Résilience

Chapitre 0 : Prologue : Raven-Six ne tombera pas

3004 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/12/2025 08:44

Le désert s’étendait devant eux, avalant la lumière derrière une poussière brûlante. Le vent soulevait des volutes de sable qui venaient fouetter leurs visages, s’infiltrant jusque dans leurs gilets tactiques et collant à leur peau moite. Les grains s’accrochaient aux lèvres, crissaient entre les dents, et laissaient derrière eux un goût métallique, presque âcre. Au loin, les dunes ondulaient sous la chaleur comme une mer pétrifiée, chaque crête scintillant d’or et d’ocre sous un soleil impitoyable, comme si le monde entier avait été sculpté dans une seule nuance de feu. L’horizon tremblait, flou, avalé par la réverbération, donnant l’impression qu’un mirage liquide coulait au bord du ciel. Alex ajusta son fusil sur son épaule, sentant le métal brûlant contre la toile rugueuse de son uniforme, qui lui collait à la peau comme une seconde armure. Une odeur de poussière, de sueur et de chaleur sèche imprégnait l’air, mêlée à celle du cuir chauffé et du plastique solaire de leurs équipements. Son souffle sortait court, alourdi par la température, mais un sourire accroché aux lèvres venait chasser l’austérité de la scène. Une mèche noire s’échappa de sa capuche tactique, battue par le vent comme un drapeau obstiné.

« Ok les gars, je pari que je vous bats encore au tir à la cible ? » lança-t-elle, moqueuse, sa voix étouffée par le souffle du vent qui emportait ses mots en lambeaux.


Ses yeux bleus plissés par le soleil reflétaient la lueur espiègle qui ne la quittait presque jamais sur le terrain, un éclat de défi dans l’immensité écrasante du désert.

« Dans tes rêves, Severide ! » ricana Carter, son meilleur ami depuis trois ans de missions.


Sa silhouette massive se détachait sur le ciel blanc, drapée de poussière comme s’il portait un voile sableux. Ses lunettes tactiques accrochaient la lumière, dévoilant un éclat malicieux, presque enfantin malgré la rudesse du lieu. Son fusil battait contre sa hanche, heurtant son gilet dans un cliquetis mécanique, familier, rassurant. Autour d’eux, l’équipe s’était dispersée dans un demi-cercle, chacun examinant la zone, mais les visages détendus trahissaient une rare respiration dans le chaos habituel des opérations. Les pas s’enfonçaient dans la poussière, soulevant de petits nuages dorés à chaque déplacement. Le ronronnement lointain d’un véhicule militaire se fondait dans le bourdonnement du vent, presque oublié, tandis qu’un rapace solitaire tournoyait lentement au-dessus d’eux, dessiné en ombre chinoise contre l’azur éblouissant. Les rires s’enchaînèrent. C’était léger, presque irréel, comme si la guerre s’était tue l’espace d’un instant, comme si elle retenait son souffle. Les fusils suspendus sur leurs épaules semblaient moins lourds, les cicatrices du passé un peu moins brûlantes, et même les souvenirs les plus sombres perdaient de leur emprise. Même le soleil, pourtant impitoyable, paraissait ralentir sa course, offrant à l’équipe un fragment d’humanité au milieu du néant écrasant, un instant suspendu dans un monde qui, d’ordinaire, ne laissait aucune place à la douceur.




Un sifflement. Un son aigu, presque irréel, déchirant l’air brûlant comme une lame, un sifflement si fin qu’il sembla d’abord n’être qu’un mirage sonore, un fantôme porté par le vent. Puis un claquement sec, brutal, résonnant dans le silence écrasé de chaleur, comme un marteau frappant du métal, renvoyant un écho brutal contre les dunes, comme si le désert lui-même venait de se fendre. Alex sentit quelque chose entrer dans son dos, juste au-dessus des reins. Un choc sec, suivi d’une brûlure atroce qui lui arracha le souffle, comme si une barre de fer incandescente venait de traverser sa chair et de s’enfoncer directement dans ses os. La sensation se propagea d’un coup, fulgurante, irradiant à travers ses muscles tétanisés, paralysant chaque nerf le long de sa colonne. Elle bascula brutalement en avant et s’effondra à genoux, les mains plantées dans le sable brûlant qui colla à ses paumes tremblantes, abrasant sa peau. L’air refusait d’atteindre ses poumons, chaque inspiration était un combat, un mur invisible lui écrasant la poitrine, un vide s’ouvrant à l’intérieur.

