Changer de point de vue

Chapitre 2 : Défiance

1948 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/03/2020 09:37

 Borel s’était renfermé dans la réserve. Il a effectivement trouvé ce qu’il veut et mieux encore. Les vidéos montrent uniquement la partie salon de thé de la boutique mais il en a déjà appris beaucoup. Il finit juste de graver la vidéo du matin-même. Si la chance est avec lui, il n’aura qu’à aller au SRPJ regarder ces vidéos en détail pour découvrir le meurtrier. Plus vite l’enquête sera finie mieux il se portera.

Caïn entre en trombe.

- Alors mon petit Borel dites-moi que vous avez quelque chose.

- J’ai quelque chose.

- À la bonne heure ! Régalez-moi.

- Aimé Malecco ne faisait pas confiance à son neveu. La caméra de surveillance ne filme que Toussaint.

- Aimé effaçait peut-être ses enregistrements au fur et à mesure.

- Non la caméra est reliée à un programmateur. Les heures d’allumage correspondent aux horaires de Toussaint.

- C’est bien ça Borel.

- Encore mieux. Ce matin la caméra enregistrait. J’ai récupéré la vidéo et je la regarde dès que je rentre au SRPJ.

- Et bien allez-y maintenant !

- Oui capitaine.

Trop content de quitter cet endroit, Borel prend la boite avec tous les enregistrements et sort. La défiance l’assaille de nouveau en entrant dans l’arrière-boutique. Il se force à regarder la scène de crime. Tout y est normal. Stunia et ses hommes en blanc finissent d’inspecter le corps. Delambre et Legrand chuchotent dans un coin. Caïn fait bande à part. Rien qui nécessite de s’inquiéter.

Avant de partir Borel veut vérifier les angles morts de la caméra dans le salon de thé. Il y entre déterminé mais se décompose en voyant qu’Aimé Malecco est là aussi. Il reste figé à le regarder pendant plusieurs dizaines de secondes avant d’effectivement se tourner vers la caméra.

- Vous êtes sensible lieutenant.

- Pardon ?

Malgré ses efforts Borel ne parvient pas bien à cacher la peur dans sa voix.

- Les choses de cet endroit vous touchent. Habituellement les gens ne ressentent pas ce qui se passe ici mais vous si. La magie. Vous comprenez pourquoi le corps de Toussaint a été scellé. Il aurait pu revenir. Le tueur savait ça. Il était comme vous, comme moi, il comprenait.

- Je vais vous demander de me laisser monsieur.

Pour se libérer de la proximité avec Aimé Malecco, Borel prend la fuite. Il a été si mal à l’aise que partir en courant face à un suspect ne lui évoque aucune honte. Chaque mètre qu’il met entre lui et cet endroit le libére un peu plus. Ce n’est qu’une fois de retour au SRPJ qu’il se sent de nouveau parfaitement en sécurité. Ici il est en terrain connu. Il va s’installer à son bureau et les vidéos allaient parler d’elle-même.

Pour ce matin, il voit une personne toute encapuchonnée rentrer à 6h12. Toussaint l’avait accueilli normalement. L’intrus ne s’arrêtait pas. Il attrapait Toussaint par le col, le tirant dans l’arrière-boutique. À 6h15 l’intrus était dehors et Toussaint ne revenait plus.

L’angle de la caméra et la tenue de l’intrus ne permettent aucune identification. La seule chose que Borel peut voir c’est que cette personne est aussi grande que Toussaint et qu’elle a la force nécessaire pour le contraindre à la suivre dans l’arrière-boutique. L’arme du crime n’a pas été retrouvée mais sur aucune image ici on ne voyait l’intrus avec une lame. Stunia situait l’heure du décès entre 6h et 6h30. Durant cet intervalle personne d’autre n’était rentré. Aimé Malecco avait découvert le corps à 6h53 appelé la police 2 minutes plus tard. Borel était arrivé sur les lieux à 7h26. Les gyrophares avaient fait fuir tout client potentiel.

Borel appelle le capitaine.

- Le plus teigneux des flics de la côte j’écoute.

Sans même être sur place le lieutenant sait que le ton vient de monter entre Delambre et Caïn, que c’est certainement elle qui l’a traité de teigneux juste avant son appel et qu’en répondant il a dû accentuer les mots en la regardant droit dans les yeux.

- Capitaine est-ce qu’il y a une issue de secours à l’arrière de la boutique ?

À travers le combiné Borel entend l’écho de sa question. Le capitaine interroge directement Malecco. Cette voix le perturbe tant que même en ne l’entendant que faiblement il comprit ce qui se dit. Oui, évidement qu’il y a une issue de secours qui donne sur une ruelle non surveillée derrière la boutique mais qu’elle ne peut s’ouvrir que de l’intérieur. Sauf qu’en y regardant de plus près le loquet a été scotché.

- Je n’ai aucune idée de quand cela a été fait mais je peux vous assurer qu’il y a deux jours tout marchait encore très bien. Toussaint s’était même fait enfermer dehors.

- Capitaine demandez-lui s’il se souvient de l’heure à laquelle c’est arrivé.

- C’était un peu avant midi.

En quelques clics Borel y est. En effet sur les caméras on voit Toussaint partir dans l’arrière-boutique et ne revenir que 10 minutes plus tard par la porte de devant. Ce qui veut dire que n’importe qui a pu rentrer dans la boutique entre 6h15 et 6h30. Borel soupire et se lance dans un épluchage plus systématique des vidéos.


