When in Rome

Chapitre 67 : Donjons et démons

4057 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/11/2022 21:29

Chapitre 67 Donjons & Démons

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Rome, 8 juillet 2046

THISBE

L'attaque venait de commencer. La jeune dame qui s'appelait comme madame Spike marchait devant en courant presque ; Thisbé trottait derrière. Elles avaient quitté le bureau du directeur dès les premiers coups de gong signalant un nouvel assaut «magique ». Maintenant, toute une petite organisation se mettait en place quand ça arrivait ; elles n'y participaient pas.

Quand elles furent dehors, elles longèrent un couloir aux murs de pierre très propres. Le plafond était soutenu par des colonnes. Cela dessinait un carré au milieu duquel il y avait un trou d'eau pas très profond, comme une grande baignoire mais où personne ne se lavait jamais. Encore un mystère qu'on ne lui expliquait pas… Dawn n'était allée ni dans la salle d'entraînement des jeunes dames super fortes, ni dans la salle où il y avait le monstre dans le mur qui demandait toujours qui elle était à chaque fois qu'il la voyait. Celui-là n'avait pas l'air trop méchant mais sa mémoire s'effaçait vite. Si on voulait son avis, cette maison renfermait vraiment beaucoup trop de monstres.

Thisbé serrait contre elle les ustensiles et ingrédients qu'on lui avait demandé de porter et fit bien attention quand elle dut prendre un grès grand escalier avec de larges marches car il n'y avait pas assez de lumière. Il tourbillonnait en descente et elle ne voyait pas du tout à quoi ça pouvait bien servir de ne pas le créer tout droit…

— J'ai peur, avoua-t-elle sans réaliser qu'elle avait parlé tout haut.

— Je t'avais dit de rester à l'abri dans le bureau du directeur.

— Pardon mais… vos installations ne sont pas très bien pourvues. Il n'y a pas d'ascenseur ni d'éclairage. J'ai peur qu'il fasse encore plus noir en Enfer. Il fait noir là-bas ?

Dawn la regarda sans comprendre et puis répondit honnêtement.

— J'en sais rien. Ce sera l'occasion de demander.

De la poussière tombait des murs arrondis mais ceux-ci tenaient bon. A chaque pas, Thisbé avait l'impression de forer dans le néant un gros tuyau qui s'ouvrait au fur et à mesure de leur progression. Arrivée à un palier, Dawn avait sorti un trousseau de clés absolument gigantesques et en métal.

Il n'y avait pas ce genre de clés vieillottes chez elle, où elles étaient de petits carrés en plastique. A ce qu'on lui avait dit, des gens fortunés se faisaient greffer un passe au dos du poignet doté des plans pour s'orienter et avec ça, et ils rentraient partout où ils avaient le droit d'aller. Elle y croyait plutôt car elle avait connaissance d'un important trafic de mains coupées ; c'était le risque avec la biométrie. Les grosses clés, ce n'était peut-être pas si mal finalement…

Les cheveux miraculeusement longs de son guide la gênaient pour déverrouiller car ils allaient dans son visage, elle les rejetait derrière son épaule d'un geste gracieux et agacé qui laissait la petite orione admirative. La grosse porte bien lourde fut poussée et entrebâillée avec difficulté et la docile petite porteuse accourut, franchit le seuil puis attendit que Dawn referme derrière elles.

— Tu es sûre que le méchant ne pourra pas entrer ?

— Chut.

— Pourquoi « chute » ? On peut tomber ?

— Chut. Je voudrais écouter. J'espère qu'il n'y a pas de pensionnaires…

— Il y a des gens qui vivent ici ? Ce n'est pas très joli.

— Viens me donner tous les trucs, demanda Dawn en entrant dans une cellule libre après avoir fait le tour des lieux.

Thisbé avança de quelques pas pour la rejoindre avec son chargement. Elle avait appris que « truc » pouvait vouloir dire à peu près tout, particulièrement les choses ou objets dont on ne savait pas le nom. Un mot très pratique. Sa comparse lui prit des bougies et un briquet pour le feu. Thisbé posa la bouteille en métal, le bol avec la poudre et un petit bâtonnet blanc. Dawn s'en saisit et s'agenouilla pour tracer avec un cercle deux fois grand comme sa propre taille.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Va t'asseoir là-bas. Je dessine une barrière de protection.

