When in Rome

Chapitre 64 : Oh, I believe in yesterday

5383 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/08/2022 13:04

Chapitre 64 Oh, I believe in yesterday



"Yesterday, all my troubles seemed so far away, now it looks as though they're here to stay"


Sunnydale, 21 mai 2003 – Jour 2

Elle resta courbée, à reprendre son souffle en surveillant son agresseur aux dents longues, assommé à l'aide d'un charme mineur qui semblait avoir vidé ses dernières forces. Des larmes involontaires coulaient sur ses joues. L'idée qu'il puisse y en avoir d'autres, rôdant dans le noir d'encre à quelques pas d'ici, la fit frissonner et la galvanisa tout autant. A la recherche d'une arme, son regard s'arrêta sur une tige de métal tordue, assez longue, près du comptoir où elle trouva justement les muffins. Deux instincts primaires se disputèrent en elle. Se protéger ou manger ?

Elle se jeta sur les miettes toutes sèches, les époussetant à peine pour les avaler goulument en soupirant d'aise. Pas terrible mais ce n'était pas le moment de faire la fine bouche.

Sur la droite, un petit bruit interrompit sa mastication. Le vampire malchanceux se réveillait déjà.

Affermissant sa prise sur son pieu de fortune, elle se tint devant lui, le regard farouche et le menton en avant. Il semblait savoir ce qui l'attendait.

— Pitié. Je… j'ai été mordu par surprise, je n'ai rien demandé, ce n'est pas de ma faute…

Elle opina deux trois fois.

— Oui, oui, l'instinct de survie. Rassure-toi, je comprends très bien...

Elle contempla son regard plein d'espoir puis lui enfonça la tige dans le cœur d'un geste maladroit mais efficace.

— N'y vois rien de personnel, répondit-elle au tas de poussière.

.

Son bras droit tremblait tant qu'elle lâcha la tige qui fit un vrai tintamarre en tombant sur une surface métallique. La voix désagréable daigna se faire entendre à nouveau. Ce qui était bizarre, c'était qu'elle avait la vague impression de la connaître.

— Hey, alors tu viens ? Qu'est-ce que tu fiches ? C'est le pilier là-bas…

Là-bas ? Au fond de sa cervelle saturée d'adrénaline, une idée germa. Et s'il n'avait rien fait pour l'aider parce qu'il était égoïstement parti faire autre chose ? Estomaquée, la jeune femme commenta seulement d'un ton acide :

— Non, ça va, je m'en suis sortie, merci.

Mais je le vois bien ! On ne perd pas de temps, là. Grouille !

Par mesure de représailles, elle ne se grouilla pas du tout. En furetant sans se presser dans le bordel qui constellait le sol du café, elle finit par trouver une lampe frontale abandonnée par un ouvrier ou un pompier. Et seulement alors, des gâteaux plein les poches, elle continua à suivre les indications qu'elle entendait.

Il n'avait pas menti : ce n'était effectivement pas loin, trois mètres à peine vers ce qui aurait été le fond de la boutique.

— Ok, maintenant il faut dégager ce truc. Soulève !

Même un peu ragaillardie par l'ingestion rapide de glucose, elle ne se voyait pas exécuter de dépense d'énergie supplémentaire. Elle inspecta les lieux, en louvoyant entre les meubles enchevêtrés, priant que le plafond ne s'écroule pas d'un coup si elle déplaçait la moindre chose de ce Mikado géant. À son front, le pinceau lumineux balaya enfin une silhouette gisant entravée par un pilier d'au moins trente centimètres de large. En se penchant prudemment au-dessus, elle fronça les sourcils.

— Mais… ?

— Mais quoi ? Tu le soulèves, oui ou non ?

— Mais pourquoi faire ? Ce gars a l'air mort, et depuis longtemps ! s'exclama-t-elle avec une grimace de dégoût.

Le visage du cadavre dont la peau avait disparu ne révélait plus que des chairs à vif. Et ce fut seulement à cet instant, elle comprit soudain à qui elle avait affaire en réalité, et pourquoi elle avait l'impression de connaître cette voix. Elle maudit sa fatigue et le choc qui l'avait rendu si lente.

