Vice-versa

Chapitre 3 : Arroseur arrosé

2267 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 14:27

 Caïn avait l'impression d'avoir à peine fermé les yeux quand quelques voix le ramenèrent vers la conscience. Ce qui se disait autour de lui se mélangeait étrangement avec les échos de son rêve. Il aurait voulu dormir encore.

- Où est Caïn ?

- Je ne sais pas. J'ai essayé de le joindre plusieurs fois mais je tombe directement sur sa messagerie.

- On va voir qui est le patron … Fred ! Tu ramènes ton cul tout de suite. Tu n'es pas payé à pioncer pendant que Delambre fait tout le boulot.

Le capitaine grogna en réponse. En d'autre circonstance, il se serait bien mis au garde à vous, mais il n'avait qu'une seule envie : visser ses lunettes de soleil sur son nez et commencer la journée avec une aspirine. Pourtant la voix de Jacques était sans appel et s'il laissait son commandant venir le chercher, le réveil serait beaucoup plus rude.

Il dégagea son bras droit pour pousser la personne dormant au dessus de lui et se redressa en grinçant des dents. Une fois assis, il prit quelques respirations avant de se relever complètement. Debout il vacilla en ayant une remontée acide qu'il parvint à contenir en crachant un peu plus loin.

- Ça va, pas besoin de gueuler dès le matin. T'as apporté les croissants au moins ?

Caïn avait une voix caverneuse. Face à lui, Jacques et Delambre le regardaient avec de grands yeux. Il les avait reconnu, même les yeux fermés. Il eut besoin de quelques instants de plus pour prendre en compte le reste de la pièce.

Il ne se rappelait pas vraiment être venu jusqu'à ce hangar. En revanche, il reconnaissait le visage de certains des gars qui dormaient à même le sol. Il y avait cependant plus inquiétant. Le capitaine voyait arriver, par le portail grand ouvert, toute l'équipe de la PTS. Ce n'est qu'une fois qu'il avait intégré tout cela qu'il remarqua que l'un des hommes était à l'écart, plus proche de la sortie, face contre terre.

- Mort ?

Ni Moretti, ni Delambre ne lui répondirent. Jacques lui adressait le même regard qu'à chaque fois, entre désespoir et déception. Il n'avait pas toujours eu ces yeux-là. Caïn ne s'embêta même pas à voir comment Delambre réagissait. Pourtant sa vision périphérique la captura en train de faire un geste pour le désigner lui et ses … camarades de la nuit.

- Embarquez-moi tout ça.

Le capitaine se redressa soudainement pour protester. Son geste brusque le secoua un peu trop et il dut se retourner pour restituer le contenu de son estomac à l'abri des regards.

Se faire passer les pinces fut dégradant mais ce ne fut rien comparé au moment où le bleu le poussa dans le camion avec les autres, encore à moitié endormis. Durant le trajet, il récupéra ses lunettes dans l'une des poches de sa veste ce qui lui permit de traverser le SRPJ jusqu'aux cellules avec un minimum de dignité.

Il reçut tout de même quelques remarques de ses collègues qu'il ignora en gardant la tête haute comme s'il ne les entendait pas. Caïn pensait qu'au moins, une fois à l'ombre, il serait tranquille mais ses comparses n'avaient pas manqué les commentaires qui lui avaient été adressés et s'empressèrent de le charrier malgré leurs états aussi pitoyables que le sien.

Il partageait sa cellule avec quatre autres personnes : trois hommes et une femme. Il reconnaissait le visage de la fille sans se souvenir de son nom. L'un des gars s'appelait Louis et travaillait comme serveur dans le bar d'où ils étaient partis hier soir. Les deux autres lui étaient totalement inconnus.

La fille s'allongea sur le banc pour s'endormir sitôt la porte refermée derrière eux. L'un des gars que Caïn ne connaissait pas la poussa sans ménagement pour s'aménager une place et somnoler lui-aussi. Louis était recroquevillé dans un coin et jetait des regards terrifiés à tout va alors que le dernier restait debout au milieu de la pièce sans paraître plus réveillé que les autres.

Caïn restait dos à eux. Les avants-bras passés à travers la grille, il avait posé son front contre l'un des barreaux. Son crâne lui faisait un mal de chien et il commençait à avoir faim. Il aurait bien beuglé pour obtenir à manger mais il avait plutôt envie de fermer les paupières et de ne plus penser à rien.