La jeune fille congédiée choisit plutôt d'inspecter la cellule. Un seul endroit pour entrer ou sortir, pas de fenêtre, une drôle d'odeur… même son taudis était mieux. Elle s'approcha de l'un des murs de grosses pierres sans interstices qu'elle toucha du bout des doigts. Il y avait des cercles de fer rouillés et des chaînes aussi, une planche pour faire banc. C'était très moche comme décoration quand même. Ils ne faisaient pas d'efforts. En fouillant dans des poubelles, elle avait réussi à se faire un petit nid plus confortable, sans rien payer.

Sur son front, elle sentait un poids qui tournicotait. Craignant un vertige, elle se recula pour aller s'appuyer contre une autre paroi. Paupières closes, elle imagina soudain Cheveux-Jaunes allongé sur la planche de bois. Le rose lui monta aux joues de se le figurer ainsi, presque invitant, qui regardait droit dans sa direction. Comme souvent, ses yeux exprimaient des choses très contradictoires : joie et tristesse, espoir sans espoir. Dans sa tête, elle entendit de très loin qu'il chantonnait quelque chose à propos du fait qu'il comprenait qu'elle vienne toujours le voir, que ça le touchait plus qu'elle croyait d'être en sa compagnie... Mais jamais il ne dirait ça pour de vrai. Jamais il ne la prendrait doucement dans ses bras pour qu'elle dorme bien sans avoir à se soucier des dangers…

— Puisque tu restes debout, tu veux m'aider ? demanda Dawn en la faisant sursauter.

— Je… je ne sais rien faire de ces trucs.

— Ce n'est pas grave. J'ai besoin que tu me donnes quelques gouttes de sang et puis que tu prennes les clés, que tu sortes et que tu m'enfermes. Tu restes loin de la porte et tu n'entres surtout pas. Tu as compris ?

— Pourquoi tu veux du sang ?

— C'est pour établir une communication. Je prendrais bien le mien, mais s'il coule, il pourrait faire une grosse catastrophe...

Thisbé resta les bras ballants et embarrassée. Cette jeune dame devait avoir l'âge de pouvoir faire des enfants depuis longtemps.

— Mais tu es une dame fertile, non ?

— Et ? répondit Dawn avec un coup d'œil surpris en continuant à dessiner du mieux qu'elle pouvait au plafond.

— Bah… quand ton sang pour les bébés coule, ça fait des catastrophes ? chuchota-t-elle alors que personne ne pouvait les entendre. C'est pour ça que tu n'en as pas ?

— Non…

— Les dames n'ont pas ça chez vous ?

— Si.

— Mais alors c'est juste toi qui n'as pas ça ?

— Si mais… c'est pas pareil.

— Pourquoi ?

— Oh la la, j'aimerais mieux qu'on n'ait pas ce genre de discussion maintenant, d'autant plus que je ne suis pas très sûre de la raison… Quelques gouttes du tien, pas plus. Tu sors vite, tu fermes derrière toi, et tu te mets du désinfectant et un pansement. Après tu attends. Je vais te donner un mot de passe. Quand je te demanderai de sortir, tu exigeras le mot de passe. Si ce n'est pas le bon, tu fonces et tu remontes en haut de l'escalier pour prévenir quelqu'un. N'écoute aucun argument, ne te laisse pas convaincre, surtout si je demande d'avoir confiance. Tu as bien compris ? Le mot de passe et c'est tout.

— Tu veux que je te laisse toute seule enfermée avec les Enfers ?

— C'est l'idée.

— Non, je ne veux pas faire ça.

— Mais si.

— Non.

Un soupir et un sourire plus tard, Dawn s'efforça à la patience. Elle était sèche parce qu'elle était nerveuse et désirait que ça aille vite pour arrêter de sentir ce poids sur ses entrailles.