— Mais non, c'est pas un macchabée lambda, c'est moi ! Et justement, j'ai pas l'intention de rester comme ça longtemps. Allez bébé, il faut que tu finisses le boulot comme prévu au départ. D'accord j'ai été patient, ton truc magique m'a maintenu en vie, c'est bien gentil. Mais pendant ce tremblement de terre, comme tu vois, ce poteau ne m'a pas loupé. Mais tu vas arranger ça, hein, Amy ? Pour prouver que ta petite copine Rosenberg n'est pas seule à pouvoir relever les morts...

Ce n'était jamais agréable quand une vieille erreur que vous croyiez avoir jetée par la fenêtre revenait par la grande porte…

.

Trois ans après son retour à une forme humaine, Amy avait compris que les choses avaient bien changé à Sunnydale. Entre temps, le niveau de Willow en magie avait considérablement augmenté et cette petite gourde n'en avait pas la moindre idée. Pas complètement désintéressée, Amy avait essayé de la prendre sous son aile en exploitant habilement une peine de cœur, et curieuse de voir jusqu'où elle pourrait aller.

La réponse était : loin. Et ça s'était mal passé, ce n'était rien de le dire. En voyant ce qu'elle était devenue après des séances régulières qui infusaient en elle toujours plus de magie sombre, Amy n'avait plus su si elle devait l'admirer ou la craindre.

Puis miraculeusement, ce monstre avide de destruction qu'Amy avait contribué à créer était rentré dans sa boîte après un stage intensif de magie blanche. Et la pauvre petite Willow n'avait pas été tenue pour responsable de ses actes, comme par hasard. L'amertume envers cette ingrate qui se payait le luxe de la rejeter pour sa « mauvaise influence » avait grandi dans son cœur, puis une haine intime n'avait fait que croître.

C'était l'unique raison pour laquelle elle avait accédé à la demande de ce type à demi-mort qui s'était traîné jusqu'à elle, Dieu seul savait comment. Il affirmait que c'était Willow qui l'avait mis dans cet état. Le voir mourir sur le pas de sa porte aurait fait désordre. Amy avait usé d'un sortilège épuisant pour maintenir en vie un corps pelé et souffrant atrocement. Un exercice qui avait presque eu raison d'elle mais dont la réussite inattendue avait renforcé son égo.

Mais si aujourd'hui une résurrection complète était ce qu'il attendait d'elle, dans les circonstances actuelles, c'était fichu. Le tour de force accompli par Willow pour ressusciter Buffy était monumental. La blonde présomptueuse n'était pas revenue comme un zombie traînant la patte et marchant sur son œil pendant que sa mâchoire pendait. Elle avait été physiquement intégralement re-créée à partir de ses restes… S'étouffer de jalousie devant la prouesse ne servait à rien. Amy n'était évidemment pas capable de la reproduire, et encore moins ex nihilo.

— C'est un sortilège exigeant des ingrédients très spéciaux et des objets de culte très rares, répondit-elle comme si elle parlait à un demeuré. Pour y parvenir, Willow a eu besoin de puiser dans la force de trois personnes en plus de la sienne et de la proximité de la Bouche de l'Enfer…

— Bah, t'as qu'à rouvrir le foutu Sceau et pomper ce qu'il te faut ! C'est quand même pas compliqué ! Une petite entaille au poignet et puis ce sera réglé…

La sorcière vit rouge.

— Alors maintenant tu vas me donner des cours ? Je commence à regretter ce que j'ai fait pour toi l'année dernière… Il faut beaucoup plus qu'un peu de sang. Le Sceau n'est pas simplement fermé, il est complètement dissout. Il n'y a plus rien du tout ici. Le passage entre les dimensions n'existe plus et sa trace résiduelle démoniaque commence déjà à se dissiper.

Tu es sûre ? Je me demande bien quel truc a pu faire ça !... Mais à priori, tout ce qui a été fait peut se défaire. On aurait besoin de quoi, théoriquement parlant, pour le recréer ?

