Dans l'ombre de Chicago

Chapitre 1 : Prologue : Là où tout commence

3663 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/12/2025 07:00

Le ciel de Chicago était bas, écrasant, d’un gris sale qui semblait s’abattre sur la ville entière comme un couvercle trop lourd. L’air était saturé d’humidité, épais, presque irrespirable, et les nuages s’étaient amassés sans laisser la moindre échappatoire, étirant leur masse sombre à perte de vue. La pluie tombait sans relâche, froide et méthodique, glissant le long des manteaux sombres, s’infiltrant dans les cols, rythmant l’instant d’une cadence funèbre, lente et implacable. Les gouttes s’écrasaient sur les parapluies noirs alignés devant le cimetière militaire, dessinant une mer sombre et immobile. Chaque impact résonnait dans un murmure sourd, presque solennel, comme si même la pluie avait compris qu’ici, aucun bruit ne devait dépasser l’autre. Le vent faisait frissonner les silhouettes figées, soulevant parfois le bord d’un manteau, froissant les tissus déjà lourds d’eau et de chagrin. Au centre de l’allée, le cercueil reposait, immobile, imposant dans son silence. Il était recouvert du drapeau américain, dont les couleurs semblaient presque trop vives dans cette grisaille omniprésente. Le tissu était parfaitement tendu, sans le moindre pli, impeccable jusque dans les moindres détails. Une perfection presque indécente face à la violence de l’absence qu’il recouvrait. Sous ces étoiles et ces bandes soigneusement alignées, il n’y avait plus qu’un corps, et tout ce qu’il ne dirait plus jamais. De part et d’autre, les soldats formaient une haie d’honneur irréprochable. Alignés avec une précision quasi mécanique, ils se tenaient droits, immobiles, le regard fixé devant eux. Leurs visages étaient fermés, taillés dans une discipline absolue, façonnés pour ne rien laisser transparaître. Aucun ne pleurait. Aucun ne vacillait. Pourtant, derrière chaque regard figé, le même poids pesait, lourd et invisible. Celui de la perte, de l’injustice, du devoir qui continue même quand l’un des leurs ne se relèvera plus. Le Major John Brooks était tombé en service. Et dans le silence épais du cimetière, cette vérité résonnait plus fort que n’importe quelle salve d’honneur.




Au premier rang, Ally Brooks se tenait immobile, comme ancrée dans le sol détrempé, tandis que, juste à côté d’elle, Kim Burgess, sa meilleure amie, et Adam Ruzek, le fiancé de cette dernière, étaient assis en silence, leur présence fidèle et protectrice, veillant sur elle sans prononcer un mot. Elle ne bougeait pas, pas même lorsque la pluie glissait le long de ses épaules ou que le vent venait fouetter le tissu de son uniforme. Vingt-quatre ans à peine, et déjà confrontée à l’irréversible, à cette frontière brutale entre l’avant et l’après, qu’aucun entraînement ne prépare réellement à franchir. Elle était droite. Trop droite. Sa posture était si rigide qu’elle semblait presque douloureuse, comme si son corps entier était tendu par une volonté farouche de ne pas céder. La moindre faiblesse, le plus infime relâchement, et tout risquait de se fissurer. Son uniforme sombre épousait sa silhouette mince avec une précision presque sévère, chaque couture, chaque pli parfaitement en place, à l’image de la discipline qu’elle s’imposait. Rien ne dépassait. Rien ne trahissait le chaos intérieur. Ses mains étaient jointes devant elle, doigts entrelacés, serrés avec une force qu’elle ne soupçonnait pas elle-même. Les jointures blanchissaient sous la pression, preuve muette de l’effort qu’elle fournissait pour rester debout, pour ne pas laisser ses émotions prendre le dessus. Ses yeux gris, d’un éclat métallique, restaient fixés sur le cercueil. Ils ne cillaient pas. Ils ne fuyaient pas. Elle affrontait cette vision, comme on affronte un ennemi, avec une détermination presque douloureuse. Elle n’avait pas pleuré. Pas encore. Son visage demeurait fermé, maîtrisé, presque dur, comme sculpté dans la pierre. Les traits étaient tirés, la mâchoire crispée, les lèvres serrées en une ligne fine. Mais sous cette façade contrôlée, la douleur grondait, sourde et violente, prête à éclater au moindre faux pas. C’était une souffrance profonde, sauvage, contenue par des années d’apprentissage et de silence. Ally avait grandi avec cette idée gravée en elle. On ne plie pas. On encaisse. On reste debout, quoi qu’il arrive. Peu importe la tempête, peu importe la perte. C’était ainsi qu’on lui avait appris à survivre, et aujourd’hui encore, elle s’y accrochait de toutes ses forces. Une rafale de vent fit légèrement claquer le drapeau sur le cercueil, brisant l’immobilité de l’instant. Ally inspira lentement, profondément, comme on le lui avait enseigné. Remplir ses poumons. Contrôler. Se maîtriser. Tenir. Ne pas flancher. Pas ici. Pas maintenant.