« Alex ! » hurla Carter en se précipitant vers elle, sa voix brisée par la panique, déformée par la réverbération du désert, comme si elle venait de très loin, traversant une mer de chaleur.



Mais des silhouettes surgirent de l’ombre des dunes, comme vomies par la poussière, indistinctes, mouvantes, presque fantomatiques, leurs contours ondulant sous la chaleur. Leurs gestes étaient rapides, mécaniques, précis, comme exécutés par des ombres sans âme. Des rafales crépitèrent, déchirant l’air dans une série de détonations sèches qui martelaient les tympans. Les balles frappaient le sol autour d’eux, soulevant des gerbes de sable et de sang mêlé, pulvérisant des éclats brûlants contre leurs visages. Les cris se mêlèrent aux impacts, aux corps qui s’écroulaient lourdement dans la terre chaude, leurs gilets martelés par la pluie métallique qui résonnait comme du tambour sur une armure. Alex tendit la main vers son arme, mais ses doigts tremblaient, glissant sur la crosse ensablée, incapables de la saisir. Ses articulations refusaient d’obéir, comme si ses mains n’étaient plus qu’un prolongement inerte, privé de volonté. Une douleur atroce irradiait dans son bas du dos, paralysante, tirant ses nerfs comme des fils sur le point de rompre, pulsant au rythme affolé de son cœur.

« Non… non, non… » murmura-t-elle, sa voix étranglée, dans sa gorge sèche, en voyant ses frères d’armes tomber un par un dans un ballet macabre, leurs silhouettes s’effondrant comme des marionnettes dont on coupait les ficelles.


Les corps roulaient dans la poussière, soulevant des nuages rougeâtres, comme si le désert buvait leur vie. Des gouttes chaudes éclaboussèrent son visage. Lourdes. Épaisses. Collantes. Sang. Le sang des siens. Elle en reconnut l’odeur métallique, presque sucrée, qui se mêlait à la poussière brûlée, formant une vapeur chaude qui lui collait à la peau et lui piquait les yeux. Elle essaya de ramper, agrippant le sable avec ses ongles, les grains s’incrustant sous ses doigts, laissant derrière elle une trace incertaine, désespérée, d’en sauver au moins un. Sa respiration se déchirait, un râle, un sanglot arraché, chaque mouvement tirant sur la blessure qui pulsait comme un feu vivant. C’était impossible. Le monde devint flou, se dissolvant comme une peinture noyée sous l’eau, les contours se liquéfiant dans une lumière blanchâtre, puis noir. Ses bras se relâchèrent, mais elle tenta encore de les tendre vers eux dans un geste dérisoire, ultime, presque instinctif. Elle s’affaissa lentement, s’effondra sur le corps de Carter, sentant la chaleur du sang se mêler au sable sous elle, les yeux déjà noyés dans l’obscurité, les bras encore tendus vers eux, comme figés dans une dernière prière.




Des pas lourds approchèrent, écrasant le sable avec un rythme régulier, martial, comme des marteaux battant la terre brûlée. À chaque impact, des petits nuages de poussière s’élevaient, retombaient, se glissaient dans l’air saturé de chaleur. Alex percevait à peine le sol vibrer sous elle, comme une résonance lointaine, mais chaque choc semblait se propager dans sa poitrine, répercuté par ses côtes meurtries, comme si son propre cœur tentait d’imiter le pas des silhouettes approchantes. Sa joue collée contre le sable en sentait la chaleur, comme si le désert voulait la garder dans son étreinte mortelle. Une nouvelle salve éclata, sèche, précise, tranchant le silence d’un claquement métallique. L’écho résonna contre les dunes, comme un coup de tonnerre compressé. La poussière retomba lentement autour d’elle, par petites vagues, et malgré le voile noir qui gagnait son regard, elle distingua des silhouettes s’effondrer, les ennemis tombant, les uns après les autres, comme fauchés par une main invisible. Leurs corps heurtaient le sol dans un bruit sourd, avalé presque instantanément par le sable. L’air vibrait encore du recul des armes, chargé d’odeur de poudre, d’huile brûlée et de chaleur métallique. Une voix étrangère, sèche, autoritaire, brisa le chaos, comme une coupure nette dans le vacarme.

