Le parfum

Chapitre 5 : Sueurs froides

Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 19:17

 

Le parfum
 
 
Chapitre IV : Sueurs froides.
 
 
 
 
 
- Riley, c'est toi ?
 
Buffy se redressa un peu sous sa couette. C'était Riley, en effet. La Tueuse laissa échapper un petit bâillement.
 
- Je suis rentrée plus tôt. Willow avait des partiels à réviser. Tu étais où ?
 
Riley, immobile dans l'encadrement de la porte, cligna des yeux.
 
- Dehors. Je chassais quelques vampires.
 
Buffy lui fit un sourire involontairement perplexe. Les rares fois où elle et Riley avaient patrouillé ensemble ces derniers temps, il avait semblé moins en forme que jamais. Il n'avait pas l'air du type qui s'entraînait avec acharnement. Et surtout, il était bien moins puissant et endurant qu'avant. Ceci expliquait cela. Elle failli lui dire de rester prudent, de prendre garde à lui, mais elle se retint. Inutile de remettre le sujet sur le tapis pour la millième fois. En tout cas pas ce soir. Elle avait bien d'autres choses à penser.
Dawn, par exemple. Et la Clé, et Glory… Et sa mère. Joyce avait un contrôle au scanner demain. Elles devaient y aller toutes les trois, les trois filles Summers.
Buffy se pelotonna à nouveau sous la couette.
 
- Tu viens te coucher ? marmonna-t-elle à l'intention de son petit ami.
 
Toujours à l'entrée de la chambre, Riley acquiesça muettement. Sans un bruit, il ôta son pantalon et se glissa à sa place, à la gauche du lit. Il retint ses pensées jusqu'à ce qu'il sente le souffle de Buffy devenir régulier. Elle s'était endormie.
Alors, Riley laissa sa stupeur reprendre le dessus.
 
Spike.
 
Il n'avait rien dit, pas bougé sous sa morsure, puis il était rentré chez les Summers comme un automate.
 
Spike.
 
Le cœur de Riley cognait si fort qu'il lui semblait menacer de se crasher contre sa cage thoracique à tout instant. Comment diable avait-il fait pour ne pas réaliser ?
Car ce n'était pas la première fois qu'il sentait cette odeur de tabac mêlée de cuir de l'autre côté de la cloison, il s'en rendait compte, maintenant.
Combien de fois l'avait-il sentie ? Deux, trois ? Quatre, peut-être ? Depuis combien de temps Spike s'abreuvait-il à son bras, tapi de l'autre côté du mur ?
 
Riley se retourna pour chasser le désagréable rayon rouge que projetait sur lui le réveil électrique. Désormais contre Buffy, il détailla son profil endormi. Les battements de son cœur s'accélérèrent.
 
Demain, le jour suivant ou encore celui d'après, elle allait savoir. Spike allait le lui dire.
 
Le soldat s'aperçut qu'il ne craignait pas tant sa colère que son mépris. Qu'elle le batte à mort, peu importait… Il était au-delà de ça, à présent. Mais qu'elle le regarde avec répulsion …
 
Quand il avait quitté l'Initiative, toutes ses croyances s'étaient effondrées. La conception qu'il avait du Bien et du Mal, la confiance sereine et infaillible qu'il avait placée dans les institutions et leurs représentants... Encore aujourd'hui, le souvenir du Professeur Walsh lui était douloureux.
Mais Buffy avait balayé tout ça. Elle était arrivée avec cette insolence et cette force et elle lui avait dit la vérité. Elle lui avait montré la voie.
Toutes les croyances de Riley s'étaient effritées. Elle était devenue son nouveau référant en matière de moralité.
Si, à présent, elle jugeait ses actes et le déclarait méprisable, il n'était pas sûr de pouvoir jamais s'en relever.
 
Riley eut un rire sec et silencieux. Et pourquoi au juste ne le jugerait-elle pas ?
Après tout, il était bien en train de la tromper avec des vamp…
 
Non !
 
Riley se redressa vivement dans le lit. Non, il ne la trompait pas !
Il laissait ces vampires le boire, d'accord, mais ça n'avait rien de sexuel ! Il ne la trompait pas ! Jamais il n'avait touché quiconque !
D'ailleurs, ça sonnait ridicule : "Oui Buffy, je t'ai trompée avec des vampires.". C'était contre-nature. "Je t'ai trompée avec des vampires"… "Oui Buffy, je t'ai trompée avec Spike" ??
N'importe quoi !
 