À quelques mètres derrière elle, Jay Halstead retira lentement sa casquette. Ses doigts se refermèrent un instant sur le tissu humide avant qu’il ne la tienne contre sa poitrine. Le geste était solennel, presque mécanique, hérité de l’entraînement et des années de service, mais son regard, lui, n’obéissait plus à aucune consigne. Il s’attarda sur la jeune femme au premier rang, immobile sous la pluie, droite comme un soldat face à l’ennemi. Il la reconnut aussitôt. La même mâchoire déterminée, légèrement crispée, comme sculptée par la volonté plus que par la génétique. La même nuque droite, tendue, incapable de plier même sous le poids du chagrin. La même fierté silencieuse, farouche, qui refusait de céder, même face à l’effondrement. Les traits du Major John Brooks, sans le moindre doute. La gorge de Jay se serra douloureusement. Sa respiration se fit plus lourde tandis que les souvenirs affluaient, violents et d’une précision cruelle. Le fracas des armes, la poussière, l’odeur de la poudre. Des ordres hurlés sous le feu ennemi, toujours clairs, toujours maîtrisés. La voix du Major, calme au milieu du chaos, capable de ramener l’ordre quand tout sombrait. Et cette main, ferme, solide, qui l’avait agrippé et tiré hors de la mort, sans hésitation, sans regard en arrière. Ils avaient servi ensemble. Ils avaient combattu côte à côte. Ils avaient survécu ensemble. Du moins, il l’avait cru. Parce qu’au final, lui était rentré. Il avait foulé de nouveau le sol de Chicago, respiré un air sans poussière ni sang, retrouvé une vie qu’il n’était même pas sûr de mériter. Pas le Major. Lorsque la cérémonie s’acheva, le silence qui suivit pesa encore plus lourd que les salves d’honneur. Un silence épais, presque assourdissant, chargé de tout ce qui venait d’être perdu. Les soldats se dispersèrent lentement, un à un, leurs pas mesurés, chacun emportant avec lui sa propre part de peine, de colère ou de culpabilité. Jay resta immobile une seconde de plus. Son regard ne quittait pas Ally. Il hésita, comme suspendu entre le respect et le besoin irrépressible de s’approcher. Puis il inspira profondément et se décida enfin. Il s’avança avec lenteur, mesurant chacun de ses pas, respectant la gravité du moment, conscient que chaque mètre qui le séparait d’elle le rapprochait aussi un peu plus d’une douleur qu’il partageait sans encore oser la nommer.



« Mademoiselle Brooks… »


Sa voix était basse, grave, empreinte d’une retenue presque douloureuse, comme si chaque syllabe lui coûtait. Elle trancha pourtant nettement le silence ambiant, se détachant du murmure de la pluie et du bruissement des uniformes. Le son de son nom sembla vibrer un instant dans l’air, suspendu entre eux. Ally releva lentement la tête. Pendant une fraction de seconde, tout sembla s’arrêter autour d’eux. Le cimetière, la pluie, les silhouettes sombres figées dans le recueillement… tout disparut. Il ne resta plus que ce face-à-face inattendu. Le gris de ses yeux rencontra le bleu des siens. Deux regards marqués par la fatigue, par la perte, par des choses que seuls ceux qui ont vu la mort de près peuvent comprendre. Une douleur en reconnut une autre, immédiatement, sans qu’un mot ne soit nécessaire. Ally le détailla brièvement, observant la raideur de sa posture, la façon dont il se tenait, cette présence familière qu’elle avait tant vue chez son père. Et la compréhension se fit, brutale, instinctive.