Il dût s'endormir un moment car quand il rouvrit les yeux, ses boyaux se tordaient bruyamment. Il ne s'était pas réveillé de son propre chef mais plutôt par un contact. On lui avait touché les poignets. Jacques était face à lui et le regardait presque amusé.

- Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

- Toi.

Caïn se redressa et voulut réajuster ses vêtements mais en fut empêché par des menottes qui le gardaient attachés de l'autre côté des barreaux.

- C'est toi qui m'a mis ça ?

- Ordre du lieutenant Delambre.

- Depuis quand c'est elle qui commande ?

- Depuis que tu as joué les cons une fois de plus. Tu es presque suspect dans cette affaire. Delambre t'exaspère plus que tout, j'ai bien compris. Dommage, tu viens de lui fournir sa première enquête en solo.

À présent, Jaques souriait. Caïn bouillait de voir ce petit regard d'en dessous qu'il lui jetait. Un bruit attira cependant son attention. Il se retourna et vit que, derrière lui, tous ses compères avaient eu un plateau-repas. Il en comptait quatre en tout et pas un de plus.

- Encore un ordre de Delambre ? Je peux au moins avoir de l'eau ou son objectif est vraiment de se débarrasser de moi ?

- Non. Elle n'est pas comme toi, lui répondit Jacques en lui tendant une bouteille d'eau.

Après s'être un peu battu avec le bouchon pour l'ouvrir, Caïn descendit toute la bouteille d'une traite. Quand il eut fini, Jacques était parti.

Caïn resta sans bouger jusqu'à ce qu'un sergent vienne vers eux. Le capitaine eut beau le suivre du regard, à aucun moment le bleu ne leva les yeux vers lui. Il ouvrit leur porte et appela un certain Martin. L'homme qui était assis sur le banc se leva et quand le sergent referma la porte derrière lui, Caïn retint mal un grognement.

Il essaya de se retourner mais avait toujours les poignets attachés à travers la grille. Il ne pouvait se pivoter que de trois quart mais cela lui suffisait à voir les autres.

- Elle va vous cuisiner un par un. Si vous avez des choses à avouer …

- Elle va nous cuisiner. J'ai pas eu l'impression que la fliquette à roulettes avait l'intention de t'épargner.

- À qui dois-je cette analyse si pertinente ?

- Mes amis m'appellent Gilou … pour toi ce sera juste Giles.

- Et dis-moi, Giles, tu le connaissais, toi, le mec qui s'est fait descendre ?


oOo


- Qu'est-ce que vous faisiez dans ce hangar la nuit dernière ?

- Détachez-moi Delambre.

- Pas avant que vous n'avez répondu à mes questions.

- C'est un ordre.

- Vous n'avez aucun ordre à me donner, durant cette affaire vous n'êtes qu'un témoin, du moins je l'espère.

Disant cela, elle avait quitté sa place face à lui pour contourner la table et se trouver à ses côtés. Même avec elle si près, Caïn ne pouvait rien faire. Elle avait demandé à ce qu'il soit bien attaché.

- Je repose donc ma question. Que faisiez-vous dans ce hangar ?

- Vous allez le regretter Delambre.

Elle était passée derrière lui. De peur d'aggraver son mal de crâne lancinant, Caïn ne regardait que son reflet dans le miroir teinté et faisait semblant de ne pas voir Jacques, posté dans l'ombre de la pièce.

- La victime s'appelait Pierrick Rannou. C'était un gars de chez nous en infiltration. Quelqu'un l'a sévèrement battu avant de lui faire ingérer une dose létale de stupéfiants.

- Vous n'y êtes pas du tout. Réfléchissez un peu. Vous n'avez pourtant que ça à foutre. La personne qui l'a dérouillé et son meurtrier ne sont pas les mêmes. Maintenant détachez-moi bordel.

- Fred. Dis nous ce que tu sais.

- Pourquoi est-ce que je saurais quoi que ce soit ? Je ne suis qu'une loque de camé.

- Justement. Tu sais très bien que tu ne peux pas me mentir quand tu es défoncé.

Effectivement. C'est la première chose à laquelle Caïn avait songé quand il avait vu Jacques dans la pièce. C'était une capacité qu'il partageait avec Gaëlle. Cela ne le forçait en rien à parler mais l'un de ces gars avait tué un flic. Le plus important était de le coincer.

