Du commencement, on peut augurer la fin

Chapitre 1 : Hear the Devil Calling

6928 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/06/2022 09:19

Du commencement, on peut augurer la fin” 

 Quintilien


Les paroles de "The Dog of War" sont des Blues Saraceno. Ecoutable par ici : https://www.youtube.com/watch?v=2tN875A3Bj8

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Retour en enfance - (mai juin 2022).


***


- "Je vais en finir avec Kaïbara. Je l'affronterai en duel." 


A peine avait-il prononcé ces mots que la vue de Ryo Saeba se brouilla pendant quelques secondes. Il fut pris de vertiges et ses jambes vacillèrent légèrement. Il secoua vigoureusement la tête en fermant les yeux. Quand il les rouvrit, il découvrit avec stupeur que tout autour de lui s'était figé. Il entendit alors clairement une voix résonner derrière lui :

- "T'as pas le droit d'faire ça."


Il se retourna et regarda autour de lui, cherchant qui pouvait bien s'opposer à ce combat. Devant lui, Kaïbara se tenait debout à côté du tableau de bord de son yacht, le menton arrogant, le sourire méprisant mais parfaitement immobile. Il devait être tellement satisfait de la réussite de son plan démoniaque : il était parvenu à attirer Ryo dans son antre, la calle de ce bateau maudit, il avait réussi à ébranler ses certitudes, à mettre en danger ses compagnons, Falcon, Mick et Kaori. Il allait bientôt les tuer tous, Shin en était persuadé et ça se voyait bien dans son attitude hautaine mais figée. 


En comprenant que son ennemi ne bougeait vraiment plus d'un cil, Ryo murmura :  

- "Qu'est-ce que ... Mais qu'est-ce qu'il se passe ?"

- "T'as pas le droit d'faire ça." Entendit-il à nouveau.


C'était une voix étrange, à la fois fluette et autoritaire, familière et totalement inconnue. A qui pouvait-elle appartenir ? 


Hear the devil callin'

Hear the devil callin'

Entends le diable appeler


When I hear the devil callin'

Quand j'entends le diable appeler


God will pay him for what he's do

Dieu le fera payer pour ses actes


Ryo observa alors Mick qui gisait sur le sol, la tête sur les genoux de Kaori à côté du grand Falcon qui avait posé un genou à terre. Ils étaient tous les trois aussi pétrifiés que Kaïbara. 


Mick était grièvement blessé ou peut-être même déjà mort. Ça ne pouvait pas être lui. Il avait survécu à l'explosion de son avion, avait réussi à nager jusqu'à ce que Kaïbara le récupère en pleine mer ... pour lui injecter son poison favori : l'Angel-Dust, ce maudit dérivé du PCP qui rendait fou, insensible à la douleur, transformant l'humain en bête enragée et assoiffée de sang. Mick avait ensuite obéi aveuglément à Kaïbara et avait affronté Falcon puis Ryo à mains nues, se jetant à corps perdu dans le combat, ignorant la douleur, le danger et aggravant ses blessures. 


Apparemment, Kaori avait réussi à le tirer des brumes épaisses de la drogue. Ryo avait bien vu qu'elle lui avait murmuré quelque chose à l'oreille réveillant ainsi la conscience de Mick juste avant qu'il ne s'élance droit devant lui. Il avait alors plongé ses mains directement dans les cadrans du tableau de bord, faisant court-circuiter tout le mécanisme et arrêtant ainsi le compte à rebours : la bombe placée par Shin Kaïbara sur son propre yacht n'exploserait pas. Il leur avait sauvé la vie à tous très certainement au prix de la sienne puisqu'il avait été parcouru d'un violent courant électrique avant de s'écrouler, inconscient. 


Grâce à son intervention, Ryo, Kaori et Falcon étaient hors de danger ... Enfin, presque. Parce que si la bombe était désamorcée, Kaïbara n'en avait certainement pas fini avec eux. Le combat ne s'arrêterait pas là ... Et Ryo ne voulait en aucun cas mêler quelqu'un d'autre à cet affrontement. Ça serait lui contre celui qu'il avait considéré comme son père. Rien qu'eux deux, en face à face. Donc, il l'affronterait dans un duel au revolver. C'était la seule issue possible.


La voix inconnue claqua à nouveau dans le silence :

- "T'as pas le droit d'faire ça." 


Ryo se retourna mais ne vit toujours personne. Il observa à nouveau Kaori et ses yeux encore pleins de larmes. Elle se tenait agenouillée aux côtés de Falcon, blessé et affaibli par son précédent combat contre Mick. Mais ni elle, ni lui n'avait pu prononcer ces mots. Falcon avait des intonations de baryton et Ryo connaissait toutes les variations de timbre de Kaori ; en plus, ils étaient tout aussi pétrifiés que Kaïbara et Mick. Non, cela ne pouvait pas être eux. 

- "Qui est là ?" Demanda Ryo en dégainant lentement.

- "T'as pas le droit d'faire ça." Répéta la voix en réponse.

- "Qui es-tu ? Montre-toi !"

- "T'as pas le droit d'faire ça."


Verrouillant son angoisse, Ryo pointa son arme devant lui tout en balayant du regard la pièce dans laquelle ils avaient tous été enfermés quelques instants auparavant. Maîtrisant sa respiration, il cria à nouveau :

- "Pas le droit de faire quoi ? Montre-toi !"