Il ne posait jamais les mains sur ses partenaires. La jonction de leurs bouches et de son bras était leur unique point de contact.
Ce n'était pas tromper, décida fermement Riley en enfouissant à nouveau son torse sous l'édredon.
 
Ce n'était pas tromper du tout.
 
Un soleil protecteur dardait ses premiers rayons à travers le store de la chambre quand il finit par tomber de sommeil.
 
 
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- Et alors Janice a dit à la prof "Vous avez dix minutes de retard, madame, allez chercher un mot à la Vie Scolaire" !!
 
Dawn partit dans un fou rire hystérique.
 
- T'imagine, dire ça à une prof ! Moi j'oserais jamais !
 
- Et encore heureux " gronda Buffy, faussement fâchée. Dawn lui tira la langue.
 
Joyce se reposait à l'étage : ses résultats étaient encourageants, et les médecins très optimistes. La cuisine embaumait le thé qu'ils venaient tous de prendre. Les deux sœurs étaient d'excellente humeur.
Assises côte à côte, Willow et Tara rayonnaient.
Giles venait de rentrer chez lui : il attendait l'arrivée d'un colis contenant un rarissime manuscrit Sanscrit qu'il avait déniché par un fournisseur de la Magic Box, et sa trouvaille le rendait heureux comme un gamin.
Riley était couvert d'une persistante pellicule de sueur froide et sursautait à chaque bruit de vaisselle.
 
Il avait l'impression d'être en sursis au milieu de tout ce bonheur, comme un imposteur ou un espion, s'attendant à être percé à jour à chaque seconde. Il avait l'impression que sa faute était écrite sur son front. Toute la journée, il lui avait semblé porter un énorme écriteau qui hurlait JE SUIS COUPABLE autour du cou. Et, en quelque sorte, il l'avait fait : son extrême nervosité amenait sans doute tout le monde à se demander ce qui n'allait pas chez lui. Riley réprima un frisson. Il fallait qu'il tenter de s'intéresser à la conversation. Il lui semblait que Willow racontait une anecdote sur son prof de Socio.
 
Finalement, le léger crissement de la porte d'entrée retentit, et Dawn se précipita dans le hall en beuglant :
 
- Spike est arrivé !
 
Les doigts de Riley se crispèrent sur sa tasse de thé froid. La fin du sursis, voilà.
 
Spike passa sa tête blonde dans l'embrasure de la porte de la cuisine. Son blouson de cuir sur le dos, il avait la même allure que d'habitude. Riley attendit qu'il lui adresse un de ses fameux sourires perversement triomphants, mais le vampire ne broncha pas. Il s'adossa au comptoir de la cuisine et observa d'un air distant le débarrassage entrepris par Willow et Tara.
 
Riley gardait les yeux fixés sur lui. Il avait l'affreux sentiment que, s'il détournait le regard ne serait-ce qu'une seconde, il pourrait manquer le signe lui indiquant que Spike était prêt à le trahir. Ce dernier restait pour le moment immobile, le visage parfaitement décontracté. Riley plissa les yeux pour mieux le sonder. Il voulait garder en vue la moindre expression, la moindre fibre de son visage. Spike ne semblait pas s'être aperçu de la surveillance qu'il exerçait, et il répondait maintenant à l'exubérance de Dawn, qui sollicitait son opinion sur quelque futilité de première importance pour la préadolescente qu'elle était.
 
- Riley ?
 
 
- Riley, tu peux me passer les tasses, s'il te plaît ?
 
 L'intonation était douce et légèrement surprise. Riley leva les yeux en hâte pour rencontrer le regard de Tara.
 
- Oh ! " balbutia-t-il. "Oui, bien sûr… "
 
Il se leva maladroitement de son tabouret pour se joindre au débarrassage. Il était de plus en plus confus. Toute cette attente lui rongeait les nerfs. Peut-être avait-elle finie par lui entamer le cerveau, car il ne comprenait plus rien. Normalement, Spike se serait jeté sur Buffy dès le seuil franchi pour lui exposer la disgrâce de son petit ami avec moult détails et la plus grande délectation. Mais il ne semblait pas décidé.
 
