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Chapitre 23 : De l'autre côté du portail
2571 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 27/08/2025 12:48
Ce fut la douleur lancinante à la tête qui le réveilla en premier. Il cligna des yeux, tentant de retrouver son souffle et d’assembler ses pensées. L’image du souffle puissant de magie le propulsant à travers l’embrasure de la porte lui revient en mémoire. Il avait été enveloppé par la magie en franchissant le portail. C’était comme plonger dans une eau aux reflets psychédéliques. Des vagues d’énergie pure le traversèrent, le secouant de spasmes, des décharges électriques allant et venant, comme si la magie elle-même sondait son corps et que ce dernier s’y opposait. Une lutte entre une force interne et cette magie extérieur l’avait animé jusqu’à se que tout devienne noir.
Kent tenta de bouger doucement, grimaçant de douleurs tant les blessures par balles lui avaient criblé le dos. Cela le submergeait à chaque mouvement, à la moindre respiration, et il sentait que son corps tentait de guérir, mais très lentement. Il savait que c’était beaucoup moins efficace que lorsqu’il venait de boire du sang.
Le mal de tête s’apaisant lentement, il se redressa un peu, malgré les nombreuses blessures et jeta un coup d’œil autour de lui. Il ne se trouvait pas dans le sous-sol du bâtiment ni même dans le couloir sombre d’où sortait les turok-han. Il constata qu’il était dehors. De fins brins d’herbes courts lui chatouillèrent entre les doigts, tandis qu’il palpait une terre friable. Un souffle d’air chaud et sec glissa sur sa peau et pénétra ses narines sans les faire frémir. Bien qu’il ne craigne pas beaucoup le froid, il le sentait et cette atmosphère à peine fraîche n’avait rien à voir avec le froid glacial, piquant et enneigé de Chicago. Il leva les yeux vers le grand bâtiment, qu’il distingua rose pâle malgré la nuit, devant lequel il était assis. Kent n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, il ne comprenait pas vraiment comment il avait pu changer de lieu et il était très inquiet pour ceux avec qui il était, en particulier pour Nikki.
Une sensation de vide lui étreignait le cœur. La douleur était telle qu’il avait du mal à se concentrer sur autre chose, mais il avait l’impression de ne plus sentir une partie des émotions qui l’envahissait quand il était avec la jeune tueuse. Comme s’il avait perdu quelque chose en passant ce portail. Ou comme si elle était tellement loin qu’il ne pouvait pas l’atteindre.
Inspirant un grand coup pour se donner du courage, il se leva, malgré la souffrance et continua d’inspecter les alentours pour comprendre ce qui s’était passé.
Il commença à marcher, ignorant les décharges, lui vriller le corps à chaque pas, et jetait régulièrement des coups d’œil autour de lui. Kent arriva devant, ce qu’il pensa être l’entrée du bâtiment et lu sur le panneau en pierre entouré de végétation.
Le jeune homme cligna des yeux. Avait-il vraiment lu : Lycée de Sunnydale ? Il savait bien que la ville de Sunnydale avait été détruite en 2003 et il lui semblait qu’aucune ville n’avait été reconstruite dessus. Il l’avait lu dans les livres qu’il avait étudiés avec Dawn, mais également dans de nombreux livres en latins qu’il avait lu depuis toujours pour lui expliquer – plus ou moins – d’où il venait et son rôle dans le combat contre le mal.
Il se concentra, il chercha à entendre les bruits autour de lui, à sentir une odeur familière … Les odeurs étaient très différentes de celles de Chicago ou de l’endroit où il était avant. Un mélange de senteurs variées lui parvenait, lui rappelant les parfums des plats épicés qu’il pouvait parfois voler ou d’un passage devant un magasin de fleurs. Du lointain, des effluves sèches et minérales, presque métalliques, lui rappela qu’un désert bordait une partie de Sunnydale sur les cartes qu’il avait pu voir. Et un souffle venant de l'opposé apportait une fragrance fraîche et iodée, tellement puissante qu’il avait l’impression de sentir le sel de l’océan dans sa bouche. On était loin des odeurs presque neutres de Chicago, où seul le froid et l’humidité persistaient. Il était beaucoup plus facile pour lui de capter du bois brûlé, de la tôle chauffée comme lorsque les turok avaient attaqué Nikki en voiture ou encore simplement l’odeur du sang, à Chicago ou le froid atténuait les parfums et la neige semblait les absorber. Là-bas c’était comme une pause, comme si le monde retenait son souffle. Ici à Sunnydale, il était saturé par toutes ses odeurs. Il dut se concentrer et faire abstraction, doucement, de chaque parfum inutile et trop puissant. C’était comme trier des informations pour trouver celles qui seraient pertinentes. Après quelques inspirations, il reconnut le parfum du sang mélangé à celui de la mort : l’odeur d’un turok-han.
