle était maman ? La chose lui semblait d'autant plus inconcevable qu'elle s'était toujours dit qu'elle n'aurait jamais d'enfant. Que c'était trop risqué dans l'environnement où elle vivait et avec la famille qu'elle avait. Que ce n'était pas très sûr non plus qu'elle puisse en mettre un au monde. Les moines l'avaient conçue pour être humaine mais avaient-ils été aussi à fond dans… tous les détails ?

En réalité, elle n'avait jamais été malade. Un rhume de temps en temps, une foulure une fois, mais qui ne durait plus de deux ou trois jours. Et n'ayant jamais été malade, ni os cassé, ni carie, elle n'avait jamais eu besoin de se soigner. Quand elle avait réalisé cela en fréquentant l'hôpital pour voir sa mère, elle avait commencé à nourrir des doutes. Mais les choses s'étant présentées comme elles s'étaient présentées, elle les avait vite chassés car il lui était devenu évident qu'elle risquait plutôt de mourir dévorée, sans avoir à s'inquiéter de passer par la case « maladie ».

Mais là, elle voyait une enfant qui grandissait de photo en photo. Et Andrew auprès d'elles. Est-ce qu'il était seulement possible et concevable qu'elle ait eu un bébé avec cet imbécile complètement à côté de la plaque ? Impensable. Éventuellement avec Alex, qui lui avait dit un jour qu'elle était extraordinaire. C'était tout de même le genre de chose qu'une fille n'oubliait pas, surtout si le type était baraqué, drôle, et lui disait ça en la regardant dans les yeux… Mais Andrew ? Trois fois non ! Même si elle devait reconnaître qu'il était bien habillé et que ça le changeait totalement, elle ne voyait pas comment ce genre de chose pouvait arriver. Elle était quasi persuadée qu'il était gay et trop idiot pour s'en rendre compte…

Qu'est-ce qui s'était passé ? Où était-elle ? Tombée dans la Quatrième Dimension ?

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Si l'idée un peu bête la fit sourire tout d'abord, elle ne tarda pas à se frayer un chemin et à s'imposer. Ce qu'elle avait sous les yeux : toutes ces photos paranormales, Spike qui n'était pas comme d'habitude, essayant de lui faire croire qu'ils étaient un couple, ces lieux à la fois inconnus et familiers… tout prenait un sens maintenait qu'elle l'observait à travers ce prisme. Il y avait une explication très plausible à ce qui lui arrivait. Le monde autour avait changé, elle non, et c'était forcément le résultat d'un souhait exprimé devant la mauvaise personne…

Et si elle se mettait à le croire avec une conviction galopante, c'était bien parce qu'elle avait déjà expérimenté l'implacabilité de ces mauvais génies de la lampe que pouvaient être les Démons Vengeurs. La veille pourtant, elle n'avait littéralement pas prononcé trois mots. Elle était restée terrée à la bibliothèque à tenter vainement de préparer son partiel sur « l'Histoire à travers la littérature contemporaine ». Sans grand succès d'ailleurs, parce qu'elle ne faisait que ressasser les circonstances qui l'avaient conduite à vivre sa première fois avec le guitariste d'un pseudo groupe de rock, le genre blasé en surface mais blessé et sensible au fond de lui. Qui s'avérait être également le coloc de son petit ami.

Janice, cette chère Janice, retrouvée à San Francisco car ses parents avaient fui Sunnydale à temps, fréquentait la même université qu'elle. Dawn s'était raccrochée à cette amitié comme à une bouée de sauvetage… Son « amie » l'avait laissée seule après l'avoir traînée jusqu'à une fête en la traitant de rabat-joie. Elle se sentait perdue parmi des gens dont elle n'avait finalement que faire, dépitée de s'être laissée fléchir pour être ensuite lâchée de la sorte… Nick Halden l'avait reconnue et était venu spontanément lui parler gentiment d'abord et lui tenir compagnie ensuite, éloignant les gêneurs. Ils avaient beaucoup parlé, ils avaient ri. Elle avait bien vu qu'il la trouvait jolie... Et cela lui faisait du bien d'être considérée et, pour une fois, de tenir une conversation civilisée. Kenny était pourtant un parfait petit ami, respectueux et charmant. Ils passaient tout leur temps libre ensemble en dehors des cours. C'était son seul ami.