— Je ne sais pas trop. Une grande souffrance continue, le sacrifice d'une quantité effrayante d'âmes pures, des centaines de litres de sang souillé, un tranchoir pour fissurer les mondes Il n'y a pas de mode d'emploi parce que personne ne serait assez fou pour entreprendre une chose aussi risquée alors qu'il existe d'autres portes ailleurs !

— Tu es en train de dire que tu ne peux rien faire ?

— Pas forcément, temporisa-t-elle pour se donner le temps de réfléchir. Mais ce que je me demande c'est pourquoi je devrais le faire ?

— Comment ça « pourquoi » ? Mais pour te venger de Rosenberg ! Parce qu'elle s'en est tirée, cette garce. Je l'ai vu fuir avec la clique de la Tueuse. Moi aussi ça m'intéresse de la faire payer pour ce qu'elle m'a fait. J'y étais pour presque rien dans la mort de sa chérie... C'est Buffy que je voulais liquider et, du reste, je le veux toujours. On peut s'aider mutuellement.

— Je ne vois pas bien à quoi tu peux être utile dans ton état.

Je sais tout simplement comment remonter à la surface. Alors voilà le deal : tu me remets sur pieds, et une fois dehors, on commence à faire payer Rosenberg en la rendant dingue. Et lorsqu'elle sera hors de contrôle, ses amis seront obligés de la gérer sur un troisième front. Et là, on pourra les écraser, ainsi que tous ceux qui s'opposeront à nous.

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Amy resta pensive. Si on ne comptait pas l'objectif inepte de dominer tout le monde, ce plan avait deux défauts. Le premier, il passait sous silence tout aspect concret. Le second, il incluait de s'en prendre à Buffy. Mais trop d'exemples avaient prouvé que ça ne finissait jamais bien pour ceux qui essayaient. Ces facteurs avaient de quoi la laisser dubitative. Les belles paroles ne coûtaient rien, les erreurs de jugement, si.

— Et sortir comment ? Tu n'as aucun pouvoir magique pour déplacer les pierres sinon tu ne serais pas sous ce poteau. Comment tu comptes creuser pour remonter à la surface ? Ou bien tu attends que ce soit encore moi qui le fasse ?

— Ok, si tu préfères tergiverser et bouffer des charognes pour finir par crever toute seule quand même, libre à toi.

Faire un crochet par la planque de Rack avant l'exode des citoyens, l'avait assurément sauvée à court terme. La bulle artificielle qui distordait la matière avait créé un champ amortisseur autour d'elle et avait empêché qu'elle ne meure durant l'effondrement inexpliqué de la ville. Toute occupée qu'elle avait été à fouiller les lieux avant de fuir pour absorber de rares dernières potions ou sorts secondaires dédaignés par Willow, elle ignorait tout de ce qui avait soudainement mené Sunnydale à cette débâcle.

Et par conséquent, le type dont elle avait oublié le nom, Warren quelque chose, pouvait lui dire exactement ce qu'il voulait sans qu'elle puisse vérifier si c'était des bobards ou pas.

La raison lui disait qu'elle devrait pourtant mettre ses réticences de côté. Sans lui, elle n'irait effectivement nulle part, surtout alors qu'elle se sentait faible et nauséeuse. Mais la réciproque était vraie. Sans elle, Warren resterait un fantôme, probablement attaché à ce lieu en raison de deux morts violentes.

— Soit. J'écoute. Mais tu dois me dire précisément comment tu compterais me faire sortir.

Nous faire sortir, corrigea-t-il. Je te dirai comment si tu t'engages à me ressusciter et me guérir… Mais, t'en es peut-être pas capable ?

— Tu penses que m'insulter est un bon calcul ?

— Je ne sais pas. T'en es capable ou pas ?

Elle ne répondit pas de suite.

— Ce que je pourrais faire, temporisa-t-elle, ce serait te stabiliser sous forme astrale pour éviter que tu te disloques et que tu perdes la boule, si et seulement si, je trouve ce qu'il faut là où était la boutique de magie. Pour te faire revenir à la vie, il faudrait une source de puissance considérable (qu'on n'a plus), une urne d'Osiris (Willow a mis des semaines à pouvoir acheter la dernière) et le cœur frais d'une créature innocente. Pas sûr qu'il reste quoi que ce soit de vivant ou d'innocent par ici.

