Vice-versa

Chapitre 1 : Nouvelle venue

2009 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 13:22

- C'est quoi ce bordel Jacques ?

Le capitaine Frédéric Caïn était entré à grand fracas dans le bureau de son supérieur et ami, Jacques Moretti. Derrière lui, la porte avait violemment frappé le mur. Le capitaine se tenait à quelques centimètres à peine du commandant, ainsi faisait-il une bonne tête de plus que lui.

Voir ce fou furieux entrer dans une pièce avec une telle rage aurait suffi à faire trembler plus d'un homme, ennemi comme allié. Avec son regard noir, souvent troublé par quelques substances auxquelles il n'aurait pas dû toucher, Caïn paraissait prêt à frapper. Moretti ne cilla même pas.

- Qu'est-ce qu'il y a Fred ?

- Elle paraît un peu jeune pour toi. C'est sa mère que tu te tapes ?

- Il va falloir être plus précis.

- Te fous pas de moi ! On est à la PJ ici, pas au centre social. Déjà que les gars que tu m'envoies d'habitude ne sont pas fameux, mais là en plus tu décides de me refourguer une handicapée. Tu veux que j'en fasse quoi ? Si tu voulais remplir les quotas, il y a des places à la compta.

- Elle s'appelle Lucie Delambre. Elle était caporale dans la 11e brigade aéroportée.

- Qu'il sache se servir d'un parachute ou non, j'ai pas besoin d'un cul-de-jatte.

- À partir d'aujourd'hui, c'est ta lieutenante. C'est un ordre.

- Ça tu me le paieras, Jacques.

Et il sortit aussi vite qu'il était rentré, sans pour autant manquer de mettre un grand coup de poing dans la baie vitrée avec assez de force pour y laisser une fêlure. Il ne croisa personne sur le chemin de son bureau. Les gratte-papiers quittaient le navire dès qu'il fulminait un peu fort.


oOo


Arrivé dans son bureau, il ferma la porte. Les stores étaient toujours baissés chez lui. Il se réfugiait rarement dans cette pièce mais quand il y était, même Jacques le laissait tranquille. Quoi que son ami cherchait plus à ne pas voir ce qui s'y passait qu'à respecter son intimité. Quand la porte était fermée, le message était clair pour tous.

La pièce du capitaine était truffée de cachettes qui lui permettaient de dissimuler, ça et là, de petits sachets aux contenus douteux ou des bouteilles d'alcool au taux d'alcool bien trop haut pour être simplement conviviales. Caïn ouvrit une fenêtre et roula une cigarette presque sans tabac. Il dut s'y reprendre à deux fois tant ses mains tressautaient d'énervement.

Il avait mis son ventilateur face à lui pour aérer d'autant plus. Ce n'était pas qu'il craignait les réprimandes mais plutôt une manie qu'il avait gardé. Cela ne lui servait pas beaucoup avec Gaëlle, qui devait avoir développé un 6e sens spécifique à ce genre de choses, mais cela suffisait à tenir Jacques à distance.

Le capitaine avait bien besoin de se calmer. Il passa rapidement en revue tous les indics qu'ils avaient en ce moment mais rien ne justifiait d'aller leur rendre une visite musclée maintenant. Un bon meurtre aurait fait l'affaire, pourtant l'expérience montrait que les assassins ne se décidaient jamais au bon moment.

On frappa à peine à la porte avant de rentrer. Il vit Delambre rentrer dans son bureau et se demanda vaguement si personne ne lui avait encore expliqué pour la porte fermée ou si justement elle avait attendu son moment exprès.

Sans précipitation, le capitaine étouffa son joint entre l'index et le pouce, souffla dehors sa fumée puis se leva du rebord de la fenêtre. Il n'avait pas besoin de se tenir debout pour dépasser Delambre mais il prenait un certain plaisir à la surplomber de toute sa hauteur.

- Qu'est-ce que vous étiez en train de faire capitaine ?