- "T'as pas le droit de tuer mon papa !"

- "Quoi ? Ton ... Ton papa ?" 


Après quelques secondes d'un silence pesant, Ryo sursauta quand, surgi de nulle part, apparut un petit garçon en treillis militaire. Les cheveux noirs et hirsutes recouvraient à moitié un visage pâle aux lèvres pincées de rage. Serrant les poings de toutes ses forces, le jeune garçon tapa du pied et hurla :

- "Je veux pas que tu le tues !"


Abasourdi, Ryo resta muet. Dans sa main devenue brusquement froide et moite, son arme trembla imperceptiblement. Pour la première fois depuis bien longtemps, son revolver lui paraissait bien trop lourd. Ryo retint son souffle, le cœur battant, hésitant à croire ce qu'il venait d'entendre. Et pourtant, le gosse l'invectiva à nouveau en tapant du pied :

- "T'as pas le droit de tuer mon papa !" 


Ne pouvant se résoudre à garder en joue un gosse, Ryo baissa son arme et murmura, la gorge nouée :

- "Kaïbara ... Shin est réellement ton père ?"


Le petit garçon avança vers Ryo d'un pas décidé, les poings toujours serrés et il gronda :

- "Pas vraiment. C'est pas vraiment mon papa mais ça change rien."

- "Quoi ? Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ?"

- "Qui je suis ? Tu me demandes qui je suis ? Vraiment ?" Demanda le garçon, en avançant toujours vers Ryo, menaçant. "Mais t'es aveugle ou quoi ?"


Désarçonné, Ryo le dévisageait, sans dire un mot. Le môme reprit, s'arrêtant soudain, les bras croisés sur sa poitrine, mesurant Ryo d'un petit sourire suffisant :

- "Quoi ? Tu te fous de moi ? Tu me r'connais pas ?"


Ryo secoua la tête, hésita un peu avant de finalement ranger son arme.

- "Tu te rappelles vraiment pas d'moi ?" Insista le garçon.

- "Non. Pourquoi, je devrais ?" 


 Le gosse éclata de rire :

- "Plutôt oui. Je suis toi, Crétin !"

- "Hein ... Et comment tu me parles, toi ? Comment ça tu es moi ?"

- "Bah, je suis toi, c'est pas compliqué pourtant !"

- "N'importe quoi ! C'est impossible !"

- "Pourquoi ?"

- "Parce que. Je suis moi. Tu es toi, point !"

- "Non, je suis toi, ou plutôt ton ancien toi, si tu préfères."


Ryo éclata de rire tout en tournant les talons :

- "Mais oui, c'est ça."


Soudain, le sol trembla. L'air vibra. Les oreilles de Ryo bourdonnèrent à cause d'un changement de pression brutal. Le gamin se retrouva sur son chemin, lui barrant le passage, les bras croisés, jambes écartées, le regard déterminé, prêt à en découdre :

- "Comment t'as fait ça ?" Demanda Ryo, abasourdi par la vitesse de mouvement totalement irréelle du gamin.


Ignorant la question, le gosse répéta : 

- "T'as pas le droit de tuer notre papa."

- "Ouais, c'est bon. Les blagues les plus courtes sont les meilleures. J'ai autre chose à faire, là ..."

- "Non !" Cria le petit garçon en tapant du pied, faisant à nouveau osciller le fond du bateau. L'air frémit et une pointe de douleur traversa à nouveau les tympans de Ryo qui se plaqua les mains sur les oreilles :

- "Arrête-ça, bordel !"

- "J'arrête si toi t'arrêtes de penser que je suis rien qu'un sale gosse qui ment. Je suis pas un menteur ! J'ai menti qu'une seule fois ... Quand j'ai mangé toutes les mangues de la réserve. J'ai dit que j'avais vu des singes les voler et sortir de la tente."

- "Sauf que personne ne m'a cru et j'ai été sévèrement puni pour ça ..." Compléta Ryo, les yeux écarquillés. "Les seules personnes qui connaissent cette histoire et qui sont encore en vie sont Kaïbara et moi ... Comment tu sais ça, toi ?"

- "Bah, parce que je suis toi. C'est pour ça que je le sais. Et t'as pas le droit de tuer mon papa ! T'as pas le droit !" Hurla le jeune garçon.

- "Stop, stop, stop ... Je ... Attends, reprenons depuis le début, tu veux bien ?" 


Ryo ne comprenait plus rien. Comment était-ce possible ? Et pourtant ... S'il y avait bien une chose qu'il n'avait jamais racontée à personne, c'était bien le coup des mangues et des singes. Les trois autres guérilleros présents à ce moment-là étaient morts depuis plus de quinze ans. A moins que ...

- "C'est lui qui t'a raconté ça."


Le gamin secoua la tête :

- "Non. Je le sais parce que je m'en souviens."


Ryo s'approcha lentement du petit garçon et le sonda : dans ses yeux, aucune trace de mensonge ou de doute. Et puis, il y avait aussi la petite cicatrice sous le menton ... Ryo tenta d'attraper le môme par les épaules mais il se dégagea prestement, le défiant du regard.

- "Alors ... tu es ... moi ?" S'enquit Ryo, abasourdi.

- "Oui."