— Thisbé, je reste seule dedans parce que je ne suis pas une sorcière, je connais juste quelques trucs, et encore, si je suis bien la recette. Je veux contacter quelqu'un qui pourrait m'aider, mais si je ne m'y prends pas bien ou si n'importe quoi ne se passe pas comme prévu, il faut que tu puisses être en mesure de donner l'alerte pour qu'on essaie de me tirer de là. Oui ?

— Non. Il y en a qui disent que les morts parfois, ils veulent te prendre et t'emmener avec eux. Encore pire les méchants morts. Ils foutent le bazar.

Dawn acquiesça.

— Exactement. Ce qui se passe en haut, j'ai l'impression que c'est un mort qui fait ça. Mais il est affreusement puissant. Quelque chose doit le renforcer. Tu as vu la première fois ? Il a presque réussi à toucher la fenêtre…

Lèvres pincées et le cœur gros, Thisbé s'approcha.

— Et si mon sang n'est pas bien non plus ? Je ne veux pas qu'il t'arrive du mal dans l'enfermement avec un mort.

— Oh, n'aie pas peur. Je ne vais pas parler à un très méchant. Viens près de moi.

Elle tendit les bras et la petite s'y réfugia le temps d'une brève étreinte.

— Allez, sois courageuse.

Dawn lui attrapa la main et piqua le bout de son index en pressant un peu pour les faire tomber dans le bol. L'enfant fit la grimace en fermant les yeux.

— Voilà, c'est fini, trois gouttes de sang bien pur. Tiens, la clé. Les pansements sont tout près de la porte. Va vite ! Le mot de passe est... euh... « Pietro est trop sexy ».

La fillette courut, referma et s'assit en tremblant pour essayer de désinfecter et panser son doigt. Le temps qu'elle y parvienne, elle entendit Dawn parler et une lumière se mit à briller, filtrant à travers la petite lucarne et la mince fente au sol. Inquiète, l'enfant lâcha tout le matériel stérile dans la poussière et se remit debout immédiatement. Dressée sur la pointe des pieds, elle essaya de regarder par le trou vitré pour voir ce qui se passait.

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DAWN

Le cercle venait de s'enflammer et Dawn restait en arrière. Il n'était pas destiné à la protéger, elle, mais à contenir ce qui pouvait vouloir sortir. Elle plissa le nez et regarda la bombonne de peinture avec laquelle elle avait maladroitement essayé de peindre un sceau également sur le plafond. Du pied, elle l'envoya rouler au loin. Flammes et bombonne sous pression, mauvaise combinaison…

— J'appelle Andrew Wells !

Elle tint fermement le bol. Le crépitement des flammes froides s'accrut mais rien ne se passa. La jeune fille piocha une poignée de poudre qu'elle jeta au centre du cercle en réitérant d'une voix plus affirmée :

— J'en appelle à Andrew Wells ! Qu'il se présente devant moi immédiatement !

Un nouveau grésillement, puis un rire tonitruant s'éleva et se mit à retentir en rebondissant sur les murs de la prison. Poussant comme un champignon depuis le sol, une forme sombre encapuchonnée se redressa d'un coup.

— QUI OSE ME DÉRANGER DANS MON SOMMEIL ÉTERNEL ? QU'IL SOIT RECOUVERT DE PUSTULES PURULENTES, QU'IL SOIT VOUÉ AUX… Oh mais… Dawn ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?

Andrew baissa son capuchon avec un sourire réflexe ravi mais où se peignit très vite une inquiétude croissante. Il avait tellement changé qu'elle le reconnut à peine avec ses cheveux bien coupés. Et elle reconnut encore moins la lueur d'affection dans ses yeux.

— Andrew, il faut que nous parlions, c'est très important !

Il fronça les sourcils et secoua la tête.

— Tu as l'air si jeune… C'est bizarre de te revoir comme ça… Quand est-ce qu'on est ?

— 2046 je crois.

— 2046 ? Ce n'est pas possible, tu ne ressembles plus à ça… On était bien d'accord que tu me laisserais aller. Je suis où je dois être. Pourquoi as-tu fait quelque chose d'aussi irresponsable qu'une invocation ? N'importe qui peut forcer la brèche et je ne pourrai pas...