« Vous étiez avec lui… » murmura-t-elle.


Ce n’était pas une question. Plutôt une certitude qui venait de s’imposer à elle. Jay hocha lentement la tête. Son regard ne la quittait pas.

« Oui. Le Major Brooks m’a sauvé la vie plus d’une fois. »


Ses mots étaient simples, dépouillés de toute emphase. Il ne cherchait ni à se justifier ni à se mettre en avant. La vérité se suffisait à elle-même. À l’évocation du Major, sa mâchoire se crispa imperceptiblement, trahissant l’émotion qu’il s’efforçait de contenir. Un silence s’installa entre eux. Un silence dense, lourd, chargé de tout ce qu’aucun mot ne pourrait jamais réparer. Le battement sourd de la pluie sembla s’y engouffrer, soulignant encore davantage l’intensité de l’instant. Puis Ally inspira profondément. Ses épaules se soulevèrent à peine, dans un effort presque invisible pour reprendre le contrôle. Contre toute attente, elle tendit la main vers lui, le geste hésitant une fraction de seconde avant de s’affirmer.

« Merci de l’avoir ramené à la maison… » dit-elle d’une voix maîtrisée, ferme malgré la fêlure qui la traversait.


Elle marqua une pause, puis ajouta, plus bas, presque dans un souffle :

« … même si ce n’était pas vivant. »


Jay serra sa main. Le contact fut bref. Mais il fut électrique. Une chaleur inattendue passa entre eux, brutale, incontrôlable. Une reconnaissance muette, née dans la perte et le deuil. Un lien fragile et puissant à la fois, forgé dans l’absence, dans une douleur commune qu’ils n’avaient pas besoin d’expliquer. Ils ne dirent rien de plus. Ils n’en avaient pas besoin. Sous le ciel lourd de Chicago, entre la pluie incessante, les drapeaux figés et les tombes alignées, le destin venait de sceller leur rencontre.




Plusieurs jours avaient passé depuis la cérémonie. Des jours lourds, étirés, où la pluie avait fini par quitter Chicago sans pour autant alléger l’atmosphère. La ville avait repris son rythme, indifférente au deuil de certains, avalant les drames comme elle l’avait toujours fait. Jay avait replongé dans le travail, les nuits trop courtes, les dossiers qui s’empilaient. Ally, elle, avait disparu de son champ de vision, laissant derrière elle cette rencontre suspendue, gravée dans un coin de son esprit sans qu’il sache pourquoi. Et puis, ce soir-là, le Molly’s était plein à craquer. Le bar bourdonnait d’une agitation familière, bruyante et réconfortante. L’air y était saturé d’odeurs de bière renversée, de bois ancien et de friture, mêlées aux rires fatigués de flics et de pompiers en fin de service. La musique montait par vagues, couvrant parfois les conversations, tandis que les verres s’entrechoquaient dans un chaos maîtrisé. Kim et Adam étaient installés au bar, deux bières entamées devant eux. Ally se tenait juste à côté, assise sur un tabouret, les mains entourant un verre qu’elle n’avait presque pas touché. Kim observait la salle d’un œil distrait, mais jetait parfois un regard furtif vers son amie, attentive au moindre signe de fatigue ou de trop-plein. Adam, lui, suivait les allées et venues avec son habituelle nonchalance, un coude appuyé contre le comptoir. Lorsque la porte s’ouvrit et que Jay entra, Adam eut un sourire en coin.

« Tu paries combien qu’il va encore rentrer seul ce soir ? » lâcha-t-il en hochant la tête dans sa direction.


Kim esquissa un demi-sourire, amusé, puis ses yeux glissèrent vers Ally… avant de revenir à Jay.

« Avec Halstead, je parie plus. »


Jay s’approcha du bar, posa un billet, commanda un verre d’un geste machinal… puis s’arrêta net. Comme si le brouhaha autour de lui s’était soudainement dissipé. Elle était là. Assise à côté de Kim et Adam, Ally releva légèrement la tête. Ses cheveux, laissés libres, retombaient sur ses épaules et adoucissaient les traits de son visage. Une veste de cuir sombre épousait sa silhouette avec une sobriété naturelle. Malgré l’atmosphère décontractée du Molly’s, elle conservait cette posture droite, presque militaire, qui la distinguait aussitôt des autres clients. Et ses yeux. Gris. Inoubliables. Elle le vit au même instant. Son regard accrocha le sien avec la même évidence que lors de leur première rencontre. Un sourire discret, presque timide, effleura ses lèvres, une expression brève, intime, qu’elle ne semblait offrir qu’à lui. Quelque chose se serra dans la poitrine de Jay. Sans même y réfléchir, il s’approcha.