Riley lui jeta un énième coup d'œil en attrapant une soucoupe sale sur le comptoir. Peut-être que Spike avait remis la révélation de ses sorties clandestines à Buffy à un autre jour. Peut-être que la fin de son sursis n'avait pas encore sonnée. Peut-être qu'il avait encore le temps de se racheter, d'essayer de…
 
- Buffy, je peux te parler en privé ?
 
La porcelaine heurta le sol dans un vacarme strident quand la soucoupe que tenait Riley lui échappa des mains. Voilà. Là, c'était vraiment la fin du sursis.
 
Il regarda Buffy suivre le vampire dans le salon tandis qu'il s'affairait à nettoyer les éclats de porcelaine brisée sur le carrelage. Brisée, à l'image de ce que serrait bientôt sa vie. Il avait engendré ses propres décombres, et maintenant elles allaient lui revenir en pleine face. La sueur froide qui maculait sa peau était désormais glacée. Il en était trempé, gelé jusqu'aux os.
 
- Quoi ??
 
Le cri de la Tueuse déchira le silence affairé de la cuisine.
 
- Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt, hein, Spike ? Il t'a vraiment fallu attendre tout ce temps ??
 
Elle déboula dans la cuisine à la vitesse de l'éclair. Riley se releva, balayette à la main, les yeux baissés. Buffy tenait une immense épée. Elle se mit à hurler :
 
- Riley, j'ai besoin que toi et Spike commenciez à vous surveiller Dawn dès maintenant. Je dois absolument aller chez Giles ! Apparemment, Glory a à nouveau fait des siennes en ville, il y a des victimes, et je veux élaborer un plan d'action au plus vite !
 
- On vient ! " s'exclama immédiatement Willow, jetant près de l'évier le torchon à vaisselle. L'hésitation perceptible de la Tueuse lui fit hausser le ton. " Buffy, hors de question qu'on te laisse seule face à elle encore une fois ! Tara et moi, on peut tenter quelques sorts pendant que tu la retiendras."
 
- Oh… Bien. D'accord. " acquiesça la Tueuse. De toute façon, l'heure n'était pas à la discussion. Il fallait foncer chez Giles sans plus attendre.
 
- Dawn, je te vois demain matin " glissa Buffy à sa petite sœur en lui déposant une bise sur la joue.
 
Et la Tueuse et les deux sorcières se précipitèrent hors de la maison.
 
Et la Clé, le vampire et l'ancien soldat qui semblait avoir été foudroyé sur place restèrent bras ballants dans la cuisine.
 
- Bon… " souffla Spike, non sans une pointe d'ironie. " Une partie de cartes ? "
 
 
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C'était comme si la soirée entière avait subi un sort de distorsion temporelle. Il semblait à Riley qu'il s'était écoulé deux bonnes heures depuis le dernier quart d'heure où il avait osé jeter un coup d'œil à la pendule. Ce misérable et insignifiant quart d'heure qui lui avait paru s'étirer sur un siècle.
 
D'abord, il avait fallu endurer les innombrables parties de cartes. Dawn lui reprochait sans cesse de la traiter comme une gamine en la laissant gagner, alors que "Spike, au moins" ne faisait pas ça. En réalité, Riley était bien trop distrait par le vampire en question pour s'intéresser au jeu, et ses défaites aussi pitoyables que répétées n'avaient rien de programmées.
 
Spike, justement, semblait toujours aussi détendu. Il avait ôté son long manteau de cuir et s'appuyait nonchalamment contre le dossier de sa chaise. A un moment donné, il avait même posé les pieds sur la table basse. Contrairement à l'habitude, Riley n'avait pas osé protester.
A bien des égards, rien n'était conforme à l'habitude : si le soldat n'avait jamais vraiment goûté ces soirées de baby-sitting en binôme, celle-ci était en train de se muer en la chose la plus proche de l'Enfer qu'il ait jamais vécue.
 