— Andrew, je t'en supplie. J'ai… perdu la mémoire et je ne sers à rien alors que la situation est très critique ici. Quelqu'un qui veut détruire les Observateurs et les Tueuses nous menace de mort tous les jours. On est assiégés. Les boucliers résistent mais pour combien de temps ? Willow doit se battre chez elle sans repos, Tara est une cible sauvée in extremis… Alors j'ai besoin que tu me dises ce qui s'est passé avant que tu meures, parce que je pense que c'est lié. L'accident de voiture n'en était pas, un n'est-ce pas ? Qui est-ce qui t'a tué ?

Il ouvrit la bouche, les sourcils froncés.

— Mais… et ma lettre dans le coffre ? Pietro aurait dû pouvoir l'ouvrir s'il t'arrivait quoi que ce soit...

— Je n'arrive pas à trouver ce mot de passe, rien ne marche.

Un pli de douleur et de déception amère marqua son visage aux traits vieillis.

— Alors on s'est fait berner ! Ils n'ont pas respecté les termes. Tout ça n'a servi à rien ! …

— Mais tout ça quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ? Qui veut tous nous tuer ?

Les flammes vacillèrent avant de monter brusquement d'un mètre au-dessus du cercle. Surpris, Andrew se retourna dans l'autre sens et la jeune femme vit distinctement qu'il avait pris un coup qui le mit à terre.

— Dawn, referme ! Referme vite ! toussa-t-il.

Une autre voix remplit l'espace tandis qu'une nouvelle présence imposante faisait son apparition en tenant Andrew dans son poing par le col de sa houppelande. Grand, les oreilles pointues obliques, un teint grêlé où la peau craquait sur des excroissances bleues qui constellaient son haut front, il semblait flotter et ne pas avoir de jambes.

— Mhh. C'était donc vrai ! Je sens le Ripper tout proche. Le temps est venu pour lui de payer sa dette ! Merci sorcière de m'avoir libéré. Pousse-toi, l'avorton !

Le bras trop long de la créature traversa les flammes et il agrippa le cou de Dawn dans sa poigne acérée. Dawn entendit Andrew crier et peut-être un second glapissement aigu derrière la porte fermée. Elle hoqueta. Le démon tourna la tête vers elle avec un sourire de satisfaction.

— Très bien. Quelqu'un d'autre est parti le chercher, alors je n'ai plus besoin de toi !

Dawn suffoquait, les mains entaillées par les griffes du démon qu'elle essayait vainement de le faire lâcher. Comprenant qu'elle ne pourrait jamais clôturer la session si elle perdait conscience ou s'il la tuait sur le champ, elle ferma les yeux en grimaçant de peur, et de colère contre elle-même aussi. Si des gouttes de son sang touchaient le sol, il fallait prier pour qu'il n'y ait aucune conjonction planétaire particulière ce soir…

Elle faiblissait. Le démon inconnu grondait mais paraissait faire un effort pour attirer lentement sa proie. Les flammes, froides pour elle, semblaient tout de même le brûler mais il ne lâchait pas.

Elle comprit enfin ce qu'il essayait de faire. Moins de l'attirer à l'intérieur que de faire en sorte que le tracé ne se coupe, alors qu'elle luttait et piétinait sur ses appuis en tentant de lui échapper. Et alors, il serait libre ! Le moindre trou de souris lui permettrait de sortir. Les barrières de l'école n'étaient faites que pour empêcher les menaces d'entrer, pas de sortir !…

A quatre pattes, Andrew se mit à hurler :

— ANYA ! VIENS M'AIDER !

De son autre main, la créature crevassée l'envoya rouler hors de vue. Quelques secondes passèrent, faites d'un terrible silence durant lequel le démon aux yeux noirs grimaçait en raison des brûlures de plus en plus profondes qui faisaient fondre sa peau et l'obligeaient à desserrer sa prise.

Hey ! Je t'ai déjà dit que je ne répondais plus à ce nom !