« Je me disais que Chicago était devenue plus petite, » dit-il, la voix plus calme qu’il ne le ressentait.


Elle esquissa un sourire, pencha légèrement la tête.

« Ou que le destin insiste. »


Ils parlèrent. D’abord prudemment, comme s’ils marchaient sur un terrain fragile. De son père. Du service. De ce que ça laisse derrière soi. Puis de Chicago, de ses quartiers, de ses nuits trop longues et de ses silences. Ils parlèrent de tout… et de rien. De ces conversations qui glissent sans effort, où les silences ne sont jamais lourds, seulement nécessaires. A côté, Kim observait la scène, un sourcil lentement relevé. Adam pencha la tête, intrigué.

« Ok… ça, c’est nouveau. »

« Et intense, » murmura Kim sans quitter le duo des yeux.


Quand Jay se leva finalement, laissant quelques billets sur le comptoir, Ally se redressa à son tour, sans hésiter, comme si le geste allait de soi. Avant de le rejoindre, elle se pencha légèrement vers Kim et déposa un baiser rapide sur sa joue, un geste simple, familier, chargé d’une tendresse silencieuse. Puis elle se leva complètement. Leurs regards s’accrochèrent aussitôt. Le bruit du bar sembla s’effacer autour d’eux. Il n’y avait plus rien. Plus de rires, plus de musique, plus de verres qui s’entrechoquent. Juste eux.




La porte se referma derrière eux dans un claquement sourd, étouffé par l’épaisseur du silence qui envahit l’appartement. Ils ne parlèrent pas. Il n’y avait rien à expliquer, rien à justifier. Le monde extérieur disparut dans le même instant, comme si cette porte venait de couper court à tout ce qui pesait encore sur leurs épaules. Le baiser fut immédiat. Brut. Affamé. Jay la saisit par la taille et Ally se hissa presque contre lui, leurs corps se trouvant avant même qu’ils aient conscience de bouger. Leurs bouches se percutèrent avec une urgence presque violente, chargée de tout ce qu’ils n’avaient pas dit au cimetière, de tout ce qu’ils avaient retenu depuis. Sa bouche était chaude, exigeante. La sienne lui répondit sans retenue. Leurs langues se cherchèrent, s’enlacèrent, glissèrent avec une intensité qui fit frissonner la peau. Les vestes tombèrent au sol sans soin. Les mains tremblaient. Celles de Jay lorsqu’il remonta le long de son dos, sentant sous ses paumes chaque tension, chaque frisson. Celles d’Ally lorsqu’elle agrippa sa nuque, quand ses doigts se perdirent dans ses cheveux. Elle lui mordilla légèrement la lèvre et lui arracha un souffle, un grognement contenu. Le contact était électrique, leurs corps s’ajustaient avec une évidence presque troublante, comme s’ils se reconnaissaient avant même de se découvrir. Ally garda le contrôle. Du moins, elle essaya. Sa respiration resta maîtrisée, ses gestes précis… jusqu’à ce que ses lèvres quittent sa bouche de pour glisser le long de sa mâchoire, descendre lentement vers son cou. Le souffle d’Ally se brisa contre sa peau. Ses doigts se crispèrent, et quelque chose céda en elle. Un soupir lui échappa, incontrôlé, quand ses propres lèvres explorèrent, quand elle sentit la chaleur de son corps contre le sien, quand la retenue qu’elle portait depuis des jours se fissura enfin. Jay la guida avec une douceur presque inattendue, comme s’il avait craint de la briser, comme si chaque geste devait être mesuré. Il ralentissait parfois, effleurait, laissait ses mains parler à sa place. Mais Ally refusa cette distance. Elle le retint, le rapprocha, l’empêcha de reculer. Ses mains s’ancrèrent dans son dos, pressèrent, exigèrent. Elle voulait tout. Maintenant. Leurs corps se frôlèrent, se cherchèrent, se trouvèrent. Les langues glissèrent le long des peaux chauffées, suivirent les lignes de tension, déclenchèrent des frémissements incontrôlables. Chaque souffle fut plus court que le précédent. Chaque contact laissa une trace brûlante. Deux solitudes qui se percutèrent. Deux douleurs qui se reconnurent. Cette nuit-là, ils firent l’amour comme s’ils s’étaient connus depuis toujours. Avec urgence, mais aussi avec une attention presque intime, presque sacrée. Comme si, l’espace de quelques heures, ils avaient trouvé un refuge l’un dans l’autre. Sans promesses. Sans mensonges. Juste cette évidence brute, irréfutable. Et, pour la première fois depuis longtemps, la nuit ne leur sembla plus aussi lourde.




