La remarque de trop

Chapitre 5

1327 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 29/04/2018 10:11

Caïn croyait devenir fou. Il voyait Lucie partout, tout le temps, sauf lorsqu'il était chez Nassim. La maison du lieutenant était à la fois un refuge et une camisole. Il n'était plus retourné chez lui depuis le départ de Lucie. Il avait d'abord pris sa douche en extérieur pour faire croire à Borel qu'il rentrait mais avait toujours laissé à ce dernier le soin de lui rapporter des vêtements propres. Depuis, une partie suffisante de sa penderie se trouvait dans les tiroirs de la chambre qu'il occupait chez le lieutenant.


Il avait son double de clés et même s'il ne contribuait pas au loyer, c'est lui qui payait toutes les courses. Il était devenu comme le colocataire de Borel. Maintenant que le capitaine avait bien assimilé le fait que le week-end, il avait interdiction de travailler, il pouvait être laissé seul … enfin rarement puisque la plupart du temps Caïn jouait la nounou pour tout le quartier. Il en avait d'abord eu besoin car Borel n'était pas du tout d'humeur à se déguiser et à jouer à des jeux de société, mais les enfants l'avaient adoré alors ils avaient continué. Et puis lorsque certains parents laissaient un peu d'argent, il revenait toujours à Borel.


Ce dernier, bien qu'avec un rythme tout nouveau, avait retrouvé une vie à peu près normale si l'on exceptait sa colocation de fin de semaine avec un patron au fond du trou. Parfois en semaine Borel allait voir la chambre de Caïn. Il en éprouvait toujours des sentiments partagés. La pièce n'était pas grande et presque entièrement occupée par un lit double séparé du mur du fond par la largeur exacte d'un fauteuil roulant. Dans un coin de la pièce, au pied du lit, avait été poussé la commode dont les tiroirs cachaient les caleçons et les chaussettes du capitaine.


À côté de cette dernière se trouvait le premier élément insolite, une caisse de bois débordant de tenues colorées, de masques et d'accessoires, recouvrant même partiellement les piles de jeux qui s'entassaient dans l'espace restant de la pièce. Les murs étaient couverts de photos jusqu'à hauteur d'enfant. Chaque fois qu'ils revenaient les mômes semblaient avoir de nouvelles images à accrocher. Caïn était présent sur la plupart d'entre elles, souriant et grimé. Borel aurait presque fini par y croire … s'il n'y avait plus les terribles cauchemars la nuit.


Caïn n'avait toujours aucune idée du rôle que jouait Borel durant ces nuits. Au matin il se souvenait du rêve, des sentiments qu'il avait éprouvé mais jamais de la voix de Nassim. Il lui semblait que la peur de ne plus revoir Lucie devenait plus viscérale chaque jour. Il lui était même arrivé de replonger dans d'anciennes enquêtes simplement pour l'entendre interroger un témoin ou un suspect. Il était si pitoyable qu'à la nuit tombée l'un des gardiens lui donnait accès à toutes les archives. Caïn avait donc repris ces recherches dans les dossiers, classés cette fois-ci. Même s'il ne trouvait rien cette nouvelle charge de travail lui occupait l'esprit.


Malheureusement pour lui, Simon, le gardien, ne prenait que deux soirs par semaine, le lundi et le mercredi, ce qui limitait considérablement le temps de recherche même si le nombre de fiches était bien inférieur à celui de la section générale. D'un point de vue extérieur, au contraire, on aurait pu voir cela comme une chance. Lorsqu'il avait accès aux archives classées, Caïn se préparait un thermos de café et ne dormait pas de la nuit. Borel le voyait mais il ne pouvait pas lui enlever la seule chose qui le poussait encore à avancer. Sans ces recherches, si néfastes fussent-elles pour sa santé, le capitaine n'était plus rien.