Du coin de l'œil, Dawn vit apparaître un nouveau démon, plus petit, derrière le premier. Son visage était couvert d'ignobles scarifications rouges et blanches... Aussitôt, l'inconnu cornu s'abattit à plat-ventre avec un choc sourd. Sans demander son reste, Dawn recula sur les genoux près du mur le plus éloigné. La respiration rauque et laborieuse, elle posa ses deux mains autour de sa gorge meurtrie dans l'espoir d'arrêter le saignement qui suintait des estafilades multiples qu'elle avait reçues.

— Mais ça ira pour cette fois, reprit le petit démon, les poings sur les hanches. Parce qu'on n'a pas fini ta stupide partie de Donjons et Dragons ! Oh tiens Dawn ! Comment ça va là-haut ?

L'intéressée ouvrit la bouche en plissant les yeux car elle reconnaissait cette voix.

— A… Anya ?

L'ex-démone devenue humaine, puis re-démone, puis elle ne savait plus trop, abandonna son masque « professionnel » pour reprendre sa chevelure blonde et son visage lisse aux lèvres de rubis.

— Non mais si tu savais le mal que j'ai à me faire respecter ici ! protesta-t-elle avec un ton boudeur. C'est A-nyan-ka ! Toi, là, qui que tu sois, dégage ! Cette âme misérable est à moi ! avertit-elle en s'adressant manifestement au premier démon invisible à l'extérieur du cercle protecteur.

— Tu n'aurais pas dû te mêler de mes affaires, ridicule « Anyanka».

Avec horreur, Dawn aperçut son amie être littéralement expulsée d'une violente manchette. Andrew allait subir le même sort mais il feinta pour s'échapper. Il grimpa sur le dos de leur agresseur, essayant de lui envelopper la tête dans sa cape sombre pour l'aveugler.

— Dawn, ma chérie, je t'en prie ! Referme !

Le démon arracha le tissu, s'agaçant de l'intervention puérile de ce moustique stupide.

La gorge en feu, elle constata qu'elle ne pouvait rien sortir de mieux qu'un pauvre chuintement sifflant. Les bougies étaient à un mètre du cercle protecteur, elle devait lutter contre elle-même pour s'en approcher sachant qu'elle serait de nouveau exposée. Malgré les tentatives d'Andrew, le démon lança son bras, attrapa sa future victime par les cheveux et tira pour la faire venir à lui. Dawn émit une plainte désespérée, gigotant pour faire basculer les bougies dans la poussière.

— A-A. Pas de ça avec moi ! ronronna le démon.

Dans un brouillard de souffrance, la jeune femme entendit derrière elle la porte de la cellule grincer et la voix calme de Giles s'élever.

— Eyghon, tu m'ôtes les mots de la bouche !

Ce disant, il lança une fiole qui explosa sur la tête difforme, et se lança dans une formule latine de bannissement.

— Ah ! Ripper enfin tu te montres ! grinça l'intéressé en laissant tomber Dawn. Ces simagrées ne marcheront pas sur moi. La sorcière les rend inefficaces…

Au sol, Dawn distingua une paire de jambes en pantalon dans son champ de vision et, plus loin, une petite chaussure timide qui dépassait à peine de l'encadrure. Quelqu'un s'agenouilla près d'elle et elle reconnut l'accent de Pietro qui essayait de la relever en lui demandant en italien si elle pouvait marcher pour la sortir de là. Étourdie par le manque d'oxygène, elle répondit non d'un mouvement de tête. Il acquiesça et passa un bras sous ses jambes pour la porter au dehors.

— Giles ! Allez-y, on le tient ! rugit « A-nyan-ka » furieuse qui le rouait de coups.

Apparemment, elle n'aimait pas du tout être prise de haut alors qu'elle avait été le plus terrible démon vengeur de tous les temps.

Désespérée par ce fiasco qui ne lui avait apporté aucune véritable réponse, Dawn s'échappa et tituba en direction de la porte pour revenir dans la cellule, retenue en arrière par Thisbé qui luttait en sens contraire pour l'éloigner.

Elle était sûre qu'Andrew pouvait lui donner un indice malgré tout. Un tout petit indice pour qu'elle n'ait pas fait ça pour rien.