Et on ne peut pas utiliser autre chose à la place ?

— Bien sûr, je commence les recherches tout de suite si tu me trouves un ordinateur en état de marche pour commander ça sur le Dark Web et faire livrer, grinça-t-elle.

Ok.

Il ne dit rien pendant un petit moment et elle laissa les secondes s'égrener.

— Ok, soupira-t-il à nouveau. Boutique de magie d'abord. Mais vite fait.

Amy esquissa un sourire victorieux.



Sunnydale, 23 mai 2003 – Jour 4

En plein désert, sous un soleil écrasant, l'hélicoptère se posa dans un tourbillon soulevant des paquets de sable. À chaque tour de pale, les quelques gardes en armes s'en mangeaient une poignée mais restaient stoïques à transpirer dans leur uniforme sombre. La porte de l'appareil coulissa à peine avait-il touché le sol pour laisser sortir un passager.

Grand, blond et le physique avantageux, celui-ci s'avança d'une foulée vigoureuse vers le sergent qui l'attendait. Il jetait un regard bleu étrangement distant sur la désolation du paysage, tandis que flottait sur ses lèvres un drôle de rictus indéchiffrable. Ils échangèrent un salut formel lorsque leurs regards se rencontrèrent.

— Major, vous êtes l'officier qui devait arriver il y a deux heures ?

L'interpellé acquiesça en adressant un large sourire sympathique à son vis-à-vis pour confirmer.

— Je me suis mis en route dès qu'on a pu me joindre pour m'informer. Quand l'alarme s'est-elle déclenchée ?

— Il y a six heures. Nous avons suivi les consignes et nous vous avons attendu.

— Parfait. Mettez les pelleteuses en marche, commanda-t-il avec un mouvement circulaire du doigt. Et quand vous descendrez, vigilance maximale. Ne baissez vos armes sous aucun prétexte. Je vais dans la tente consulter les scans.

Indécis une demi-seconde, le sergent lui emboîta le pas, désireux de savoir si les racontars sur cet endroit comportaient la moindre parcelle de vérité.

— Permission de parler, major ?

L'autre acquiesça sans s'étonner de cette curiosité.

— Qu'est-ce qui aurait pu survivre là-dessous après presque cinq jours sans eau ni nourriture ?

Riley Finn parut brièvement amusé. Il se pencha pour soulever la portière souple de la tente beige où était installé le matériel nécessaire, avant de se tourner pour répondre :

— Eh bien, nous n'allons pas tarder à le savoir.

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Fraîchement promu, il ne s'attendait pas à devoir remettre les pieds à Sunnydale aussi tôt. C'était toujours quand il croyait qu'il allait en finir une bonne fois qu'il se retrouvait face à ses souvenirs. Et cela aurait été trop facile s'ils avaient tous été mauvais.

Lorsque l'Initiative avait fermé ses portes, l'Armée n'avait pas fait plus que de sceller les installations. Si elles tenaient encore debout, c'était parce qu'elles avaient été littéralement conçues pour résister à un tremblement de terre et construites assez profondément. Des mois après leur départ, Buffy avait d'ailleurs pénétré dans les locaux pour attirer leur attention. A l'époque de l'effraction, la place grouillait encore de créatures piégées qui n'avaient pas eu d'autre choix que de s'entredévorer.

A son avis, il n'était donc plus temps de s'inquiéter des civils. S'il y avait encore quelque chose là-dessous, ce ne pouvait être qu'un démon ou un petit groupe disparate de spécimens plus résistants que d'autres, qui avaient dû achever tout ce qui n'avait pas été tué sur le coup.

— Major, regardez ça. Sur l'infrarouge. Il y a quelqu'un.

Effectivement, deux caméras encore actives enregistraient du mouvement. Ils distinguèrent une fine silhouette dépenaillée qui marchait avec peine. L'homme qui pilotait les instruments passa de son propre chef sur le mode thermique, afin qu'ils puissent constater qu'il y avait aussi de la chaleur qui se dégageait.

