Partenaire

Chapitre 2

1110 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/07/2018 20:31

Il fallut pas moins d'une semaine à Caïn pour cesser d'ignorer totalement sa lieutenante, qu'il n'appelait pas comme cela mais plutôt sous le surnom chargé de sarcasme de « capitaine Alice ». Elle ne se plaignait pas qu'il la présente ainsi aux suspects. Cette infantilisation lui donnait un temps d'avance sur eux. Et puis le duo de l'handicapé et de la fillette faisait baisser sa garde au plus chevronné des criminels. Les voir arriver dans ma décapotable jaune avec leur brassard POLICE, on aurait dit le début d'une blague douteuse.


Alice remettait sans cesse en cause les méthodes du capitaine, en tout cas toutes celles qui impliquaient d'outrepasser une ou plusieurs lois. Lucie avait été la première surprise de voir que loin de freiner le capitaine dans ses plans, elle l'aidait simplement à les modifier pour qu'ils ne soient plus pénalement répréhensibles. Plusieurs fois elle avait réussi à obtenir des commissions rogatoires en un temps record. Un jour Lucie avait surpris une conversation entre eux à ce sujet.


  • Évidement toi ton truc c'est la paperasse. Y en a plein ton dossier. Moi ça m'emmerde.
  • En même temps vu comment tu rédiges des rapports et tes demandes … « La paperasse » comme tu dis, c'est un art. Savoir mettre le bon nombre d'informations, trop peu et les juges ne t'accordent rien, trop et tu perds du temps. Une demande bien faite, le juge signe sans même se poser une question. Fait après fait tu l'amènes là où tu veux.
  • Pour moi ça ne se passe pas exactement pareil.
  • Tu m'étonnes. Félix m'a dit qu'au parquet tu était connu comme le loup blanc et pas en bien. Il m'a même transmis une belle petite liste de tout ce qui se dit quand ton nom est prononcé mais se serait trop te flatter.


Lucie avait du mal à croire que leur relation ait tant changé en si peu de temps. Parfois ils se parlaient à peine et puis quelques instants plus tard ils étaient comme deux vieux amis. Ils ne s'étaient jamais vraiment vouvoyés non plus. La franchise d'Alice déteignait sur Caïn alors dès qu'ils avaient le moindre problème ils verbalisaient.


À peine quelques mois après son arrivée ils formaient un équipe implacable. Une variation dans l’intonation de l'un en plein interrogatoire et ils changeaient de concert leur rôle du bon flic et du mauvais flic. Lucie se demandait souvent s'ils étaient conscients de la complexité du langage corporel qu'ils avaient mis en place. La commandante elle-même s'en rendit compte le jour où, après qu'ils aient failli se faire tuer pas un énième suspect qu'ils avaient poussé à bout, elle les avait forcé à rester dans des pièces différentes.


Elle les avait alors surpris en flagrant délit, comme des gamins, mais ne les avait pas arrêté tout de suite. Elle était d'abord restée médusée. Ils ne « parlaient » presque pas. Tout passait par les gestes et le regard. Lucie elle-même n'avait jamais pu faire ça avec Caïn car il y avait quelque chose de fondamentalement différent dans la relation de Fred et d'Alice. Ils n'avaient pas besoin l'un de l'autre. Entre eux tout était clair, limpide, sans ambiguïté. Alice avait sa fierté mais son orgueil ne passait que par les faits. Lorsque Caïn avait tord, elle le laissait faire jusqu'à pouvoir lui prouver que c'est elle qui avait raison. De même, elle reconnaissait volontiers ses erreurs.


Leur duo ne connaissait pas vraiment de hauts et de bas, ou tout du moins ceux-ci étaient indépendants du déroulement de l'enquête et de leurs humeurs. Lucie les avait déjà vu ne pas se parler pendant plusieurs jours puis exécuter un de leurs plans tordus avec une coordination parfaite, autant qu'ils pouvaient se la jouer Laurel et Hardy durant une enquête mais n'être d'accord sur rien concernant les suspects.


  • De toute façon tu passes ton temps à geindre, lui avait-elle dit un jour.
  • J'aimerais bien t'y voir toi ! Et puis je ne geins pas, avait répondu le capitaine qui malgré tous ses efforts avait le ton d'un enfant boudeur.
  • Vraiment ? Il me semble pourtant t'entendre te plaindre régulièrement.
  • Je m'exprime ! De toute façon avec toi tout va toujours !On respecte bien la procédure. Que tu ais raison ou que tu ais tord, tout va toujours. C'est chiant !
  • Peut-être mais moi au moins je n'ouvre pas ma gueule uniquement pour râler. Tu dis que tu t'exprimes mais c'est pas vrai parce que justement si tu t'exprimais un peu plus tu aurais moins de problème.
  • La communication me rendra mes jambes peut-être ?
  • Arrête de tout ramener à ton fauteuil ! Quand tu parles on a l'impression qu'il n'y a que ça dans ta vie.
  • C'est facile à dire. Tu t'es jamais dit que peut-être c'est que j'ai parfois l'impression que mas vie s'est arrêté le jour de ce putain d'accident !, hurla Fred.
  • Ça c'est faux et tu le sais aussi bien que moi. Je vais même te le prouver.


Elle lui avait alors enfoncé un doigt dans le torse avant de sortir. Elle était revenue une heure après, dans un fauteuil. Elle avait trouvé un médecin prêt à lui anesthésier toute la partie basse du corps. Caïn l'avait alors fusillé du regard et l'avait ignoré pour le reste de la journée, et du week-end qui arrivait juste après. Mais quand elle était revenue comme ça le lundi matin, Fred avait réagit.


  • Ça t'amuse tant que ça de jouer les paraplégiques ? Pour aller au boulot, on enfile ses chaussures, on s'assoit dans le fauteuil et c'est partit.
  • Et toi ? Le rôle de martyr de la vie, t'en a pas marre ? Je n'arrêterais pas les anesthésiants tant que ce ne sera pas toi qui me le demandera.
  • Là, maintenant, je pourrais t'en mettre une. Vraiment.
  • Je ne te retiens pas.


Ils se toisèrent durant de longues minutes. À plusieurs reprises, les témoins de la scène crurent qu'ils allaient se taper dessus mais c'est finalement Lucie qui intervint.


  • Elle est restée dans ce fauteuil tout le week-end.


Si Caïn en fut impressionné ou surpris il ne laissa rien paraître. Au lieu de ça il s'approcha de Lucie et dit.


  • Ais-je vraiment envie de savoir comment vous avez eu votre information ?


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