- Ah non, dommage. Vous rentrez alors que j'ai les portes closes, c'est à moi de poser les questions. Pourquoi est-ce que vous venez déjà m'emmerder ?

- On a une affaire.


oOo


- Une jeune femme retrouvée pendue chez elle.

- Ça c'est un suicide, Delambre.

- Sauf votre respect capitaine, la victime a été soulevée de terre par un système de poulie actionnable uniquement depuis le sol.

- Vous allez me donner une adresse ou vous attendez que je vous donne un sucre ?

- 17 rue de la fontaine.

Selon une gestuelle bien huilée, il attrapa son blouson, y enfila un bras avec lequel il saisit son casque tout en mettant son autre manche. Pour une fois, il était raccord avec les criminels. Rien de tel qu'un petit meurtre pour rendre heureux un homme.

Caïn était plus retro que grosse cylindrée. Cela n'empêchait pas sa bécane d'avoir quelques chevaux qui lui permettaient de se faufiler dans les rues de Marseille comme s'il y était chez lui. Ajoutée à la maniabilité de la moto, la flexibilité du motard quant au code de la route, et le capitaine faisait des temps records.

Le 17 était une petite maison aménagée en deux habitations communicantes pour les parties communes. La victime avait été pendue dans le salon. Selon son colocataire et ami, comme ils pouvaient fermer chacun de leur côté, la porte d'entrée restait souvent ouverte.

Autant même morte, la petite était belle, autant on ne pouvait pas en dire autant de son voisin. Il avait de grosses lunettes sur un nez en trompette, le teint blafard, les doigts crochus et le crâne irrégulièrement rasé.

Le fameux système de poulie était simple mais efficace même Delambre aurait pu la soulever. Il s'approcha du corps.

- Vous n'aviez pas besoin de tuer la jolie jeune fille Stunia, je n'ai d'yeux que pour vous, vous le savez bien.

- Capitaine. Je me demandais quand j'allais avoir le plaisir de vous voir.

- Je ne manque jamais aucun de nos rendez-vous.

- J'avais cru entendre que vous aviez une nouvelle lieutenante. Vous l'avez déjà abandonné ?

- Ce n'est pas ma faute, si elle ne suit pas le rythme. Alors qu'est-ce qu'on a ?

- Meurtre par pendaison. On avait sûrement administré un sédatif à la victime car même juste avant sa mort elle ne s'est pas débattue.

- Merci Stunia.

Caïn insista pour visiter la maison, toute la maison. Alors qu'il fit volontiers visiter le côté d'Elodie à grands renforts de larmes, Edgar se montra réticent à partager son cocon. L'endroit était propre pourtant, quoi que sentant un peu le renfermé. Le garçon rougit jusqu'aux oreilles au moment où le capitaine mit le doigt sur sa collection de hentai. Il en feuilleta un et leva haut les sourcils.

- Écoutez, je me fous que vous aimiez les BD de filles et de poulpes, moi ce que je veux savoir c'est comment vous avez découvert le corps.

- J'ai … découché hier soir et quand je suis revenu ce matin, elle … Elodie … je l'ai trouvé … comme ça.

Caïn leva les yeux au ciel quand le garçon recommença à pleurer. Il l'abandonna là, et retourna dans le salon. Son arrivée interrompit les présentations entre Stunia et Delambre.

- Bon Delambre, vous m'embarquez le môme et on n'en parle plus.

Il ne s'inquiéta même pas de savoir ce qu'elle répondrait. Certes il perçut le son de sa voix alors qu'il franchissait la porte mais il ne s'attarda pas à écouter ce qu'elle disait. Caïn avait rapidement calculé le temps qu'il avait fallu à Delambre pour arriver et décida de rentrer au SRPJ en longeant la côte.