Quand elle avait déclaré forfait, Nick avait tenu à la raccompagner jusqu'à son dortoir. Mais en arrivant, il avait décroché un panneau de la porte signé de Janice et qui disait « J'ai emprunté ta chambre, la mienne était trop occupée… A charge de revanche, copine… ». Atterrée, elle était restée plantée comme un piquet sans savoir quoi faire. Nick avait eu l'air embêté quand elle avait dit qu'elle allait attendre ici. « Non, mais tu ne vas pas rester là, enfin… Viens dans notre piaule, tu expliqueras ce qui se passe à Kenny, je ne l'imagine pas te mettre à la porte ! » Sur le coup, ça lui avait semblé des plus raisonnables. Il avait même ajouté « Tu sais, si c'est ce qui t'inquiète, tu n'as rien à craindre de lui. C'est le genre de mec qui ramène pas de fille, un gentleman ».

Au bout d'une heure, le gentleman n'était toujours pas là. Deux heures plus tard, il n'était encore pas là et elle commençait à s'inquiéter. « Non non, avait dit Nick qui avait bu quelques bières en l'attendant aussi, pas d'inquiétude dans ta jolie tête. Kenny c'est le genre de gars qui évite les problèmes. Je suis sûr qu'il va bien. Si tu veux, je peux te montrer un petit truc que je travaille en ce moment ? ». Et puis il était allé chercher sa guitare, et avait grattouillé dessus une mélodie sur des paroles en yaourt, s'excusant de n'avoir pas encore le texte définitif.

Stressée au dernier degré, elle consultait sans arrêt son téléphone. Il avait ri au bout d'un moment et dit en bafouillant que c'était la première fois qu'il était avec une fille qui n'était pas une groupie et qui n'avait pas envie de coucher avec lui. Elle avait souri nerveusement en lui disant qu'il n'était pas obligé de veiller et pouvait aller se reposer et qu'elle attendrait seule. Il avait protesté que ce ne serait pas très galant et qu'il avait juste besoin de quelque chose pour se concentrer et rester éveillé. A ce moment, elle avait craint le pire mais il avait dit comme ça d'un air docte « Tu sais jouer ? Je peux t'apprendre la guitare ! » Et ils s'étaient retrouvés côte à côte. Elle essayait de pincer les cordes mais n'était pas très douée. C'était un professeur plus patient qu'elle ne l'aurait cru. Et à un moment, elle avait réussi deux trois accords, et c'était là qu'il l'avait embrassée. Elle ne savait pas pourquoi elle ne l'avait pas repoussé.

— Dawn ?

Oh, elle l'avait regretté presque tout de suite. Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour ça. Le temps que Nick réalise après coup qu'elle était vierge et lui reproche de ne pas l'avoir dit avant. Pensant tout le contraire, elle avait répondu que ce n'était pas grave, se rhabillant vite, et était allée s'enfermer dans la chambre de Kenny pour pleurer. Elle s'y était assoupie quand elle n'avait plus eu de larmes, pour verser dans un mauvais sommeil peuplé de cauchemars. Et au petit matin, Kenny n'était toujours pas réapparu. Éreintée par cette nuit horrible, honteuse, elle avait pris ses affaires et quitté les lieux, déterminée à défoncer sa porte et mettre Janice dehors avec son pied dans le derrière. Elle pensait ne pas avoir été vue en sortant, mais un malheur n'arrivant jamais seul, il était possible que Nick s'en soit déjà vanté.

Et s'il l'avait entendu, peut-être alors que c'était Kenny qui avait été repéré par un Démon Vengeur œuvrant dans le créneau des femmes infidèles. Peut-être que c'était lui qui avait fait le vœu qu'elle épouse un pur crétin gay qui ne la toucherait jamais. Le vœu qu'elle soit expédiée dans un univers parallèle, où elle crèverait d'une pire solitude que celle qu'elle vivait depuis qu'elle était à Berkeley ?

— Dawn, tu m'entends ?

Ou, pire que pire, avait-elle été expédié dans un univers alternatif où elle n'était déjà plus qu'une grand-mère dont la vie était derrière elle, et où elle n'aurait jamais l'opportunité de connaître le véritable amour ?

Une profonde angoisse se mit à serrer sa gorge à mesure qu'elle commençait à s'épouvanter face à la certitude qu'elle était perdue corps et biens et que sa vie lui avait été volée. Que le gang ne découvrirait pas sa disparition avant des jours, et que tout le monde la chercherait en vain sans jamais la retrouver…

— Ça doit être ça… murmura-t-elle.

Elle n'avait pas entendu Spike arriver. On n'entendait jamais Spike arriver. Il vint s'agenouiller près d'elle, l'air inquiet et désolé.