Quand la créature leva les yeux dans leur direction comme si elle pouvait les voir, son corps se mit soudain à briller vivement pendant quelques secondes avant de s'effondrer au sol sans connaissance.

Riley soupira.

— Faites venir une équipe médicale et un caisson de confinement.

Bienvenue à Sunnydale.

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"Suddenly, I'm not half the man I used to be, there's a shadow hanging over me. Oh, yesterday came suddenly"


Rome, 2 septembre 2041

En plein trac, Andrew considérait l'impressionnant dossier posé sur son bureau, en se demandant une énième fois s'il avait encore l'âge et l'énergie de faire face à… tout ça. Il connaissait pertinemment la réponse et elle l'attristait.

A l'instant, Pietro lui avait remis en main cette épaisse pochette rouge qui devait bien peser trois cent grammes.

Andrea, il est grand temps maintenant. J'attends depuis des années, je suis prêt. Et je peux m'occuper de tout, se vuole. Il est temps que tu profites vraiment de ta vie, et ça n'arrivera jamais si tu t'accroches à ton travail. Passe la main. Maya aidera, tu sais, pour le début. Je sais qu'on peut compter sur elle. Amore, pour nous, avant qu'il soit trop tard, accepte.

Quand son mari avait les yeux si ardents et se tenait si près de lui, Andrew aurait bien accepté tout ce qu'il voulait… Une chose que Pietro savait en glissant les mains sous sa veste, à l'assaut du nœud de sa belle cravate, puis des premiers boutons de sa chemise dans l'intention déloyale de lui prodiguer quelques agaceries propres à faire avancer sa cause.

Ce que le jeune et délicieux maître chanteur savait aussi, c'est que si n'importe qui était entré dans ce bureau comme dans un moulin, on les aurait surpris dans une posture qui n'aurait été ni très compromettante, ni très équivoque. Or ils avaient été plus ou moins priés de se tenir très professionnellement dans le cadre de leurs fonctions. Ou sinon…

Salvatrice, la sonnerie de son communicateur retentit en le faisant sursauter. Puis il poussa un soupir étranglé pendant que le plus jeune promenait ses lèvres persuasives sur le fil de sa mâchoire. Andrew se força à considérer l'écran et le numéro affiché qui ne lui disait rien.

— Je dois prendre cet appel, souffla-t-il.

Pietro se recula les mains en l'air, en murmurant un assez suggestif « On en reparle ce soir » avant de se retirer discrètement.

Andrew désactiva la caméra, se racla plusieurs fois la gorge, se recoiffa, et poussa de côté le porte-documents contenant tous les formulaires à remplir pour un dossier d'adoption, avant de décrocher une fois prêt.

— École Supérieure de Jeunes Filles Surdouées, bonjour. Si vous désirez un entretien pour l'admission de votre fille, tapez 1. Si vous appelez pour quelque chose d'étrange dans le voisinage, tapez 2. Dans le cas contraire, ne quittez pas, un opérateur va vous répondre…

— Andrew ?

Le Directeur Wells fit la moue. Il y avait peu de chance qu'on le recrute comme standardiste… Qu'est-ce qui pouvait bien l'avoir trahi ?

— …C'est Riley. Il faut qu'on parle.

— Euh, Riley... Finn ? L'ex petit-ami de la T… de Buffy ?

— Parmi d'autres, oui. J'ai des informations urgentes pour toi, mais pas par téléphone.

— Dac...cord. Alors, je ne sais pas… Tu serais disponible mercredi à midi ? Je connais une petite trattoria à tomber...

Andrew entendit clairement le sourire dans le combiné et le léger ton d'excuse.

— Non, il faut que tu viennes maintenant. Il y a un transport aérien de l'Armée qui devrait atterrir dans dix minutes pour te prendre.

— Mais pour aller où ?

— Au Nouveau Mexique.