Comme il s'était arrêté en route pour faire un petit somme, quand il arriva au commissariat, le gamin poirotait depuis 1 heure. À peine eut-il mis un pied dans le bâtiment que Delambre lui sauta sur le poil. Elle s'indignait et protestait. Pour la première fois depuis qu'il avait su qu'on lui collait une paraplégique, Caïn se dit que ce n'était pas une si mauvaise idée. Finalement il n'avait qu'à regarder droit devant lui pour ne pas la voir.

S'il ne fut pas surpris qu'elle le suive jusqu'en salle d'interrogatoire, il le fut en revanche quand elle s'arrêta de geindre dès qu'il ouvrit la porte. Le capitaine prit la chaise face à Edgar alors que Delambre poussa simplement son fauteuil à côté de lui.

- Bon Edgar. Je te donne une chance d'avouer le meurtre d'Elodie, passé cette opportunité je prendrais le rôle du méchant flic et je te ferais cracher le morceau.

- Je … je n'ai rien fait.

Caïn ferma les yeux et souffla profondément. Il aurait aimé que pour une fois, les coupables l'écoutent. Comme si retarder le moment leur donnerait une chance d'en réchapper.

- Tu étais amoureux d'Elodie.

- Non.

- Mauvais réponse !, dit-il en frappant des mains sur la table. Il y a des photos d'elle partout chez toi. Pas dans les endroits les plus visibles, je te l'accorde, mais elle ponctue ta décoration intérieure. Pourquoi ?

- C'est une amie, c'est tout.

- Mauvaise réponse !

Cette fois-ci Caïn se leva pour passer derrière le garçon.

- Tu n'avais qu'elle en photo partout, pourtant ce n'est pas ta seule amie alors pourquoi elle ?

- Elle était belle.

- On ne tapisse pas les murs de chez soi avec les photos d'une amie simplement parce qu'elle est belle. Tu as acheté les somnifères spécialement pour l'occasion ?

- Non. Je fais beaucoup d'insomnies.

- Pourquoi avoir décider de la pendre ?

- Je ne l'ai pas tué !

- Mauvaise réponse ! Tu sais quoi ? Maintenant je fais les deux parties de l'interrogatoire. Ça t'évitera d'avoir à mentir et moi ça m'évitera de m'énerver. Reprenons depuis le début. Tu es secrètement amoureux d'Elodie. Mais Elodie est jeune, elle est jolie et puis c'est une femme moderne. Elle aime la fête et les garçons mais elle ne veut pas d'un petit-copain. Toi tu les vois défiler dans votre salon, ces gars qui ne seront là qu'une fois. Tu voudrais bien lui faire payer mais avec tes bras tout maigrichons si tu la gifles, c'est toi qui auras mal. Alors tu prépares tout ce plan. Si tu achètes des livres sur les grandes inventions mécaniques et sur les bateaux, ce n'est pas par passion, tu te renseignes sur les démultiplicateurs de force et sur les nœuds. Tu prépares soigneusement un alibi, ou pas, peut-être que tu es assez stupide pour avoir négligé ça aussi. Ce matin au petit-déjeuner tu lui sers un jus d'orange ou un thé et la belle sombre dans le sommeil. Tu mets en place ton petit système, tu la pends et tu appelles la police après en pleurant.

- Elle s'est moquée de moi. Je lui ai tout avoué de mon amour et elle a ri de moi. Elle m'a dit que personne ne voudrait d'un « asocial rachitique » comme moi. Alors je lui ai montré, je lui ai montré moi !

Caïn était lui-même surpris du résultat. Il avait cru qu'Edgar fondrait en larmes et que c'est sa culpabilité qui le ferait avouer mais il avait explosé de rage, et même s'il soufflait maintenant comme un bœuf, il paraissait très fier de lui.

Le capitaine le força à se lever. Il se débattait comme un beau diable cependant les pinces et une poigne ferme suffisaient à le maintenir. Il était presque pathétique à s'agiter dans tous les sens. Ils découvrirent plus tard qu'étant jeune, il avait assisté au suicide de son père après que sa femme ait refusée de le reprendre. Il s'était pendu.


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