Chaque geste, chaque mot prononcé par Spike le faisait sursauter. Il avait dû réduire au minimum vital son sondage des traits du vampire, car celui-ci avait commencé à lui envoyer des regards étonnés chaque fois qu'il le fixait trop longuement. C'était comme essayer de prévoir l'explosion d'une bombe sans pouvoir poser les yeux sur le décompte lumineux. Riley sentait la sueur glacée s'écouler sur son torse, sur son dos. Elle ne l'avait pas quitté de la journée. Entre deux parties de cartes, il avait jeté un œil à son reflet dans le miroir de l'entrée pour vérifier si elle ne trahissait pas son angoisse, à se coller contre son tee-shirt en lui donnant l'air humide. Mais il n'avait rien vu. Il avait l'air sec. Spike avait l'air calme. Il se tramait une imprévisible apocalypse.
 
Pendant la deuxième éternité qu'avait semblé durer le repas, Riley s'était même pris à se demander s'il ne s'était pas trompé. Après tout, beaucoup d'hommes sentaient le tabac, le cuir, la sueur légère… Peut-être même certaines femmes. Le militaire n'avait pas l'odorat surdéveloppé des vampires ; il n'était même pas certain d'avoir un odorat aiguisé comparé à d'autres humains.
Et si, la veille, il avait tout simplement fait une erreur ? Si le parfum qu'il avait senti derrière la paroi n'était pas celui du vampire ? Si Spike ne l'avait jamais suivi dans ses virées nocturnes ? S'il n'avait jamais goûté son sang ?
Riley s'était levé en hâte pour débarrasser les assiettes et, en se penchant par-dessus l'épaule de Spike, il avait pris une longue inspiration. Il voulait respirer son odeur, tenter de se souvenir avec précision… Le vampire avait eu un léger mouvement de recul. Riley s'était senti stupide : il s'était beaucoup trop approché. C'était bien trop voyant. Il avait presque mis le nez dans ses cheveux, bon Dieu. Il fallait qu'il se ressaisisse.
Cette histoire lui faisait perdre la tête.
 
Pourquoi Spike ne disait-il rien ? Pourquoi ne clamait-il pas les frasques déviantes du gentil petit militaire à qui voulait l'entendre ?
Et puis tout ça n'était pas logique, Spike avait une puce implantée dans le cerveau, il ne pouvait pas mordre les humains.
Pas attaquer les humains, rectifia Riley dans son esprit. Mais Spike pouvait mordre. Il pouvait mordre si l'humain en question voulait être mordu. Riley voulait-il être mordu ? Oui. La réponse était oui, et le militaire le savait bien. Oh, Seigneur, il était tellement répugnant…
 
Rongé par une sorte de fièvre froide, Riley délirait. Il se sentait tellement sale, tellement confus. L'attente était si insupportable qu'il était à deux doigts de se lever et s'hurler sa faute lui-même. Pourvu que ça finisse, mon Dieu, que cette intenable attente cesse enfin… Toute la disgrâce du monde plutôt que cet horrible suspens, cet état d'entre-deux qui lui faisait perdre l'esprit.
 
Et maintenant, la soirée était passée et, avachi seul sur le canapé froid, Riley se demandait s'il serait en mesure d'en supporter une seconde.
Spike était parti, Dawn était couchée, et pourtant, les mêmes questions tournaient et retournaient incessamment dans son esprit. Pourquoi Spike n'avait-il rien dit ? Etait-ce au moins Spike, derrière ce mur anonyme ?
 
Riley savait bien qu'il n'y avait qu'un seul moyen de commencer à répondre à ces questions.
Et puis, de toute façon, il en avait besoin.
 
Les néons violets lui apaiseraient l'esprit.
 
 
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Riley ne fit pas le tour des coursives, cette fois-ci. Il était bien trop pressé d'en finir. Il lui fallait lénifier cette angoisse contre laquelle il ne pouvait plus tenir. Le skaï du fauteuil crissa légèrement lorsqu'il s'assit. Il se redressa un peu. Puis il releva la manche de son tee-shirt et passa son bras nu par l'ouverture.
 
Riley se tenait parfaitement immobile. Il craignait de manquer un souffle, un son, n'importe quoi qui pourrait lui indiquer une présence derrière la paroi. Les frottements lointains qui émanaient de la salle principale du club, ainsi que les quelques gémissements diffus qui parvenaient à ses oreilles, le gênaient dans sa surveillance. De même que son propre cœur, qui battait sourdement à ses tempes.
Enfin, il lui sembla percevoir quelque chose de l'autre côté du mur, comme un froissement.
 