- "C'est pas possible."

- "Si. Regarde autour de toi. Tout est possible puisque qu'on est dans mon cauchemar."


Ryo secoua la tête :

- "Quoi ? Comment ça, on est dans ton rêve ?"

- "Oui, je fais souvent ce cauchemar : papa qui meurt et je peux rien faire." 


I can't stop the Dogs of War

I can't stop the Dogs of War

Je ne peux pas retenir les Chiens de Guerre


Ryo sentit une sueur glacée envahir son dos, son cœur se serra. Il se mordit les lèvres pour retenir un hoquet de surprise. Cela ne se pouvait pas ... Et pourtant ... Si aujourd'hui, il avait fini par oublier ce cauchemar affreux, sa peur de se retrouver à nouveau seul avait hanté ses nuits pendant très, très longtemps. 


Il se détourna du garçon de quelques pas, respira fortement, passa nerveusement ses mains sur son visage, dans ses cheveux, tout en regardant autour de lui. 

- "Putain, mais c'est quoi ce bordel ? Pourquoi t'es là ? Comment tu peux seulement être là ? Et les autres ? Ils vont bien ?"

- "Je pense, oui."

- "Ils vont finir par se réveiller ?"

- "Rooo ! Tu m'énerves avec tes questions débiles ! Je sais pas comment je sais c'que j'sais et j'sais pas pour les autres. Je sais juste que tu veux tuer mon papa et que j'veux pas."


Ryo observa tour à tour le gosse, ses amis et Shin Kaïbara. Il se sentait étrange. Ce môme ... Ryo devait bien reconnaître qu'il ressemblait beaucoup à lui quand il était petit ... quand il avait huit ou neuf ans ... ou quelque chose comme ça. Même pas adolescent et pourtant essayant de se comporter déjà comme un homme, ou plutôt comme un soldat, aussi violent et sans peur qu'un guerrier, aussi dévoué qu'un fils. Oui, à cette époque, Ryo avait été comme ça. Shin Kaïbara représentait tout pour lui, et cette histoire de mensonge à propos des mangues ...


Une sensation déconcertante naquit dans son estomac. Ce gamin le mettait mal à l'aise. Ryo aurait tout donné pour le faire disparaître et revenir à la normale. Cependant, son cœur se serrait devant son désarroi et sa sincérité. Il soupira en concluant ce qui lui paraissait le plus probable : 

- "Je dois avoir des hallucinations ... C'est pas possible ... Ou alors je suis mort ?"


Le môme haussa les épaules :

- "Ca j'en sais rien mais je sais que tu veux tuer mon papa et je suis là pour t'en empêcher." 

- "Ecoute, tu commences sérieusement à me ..." Répliqua-t-il d'un ton sec mais il suspendit ses mots : il devait se maîtriser, ce n'était qu'un gosse après tout.


Il inspira profondément en fermant les yeux puis, passa à nouveau nerveusement la main dans ses cheveux : 

- "Je sais que ce n'est pas facile à comprendre mais il faut que je l'affronte."

- "Non. J'veux pas que tu fasses ça. Tu vas le tuer."

- "Peut-être pas. Peut-être que c'est lui qui va m'abattre. On n'en sait rien. C'est un duel. Le meilleur gagne, c'est tout."

- "T'es méchant."


Ryo tenta de désamorcer la situation en répliquant d'un ton détaché, se rappelantune fois encore, qu'il s'adressait à un gamin :

- "Non, je ne suis pas méchant. Enfin, si ... Autrefois, je l'ai été, je suppose ... mais pas aujourd'hui ... Je sais que je ne suis plus le méchant de l'histoire."

- "Si ..." Persifla le garçon en serrant les dents et les poings, le regard acéré. "T'es méchant."


Cette fois, Ryo se sentit curieusement meurtri par la répétition de cette simple réplique enfantine et répondit d'une voix sèche et tranchante :

- "Lui aussi, tu sais. Kaïbara aussi est un méchant."


Le petit secoua vigoureusement la tête :

- "Il t'a sauvé ! Il a veillé sur toi, il t'a recueilli ! Il est ton papa ! Tu as oublié ou quoi ?" 

- "Non, bien sûr que non." 


Non. Ryo Saeba n'avait rien oublié. Il aurait bien voulu tout lui dire, à ce gamin vindicatif, tout ce qu'il avait encore en mémoire, les cauchemars qui le réveillaient encore en sursaut des années plus tard, sa peur viscérale de se lier à quelqu'un, son besoin de tout contrôler, sa solitude mais avant qu'il ait pu prononcer un mot, le gosse revint à la charge en clamant :

- "Si ! Tu as oublié !"

- "Oh que non ! J'ai rien oublié, figure-toi !" Répliqua rageusement Ryo.

- "Ah oui ? Dis-moi pourquoi tu veux te battre avec celui qui a pris soin de nous ? Parce que tu as oublié, c'est tout ! Alors je vais te raconter : tu étais perdu dans la jungle, tu avais faim, tu avais peur ... Il t’a souri, il t'a pris dans ses bras pour te rassurer, il t'a porté jusqu'au camp, il t’a fait à manger, il ..."