Un sentiment d’urgence l’envahit et il commença à courir. Chaque foulée était un supplice mais il ne pouvait pas ralentir, comme s’il savait que quelque chose de grave était sur le point d'arriver. Même s’il n’avait aucune idée d’où il se trouvait, comme d’habitude son instinct et ses sens lui permettaient sans difficulté de s'orienter vers le danger.
Kent arriva non loin de la gare, au milieu des entrepôt et tomba sur le corps d’une jeune femme. Il savait déjà qu’elle était morte, il n’entendait pas sa respiration, ni les battements de son cœur et le sang vibré dans ses veines. Elle était vêtue d’un pantalon noir et d’un pull bleu et ses cheveux châtains étaient maculé de sang, tout comme son cou. Il scruta son visage, mais constata qu’il ne lui disait rien et son regard glissa sur le pendentif en croix à côté du corps, vestige d’une vie prise avec violence. Le bruit d’un affrontement le sortit de ses pensées et de la peine que la mort de la jeune inconnue avait fait monter en lui. Il s’élança vers le brouhaha qu’il entendait.
Arrivant très vite sur les lieux de la bataille, il vit le turok-han attraper le bras de son adversaire pour la relever et la jeter avec une force impressionnante dans un mur de brique. Kent s’était élancé vers le combat, il poussa de toutes ses forces le turok dans le mur d’à côté et se jeta au-dessus du corps de la tueuse alors que les briques s’écroulaient dans un vacarme assourdissant.
Kent toussa, tentant de retrouver un peu d’air au milieu de la poussière et des débris. Il ne savait pas combien de temps il avait encore perdu connaissance. Grimaçant de douleur, il se redressa sur ses bras et dégagea les briques qui lui étaient tombées dessus. Il se laissa retomber sur le côté, tout le corps meurtri par l’écroulement et un râle lui échappa. Une décharge l’avait traversé sur son flanc droit et il constata qu’une tige de fer le transperçait de part en part. Le visage tordu par la souffrance, un soupir lui échappa. En temps normal il aurait suffi qu’il enlève le corps étranger et s’il avait bu un peu de sang, il aurait guéri presque instantanément. Mais boire du sang le répugnait, c’était comme s’il se sentait sale ou maléfique quand il le faisait. Il avait toujours eu l’impression que cela le rapprochait des démons, que cela faisait de lui un monstre. Il soupira à nouveau, le regrettant aussitôt, vu la souffrance que cela lui causa. Une part de lui regrettait quand même de ne pas en avoir bu récemment. Entre les balles, la traversée du portail, la tige de fer et l’éboulement sur lui, il sentait bien qu’il était arrivé au point où il ne parvenait plus à se soigner. Comme après les deux affrontements avec les turok-han pour sauver Nikki. S’il enlevait la tige maintenant il savait qu’il se viderait du peu de sang qui lui restait.
Kent tourna la tête doucement, le cou plein de raideur. Son cœur eût un sursaut de peur en constatant que l’adversaire du turok n’était nul autre que Buffy. Mais cessant de retenir son souffle, il constata que ce n’était pas la Buffy qu’il venait de quitter. Malgré son visage tuméfié et ensanglanté, elle semblait bien plus jeune. Elle était tellement immobile qu’il se demanda si elle était encore en vie. Il tendit l’oreille et perçut un léger sifflement de respiration et un battement de cœur, presque imperceptible.
Il réfléchit soudain à la raison pour laquelle le Turok était parti. Car ni lui, ni Buffy n’aurait été en état de livrer un second round, et il aurait très bien pu les achever. Soit le monstre ne cherchait pas – encore – à les tuer soir il avait pensé que l’éboulement avait fini le travail. Mais, s’il percevait encore leurs souffles, il reviendrait sans doute donner le coup de grâce.
Cette prise de conscience le heurta de plein fouet. Il se redressa, le dos en feu, cherchant un appui contre la pierre. Des flashs de souvenir défilèrent devant ses yeux. Ou se mêlait l’image de Buffy le visage dur et les traits tirés, le blessant mortellement avec la faux et celui du pieu qu’elle lui avait planté en plein cœur. Kent dégluti, un goût métallique lui monta dans la gorge. Des sentiments contradictoires l’envahissaient. Sous la terreur viscérale qu’elle lui inspirait, il avait pourtant un désir irrésistible de la mettre à l’abri. L’envie, presque un besoin, de la sauver malgré ce qu’elle lui avait fait.