Riley retint son souffle. En effet, quelqu'un était là.
Il sentit deux mains toucher son bras pour l'aider à se tendre davantage. Elles étaient larges et douces. Riley avait l'impression qu'elles le manipulaient avec précaution et fermeté à la fois.
Deux fines lèvres froides effleurèrent sa peau nue et, enfin, il sentit des canines déchirer sa chair. De manière incontrôlée, il frissonna.
 
La douleur ne diminuait jamais vraiment. A force, on perdait l'effroi de la surprise mais la douleur, elle, ne changeait pas.
 
La tête de Riley roula sur sa nuque. Il la bascula légèrement et elle heurta la paroi, là, à quelques centimètres de l'orifice béant.
Alors, comme la dernière fois, Riley se mit à respirer avec plus de force.
 
Il retrouva cette odeur, celle du tabac et du cuir, celle de la transpiration avortée. Il inspira à fond, la laissant envahir ses narines. Il voulait s'en imprégner.
 
La pression de la bouche, des dents sur son bras s'accentuait... Riley commença à sentir la fièvre monter en lui. Sa propre bouche s'entrouvrit sous la pression. Sa main se crispa sur l'accoudoir, faisant crisser le skaï mauve.
 
C'était comme les autres fois, mais avec un plus. La nouveauté du mystère, de l'angoisse, presque, semblait accroître ses sensations. Riley passa sa langue sur ses lèvres ouvertes... La morsure l'enveloppait, le commandait. Quelque chose décrocha dans son cerveau et il se sentit partir.
La douleur lui ravageait les synapses… C'était chaud et mouillé… Son sang coulait en fines traînées sur son bras… Il croisa les jambes pour comprimer son érection. La pression des dents s'accentua encore. De l'autre côté du mur, on lui agrippa le bras avec plus de fermeté, les ongles pressés jusque dans la peau s'ajoutant aux canines. La respiration de Riley devint anarchique. Il tenta de rester immobile pour maintenir son contrôle sur son érection plus dure à chaque seconde mais, loin de la calmer, le léger frottement qu'exerça son jean contre son entrejambe l'excita davantage. Il serra les cuisses et le frottement s'accentua.
C'était bon, mon Dieu… C'était bon et il voulait tant…
 
Dans un bruit de succion, les dents se retirèrent. Spike s'était extrait de sa chair.
 
Riley resta un instant immobile, haletant, avant de replier son bras contre son torse, que mouillait encore cette transpiration froide.
Spike, oui. Outre la sueur, le tabac et le cuir, il avait senti le parfum caractéristique de son gel capillaire. Spike.
Spike l'avait déjà mordu, et il venait de le refaire, il y avait juste une minute, juste une seconde. Spike.
 
 
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Riley ne savait pas s'il était sorti plus angoissé ou moins angoissé de l'aventure de la veille, mais il était certain que l'angoisse avait remonté en flèche, ce jour-là.
 
Il n'avait pas vu Spike de la journée. Toutes ses questions restaient sans réponse.
Le soir précédent, il avait bien compris que Spike le mordait, mais c'était plus ou moins son postulat de départ. Le reste paraissait toujours aussi embrumé : Pourquoi Spike le mordait-il ? Pourquoi ne disait-il rien à Buffy ? Comment s'était-il introduit derrière la paroi du Blood and Tears sans se faire prendre ? Parce qu'ils ne laissaient pas entrer n'importe quels vampires, si ?
Aucune hypothèse cohérente ne s'imposait plus à l'esprit de Riley. Sa vie était devenu un foutu imbroglio, illogique et apparemment dépourvu de sens. S'il y en avait un, le militaire ne le comprenait pas.
 
Il avait été désagréable avec Dawn toute la journée. Impossible de se retenir. Pourtant, la pauvre gamine n'y était pour rien.
Mais Riley se traînait comme une âme en peine dans la maison Summers : la fébrilité, la terreur sourde, lui collaient au cœur et à la peau. Il était encore couvert de ces sueurs froides de jeune officier face à son premier ennemi. Il n'était pas formé pour faire face à de pareils évènements. Encore une fois, il était inadapté et inutile.
 
Il avait passé la matinée devant la télévision, commentant vaguement les dessins animés du samedi, puis il avait préparé le repas, fait un peu de rangement et aidé Joyce à choisir une robe pour un vernissage à la galerie. Elle espérait reprendre le travail bientôt. Riley s'en était voulu de n'avoir rien à foutre de sa conversation. Elle était tellement gentille.
 