- "Mais comment veux-tu que je me rappelle de ça, hein ? Évidemment que je ne me souviens pas de ce qu'il s'est passé après le crash de l'avion. J'avais trois ou quatre ans, pas plus ! Je sais ce qu'il m'en a raconté, c'est tout ! Et comment être sûr qu'il n'a pas enjolivé les choses pour se donner le beau rôle, comme d'habitude ?"

- "Oh et, arrête un peu ! Tu te rappelles quand même qu'il était le seul à te comprendre et à causer Japonais. Pendant des années, il a veillé sur toi, il était là après tes cauchemars, il t’a appris ..."

- "Je sais tout ce qu'il a fait pour moi, merci." Le coupa Ryo d'un ton sec. "Je comprends ce que tu ressens mais ça ne change rien à ma décision. Je dois l'affronter."


Cette fois, les yeux du gosse se mirent à briller de larmes contenues. Ce dernier poursuivit en faisant quelques pas vers Ryo. Sa voix avait changé : éraillée, plus aiguë. Son ton se fit menaçant et son regard acéré :

- "Non ! Je ne te laisserai pas faire ! Tu as oublié qu'il est venu te libérer du camp de prisonniers ennemi contre l'avis de tout son commando ? Il a risqué sa vie pour sauver la tienne, il même a été grièvement blessé en faisant ça, ..."

- "Oui, sa jambe a été déchiquetée par une mine anti-personnel quand on s'échappait tous les deux. Je me rappelle bien. Mais, dis-moi ... Comment peux-tu savoir ça, toi ? Si tu es moi, tu es bien trop jeune, ça ne t'est pas encore arrivé."


See the fields burnin'

See the fields burnin'

Regarde les champs brûler


When I see the fields burnin'

Quand je vois les champs brûler


'Cause hell is coming through

C'est parce que l'enfer arrive


Le petit cligna des yeux, surpris et concéda :

- "J'en sais rien. Je t'ai dit, je sais pas comment je sais ce que je sais mais c'est mon papa, il m'a protégé, je dois le protéger aussi."


Ryo sursauta et serra les poings en retenant son souffle. C'était comme s'il avait reçu une décharge électrique. Pâle, les traits tirés, il marcha à son tour vers l'enfant, le pointant du doigt pour l'invectiver :

- "Protégé ? Tu crois vraiment qu’il nous a protégés, toi et moi ? Et tu dis que c'est moi qui oublie des choses ? Mais c'est toi qui occultes des pans entiers de mes souvenirs ! Protégé ? Protégé ? Il nous a protégés ? Tu crois que c'est protéger un gosse de six ans que de lui coller une mitraillette dans les pattes ? Tu crois que c'est protéger que d'expliquer comment tuer à mains nues quand le chargeur est vide en répétant "Bats-toi ou crève !" ? C'est protéger que d'abattre des prisonniers désarmés sous mes yeux ? C'était pour me protéger qu'il me répétait encore et encore que les sentiments, c'est pour les faibles ?"

- "A sa façon, oui." Répliqua le petit avec bravade, masquant à peine sa mauvaise foi.


Ryo, furieux, continua de hurler : 

- "Sa façon ? Il pouvait bien se la garder sa façon ! S'il avait réfléchi un peu, s'il avait vraiment eu un peu d'affection pour moi, il m'aurait déposé dans un village, il aurait trouvé une famille pour s'occuper de moi. J'aurais pu avoir un papa et une maman, peut-être même des frères et sœurs, un toit sur la tête, un lit à moi ... je serais allé à l'école ..."

- "Et tu serais peut-être mort comme beaucoup de civils pris entre deux feux." Le coupa froidement le gosse.


Ryo se figea brusquement. Le petit venait de marquer un point. L'homme poursuivit cependant, toujours porté par l'énergie de sa colère : 

- "Oui. Peut-être que oui mais peut-être que non. Mais, OK, on va dire que oui, il m'a sauvé la vie en me gardant au sein du commando mais ensuite ? Tu sais ce qu'il a fait ensuite ?"


Le gamin resta muet et haussa les épaules tout en faisant une moue dédaigneuse, ce qui raviva la rage de Ryo : 

- "Oh, c'est facile, ça, de faire semblant de ne pas savoir ! Tu sais pour ma libération et sa blessure mais tu ignores pourquoi je suis parti ? Comment j'ai quitté le commando ?"


Le gamin baissa la tête, dissimulant ses yeux au regard étincelant et glacé de Ryo qui poursuivit, déversant pour la première fois à haute voix les souvenirs tenus secrets depuis si longtemps :

- "Deux ans à peine avoir été amputé de la jambe, il était devenu totalement obsédé par son projet de soldat parfait. Il a développé sa saloperie d'Angel-Dust. De la poussière d'ange ? Mais quel cynisme, ce nom ! Ça n'a rien à voir avec les anges, crois-moi, gamin, cette drogue est un truc démoniaque. Il me l'a balancée dans les veines, sans tenir compte de mon avis, parce qu'il n'en avait absolument rien à foutre de mon avis. Il n'en a jamais rien eu à foutre de ce que je voulais ou pas. Il n'y avait que lui qui prenait les décisions, lui qui avait raison, lui, lui et encore lui ! Il a crié que je n'étais qu'un lâche, que je ne comprenais rien et que je le remercierai plus tard ... Le remercier ? Le remercier ! Tu te rends compte de ce qu'il a dit ? Tu te rends compte ?"