.o0O0o.


- Je le sens pas ce Aimé ! Allez Nassim dis-moi que tu as quelque chose.

- Rien de probant capitaine malheureusement. J’ai isolé tous les clients et je vous ai fait deux groupes : les clients réguliers et les occasionnels. J’ai mis à part trois cas plus étrange. Ces deux femmes sont entrées dans le magasin et sont ressorties dès qu’elles ont vu que c’était Toussaint qui gérait la boutique. À l’inverse ce couple-là est souvent revenu. Quand il est avec sa femme, l’homme n’a pas l’air à l’aise mais plus tard on le voit revenir seul ….

- Et il a carrément une attitude louche.

- J’ai autre chose capitaine. Toussaint a rejoint son oncle il y a 6 mois mais Aimé Malecco n’a fait monter la caméra qu’il y a 4 mois. Sa mère dit que cela correspond à une période où Toussaint est devenu plus taciturne et ne parlait que de la boutique.

- Bon boulot. Faites-moi un dossier de tous les clients. Il est temps de mettre un nom sur ses visages.

Alors qu’il aboie gentiment sur Legrand pour que celui-ci convoque au plus vite l’autre Aimé, une sensation étrange le prend de court. Où est Lucie ? Toutes ses pensées se sont arrêtées. Il tourne et retourne désespérément ses roues dans l’espoir de la voir quelque part au SRPJ mais visiblement elle n’y est pas. Sans réfléchir à l’étrangeté de son élan, Caïn sort en trombe du commissariat où il manque de renverser Lucie.

- Ah vous êtes là !

- Vous me cherchiez mon commandant ?, essaye-t-il de demander le plus nonchalamment possible.

- Non je ne vois pas pourquoi je vous chercherais, répond Lucie un peu trop virulente avant de rentrer au SRPJ.

Caïn la suit avec un sourire aux lèvres. Dans le coin de sa tête cependant un malaise plane. Pourquoi a-il eu si soudainement besoin de voir Lucie, de savoir où elle était ? Par la force des choses le capitaine avait appris à souffrir ces sentiments qui le rendaient heureux quand il était à proximité de Lucie, quand elle souriait ou quand Legrand faisait une bourde. Mais cette urgence presque vitale, il ne l’avait ressenti que très peu, et à chaque fois ça avait été terrifiant. Caïn revoit pêle-mêle l’enlèvement de Lucie, son coma, les fois où elle a été mise en joug, son sang … Le capitaine sent un frisson glacé lui parcourir toute la colonne.

- Vous avec déjà besoin de moi capitaine ?

La vue d’Aimé Malecco l’apaise presque instantanément. En une seconde il retrouve la quiétude relative que lui procure le travail. Cette fois-ci en revanche le cerveau de Caïn se rebelle derechef. Malecco est louche et suspect qui plus est, l’avoir au SRPJ aurait dû déclencher chez lui un instinct de chasseur ou tout du moins des réflexes de casse-couille comme il sait si bien le faire. Le capitaine affiche son plus beau sourire malsain et se tourne vers sa cible.

- Aimé Malecco ! On ne se quitte plus vous et moi.

- Je suis toujours là quand on a besoin de mes lumières.

- Suivez-moi.

Alors qu’il le mène, Caïn voit que Borel lui fait un signe. Le dossier est prêt dans la salle d’interrogatoire. Le capitaine le remercie d’un signe de tête. Il arrive encore à son lieutenant de faire des erreurs mais avec le temps ces bourdes occasionnelles sont largement compensées par la connivence qu’ils ont développé. Borel comprend de mieux en mieux ce que le capitaine veut ou pense sans avoir à le lui demander et ce dernier décrypte son lieutenant en un regard.

Il en va évidement de même avec Lucie quand leur relation est apaisée, cependant dès que le vent se lève entre eux, Caïn est conscient d’avoir la réflexion en berne. C’est pourtant dans ces moments-là qu’il aurait le plus besoin de prendre du recul.

- Et bien capitaine ? Vous êtes avec moi ou pas ?

En entendant Aimé Malecco parler, le capitaine se rend compte qu’il s’est arrêté, la main sur la poignée de la porte. Il choisit de faire comme si de rien n’était et ouvre la porte.

- Asseyez-vous je vous prie. D’abord est-ce que vous avez une idée de qui est cette personne ?

- Je vois la même chose que vous, une silhouette en noir. C’est lui qui a tué Toussaint ?

- Peut-être. Il est passé à votre boutique ce matin entre 6h12 et 6h15.

- Je suis désolé capitaine. Si j’avais pu identifier cette personne …

- C’est pas grave. Je ne vous avais pas fait venir pour ça. Je voudrais que vous me donniez le nom de ces gens.

Il étale sur la table les photos des clients occasionnels.

- Vous savez capitaine j’ai beau venir en aide aux gens, je ne deviens pas intime avec eux.

- Vous en reconnaissez ou pas ?

Malecco détaille les photographies. Il en prend une, l’observe plus longtemps, la repose. Il fait ça encore avec trois images avant d’en prendre deux et de les rendre à Caïn.

- Ceux-là je les ai déjà vu mais je ne connais pas leurs noms.

Le capitaine ramasse les clichés et les remplace par ceux des habitués. Cette fois-ci Malecco ne regarde qu’une seule photographie.

- Celui-là je ne le connais pas.

- Et les autres ?  


Laisser un commentaire ?