Et maintenant, cela faisait près d'une demi-heure que le soldat moisissait sur le canapé du salon, les yeux fixés sur la pendule. Il cligna des yeux pour assimiler l'information délivrée par les aiguilles. Dix-neuf heures. Il était dix-neuf heures. Combien de temps encore avant de pouvoir retourner au Blood and Tears pour percer à jour toute cette connerie d'histoire ? Quatre heures, minimum. Cinq semblait plus réaliste.
 
On sonna à la porte. Riley était si absorbé dans ses considérations de bagnard avant la promenade qu'il faillit ne pas entendre. Il soupira et se leva pour aller ouvrir.
Sur le palier, il avait Spike.
 
- Salut " fit le vampire à l'adresse du militaire.
 
- Salut " répondit Riley.
 
- Je me souvenais plus… On est censés garder Dawn, ce soir, ou pas ?
 
- Non. Elle va au cinéma avec Anya et Xander. C'est samedi soir. " précisa Riley.
 
- Oh… " dit Spike en hochant la tête. " Ok. Bon, à plus tard alors ! Salut ! "
 
- Salut.
 
Riley referma la porte et retourna sur le canapé.
 
Il s'aperçut que ses mains tremblaient. Tout semblait si… irréel. Et anormal. Profondément anormal.
Après quelques minutes de trouble, il réussit enfin à déterminer ce qui lui donnait ce sentiment : l'absence de sarcasmes.
 
D'ordinaire, Spike faisait trois pas dans la maison et critiquait la mine ou les vêtements de Riley, il s'affalait sur le canapé et raillait Riley sur sa vie de femme au foyer, il allait dans la cuisine et laissait des cendres partout en sachant très bien que Riley aurait à les nettoyer ; à l'heure du repas, il ne faisait aucun effort pour mettre la table, s'asseyait à califourchon sur sa chaise et encourageait Dawn à dire que les légumes de Riley étaient dégueulasses, quand Riley lui ordonnait d'aller au lit, il protestait avec elle et quand, enfin, elle consentait à monter, il se déchaînait pour laisser à Riley le moins de tranquilité possible après la soirée qu'il avait grandement participé à rendre particulièrement éprouvante. En d'autres termes, l'essentiel du temps qu'ils passaient en duo ou en trio, Spike le consacrait à emmerder royalement le militaire.
Mais, depuis cette fameuse nuit où il l'avait accusé d'avoir un penchant pour Dawn, ils ne s'étaient dit que des banalités.
 
Et désormais, il se nourrissait de son sang.
 
Riley porta sa main à la pliure de son coude, à ce pan de peau meuble où il recevait toujours la morsure. Est-ce que retourner au Blood and Tears et laisser Spike le transpercer à nouveau allait éclairer quoi que ce soit ?
Sans doute pas.
Il aurait pu lui parler, quand il l'avait trouvé sur le pas de la porte. Il en avait eu l'occasion. Mais pour lui dire quoi ? "Ouais, Dawn va au cinéma. Au fait, tu pourrais m'expliquer pourquoi tu te caches derrière une paroi pour me mordre le bras dans un club clandestin du centre ville au lieu d'aller me balancer à ma copine ?". Ca semblait moyennement approprié.
 
Riley releva les yeux vers la pendule. Dix-neuf heures trente. Au moins, son angoisse passait le temps.
Il sortit du canapé pour gravir péniblement les escaliers. Cette sueur froide lui collait encore à la peau et il lui fallait prendre une douche.
 
 
Quand il arriva au Blood and Tears ce soir-là, comme la veille, il se précipita sur un fauteuil.
Comme la veille, il dénuda son bras et le tendit à travers le mur protecteur.
Comme la veille, lorsqu'il sentit deux canines s'enfoncer dans sa chair, il laissa sa tête rouler contre la paroi et inspira.
Comme la veille, il laissa le parfum l'envahir. Un parfum lourd et boisé, aux relents de patchouli.
Riley ramena son bras contre lui, remuant de toutes ses forces pour l'extraire du trou percé dans le mur. Ce n'était pas Spike ! Il reconnaissait ce parfum, il appartenait à une de ces filles qu'il laissait le mordre à visage découvert quelques semaines auparavant !
 