- C'est moi qui ai tabassé votre Pierrick. Il n'a pas vraiment apprécier que je lui … emprunte sa copine. Il s'est énervé, on en est venu aux mains. C'était une grande gueule mais rien dans les bras.

- Vous êtes malade capitaine !

- Et sa copine, c'est qui ?

- C'est Reine, la femme qui est enfermée avec nous.

- Une dernière chose, pourquoi est-ce que tu étais dans le hangar et pas aux Enfers ?

- Je sais plus. J'ai dû suivre Louis ou Reine.

Derrière lui, Delambre avait dû faire un geste car le regard de Jacques dévia rapidement sur elle avant qu'un officier ne rentre dans la salle d'interrogatoire.

- Ah non. C'est elle qui veut me mettre en cabane. C'est elle qui m'y conduit.

Il n'allait évidement pas tenter de s'enfuir même si un détour par le frigo semblait une bonne option. Caïn se contenterait de petits plaisirs. Il marchait juste devant elle, tantôt l'empêchant d'avancer correctement avant de presque la tracter.

De nouveau en cellule, il jaugea les autres. Ils occupaient le banc comme d'autres une place forte si bien que Caïn n'hésita pas beaucoup avant de s'allonger à même le sol. Il commençait déjà à ronfler quand un sergent vint chercher Reine.


oOo


- Jacques ! Jacques ! JACQUES !

- Ça va pas Fred ! On t'entend gueuler dans tout le SRPJ.

- Vous n'aviez qu'à pas laisser vos portes ouvertes.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

- J'ai envie de chier.

- Et c'est pour ça que tu m'appelles ?

- Ouais. On est pote. Su quelqu'un doit m'accompagner au petit coin, je préfère que ce soit toi.

Caïn afficha un sourire très satisfait en se faisant conduire aux toilettes comme un enfant. Il prit soin de laisser la porte entrouverte pour faire la discussion malgré le fait que son ami ne fut pas des plus loquaces.

- J'ai rien bouffé depuis hier, J'ai faim.

- Bon tu vas arrêter de te foutre de ma gueule. Si tu m'as appelé pour que je te sorte, c'est pour une bonne raison alors crache le morceau.

- On n'a plus le droit de vouloir passer du temps avec son meilleur ami ?

- Fred …

- Ça va. Reine, Martin et Giles sont tendus. Depuis que vous avez commencé à appuyer sur les raisons de l'infiltration de Pierrick. Ils parlent beaucoup entre eux quand ils nous pensent endormis, moi et Louis. Giles et Reine ont l'air d'être des durs à cuire. Si vous voulez obtenir quelque chose c'est par Martin qu'il faudra passer.

- Autre chose ?

- Je me suis souvenu que c'était Reine qui était venue me draguer sous le nez de son mec.

- Elle savait qu'il était jaloux.

- Et Louis a pu lui dire que j'avais le sang chaud.

- Elle voulait que vous vous battiez. Si elle avait prévu ça à l'avance, elle planifiait peut-être de te faire porter le chapeau.

- Les sacoches de ma moto !

- Elle aurait pu y mettre le poison pour te coincer. Je vais envoyer une équipe pour vérifier ça.

- Du coup, je peux …

- Non. Tant que l'affaire n'est pas résolue tu restes au trou.

Même si Caïn enrageait de se retrouver une nouvelle fois enfermé, il eut au moins le réconfort d'avoir son propre plateau-repas à midi. Il le dévora en un instant avant de recommencer à prétendre dormir.


oOo


- Vous êtes libres.

- Vraiment ?

- Non pas vous. Seulement le capitaine Caïn et monsieur Louis Vignac. Vous autres, nous vous gardons au chaud pour le meurtre avec préméditation de l'agent Pierrick Rannou.

Caïn n'avait pas attendu si longtemps pour se tenir le long de la porte, prêt à sortir. Louis s'était timidement relevé et mit derrière lui. Cela faisait trois jours que le capitaine passait le plus clair de son temps à faire semblant de dormir.

Ils avaient enfin résolu l'affaire avec tous les renseignements qu'il ne cessait de leur donner. Quand il regarda son téléphone, Caïn vit qu'il avait quelques messages de Ben mais aucun de Gaëlle. Il ne réfléchit pas plus et prit la direction de la maison de sa femme.  


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