— Ça quoi, poussin ?

— Où sont Buffy, Alex et… ?

En attrapant au vol l'étincelle de malaise qui traversait les yeux du vampire, elle n'eut pas besoin de finir sa phrase. Ce dernier venait de baisser la tête en faisant la grimace. Puis, avec le plus de tact possible, il lui dit ce qu'il en était : qu'ils n'étaient plus là depuis longtemps.

La confirmation de ses craintes, la disparition de deux de ses proches les plus intimes, lui tira un petit gémissement affolé. Elle se pressa la poitrine au niveau du cœur et se laissa aller contre le dossier du sofa, la respiration coupée. Tassée là, elle se couvrit la figure pour masquer son désespoir.

Elle avait été punie, et c'était tout. Elle n'avait plus rien.

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Près d'elle, le poids de Spike déforma les coussins de l'assise. Elle se détourna sur le côté parce qu'elle n'avait aucune envie de lui laisser le loisir de se moquer de sa faiblesse. Après avoir dit haut et fort qu'elle n'était pas une gamine, ça ne pouvait pas être plus humiliant et elle n'avait pas besoin qu'il en rajoute en ce moment.

— Dawn. Dawn, s'il te plait… Viens, regarde-moi… Je suis désolé, je suis un pauvre crétin, je n'aurais pas dû te dire ce que je t'ai dit.

Il posa une main maladroite sur son bras pendant qu'elle reniflait et se détournait encore davantage en essayant de ne pas pleurer, parce que la seule personne dont la présence aurait pu être un secours et un réconfort au milieu de cette tourmente, lui reprochait méchamment des choses qu'elle n'avait pas faites. Et c'était encore plus affreux de découvrir que la Dawn d'ici, qui s'en était allée on ne sait où, n'était finalement pas une bonne personne.

— Dawn, écoute. Ça va aller. Tu n'es pas toute seule ici. Tout va sûrement s'arranger bientôt. Tu es avec ta famille, avec… ceux qui t'aiment.

Loin de la calmer, cette affirmation déclencha un sanglot. Il resta immobile un instant, avant de pousser un profond soupir, qu'elle crut excédé par sa puérilité. Il osa pourtant une petite caresse hésitante sur son bras nu.

— Est-ce que tu veux bien… venir pleurer dans mes bras ?

Elle se retourna avec une expression perdue. Même dans l'état où elle se trouvait, elle comprit qu'il souffrait de la voir ainsi. Il affichait une telle émotion qu'il n'y avait guère de place pour le doute. Clignant des paupières pour retenir ses larmes, elle lui accorda un sourire des plus tristes.

— Quel dommage que tu sois mort…

Sans plus attendre son accord, il l'amena à lui et l'enlaça tandis qu'elle se laissa aller à pleurer, et tant pis si ce n'était pas le vrai Spike. Elle sentait son bras autour d'elle et sa main qu'il posait sur ses cheveux, comme pour soutenir sa tête. C'était une chose que jamais celui qu'elle connaissait n'aurait faite. Lui servir de bouclier, oui, mais tout contact était exclus.

— Qu'est-ce que tu dis, mon petit cœur ? Qu'est-ce que tu dis ? murmurait-il. Tu vois bien que je suis là… Je te tiens, je ne suis pas un rêve, mmh ?

Elle resta un moment comme ça, sans parvenir à formuler la moindre pensée, à moitié avachie dans une posture passablement inconfortable. Elle se sentait tellement en sécurité avec lui ! Elle le lui dit et bientôt sa poitrine se souleva pour un petit rire avant qu'il ne réponde tendrement :

— Hey, retire ce que tu viens de dire…

Elle s'écarta et vit qu'il lui souriait comme si elle avait sorti une bonne blague.

— Tu m'as déjà dit ça autrefois, mais j'étais trop orgueilleux pour le prendre bien…

Mais pour résultat, ses beaux yeux se remplirent à nouveau de larmes en comprenant qu'ils avaient quand même des souvenirs communs. Quelque part, les univers avaient dû fourcher… Elle repensa à son Spike qui était mort si tragiquement, et seul.

Moi, je ne voulais pas que tu meures, dit-elle enfin entre deux reniflements étouffés. Enfin… l'autre toi, je veux dire.

— L'autre moi ? Quel autre moi ? Je suis là. Et je sais que tu m'aimais bien, poussin. Tu me l'as avoué il y a longtemps maintenant. Et ça m'a sacrément mis la tête à l'envers…

Des petits pas rapprochés se firent entendre dans un escalier et une voix de femme assourdie et inquiète s'éleva dans le noir.