— Ouah cool ! Ça fait super longtemps que je n'y ai pas remis les pieds… Enfin, je veux dire… Non, pas cool ! Je ne peux pas partir sans prévenir personne…

— Eh bien, tu as neuf minutes pour passer des coups de fil et le faire maintenant…

— Mais… c'est pour combien de temps ? Je dois prendre un caleçon de rechange ou bien… ?

Riley étouffa un rire.

— A tout de suite…

La communication coupa et Andrew regarda son téléphone pensivement, interloqué mais déjà follement curieux.

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Même s'il ne pouvait pas trop se plaindre parce que les années n'avaient pas été trop dures avec lui, Andrew était un peu jaloux. Riley n'avait quasiment pas de rides, les traits juste un peu plus burinés. Serré dans un uniforme repassé, l'ex membre de l'Initiative était toujours large d'épaules, le dos droit, les abdos plats, tonique, bref superbe, mais peut-être légèrement mal à l'aise de se sentir scruté de la sorte…

Il pilotait l'Observateur le long d'interminables couloirs ternes à l'éclairage cru, ponctués par de portes blanches numérotées. Pas fan du sport, Andrew essayait de se maintenir à sa hauteur tandis que, pendu à son cou, son badge de visiteur sautillait ridiculement à chacun de ses pas.

— Mais pourquoi tu n'as rien voulu me dire ?

— Je pensais que tu aimerais voir ça de tes yeux…

— Mais je ne peux pas avoir au moins un indice ? Je suis parti comme un voleur en laissant des messages énigmatiques sur boîte vocale. Et si ça se trouve maintenant, je vais finir ici, enfermé jusqu'à ma mort… Vous n'avez pas l'intention de pratiquer des expériences sur moi, hein ?

Riley lui adressa un regard largement déconcerté et un rien impatienté.

— Non, tu ne crains rien. Ici sont confinés des individus dangereux qui ne peuvent pas atterrir dans une prison d'état "normale", où ils se feraient trop remarquer pour leurs caractéristiques non humaines. C'est un établissement de taille modeste, adapté aux besoins particuliers des démons. S'ils sont ingérables, ils sont tout simplement sédatés. Nous nous rendons dans l'aile médicale…

— En effet, des démons enfermés et neutralisés, ça ne ressemble pas du tout à l'Initiative, remarqua Andrew avec un coup d'œil en biais. Pourquoi on va là ?

— Pas la peine d'être sarcastique. Il se passe que nous avons une pensionnaire qui s'est échappée, après plusieurs années passées en sommeil cryogénique. Du jour au lendemain et sans signe avant-coureur, elle s'est réveillée, a surchargé nos systèmes électriques sans même les toucher…

— Genre éclair de force à la Palpatine ?

Le lieutenant-colonel Finn ignora la remarque, décidé à ne pas perdre le fil de son exposé :

— …puis elle s'est occupée de distraire le garde, avant d'aller dans une morgue où elle s'en est prise à un autre occupant qu'elle a tout bonnement tenté de réanimer.

— Ah bon ? Et… elle a réussi ?

— Presque ! On a eu le temps de l'intercepter avant la fin et de convoquer des médiums qui l'ont contenue dans un champ psychique. Et depuis, elle est enragée…

Riley appuya ses dires en ouvrant une porte qui donnait sur une première petite pièce claire, dotée d'une fenêtre intérieure vitrée. Andrew y vit trois femmes se tenant par la main, qui semblaient en méditation. De temps à autre, des frémissements fugaces troublaient la sérénité de leur visage. Par l'ouverture, dans la pièce adjacente très dépouillée également, on voyait une femme suspendue en X sur des montants, poignets et chevilles solidement ligotés.

Andrew repassa en mode Directeur. Faisant fi de leur apparence anodine de grands-mères à chat boudinées dans leurs robes à fleurs, il contourna les médiums en action et s'approcha pour mieux voir car il ne distinguait pas le visage penché de la prisonnière, presque entièrement barré d'une grande mèche châtain.

— C'était nécessaire de l'entraver autant ? questionna-t-il un peu mal à l'aise, devant sa chemise d'hôpital déchirée et les bleus laissés par ses liens qui la blessaient.