Son bras ensanglanté pressé contre son torse, le soldat refoula sa frustration. Aucune envie d'avoir une soirée ordinaire, maintenant. Il devait régler cette histoire, c'était assez !
Pourquoi Spike ne s'était-il pas montré ce soir ?
 
En sortant du club, enfin, Riley fracassa son poing contre le mur de brique de la bâtisse anonyme. Merde, merde, merde. Il saignait encore plus, maintenant.
 
Cette soirée était vraiment un beau foutoir.
 
 
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Il y avait eu encore plusieurs soirs comme celui-ci : des soirs où, curieusement, Spike n'était pas venu. Et il y en avait eu d'autres, où Riley s'installait sur le fauteuil mauve et reconnaissait l'odeur du cuir, du tabac et du gel pour cheveux. Il tendait alors son bras à travers l'orifice creusé dans la paroi et laissait le vampire prendre le contrôle.
Il n'apprenait rien du tout et il repartait aussi confus qu'il était venu.
 
Aussi curieusement que dans les premiers temps où le soldat fréquentait le club, une routine s'était installée entre eux. Au début, il avait pris ses habitudes avec le lieu : parcourir les coursives, observer les réguliers, fréquenter ces filles aux longues jambes et aux vêtements elliptiques… Et maintenant, c'était avec Spike qu'il les prenait : s'asseoir dans ce fauteuil en skaï mauve, toujours le même, toujours à la même place, et chercher à comprendre. Pourquoi Spike le mordait-il. Pourquoi lui-même le laissait-il faire. Le vampire irait-il tout avouer à Buffy, s'il le repoussait ? Riley se sentait s'enrouler dans ce rituel avec le même manque de discernement qui lui avait valu de s'embourber dans le premier.
 
Chaque moment passé avec Spike et les Scoobies le rendait paranoïaque. Il craignait la trahison, à tout instant.
Les gardes de Dawn étaient devenues de curieux moments de trouble silencieux, où ils se parlaient sans rien se dire, juste par utilité.
Riley continuait de fixer les traits de Spike, et il n'y trouvait rien. Il aurait presque pu croire à nouveau qu'il s'était trompé et que le vampire n'avait jamais posé les dents sur lui. Seule son absence absolue de sarcasmes lui prouvait que son odorat ne mentait pas. Parfois, ils fumaient une cigarette en commun, en silence. Mais Riley n'aimait pas vraiment le tabac.
 
Le samedi suivant, après une soirée passée avec une Dawn particulièrement survoltée - la fête d'anniversaire de Janice arrivait l'après-midi du dimanche, et Riley la soupçonnait d'attendre la venue d'un garçon de sa classe avec fébrilité - le soldat arriva enfin à s'extraire de la résidence Summers. Ses pas suivirent naturellement leur pèlerinage habituel.
 
Les néons violets caressèrent doucement ses pupilles. Dérogeant à l'usage, il décida d'aller d'abord boire un verre au bar. Le whisky était bon mais lui râpa la gorge. Il avait perdu l'habitude. Il assouvissait ses envies avec un tout autre type de liquide, à présent.
 
Riley porta une main à sa tête. Vraiment ? Mais oui ! L'alcool l'avait légèrement étourdi. Cela aurait-il un effet bénéfique sur la douleur de la morsure ? Sans doute, non ?
 
Il se dirigea vers le fauteuil et s'y laissa tomber. Le skaï crissa, accueillant.
Le pire était l'attente. L'incertitude envahissait tellement la vie de Riley - incertitude sur son avenir, incertitude sur les sentiments qu'on avait pour lui, incertitude sur sa propre place et, surtout, incertitudes sur lui-même et l'être différent qu'il semblait être devenu - qu'il ne supportait plus l'aléatoire pour ce qui était des détails. Il détestait être assis à attendre, sans savoir sous quels auspices la soirée allait se dérouler. Spike viendrait-il ? Et si oui, à quelle heure ? Riley se raccrochait au dérisoire. C'était tout ce qui lui restait.
 
Il commença à écouter les bruits du club, les gémissements et les rares dialogues. Non loin de lui, un homme d'âge mur demandait à une vampire de l'appeler "Monsieur Tonton". Un autre expliquait avec emphase combien le violet des néons constituait une éminente contrariété karmique.
De l'autre côté de la paroi, on frappa un petit coup.
 