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GILES

Alors qu'il voulait s'assurer qu'il était désormais seul dans la petite pièce, l'Observateur darda vers la jeune fille un regard sévère et, sans avoir besoin de parler, fit un signe de tête à Pietro. Le jeune homme fit barrage de son corps et la ceintura fermement pour l'entraîner vers l'arrière dans le couloir et repousser la porte.

Revenu à ses démons, derrière ses lunettes, le regard de Giles brilla une seconde quand il reconnut celle qui venait à leur aide, malgré son visage de démone.

— Dépêchez-vous un peu ! l'exhorta-t-elle.

— Recule aussi Anya ou tu pourrais être déplaisamment affectée.

— Euh moi aussi je dois reculer ? questionna Andrew en s'agrippant aux guenilles d'Eyghon.

Il tenait bon, toujours perché sur les épaules cuirassées et mouvantes, persuadé qu'il entravait au moins un tout petit peu ses mouvements. Sans grand succès, Anya tenta de l'associer à sa retraite stratégique, voyant qu'elle n'y parvenait pas, elle disparut dans un haussement d'épaules.

Pietro, en train de refermer la porte pour empêcher Dawn de s'approcher au péril de sa vie, s'arrêta brusquement en entendant la voix de son mari. Comme attiré par une autre force invisible, Andrew leva la tête pour rencontrer le regard qui pesait sur lui. Le temps suspendu entre eux, les deux hommes échangèrent silencieusement, de la colère pour l'un, et pour l'autre, du regret et de la compassion.

Un grimoire à la main, Giles bataillait verbalement contre la poussée de son vieil ennemi. Ce dernier semblait pouvoir élargir le cercle de craie à volonté, résistant aux injonctions variées qu'il recevait dans toutes les langues mortes possibles. Pas affaibli pour deux sous, Eyghon grandissait en taille et annonça avec un mauvais sourire :

— Tu vas perdre. Ceux qui veulent se venger sont avec moi !

Il n'eut pas le temps de se vanter davantage. Il se tordit de côté et poussa un grand rugissement de douleur.

— Ceux qui veulent se venger ? Eh bien, figure-toi que tu ne les connais pas tous et que tu as devant toi une spécialiste !

Anya venait de réapparaître, armée d'une impressionnante faux d'un modèle très classique pour lui trancher un bras bien proprement, sous leurs yeux ébahis.

Déterminée, elle restait en garde, son arme empruntée prête à frapper de nouveau, semblant lui promettre de finir le travail au plus tôt pendant qu'Eyghon regardait son bras abandonné par terre. En fureur, il lui arracha la faux des mains et la cassa du pied en la faisant plier jusqu'à la rupture. Anya pâlit.

— Oh oh, on va avoir des problèmes encore beaucoup plus gros quand la Mort saura qu'il a cassé son outil de travail !

Le démon l'assomma d'un monumental crochet du gauche, tandis que les sortilèges continuaient à ricocher sur lui sans lui causer beaucoup de mal. Il se retourna vers Giles avec un sourire sinistre… avant de considérer la nouvelle personne arrivait face à lui.

— Oui, en effet, renchérit celle-ci d'une voix légèrement languissante, tu ne les connais pas tous…

Impériale, Willow venait d'entrer dans la cellule. Les yeux noirs et le visage veiné des mauvais jours, crépitante d'énergie électrostatique au bout de ses doigts qu'elle regardait curieusement, elle finit par reporter son attention sur le démon manchot dans le cercle. D'un mouvement négligent du poignet, elle balança les spectres d'Anya et Andrew en dehors de la zone de confinement d'où ils disparurent de leur vue.

Entre ses paumes à plat, la sorcière suscita depuis l'éther une longue lance blanche éblouissante, faite d'éclairs de foudre entremêlés. Sans laisser à quiconque le temps de dire ouf, elle embrocha Eyghon de part en part d'un mouvement sec et violent. Son sourire de plaisir était dérangeant quand elle appliqua un petit tour de torsion supplémentaire.

— Là, il ne bougera plus. Finissez, Giles, je vous en prie…

L'Observateur se força à sortir de son état de choc, en réalisant la stupéfaction totale qui figeait Pietro. Au même moment, les deux hommes se demandèrent si le remède n'allait vraiment pas être pire que le mal.

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