« Zone sécurisée ! »



Puis un souffle près de son oreille, si proche qu’elle sentit la chaleur d’un visage, peut-être un casque contre sa joue ensanglantée, le contact froid du métal contrastant avec le sang chaud qui coulait le long de sa tempe.

« Raven-Six est vivante ! On a besoin d’un hélico, maintenant ! »


Elle sentit qu’on la soulevait, que ses épaules étaient tirées vers l’arrière, que sa colonne protestait. Ses muscles hurlèrent aussitôt sous le mouvement, son corps entier semblait se déchirer. La douleur la traversa comme une lame brûlante, jaillissant dans tout son corps, remontant dans sa nuque comme un éclair rouge. Le monde vacilla, se dédoubla, se brouilla comme une image fondue par la chaleur, les contours se dissolvant en silhouettes floues, mouvantes, irréelles. Une seule pensée resta, accrochée à ce qui lui restait de conscience, un nom qui vibra dans son crâne comme un écho obstiné, comme si sa mémoire entière s’était réduite à ce seul point fixe. Kelly… La seule personne à qui elle tenait vraiment. Le seul ancrage au milieu de ce désert rouge, ce désert qui voulait tout engloutir, même les souvenirs. Puis plus rien.




L’obscurité dura une éternité. Un espace sans forme, sans son, où même ses pensées semblaient ensevelies sous une nuit lourde. Le temps n’avait plus de contours, plus de rythme, seulement une profondeur silencieuse où elle flottait, suspendue. Puis un bip régulier perça le noir, comme une corde tendue vers la surface. Bip. Silence. Bip. Une pulsation artificielle, mécanique, comme un cœur étranger battant à côté du sien. Une odeur d’hôpital, âcre, stérile, désinfectant et plastique mélangés. L’air était glacé, trop propre, presque agressif après la poussière du désert. Alex ouvrit les yeux, à peine. Ses paupières semblaient peser une tonne. Tout était blanc, flou, comme noyé dans une lumière trop vive. Les néons diffusaient un halo laiteux qui étouffait ses sens, lui donnant l’impression de respirer de la lumière plutôt que de l’air. Une silhouette assise près d’elle. Immobile, penchée, silencieuse. Le contour se précisa lentement, comme un souvenir qui remonte à la surface. Elle la connaissait par cœur, jusque dans les gestes, jusque dans la façon de respirer.

« Kelly…? »



Sa voix était à peine un souffle, rugueuse, étranglée, comme si elle n’avait pas parlé depuis des années. Il sursauta, releva brusquement la tête, puis posa sa main sur la sienne, doucement, comme s’il avait peur de la briser. Ses doigts étaient chauds, solides, ancrés dans une réalité qu’elle croyait perdue.

« Je suis là, Lexi… Je suis là. »


La chaleur de sa présence traversa la torpeur, dégageant une brèche dans la brume qui l’enveloppait. Elle distingua une seconde ombre, plus distante, une silhouette debout, comme figée en retrait. Son père. Elle reconnut sa carrure, cette posture tendue, contrôlée, comme s’il essayait de dominer tout ce qu’il ressentait. Elle voulut lui parler, mais aucun son ne sortit. Sa gorge resta muette, scellée. Seul un souffle étranglé réussit à s’échapper, perdu dans le bourdonnement sourd des machines.




Plus tard, son commandant entra. La porte s’ouvrit dans un léger grincement, grattant le silence comme un ongle contre du métal, et ses bottes amorties par le sol vinrent briser le calme artificiel de la chambre. Une odeur de désinfectant et de linge propre emplissait l’air, contrastant avec son uniforme couvert de poussière séchée, comme s’il ramenait un morceau du dehors dans cet espace aseptisé. Son visage était fermé, presque cassé, comme s’il portait lui-même le poids de ce qu’il s’apprêtait à dire. La peau tirée, les joues creusées, la barbe mal rasée, il semblait avoir vieilli de plusieurs années depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. Ses yeux rouges, cernés, trahissaient des nuits sans sommeil, et sa mâchoire crispée vibrait d’une tension mal contenue, comme un barrage sur le point de céder.