Son attention se dirigea vers la gorge de Buffy et vers le son à peine perceptible du sang coulant encore dans ses veines. Soudain ce bruit prenait de l’ampleur dans sa tête, comme un battement devenant de plus en plus puissant. La mâchoire de Kent se crispa, il n’avait jamais mordu pour boire du sang, mais tout son être semblait vibrer à cette idée. Son instinct de survie essayait de prendre le contrôle.
Il réfléchit, car prendre un peu de sang à la tueuse, lui permettrait de la ramener beaucoup plus sûrement et rapidement chez elle, mais elle était tellement faible qu’il pensait que la moindre goutte lui serait vitale ! Une autre part de lui refusait tout net de boire le sang de quelqu’un quelque soit la situation. Et enfin une part de lui l’aurait fait … si Buffy l’avait proposé, comme Nikki l’avait fait d’elle-même.
Il ne put retenir un gémissement de douleur quand il se leva. Ses jambes étaient faibles et cotonneuses. Elles n’étaient pratiquement pas en état de le porter et le sol vacillait sous ses pieds. Après quelques minutes à chercher à rester debout, sans défaillir, il se rapprocha de Buffy. Toujours au sol, dans un état à peine moins lamentable que le sien.
Il se baissa, et la prit dans ses bras. Chaque geste, chaque respiration et presque même chaque pensée, lui infligeait un véritable supplice. Il pouvait sentir ses canines, transformés en crocs acérés et longs, typique des vampires, exigeant l’accès à du sang frais pour la survie de son corps. Luttant contre cela, il partit, sans vraiment savoir où, la tueuse dans les bras.
Il marchait, suivant l’odeur qu’il sentait sur Buffy, cherchant à la retrouver dans l’air frais de la nuit. La lutte interne en lui continuait de le tenailler, mais le fait de se concentrer sur l’environnement l’apaisa partiellement. Ses sens étaient en éveil, exacerbé par l’adrénaline. A chaque pas, il sentait la tige en fer bouger dans sa chair, mais il essayait d’en faire abstraction.
Il sentit quelque fois, Buffy bouger entre ses bras. Il baissa les yeux vers elle et l’a vit entrouvrir furtivement les yeux. Kent sentit les battements de son cœur s’accélérer, envahit par la crainte de la réaction de la tueuse si elle se réveillait dans ses bras. Il était presque soulagé qu'elle perde aussitôt à nouveau connaissance, n’émergeant pas tout à fait de son coma.
Buffy s’agita un peu plus, alors qu’il arrivait dans une zone résidentielle. Ses mouvements le forçaient à contracter ses muscles, pour la garder contre lui, augmentant les tensions douloureuses dans son corps. Elle ne leva pas les paupières, mais elle remonta ses bras pour s’accrocher au cou de Kent, en murmurant « Spike ». Kent failli s’arrêter, quand la tueuse posa sa tête, se lova contre le creux de ses épaules. Il savait qui était Spike, mais il ne comprenait pas pourquoi Buffy prononçait son nom dans de telles circonstances.
Il finit par arriver devant une maison éclairée, l’une des seules aussi tard dans la nuit. Alors qu’il marchait sur l’allée menant au porche, le moindre pas lui paraissait plus insurmontable que celui d’avant. C’était par automatisme, qu’il arrivait à en faire un autre, puis un autre … envers et contre la douleur qui le traversait et les forces qui le quittaient.
Il dut faire une pause pour essayer de respirer un peu, à petite gorgée d’air pour ne pas avoir trop mal. Son inspiration fut entrecoupée d’une toux douloureuse et il sentit le goût métallique de son propre sang lui envahir la bouche. Enfin, puisant dans ses ultimes ressources, il tapa du bout de son pied sur la porte.
La porte s’ouvrit presque immédiatement, et Kent devina l’inquiétude qui devait régner dans la maison.
_Buffy ! s’exclama Alex qui venait d’ouvrir la porte.
Kent ne le reconnut même pas, il fit un pas dans l'entrée, bousculant le jeune homme. Sa vue se brouillait et ses jambes fléchissaient d’elles-mêmes. Alex récupéra Buffy de ses bras, au moment même où il s’écroulait au sol, tout devenant sombre. Il entendit Alex appeler Willow et Giles, comme si les voix s’éloignaient progressivement, étouffées par un voile de coton de plus en plus opaque. Il eût l’impression que quelqu’un se penchait au-dessus de lui, mais il ne captait plus les mots qui atteignaient ses oreilles, réduit à un bourdonnement vague et insoluble. Puis ce fut le trou noir, il perdit connaissance.