Le gosse restait immobile, tête basse, poings serrés et Ryo finit par hurler :

- "Le remercier de quoi ? De m'avoir transformé en monstre sans volonté humaine ? Le remercier de m'avoir permis de décimer tout un escadron armé uniquement de mon couteau, de m'avoir transformé en machine à tuer ? J'ai blessé Flacon aux yeux lors de cette bataille. Il est devenu aveugle aujourd'hui ! A cause de moi et de l'Angel-Dust de merde de Kaïbara ! Et tout ce dont je me rappelle, c'est de m'être retrouvé au milieu d'un charnier avec le goût affreux du sang dans ma bouche ... le sang des hommes que j'avais massacrés. Et j'aurais dû le remercier pour ça ? Ou bien il faut que je le remercie pour la douleur qui a suivi quand j'ai fait ma première crise de manque ? Hein ? Je le remercie pour quoi, dis-moi ? Pour quoi ?"


Ryo fit un dernier pas vers le gamin :

- "Alooors ??? Je le remercie pour quoi ?!"


I can't stop the Dogs of War

I can't stop the dogs of War

Je ne peux pas retenir les Chiens de Guerre


Le gosse prit son élan et se rua sur Ryo, son corps frêle se heurtant violemment à la puissante poitrine. Il la cribla de coups de poings tout en hurlant : 

- "C'est pas vraiiii ! Je te déteste !" 


L'homme tint bon, même si certains uppercuts bien placés lui martelaient sévèrement les côtes et l'estomac. Il faut dire que, si le petit disait vrai, il avait été bien entraîné, Ryo en savait quelque chose. 


Si le petit disait vrai ... Mais comment ? Et pourtant ... Les impacts qu'il recevait dans l'abdomen étaient loin d'être des hallucinations et ils éteignirent rapidement sa colère. Après tout, ce n'était qu'un gosse ... Un pauvre gosse perdu ... Ça aussi, Ryo en savait quelque chose.


L'homme parvint sans trop de difficulté à attraper les poignets du petit garçon qui se débâtit quelques secondes et finit par abandonner devant la supériorité physique de son adversaire. Il gronda dans un souffle :

- "Je te déteste !"

- "Moi aussi, tu sais." Répondit tristement Ryo. "Moi aussi." 


Interloqué, le môme se figea et releva les yeux pour le dévisager :

- "Quoi ?"

- "Oui, moi aussi, je ne me porte pas vraiment dans mon cœur. Mais ça ne change rien au problème. Je dois l'affronter. Je n'ai pas d'autre choix. Dis, si je te lâche, tu promets de ne plus me taper ?"


Le garçon réfléchit quelques secondes puis hocha la tête. Ryo abandonna sa prise et s'assit en tailleur sur le sol. D'un geste de la main, il invita le gamin à faire de même :

- "Je crois qu'il faut qu'on discute."


Ryo prit une grande inspiration pour retrouver définitivement son calme. Il fallait vraiment qu'il se sorte de cette situation incompréhensible et se laisser gagner par la colère du petit ne le mènerait à rien. Il devait rester maître de lui, canaliser ses émotions, rester pragmatique, être ... qui il avait toujours été, enfin, non ... il devait être qui il était devenu aujourd'hui. 


En face, il vit le gosse s'asseoir comme lui et il fut à peine surpris d'entendre que sa voix s'était affermie :

- "Je suis sûr qu'il ne pensait pas que tu souffrirais autant."

- "Ce n'est pas ça qui m'a le plus blessé, tu sais. Le pire, c'est qu'il m'a abandonné. Quand je me battais contre le manque, il n'est pas venu me chercher. J'étais seul, dans une clinique de fortune. C'est un autre qui a veillé sur moi ... Pas lui."

- "Mais tu l'as revu depuis. Pourquoi tu ne lui as rien dit ?"

- "Pour entendre une fois encore qu'on n'a que deux possibilités dans l'existence ? Se battre ou ..."

- "... ou crever." Compléta le gamin.


Ryo hocha gravement la tête :

- "Oui, je l'ai revu et je l'ai affronté. C'était aux USA, presque six ans plus tard. J'étais tellement aveuglé par ma colère que je me suis vautré en beauté. Il n'a eu que du mépris pour moi. Il n'a absolument pas compris pourquoi je lui en voulais." Cynique, Ryo rit doucement : "Il m'a même proposé de reprendre une petite dose d'Angel-Dust, histoire de pouvoir combattre correctement. J'ai vu rouge. Et j'ai agi précipitamment."


Il soupira avant de désigner ce qui l'entourait de la main :

- "Et nous voilà de nouveau réunis ... Il faut que je l'affronte. Sans ça, il s'en prendra à Kaori. Et je ne veux pas la perdre. Lui ... Je me suis passé de lui pendant des années, ça peut bien continuer. S'il n'avait pas menacé de la tuer, elle, je n'aurais peut-être rien fait ... Mais là, c'est lui qui a commencé."


Il serra les poings en repensant à la visite de Kaïbara, la veille, à son appartement. Ce dernier lui avait proposé de le rejoindre à la tête de sa puissante organisation criminelle qui dirigeait le commerce de l'Angel-Dust au niveau mondial, proposition que Ryo avait évidemment refusé. Juste avant de partir, Shin avait lancé, en désignant Kaori :

- "Je t'ai fait un cadeau en laissant cette fille en vie ... Comment peux-tu prétendre être un homme alors que tu n'arrives même pas à protéger une gonzesse ?" 