Ally ajusta son gilet pare-balles d’un geste précis, presque machinal. Le tissu rigide glissa contre son uniforme tandis qu’elle vérifiait une dernière fois les sangles, tirant dessus avec ces automatismes hérités de l’entraînement et du terrain. Chaque clic, chaque traction avait quelque chose de rassurant, de familier. Le poids de l’équipement se posa sur ses épaules, solide, ancré, presque protecteur. Une armure. Une frontière nette entre la nuit qui venait de s’achever, trop courte, trop intense, et la journée qui commençait déjà à réclamer son dû.

« 21 Adam 23, prêts à rouler. »


Sa voix traversa la radio avec une assurance parfaite, claire et professionnelle. Rien n’y transparaissait. Ni la fatigue sourde qui tirait encore ses muscles, ni les images persistantes qui affleuraient parfois sous la surface de son regard. Ally était de retour en service. Et personne, à première vue, n’aurait pu deviner qu’elle portait encore sur la peau le souvenir d’une nuit qui avait déplacé quelque chose en elle. À côté d’elle, Kim referma son propre gilet avant de lui lancer un regard en coin, faussement détaché. Elle connaissait Ally depuis assez longtemps pour repérer les nuances, les micro-variations presque invisibles.

« Alors… » commença-t-elle « t’as survécu à ta soirée ? »


Ally enfila ses gants, inspira lentement. Une hésitation infime passa dans son geste, presque imperceptible, avant qu’elle ne réponde.

« On peut dire ça. »


Kim arqua un sourcil, un sourire déjà accroché au coin des lèvres. Un sourire qui disait qu’elle n’était pas dupe.

« C’est tout ? » reprit-elle avec douceur. « Parce que, de là où j’étais, t’avais pas vraiment l’air de partir pour boire un dernier verre tranquille. »


Ally souffla doucement, secoua la tête avec un mélange d’amusement et de résignation.

« Kim… »

« J’ai rien dit, » la coupa-t-elle aussitôt en levant les mains dans un geste faussement innocent. « Je demande juste. En tant que meilleure amie. »

Un silence bref s’installa entre elles, ponctué par le bruit lointain des portières qui claquaient et des radios qui grésillaient dans le garage. Ally fixa un instant le vide devant elle, puis murmura, presque malgré elle :

« Ça s’est… bien passé. »


Kim sourit franchement. Pas de curiosité mal placée. Pas de triomphe. Juste une chaleur sincère, un soulagement discret.

« Je m’en doutais. »


Elle n’ajouta rien. Elle n’en avait pas besoin. Le ton d’Ally, la façon dont son regard s’était adouci malgré elle, suffisaient largement.



Au loin, derrière les grandes vitres de l’Unité des Renseignements, appelé aussi l’Intelligence, Jay observait la scène. Il n’était pas censé regarder. Il le savait. Mais ses yeux suivirent Ally sans qu’il puisse s’en empêcher. Il la vit monter dans la voiture, refermer la portière avec ce même calme trompeur, cette maîtrise parfaite qui masquait tant de choses. Puis, comme attirés l’un vers l’autre, leurs regards se croisèrent. Une seconde. Pas plus. Mais assez. Assez pour réveiller le souvenir encore brûlant de cette nuit partagée. Assez pour raviver cette certitude muette que quelque chose s’était déplacé, que rien n’était plus tout à fait à sa place, et qu’il était désormais impossible de faire comme si de rien n’était. La voiture démarra lentement, s’éloignant dans le flot matinal. Jay resta immobile une fraction de seconde de trop, le cœur un peu plus lourd, un peu plus vivant aussi. Quelque chose venait de commencer.


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