Vice-versa

Chapitre 13 : Bal dansant

1720 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/03/2020 22:32

- Delambre, Caïn, venez ici.

Les capitaines se tournèrent d'un seul mouvement vers le commandant. Qu'il veuille les voir tous les deux n'avaient rien de surprenant, cependant ils n'avaient aucune affaire en cours. Moretti tendit au premier arrivé un flyer.

- Une soirée communale ? Avec buffet et piste de danse dans la salle des fêtes ? Qu'est-ce que c'est que ça Jacques ?

- Tu vas y aller ?

Le capitaine fit les yeux ronds alors qu'il entendait Delambre pouffer derrière lui. Elle riait beaucoup moins quand le commandant les désigna tous les deux.

- Vous allez y aller ?

- Pardon mais je ne vois pas ce qu'on irait faire au bal de la commune.

- J'allais y venir. Vous surveillerez la présence de cet homme. Je ne peux pas vous en dire plus mais j'ai besoin de savoir s'il est venu, combien de temps il est resté et avec qui il a parlé.

- Pourquoi nous ? Caïn et moi ?

Jacques se tourna pour lui répondre qu'ils étaient deux agents en qui il avait entièrement confiance et qui ne posaient pas de questions avant de s'exécuter. Caïn resta fixé devant lui. La façon dont Delambre avait dit cela trahissait sa révulsion. Ce qui gênait le capitaine s'était de ne pas savoir si son dégoût allait uniquement à la fête ou au fait de devoir y aller avec lui.


oOo


- Et bien alors capitaine, vous ne vous joignez pas à la fête ?

- Très drôle, capitaine.

Caïn avait remarqué qu'elle s'était mise dans un coin de la pièce, non loin de quelques péquenauds qui ne savait pas danser. Sur la lumière tamisée, elle passait presque inaperçu. C'était une grave injustice que Caïn se devait de réparer.

S'il lui avait demandé son avis, elle aurait dit non à coup sûr. C'est pourquoi il ne le fit pas. Au lieu de ça, il préféra se lancer, sans réfléchir aux conséquences, ni à toutes ses barrières qu'ils avaient mis entre eux et qu'il allait réduire en miettes.

Cela faisait bien longtemps que le capitaine ne se souciait plus de ce genre de choses. Et encore moins depuis que Gaëlle n'était plus là pour lui passer de savon en rentrant. Il se pencha, passa rapidement un bras autour de la taille de Delambre et la souleva de son fauteuil.

Au moment de quitter le sol, la capitaine glapit et s'accrocha à lui, par réflexe plus que par envie. Ses protestations attirèrent l'attention de quelques personnes autour d'eux. Caïn avait misé une grande partie de son non-plan sur le fait que Lucie ne chercherait pas, dans cette position, à se mettre plus que nécessaire sous le feu des projecteurs. En effet, elle ne se débattit pas et attendit que tous retournent à leurs occupations avant de murmurer.

- Reposez-moi dans mon fauteuil.

- Essayez de répéter ça avec un peu plus de volonté pour voir.

- Bordel Fred, si tu ne me lâches pas tout de suite, je te le ferais regretter jusqu'à la fin de tes jours.

Au lieu de prendre au sérieux les menaces qui lui étaient faites, Caïn réajusta sa prise autour de la taille de sa partenaire et commença, avec un sourire carnassier, à se déplacer au rythme de la musique. Ils savaient tous les deux qu'il aurait eu du mal à la garder dans ses bras si elle ne l'avait pas aidé un tant soit peu.

- Qu'est-ce qui vous prend ?

Caïn aurait presque ri de l'entendre si surprise. Alors comme ça, Delambre ne concevait pas qu'il puisse être autre chose qu'un partenaire tyrannique. Et c'est elle qui criait aux clichés ?

- N'importe quel homme s'indignerait de voir une telle beauté laissée dans l'ombre.

- Ne me faites pas rire. Qu'est-ce que vous avez pris quand j'avais le dos tourné ?

Un changement de musique lui accorda l'occasion de ne pas répondre. Cela faisait quelques temps déjà qu'il ne touchait plus à la daube, mais elle n'avait pas besoin de le savoir. Cela rendrait peut-être les choses plus faciles car l'air était au slow et il n'avait aucune envie de la laisser partir maintenant.

Caïn dansait comme d'autres marchaient ou respiraient. Chaque mouvement était aussi naturel que calqué sur la musique. Il n'aurait pu faire croire à personne qu'il était débutant. Peut-être s'en rendit-il compte car il glissa à l'oreille de Lucie :

- Tu me croirais si je te disais que c'est Gaëlle qui adorait danser ?

- Pas le moins du monde. En revanche, je veux bien croire que ta femme aimait danser avec toi.

- Mon ex-femme.

- Tu as signé les papiers ?

- Parlons d'autre chose. Ou ne parlons pas du tout.