Cette menace avait longtemps résonné aux oreilles de Ryo, il n'eut donc pas le courage de répéter ces paroles à haute voix. Devant le regard interrogateur du gamin, il reprit le cours de son histoire :

- "En plus, il s'en est pris à mon ancien partenaire." Il se tourna vers le petit groupe, pas très loin d'eux. "Kaïbara l'a engagé pour me tuer mais Mick a finalement refusé d'honorer son contrat. En représailles, Kaïbara a fait exploser son avion en plein vol. Le fait que plus de trois cents personnes parfaitement innocentes soient des victimes collatérales ne l'a même pas fait hésiter une seconde. Ça, j'en suis sûr ... Ensuite, il a repêché Mick, lui a refilé de l'Angel-Dust ... tout ça pour qu'il se batte contre moi, pour nous déstabiliser ... Pour que je me laisse gagner par mes émotions, pour que je n'arrive plus à me battre. C'est ..."


Ryo laissa sa phrase en suspens, la gorge nouée, le regard rivé sur ses poings serrant le tissu de son pantalon sur ses genoux.

- "Tu le hais ?" Chuchota le petit garçon.

- "J'en sais rien." Répondit l'homme en se tournant vers lui. "Peut-être. On ne peut haïr que quelqu'un qu'on a aimé, donc, l'amour et la haine sont liés, non ? C'est même un peu pareil, tu crois pas ? Ce ne sont que des sentiments après tout."


Le gamin se retint de rire et chuchota, sarcastique :

- "C'est lui qui dit ça d'habitude."


Ryo soupira puis se leva. Il se dirigea vers Shin Kaïbara, toujours debout et parfaitement immobile. Il observa le seul homme qu'il avait appelé papa, celui qui lui avait donné un nom, celui qui l'avait élevé, celui qui l'avait si douloureusement trahi. Au bout de quelques secondes, il se tourna vers le gamin :

- "Regarde son sourire : pourquoi est-ce qu'il sourit, d'après toi ?"


Le petit se leva et vint rejoindre Ryo pour inspecter lui aussi le visage pétrifié de Shin Kaïbara dont la bouche dessinait un discret et indéchiffrable sourire :

- "Il a l'air satisfait, surpris ... heureux ?"


Un doute germa alors dans l'esprit de Ryo : Shin avait-il attendu depuis le début cette proposition de duel ? Était-ce cela son but ultime ? Un affrontement à mort ? Il se tourna vers le petit, posa ses deux mains sur ses épaules pour lui assurer : 

- "Je n'ai pas d'autre choix, gamin. Je dois me battre ... me battre ou mourir. Je vais en finir avec Kaïbara, je l'affronterai en duel."


L'enfant le regarda pendant quelques silencieuses secondes et posa délicatement sa paume sur le cœur de Ryo. Soudain, son monde trembla à nouveau, le décor devint flou et liquide, les lignes se brouillèrent et Ryo fut pris de vertige avant de sombrer dans l'obscurité.


Feel the river risin'

Feel the river risin'

Sens le fleuve déborder


When I feel the river risin'

Quand je sens le fleuve déborder


Devil coming up from you

C'est que le diable s'éveille en toi



La lumière et la fumée du feu me piquent les yeux. Ca pue. J'ai mal. J'ai envie de pleurer. Je sens une main autoritaire m'écraser les doigts et me tirer en avant. Je trébuche. Je tombe. On me remet brusquement sur mes pieds mais je ne veux pas. Je veux me reposer. Je veux qu'on me laisse tranquille. Je le veux lui. Il me manque, je me sens seul. 


Il a dit qu'il reviendrait vite mais maintenant, je n'y crois plus. Ça fait deux nuits qu'il m'a laissé avec ces hommes que je ne connais pas. Je les aime pas. Ils se ressemblent tous. Ils me font peur. Ils puent. Ils parlent fort. Ils sont pas gentils. L'homme me tire encore plus fort, broyant encore plus ma main. Je pleure. Sa voix gronde :

- "¡Cállate! Un ombre no llora. ¿ Eres un ombre o una niña ? ¡ No me jodas, mocoso ! Andelante." (La ferme ! Un homme ne pleure pas. T'es un mec ou une gonzesse ? Me fais pas chier, le môme. Allez, avance !)


Je comprends pas tout et je pleure encore plus. 


Ça y est, je me souviens de ce qu'il vient de se passer : j'ai tendu la main vers une banane et on m'a tapé sur les doigts en me criant dessus. J'ai eu tellement peur que j'ai pleuré. Ensuite, l'homme m'a encore crié dessus avant de me frapper plusieurs fois sur les fesses. Il est fort. Il m'a fait mal. J'ai froid à l'intérieur de moi. J'ai encore plus pleuré. Et là, on me traîne vers ma tente où je dois rester enfermé. Encore. Je pleure. Encore. Je veux pas y aller tout seul. Ça pue. Il fait trop noir. On m'y pousse. Je tombe en avant. J'ai mal aux mains et aux genoux. J'entends des cris derrière moi. Je ferme les yeux pour que l'homme parte. Je veux être seul. Je suis tellement fatigué ...