Encore embrumé d'alcool, Riley jeta un coup d'œil à l'orifice. C'était bien pour lui qu'on avait tapé. Il dénuda lentement son bras et le fit passer à travers le mur. Il était prêt à se plier au rituel.
 
Il sentit deux larges mains envelopper son bras. Il reconnut immédiatement Spike. Les mains se mirent à caresser sa peau, d'avant en arrière, comme pour le préparer à la douleur de la morsure.
Dans la pliure du coude, la veine de Riley palpita. Il put imaginer la sensation des dents perforant sa chair, là, toujours dans le creux de son bras. Mais ce fut la sensation chaude et humide d'une langue se dardant sur sa peau qui le surprit.
La langue dessinait de lents cercles au creux de la pliure de son coude. Elle jouait sur sa peau meurtrie par les morsures. La respiration de Riley s'accéléra.
 
Brusquement, il sentit son bras tiré vers l'avant. Il ne put l'empêcher de s'enfoncer plus profondément dans le trou et, avant qu'il ait pu réagir, deux canines acérées se plantaient dans son épaule. La douleur fut fulgurante. Riley poussa un gémissement rauque. Son épaule n'était pas prête ! Il n'avait jamais été mordu à cet endroit !
 
Le sang brûlant s'écoulait de sa plaie vierge, gouttant au sol. Mais la bouche aux lèvres fines en aspirait la plupart, recueillant sur sa langue le flot qu'elle ne pouvait retenir.
 
Ivre de douleur, saturé d'adrénaline, Riley sentit les dents se dégager de son épaule et percer un deuxième trou dans sa chair. Juste en dessous du premier, il finit de rendre le militaire complètement fou. La souffrance était paroxysmale. Des larmes creusèrent les joues chaudes de Riley, se perdirent dans son cou, et il se rendit compte qu'il ne maîtrisait plus rien.
 
Alors, aussi soudainement qu'elles s'étaient imposées, les dents se retirèrent de son bras. Riley le ramena contre lui, pantelant. Son souffle tremblait, il s'en rendait compte.
 
- Alors, GI Joe ? Ca te plaît ?
 
Derrière la paroi, la voix de Spike avait repris toute sa causticité.
 
Riley se leva si vite que le fauteuil en skaï chut au sol. Il se rua vers le fond de la coursive, éperdu.
Les questions s'entrechoquaient dans sa tête. C'était quoi, ce petit jeu ? Que se passait-il, à la fin ? Que se passait-il vraiment ?
Il manqua déboîter la porte coulissante lorsqu'il l'ouvrit. Il se jeta de l'autre côté du mur.
 
Il fallait qu'il comprenne. Il fallait que ça cesse.
Il remonta la coursive en sens inverse, ne prêtant qu'une attention distraite à cet envers du décor que beaucoup dans le club auraient tué pour voir. Ce n'était qu'une coursive au mur gauche tendu de noir, ça et là émaillé de portes closes, la paroi anonyme tenant lieu de mur droit. Des fauteuils en skaï similaires à ceux du club le bordaient.
 
Riley bouscula à moitié une fille dans son ouvrage. Elle gueula pour protester mais il ne s'arrêta pas pour s'excuser. En outre, la coursive était presque déserte.
 
Spike l'attendait sur son fauteuil, l'ironie sur les lèvres. Il n'avait pas bougé. A son arrivée, il se leva, le menton relevé.
 
Aussitôt, Riley se mit à beugler :
 
- Qu'est-ce que tu fous là, tu…
 
Spike lui agrippa les épaules et le plaqua contre le mur de gauche. Ses mains s'enroulèrent autour du tee-shirt du soldat pour accentuer sa prise sur lui, et il le souleva à quelques centimètres du sol. Riley se demanda pourquoi sa puce ne se déclenchait pas. Sa respiration s'accéléra.
Il n'était pas sûr de savoir ce qui était en train de passer. Il n'était pas sûr de vouloir s'en rendre compte.
 
Spike le regarda avec des yeux de prédateur. Il défonça une porte adjacente d'un coup de pied et attrapa à nouveau le soldat pour le jeter dans la pièce.
 
 
La sueur froide qui maculait le dos de Riley depuis des jours, cette sueur qui lui collait au corps et le glaçait, était en train de devenir brûlante.
 
 
 
A suivre.

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