— Bâillonnée ou pas, elle envoie des sorts mortels si elle arrive à se concentrer suffisamment et parvient à faire de gros dégâts. Les médiums sont là pour organiser un brouillage parasite. Et pour ce qui est de sa tenue, nous étions tout disposés à lui en donner une autre mais elle se débat furieusement quand on l'approche… Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas coopérative. Ces dames disent qu'elle est possédée.

— Et tu m'appelles pour mon expertise ?

— Non. Je t'appelle parce qu'elle te réclame depuis trois jours !

— Moi ?

Comme si elle les avait entendus, la prisonnière leva la tête, hargneuse et un mauvais sourire à la bouche.

— Andrew !… Tu as mis le temps !

Sa voix était sortie bizarrement laissant le visiteur perplexe quelques secondes. Puis à l'occasion d'une ruade qui étirait les muscles de ses bras de façon inquiétante, son visage fut dégagé en pleine lumière et il la reconnut.

— Mais c'est… Amy Madison ? C'est ça ? Je me souviens, je crois qu'elle était en dernière année au lycée en même temps que mon frère Tucker. T'étais pas encore à Sunnydale à l'époque, j'imagine. Je ne pensais pas qu'elle était toujours en vie, mais je ne comprends pas ce qu'elle me veut. Je ne la connaissais pas trop…

— Quand on l'a trouvée, elle était agrippée à un cadavre qui a été identifié formellement comme celui de Warren Mears.

Un fugace éclair de peur flasha dans les yeux d'Andrew.

— Wa… Warren ? Mais Dark Willow l'a tué !

Amy se mit à rire ce qui acheva d'augmenter le malaise qui étreignait l'homme adulte qu'il était pourtant devenu.

Le lieutenant Finn l'incita à sortir pour le faire passer dans une seconde pièce adjacente, une cellule médicalisée où trônait un caisson blanc lustré, surveillé par une batterie de capteurs dont les résultats s'affichaient sur écran. Assez prévisiblement, ils donnaient tant l'état de santé du patient que celui de son cercueil high-tech.

— Quand on l'a remonté des décombres des anciens locaux de l'Initiative, il était plus mort que mort.

— Hein ? Mais tu veux dire qu'ils étaient ici pendant tout ce temps ? réalisa Andrew d'une voix blanche.

— Oui. On l'a gardé parce qu'il ne montrait aucun signe de décomposition, mais Amy Madison était très mal en point. Elle a fait un arrêt cardiaque et plusieurs malaises. Voyant qu'elle ne tiendrait peut-être pas longtemps, on l'a placée en coma artificiel et gardé le corps de Mears au frigo. Nos tentatives pour la réanimer ensuite se sont soldées par des échecs, mais elle restait stable lorsqu'elle était en sommeil. Après quelques temps, elle a été mise en cryo car on avait besoin de place. Depuis, elle n'était plus particulièrement surveillée. Tiens, ce n'est pas tout, je voulais que tu voies ça aussi…

Riley étendit le bras pour désactiver l'interrupteur avant de lui tendre une paire de jumelles spéciales posées sur un chariot à roulettes. Andrew s'en saisit, peu sûr de ce qu'il allait y voir. Quand il les plaça devant ses yeux, il sursauta à nouveau en poussant un petit cri guère viril.

BOUH ! fit le spectre de Warren, visible au travers. Alors, t'es pas content de me voir ?

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Installé dans une salle de réunion avec Finn et une médium, le Directeur de l'École de Tueuses de Rome avait repris contenance mais cette fois, il n'y voyait plus matière à plaisanter. Sa curiosité s'était sérieusement émoussée, remplacée par une sourde appréhension. En lui, l'ancien post-ado paniquait un peu, mais il se força à rentrer dans son rôle.

— Warren parasite Amy, n'est-ce pas ?

Elle hocha la tête avant d'expliquer.