« Alexia… je suis désolé. Toute ton équipe… aucun n’a survécu. »


Les mots tombèrent dans l’air comme des pierres, lourds, irréversibles, se réverbérant contre les murs blancs qui semblaient soudain trop étroits. Elle sentit quelque chose se déchirer en elle, un bruit sourd, intérieur, comme une corde qu’on rompt dans son ventre. Puis plus rien, juste un vide. Un gouffre qui s’ouvrait et aspirait tout, même la douleur. Plus profond que la balle, plus profond que toutes les cicatrices qui marquaient déjà son corps, comme si son âme venait d’être perforée à son tour. Un silence s’ouvrit en elle, glacé, sans fond, étendant son ombre jusqu’à ses doigts engourdis.

« Non… » murmura-t-elle, mais sa voix n’était qu’un souffle, une plainte étouffée qui s’écrasa contre ses lèvres.


Ses doigts se crispèrent sur les draps, froissant le tissu rugueux, comme si elle cherchait quelque chose à retenir, quelqu’un à retenir, un dernier lien avec eux.

« Nous ne pouvons pas te réintégrer. Pas maintenant. Peut-être jamais. »



Il marqua une pause, baissa légèrement la tête, comme s’il cherchait les mots qui feraient le moins mal, mais aucun n’existait. Son regard se détourna une seconde vers le sol, puis vers les machines, comme s’il voulait fuir la vérité qu’il venait de prononcer. L’espace entre eux semblait se remplir d’une douleur silencieuse, suspendue, impossible à nommer, une tension palpable qui compressait l’air dans la pièce.

« Ton père et moi avons trouvé une solution. Le Service des incendies de Chicago. Caserne 51. Tu rejoindras ton frère. Une nouvelle unité. Une nouvelle vie. Dès que tu seras rétablie. »


Il parlait lentement, presque avec précaution, comme si chaque mot était un pas dans un champ de mines, redoutant l’explosion émotionnelle qui pourrait suivre. Les mots “nouvelle vie” résonnèrent en elle comme un bruit lointain, étouffé, un écho perdu dans un tunnel obscur. Elle ne ressentit qu’un vide opaque, une absence. Elle ferma les yeux. Une lourdeur écrasante se posa sur sa poitrine, comme une pierre qu’on y enfonçait, l’empêchant de respirer pleinement. La guerre n’était plus dehors. Elle était en elle. Tapie dans chaque souvenir, chaque battement, chaque respiration. Et elle savait, au fond, qu’elle y resterait.




Trois mois plus tard, Chicago respirait une brise froide. L’air chargé d’humidité venait mordre les joues, glissant comme une lame glacée sur sa peau, emportant avec lui l’odeur distante du lac et les parfums métalliques de la ville. Les immeubles projetaient des ombres longues sur le trottoir, étirées comme des doigts sombres cherchant à saisir les passants. Un ciel gris, presque argenté, s’étendait au-dessus d’elle, menaçant de pluie, lourd comme un couvercle suspendu prêt à s’abattre sur la ville. Devant elle, la façade imposante de la caserne 51. Le bâtiment se dressait comme une forteresse de briques rouges, austère et pourtant rassurante, un socle solide face au vent glacial. Les grandes portes, d’un rouge profond, semblaient prêtes à s’ouvrir à tout moment, comme un souffle retenu avant l’action. Les lettres blanches, légèrement usées par le temps, semblaient la scruter, peser chacun de ses pas, comme un rituel silencieux qu’elle devait franchir pour être acceptée. Sa main trembla légèrement lorsqu’elle serra la sangle de son sac, les fibres rugueuses du tissu frottant contre ses doigts engourdis par le froid. La boucle métallique tintait doucement, rappel discret du matériel qu’elle avait porté trop longtemps sur des terres bien différentes. Une douleur fantôme traversa son dos, fulgurante, comme une décharge électrique venant du passé, lui rappelant ce qu’elle avait perdu. Ce qu’elle avait laissé dans ce désert de poussière et de sang, avec ceux qui ne reviendraient jamais. Elle inspira profondément. L’air glacé envahit ses poumons, brûlant presque autant que la chaleur du sable qui hantait encore sa mémoire, comme si les deux mondes se heurtaient à l’intérieur d’elle. Nouvelle vie, hein…? Elle poussa la porte. Le battant lourd émit un souffle mécanique, comme si le bâtiment respirait, accueillant ou hésitant. Le craquement du métal s’étira dans le hall, résonnant doucement, comme une annonce discrète de son arrivée. Le début venait de recommencer. Une page, fragile, prête à se tourner… ou à se déchirer. Une frontière fine entre ce qu’elle était encore et ce qu’elle devait devenir.


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