— Spike ? Tout va bien ? Je vous ai entendus parler. Est-ce que Maman va bien ?

Sursautant, Dawn se tourna dans la direction de la voix. Elle appartenait à une jeune femme aux cheveux courts, pas très grande mais très jolie, et qui portait une toute petite fille endormie dans ses bras. Son cœur bondit spontanément en la voyant s'approcher. Effarée, celle-ci regardait Spike avec l'air de le soupçonner de quelque chose. Il écarta les bras en signe d'impuissance.

— Maman ?

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Spike

Giles, ramenez-vous d'URGENCE. Dawn est redevenue ado pendant la nuit

RupertGiles

Bonjour à toi aussi Spike

Spike

Oui bonjour tant que vous voulez mais venez vite

RupertGiles

Suis en chemin. Récupéré la petite fille alien

Spike

Merde j'ai oublié la gamine avec tout ça

RupertGiles

Exceptionnel sens des responsabilités

Spike

Lui avez dit de ne pas rester avec moi, elle a écouté. Profitez ça n'arrive plus si souvent

RupertGiles

Imbécile. Dawn est en danger ?

Spike

Non. Mais on sait pas quoi lui dire. Maya flippe de voir la tête de sa mère plus jeune qu'elle

RupertGiles

Comment plus jeune ?

Spike

Redevenue ado, c'était pas clair ? Voilà la photo



Rupert rangea prudemment la voiture le long d'un trottoir avant de zoomer la pièce-jointe du message. Avec émotion et étonnement, il reconnut le doux profil de Dawn et son visage de petite poupée aux fins sourcils arqués. Elle était assise sur le grand canapé en cuir où il était en train de ruminer qu'on ne l'ait pas prévenu pour Angel, la veille encore. Nageant dans un survêtement prêté, elle levait un menton volontaire mais un pli soucieux barrait son front.

La contempler lui serra le cœur. Cette Dawn avait disparu sans espoir de retour après la naissance de Maya. Mais lorsqu'elle avait dix-huit ans, elle était encore une jeune fille qui cherchait sa voie, entre le désir de s'émanciper et la souffrance d'être encore laissée de côté, après leur emménagement dans une nouvelle ville d'accueil.

Étant donné qu'il avait peu ou prou fait partie du corps enseignant, Rupert trouvait préférable qu'elle puisse poursuivre une scolarité dans l'enseignement supérieur. Il fallait qu'elle aille à l'université, ou du moins, qu'elle ne s'en prive pas pour de mauvaises raisons. La seule mission qui incombait à la plus jeune des Summers, c'était celle de donner un sens à sa vie qui s'annonçait brillante. C'était une bonne élève.

Mais les choses avaient tourné autrement avec le second décès prématuré de Buffy. En épousant Andrew qui avait bien changé, la jeune mère avait trouvé la stabilité, et ça avait été une évidence pour elle ensuite, de souhaiter l'assister de temps en temps dans son travail d'Observateur. Qu'elle ait été une ressource précieuse pour les Écoles de Tueuses, Rupert ne pouvait le nier, mais il avait rêvé mieux pour elle.

Ce brusque « rajeunissement » ne lui faisait pas l'effet d'une nouvelle chance, pourtant. Il soupçonnait depuis longtemps qu'elle était capable d'influer sur son apparence selon son état psychique, mais ça se bornait toujours à des choses mineures : les traits un peu plus lisses, quelques kilos de moins… Or elle venait de régresser d'un coup, et pas qu'un peu. Qu'est-ce qui l'avait perturbée au point de désirer effacer de sa mémoire cellulaire les trente dernières années de sa vie ?

Sans réponse à ces questions, il raccrocha l'appareil sur le tableau de bord de sa vieille voiture de collection, ôta ses lunettes et se frotta le front comme pour chasser sa tristesse. L'optimisme ne lui semblait pas de mise pour quelqu'un qui en avait trop vu. Il avait peur qu'un jour Dawn ne disparaisse totalement du monde, d'un seul coup, exactement comme elle y était arrivée. Il craignait aussi que les faux souvenirs implantés pour faciliter son insertion ne se volatilisent avec elle, en ne laissant après eux que le sourd tourment d'un vide inexplicable dans leurs âmes esseulées.

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Notes de l'auteur

* Compatible avec le tout début de la Saison 8 dont je me suis inspirée. Les détails sont toutefois de mon cru.

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