— Leurs esprits sont interconnectés depuis des années. Alors qu'on pouvait croire Mlle Madison inconsciente dans sa stase cryo, il n'en était rien. Elle parvenait à se projeter en astral sur une certaine distance et avec une grande discrétion. Après l'incident, nous avons cherché et trouvé des traces d'utilisation de magie. Nous pensons qu'elle a mis à profit toutes ces années pour se renforcer, et apprendre d'autres techniques en les volant à nos confrères et consœurs qui sont régulièrement convoqués ici. Tous les gardes de ce couloir ont une rotation régulière car ils se sentent anormalement fatigués après avoir accompli leur surveillance. Un beau jour, elle a dû finir par accumuler assez de puissance pour faire griller les sécurités de son caisson et mettre la main sur les restes de M. Mears. Apparemment, elle avait l'intention de pratiquer un rituel. Il a été interrompu à temps mais nous ne sommes pas parvenus à lire son esprit pour savoir ce qu'elle comptait faire. Par contre, nous avons découvert qu'elle-même y parvient sans difficulté sur ceux qui n'ont pas reçu d'entraînement spécial.

— Mais, qu'est-ce qui a changé dernièrement ? Je veux dire, pourquoi a-t-elle décidé de passer à l'acte maintenant ?

— Nous ne le savons pas encore, admit Riley. Mais nous avons voulu te prévenir car elle a menacé plusieurs fois ta vie et celle de tes proches. Tu as des proches ?

Andrew allait répondre spontanément mais il se retint à temps. Si la médium disait vrai, Amy était peut-être capable de tirer secrètement des informations de n'importe qui. Y compris Riley. Et y compris lui-même, qui venait de passer à portée ! Il déglutit et s'empressa de penser fixement à la stupidité du costume à cape de Lando Calrissian dans Star Wars.

— Je te remercie de m'avoir prévenu. Qui travaille sur l'élucidation du rituel ?

— Notre assemblée, répondit la femme. Très probablement, Mlle Madison a dû essayer de se dissocier de l'esprit vindicatif qui s'accroche à elle comme une sangsue. Elle a peut-être attendu d'être assez forte pour se libérer et le renvoyer au diable.

— C'est possible.

Le visage fermé, il avait l'intime conviction qu'elle se trompait.

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"Now I need a place to hide away"

Pour rentrer chez lui, Andrew avait préféré emprunter un avion de ligne, par crainte – peut-être paranoïaque – que ses appels personnels ne fussent surveillés, s'il restait à bord d'un jet de l'Armée. Il fit escale à Cleveland, ville assez peu connue du grand public pour posséder une autre Bouche de l'Enfer. Ensuite, il devait prendre une correspondance pour New York et de là, un vol pour Rome.

Dans l'aéroport, il se posta devant le panneau des départs. Un grand homme noir avec encore plus de carrure que Riley, vint à sa rencontre en semblant absorbé par la lecture d'un journal. Ils jouèrent la comédie du « Oh pardon, je suis désolé, je ne vous avais pas vu / Mais non c'est moi, je ne faisais pas attention ». Chacun ramassa ses affaires éparpillées avant de reprendre sa route car l'avion pour l'Italie était annoncé.

Une fois assis à sa place, Andrew commença à sentir son estomac rétrécir sous l'effet de l'anxiété. Il desserra sa cravate avec le sentiment d'étouffer – à peu près autant que si Dark Vador lui avait fait la prise d'étranglement à distance. Sous ses paupières fermées, le visage chafouin de celui qu'il avait autrefois appelé bêtement son ami ne cessait de venir se surimprimer. Il savait qu'un jour, il devrait payer pour ses erreurs, pour avoir été veule, naïf et malléable. Pour avoir fait comme s'il n'avait pas compris que Warren était un assassin et pour l'avoir aidé à perpétrer et maquiller ses crimes…

Il espérait que Robin Wood, en charge des opérations ici, pourrait faire parvenir son mot à Dawn par des voies plus sécurisées, tant imperméables à la technologie qu'indétectables par la magie :

"DEFCON 3.5. Verrouille les dossiers de W. Mears et A. Madison. Accès restreint aux administrateurs. Silence radio total jusqu'à mon retour tôt demain. AW"

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Note de l'auteur : Le titre et les exergues sont bien entendu tirés de la chanson des Beatles.

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