Il la garda dans ses bras jusqu'à ce que ceux-ci lui fasse un mal de chien. Caïn se battit jusqu'au dernier instant avant de devoir se résigner à la reposer dans son fauteuil. Il essayait de ne pas paraître trop essoufflé mais comme ils avaient été parmi les derniers sur la piste, il ne restait plus grand monde pour faire diversion.

Dès qu'il vit Lucie commencer à bailler, il l'invita à le suivre et ils sortirent. De plus en plus, le capitaine délaissait sa moto adorée pour une vieille Saab décapotable jaune qu'il avait acheté pour une bouchée de pain. Il n'aurait jamais avoué avoir pensé à Lucie en achetant cette auto mais il est vrai que, depuis qu'il l'avait, il pouvait traîner la capitaine partout avec lui.

C'est ce qu'il avait fait ce soir. Il s'installa côté conducteur alors que Lucie démontait son fauteuil côté passager. Il la sentait moins vaillante qu'à l'habitude. Elle avait dû fatiguer elle-aussi, mais, s'il en croyait le sourire sur son visage, il n'avait rien à regretter.

Il la reconduisit doucement jusqu'à chez elle et s'aventura même à l'escorter jusqu'à son perron. Alors qu'il allait partir, elle le retint.

- Fred ! … Merci. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie … comme ça.

- Moi aussi, lui répondit-il avec un demi-sourire.


oOo


Caïn ferma la porte de la salle d'interrogatoire derrière lui. Son suspect était un petit merdeux arrogant mais il finirait bientôt en prison pour le meurtre de sa sœur. Lucie n'était pas avec lui. Elle était partie dénichée la preuve qui leur manquait.

- Bon Tony, je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire toi et moi.

- Ouais, cap'taine. Commençons par votre petite collègue. Elle est pas moche hein, mais moi ça me fait pitié les gens comme ça. Une fois qu'ils sont foutus, il faudrait s'en débarrasser. Surtout celles avec un si joli minois, ça nous donnerait presque envie de faire des bêtises … enfin si tant est qu'on soit assez tordu pour vouloir de quelqu'un comme …

Le capitaine avait bien essayé de se retenir. Il avait enfoncé la pointe de son crayon dans sa paume jusqu'au sang. Mais ces tentatives n'avaient réussi qu'à renforcer l'explosion de sa colère. En se levant il se cogna violemment un genou dans la table mais ne sentit rien. Il attrapa son suspect par le col, le souleva en déchirant son vêtement, avant de le plaquer au mur, juste assez haut pour que ses pieds ne touchent pas le sol.

- Ferme ta gueule. Les mecs comme toi ne devraient même pas avoir le droit de l'ouvrir. Tu débites un nombre incalculable de conneries à la minute. Tu ne sais rien de Lucie et tu ne comprendras jamais sa force. Elle est plus belle que tout ce à quoi tu pourras jamais prétendre. En sa présence tu devrais baisser les yeux au sol pour ne pas la salir avec ton regard de larve et fermer ta gueule pour le pas la tacher avec ta bave de crapaud. Tu as de la chance d'avoir tué ta sœur, ça te permettra d'aller en prison. Sinon je me serais bien chargé de ton cas. Peut-être même que je devrais te donner ta leçon ici et maintenant …

- Fred !

Avant même que Lucie n'est terminée de prononcer son nom, il avait lâché Tony. Ce dernier s'écroula par terre. Il avait pris une teinte dangereusement pivoine et toutes les veines de son crâne saillaient. Sans parvenir à respirer normalement, il crachait pour faire entrer l'air dans ses poumons. Fred lui tremblait encore de rage.

- Tu es complètement dingue ! On aurait fait comment pour l'inculper si tu l'avait tué ?

Fred était dans un état second. Seules les paroles de Lucie l'atteignaient, le reste n'était que brouillard. Malgré son fauteuil, elle lui paraissait soudain bien plus imposante que lui-même. Il l'aurait fait. Il aurait tué cet homme à mains nues si elle lui avait laissé quelques minutes de plus. Il ne se sentait même pas coupable, simplement abasourdi qu'on puisse vouloir la mort de quelqu'un avec tant de force, si rapidement.

- Sors.

Il obéit à Lucie comme à un ordre divin et la laissa seule avec leur suspect, toujours plié en deux sur le sol. Fred s'installa sans attendre derrière la vitre sans teint et la regarda faire. Elle obtint les aveux de Tony qui ne montrait plus aucune résistance. Il paraissait même soulagé de pouvoir aller le plus rapidement possible derrière les barreaux.

Fred ne put s'empêcher d'éprouver un sentiment de fierté en voyant que le meurtrier n'osait plus regarder Lucie en face. Il restait recroquevillé sur lui-même de façon à rester toujours plus bas qu'elle. Au moins aurait-il appris une leçon.


oOo


- Non mais ça va pas Fred ! Lucie m'a tout raconté. Tu as de la chance qu'elle soit revenue à temps pour observer ton interrogatoire sinon ce gars serait mort. Elle a refusé de me dire ce qui t'a pris dans cette salle.

- Je crois que je deviens fou, Jacques.   


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