Quand je me réveille, il fait presque jour et je sors de la tente. J'ai tellement mal à cause de la fessée que j'arrive pas à m'asseoir. Je veux être dehors. Il fait trop sombre dans la tente. Accroupi, je joue avec un brin d'herbe et un caillou. J'ai faim mais j'ai trop peur pour retourner dans la tente centrale.


D'un coup, les hommes bougent plus loin. Je veux voir ce qu'il se passe. Un groupe sort de la jungle. J'entends des cris. Les hommes ont l'air content. 


Et je le vois. 


Il est devant. Il salue les autres, parle fort, sourit. 


Il est là !!! 


Je me lève. J'hésite. J'ai envie de pleurer. Ça y est, il me voit. Est-ce qu'il m'a souri ? Oui. Oui. Il m'a souri. Je cours. Je trébuche avec mes chaussures trop grandes mais je cours. Je suis enfin près de lui. Il s'agenouille et m'ouvre ses bras. Je suis heureux. Je crie en me serrant contre lui.

- "Tu es rentré ! Papaaa !"


C'est la première fois que j'ose l'appeler comme ça. J'en ai besoin. Ça me fait du bien. Je ne suis plus seul. Il m'enlace, m'entoure. Je respire. Je perçois son odeur : la sueur, le sang séché, la chair brûlée, la poudre ... Cette fois, cette odeur ne me donne pas envie de vomir. Curieusement, je n'ai plus peur.


Papa.


Ryo ferme les yeux. 


I can't stop the Dogs of War

I can't stop the Dogs of War

Je ne peux pas retenir les Chiens de Guerre


Quand il les ouvrit, il était à nouveau sur le bateau et tout était encore figé autour de lui. Il se retrouvait accroupi et le gamin s'était collé contre lui, la tête posée sur son épaule : 

- "C'est ce qu'il veut. C'est pour ça qu'il sourit." 

- "Oui, je le crois aussi. C'est la seule chose à faire."

- "Ok." Le petit se serra encore plus fort contre Ryo. "Rappelle-toi ... Il dit toujours : Un duel n'est pas seulement un combat ..."

- "... C'est une stratégie, une feinte, un effet de surprise." Poursuivit l'homme. "Anticiper l'attaque de l'adversaire. Il me connaît. Je le connais. Il sait exactement ce que je vais faire."


Le môme se dégagea un peu pour regarder Ryo dans les yeux :

- "Tu vas changer tes habitudes ?"

- "Non."

- "Pourquoi ?"

- "On se connaît trop, tous les deux, ça ne servirait à rien. Je vais simplement dégainer comme je sais le faire et je viserai au plus direct. Le cœur. J'espère que je serai assez rapide, que mes séances d'entraînement feront la différence et que j'ai progressé. Et puis j'aurai peut-être un peu de chance. Je veux vivre. Ça en vaut la peine."

- "Oui, je comprends. Elle est jolie, c'est vrai." Chuchota le petit en désignant Kaori du menton.


Ryo plaqua la tête du garçon contre son épaule, le serrant contre lui comme son père l'avait entouré de ses bras dans ses souvenirs ... papa ...

- "Dis pas n'importe quoi, morpion ... Qu'est-ce que tu y connais en jolies filles, toi ?"


Le gamin rigola doucement avant de murmurer :

- "Tu promets de ne plus m'oublier cette fois ?"

- "Comment ça ?"

- "N'oublie pas qui tu as été, Ryo Saeba. N'oublie pas qui je suis."


La seconde suivante, Ryo n'enlaçait plus que du vide. Il se releva brusquement, cherchant le gamin des yeux. En vain. Brusquement, le monde bougea, le temps reprit son cours. Le bateau tanga légèrement, Kaïbara prit une inspiration, Kaori essuya une larme, Falcon se redressa et Mick gémit imperceptiblement. 


Ryo entendit un petit rire narquois qui le ramena bien vite dans la réalité :

- "Un duel ? Parfait ... C'est toi qui l'auras voulu ..." 


Kaïbara se tourna vers les commandes du bateau et appuya sur le bouton rouge d'un cadran qui n'avait pas été endommagé par l'attaque de Mick. Une grande cloison de verre descendit automatiquement du plafond jusqu'au sol, séparant Ryo de ses amis. Kaori cria. Ryo serra les poings. 


Shin reprit, enthousiaste :

- "Ainsi, on ne nous dérangera pas ! Cette paroi est blindée. Aucun risque qu'elle ne se brise." 


Ryo se crispa, à la fois inquiet d'être physiquement séparé de ses amis et soulagé. Si cette vitre était effectivement aussi solide, ni Falcon ni Mick ni Kaori ne pourraient être atteint par une éventuelle balle perdue ou une feinte déloyale de son adversaire. C'était déjà ça. Ils étaient hors d'atteinte, loin de lui mais en sécurité.


En face, Kaïbara marchait nonchalamment, boitant ostensiblement mais sans quitter son adversaire des yeux, tel un fauve guettant sa proie avec délectation : 

- "J'ai déconnecté le mécanisme de ma prothèse, la bombe qui est à l'intérieur est neutralisée. Ça veut dire que si mon cœur s'arrête, elle n'explosera pas. Tu peux donc tirer sans crainte." Il rit doucement, méprisant, hautain : "Mais tu ne m'effleureras sans doute même pas. Je t'ai appris à tirer, je peux analyser tes intentions, je connais tes réflexes, ta rapidité, tes préférences ... Tu n'as aucune chance !"