Durant ses nuits aux archives il voyait défiler des noms, des visages, de tous les âges et de toutes les tailles. Il se prenait à en vouloir à toutes ces personnes simplement parce qu'elles n'étaient pas elle. Il survolait les fiches d'hommes et s'arrêtait sur chaque femme ne voulant rien laisser passer. Les dossiers qu'il détestait le plus, car étant aussi ceux qui lui donnait le plus d'espoir, étaient les fiches d'agents en infiltration. Évidement aucune de ces feuilles ne comportait de photos. Il prenait deux fois plus de temps pour les traiter.


Une certaine Lucie Martin retint son attention. La taille et l'âge correspondaient. Avant qu'il n'ait eu le temps de décider de faire des recherches complémentaires son cœur battait la chamade sans qu'il puisse contrôler son espérance. Il eut besoin d'une paire d'heures mais finit par trouver des images d'elle. Ce n'était pas Lucie. Une fois encore il frappa l'une des vitres, qui bien évidement ne se brisa pas, à l'inverse de son poing. Caïn sembla ne pas même le sentir et repartit pour les archives.


Dans la soirée il trouva deux autres cas similaires de femmes pouvant correspondre à Delambre, chaque fois il s'avérait qu'il faisait fausse route. On aurait pu penser qu'après plusieurs échecs Caïn serait parvenu à tempérer ses espoirs mais à chaque fois la désillusion semblait plus forte. Il avait une fois encore explosé sa main sur une surface trop dure. Il s'était frappé tant et si bien qu'il était incapable de faire rouler son fauteuil. Il ne parvenait même pas à attraper ses roues. Mais comme la ténacité était la seule chose qui lui restait, il se détacha et se laissa tomber à terre.


Personne n'était là pour le voir ramper à terre. Lorsque sa main posait mal il poussait un gémissement de douleur incontrôlable. Il avançait centimètre par centimètre, se traînant comme un chien mais sans aucune notion d’orgueil et de dignité, pas si cela lui permettait de vérifier encore quelques dossiers. Il franchit la distance entre son bureau et le sous-sol en presque trois-quart d'heure alors qu'il lui aurait fallu 5 minutes avec ses roues. Il enrageait d'avoir perdu ce temps précieux, de plus à présent chaque battement de son cœur se répercutait douloureusement dans sa main.


Cela lui faisait presque du bien. La blessure physique était apaisante face à l'autre qui le rongeait depuis plus d'un an. Pourtant s'il fallait qu'il abandonne il en mourrait. Alors que l'aube s'installait au dehors Caïn retournait à ses dossiers. Il aurait pu faire ça pour toujours s'il n'avait ne serait-ce qu'une chance infime de retrouver la trace de Lucie.


Caïn avait laissé toutes les portes ouvertes, faute de choix, et le silence du sous-sol lui permis d'entendre le premier policier qui entra. Le capitaine rassembla les dossiers éparpillés au sol pour les ranger de manière à pouvoir reprendre ses recherches à l'endroit exact où il les avait arrêté pour ne manquer aucune fiche qui pourrait être cruciale. Heureusement pour lui, celui qui venait d'arriver ne semblait pas vouloir descendre tout de suite.


Le capitaine dut s'agripper à un tiroir plus haut pour parvenir à tout ranger. En voulant tout fourrer dans son rangement l'une des fiches lui échappa et glissa à quelques pas de lui.


  • Merde.


Caïn dut se débattre encore pour parvenir à la récupérer. Pourquoi la moindre action était-elle si dure ? Tout aurait été si simple s'il avait encore eu ses jambes. Il aurait déjà retrouvé Lucie. Avec des jambes il l'aurait empêcher de partir il y a un an. Avec des jambes il aurait … Caïn hurla de rage. Il ne se rappela qu'une fois qu'il entendit du bruit, qu'il n'était pas seul. Il saisit la fiche, celle d'une certaine Julie Delarme. Dans le doute il la plia et la glissa dans sa poche. Il se retourna et ferma le tiroir juste à temps.  


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