Ryo marcha lui aussi, maintenant la distance avec son adversaire, tournant en rond autour d'un point imaginaire. Il toucha son épaule pour vérifier une sensation : elle était encore humide des larmes du petit garçon qu'il avait été. Il sourit doucement avant de s'adresser à Kaïbara d'une voix parfaitement posée : 

- "Sais-tu à quoi je suis en train de penser ? À notre passé ... Et aussi, à ton accident, quand tu as perdu ta jambe. Tu t'en souviens ? J'avais été fait prisonnier par nos ennemis. Notre commando a choisi de m'abandonner à mon sort parce que si on changeait de stratégie pour me sauver, si on revenait en arrière, l'opération toute entière aurait été réduite à néant ... Me laisser était une décision logique. Je n'en voulais à personne."


Shin Kaïbara cessa de déambuler et observa attentivement Ryo, avec, à nouveau, ce sourire indescriptible sur les lèvres. Il glissa les mains dans ses poches et le laissa poursuivre : 

- "Et pourtant, toi, tu es venu me libérer. Tu étais seul et c'est en nous enfuyant que tu as été blessé. On a tout de suite compris que ta jambe était foutue et qu'il faudrait t'amputer une fois rentrés au camp. Tu n'as rien dit et tu m'as souri. Comme si ce n'était pas cher payé. C'est à ce moment-là que j'ai vraiment réalisé que tu tenais à moi, que tu étais mon père." Ryo marqua une petite pause, regarda Kaïbara dans les yeux, tout en ouvrant son blouson, pour se préparer à saisir son arme : "C'est certainement ça qui m'a empêché de devenir complètement fou. Au milieu de tous ces combats et de toute cette haine, je savais que tu étais là pour moi et ça m'a empêché de sombrer." 


De l'autre côté de la vitre, Falcon gronda :

- "Putain mais qu'est-ce que tu racontes, Ryo ! C'est ton ennemi ! Tu dois l'abattre ! Laisse tomber ce sentimentalisme à la con et bats-toi !"


Kaibara éclata de rire :

- "Falcon a raison. Je ne sais pas pourquoi tu parles autant. Serait-ce pour retarder l'inéluctable ? C'est inutile pourtant. Tu as déjà perdu et tu le sais !"

- "Non c'est le contraire ... Je tenais juste à te dire que je suis le seul qui puisse te vaincre parce que mes sentiments n'ont pas changé. Je gagnerai parce que je sais qui tu es et que je sais qui je suis."


Shin Kaïbara avait été son père et il était Ryo Saeba. Il avait été un gamin perdu. Il ne l'était plus aujourd'hui. Durant toutes ces années passées dans la jungle, il avait fait comme il avait pu. Tout le monde avait fait comme il avait pu. Son père aussi. Ils n'étaient pas coupables. Personne ne l'était. Une ombre s'envola de son cœur. Enfin, tout allait se terminer. Enfin. Le moment tant attendu était enfin arrivé. Enfin ou malheureusement ? Il n'aurait su le dire. Quoiqu'il en soit, espéré ou redouté, ce moment était devenu inévitable. Salutaire, il le serait peut-être, mais mortel, sans aucun doute, que ça soit pour lui ou pour son adversaire. 

- "Ryo ..." Soupira Kaïbara en secouant la tête avant de s'écrier : "Ne raconte pas n'importe quoi !" 


Et tout se passa très vite. Kaïbara dégaina en premier mais quelque chose le déstabilisa et perturba son geste. Ryo, sûr de lui, pivota rapidement, prenant le temps de s'écarter légèrement de la trajectoire de la balle tout en sortant son arme. Les deux hommes tirèrent simultanément. La balle de Kaïbara effleura la poitrine de Ryo, faisant jaillir du sang. Assommé par la puissance du choc, il vacilla en arrière. Derrière la vitre blindée, il entendit le hurlement de Kaori. 


Avant de heurter le sol, il vit son adversaire se courber, la poitrine ensanglantée. Quand Ryo se retrouva allongé, il regarda Shin Kaïbara qui, lentement, s'agenouilla avant de se laisser couler vers le sol. Il tourna la tête vers son fils, avec toujours cet indéchiffrable sourire aux lèvres.


C'est alors que Ryo vit les yeux de son père se voiler et s'éteindre peu à peu. Dans son coeur, la haine, la colère, la rancœur et la peur se diluaient lentement, baignées par la douce nostalgie du souvenir que le petit et lui avaient partagé.


Il venait d'affronter son père en duel et il avait gagné. Il venait de tuer celui qui lui avait répété pendant toute son enfance : "Bats-toi ou crève" et qui, à bien y réfléchir, n'avait jamais cessé de se battre. Ryo avait fait ce qu'il fallait, il en était sûr maintenant. Il avait combattu lui aussi et il n'était toujours pas mort. Il soupira de soulagement et aussi de tristesse. C'était fini. Tout simplement.


Pardon, papa. 


I can't stop the Dogs of War

I can't stop the Dogs of War

Je ne peux pas retenir les Chiens de Guerre



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