Ange-Gardien
CHAPITRE 1 : Rencontre
Dans un immeuble aux briques rouges, un homme allongé dans le canapé commençait à s’éveiller. Sa veste était par terre accompagnée d’un t-shirt. Il ne restait que son pantalon dont une jambe pendait en dehors.
Sur la table basse, des bouteilles d’alcool vides tenaient compagnie à un cendrier plein.
L’odeur de l’appartement était horrible. Tabac froid, bière chaude et whisky, cartons de restes (pas très frais) de pizza qui traînaient sur la table en face de lui et par terre. Le mélange était désagréable. Les lieux n’étaient pas propres et l’on pouvait aisément imaginer que le balai ou l’aspirateur étaient en vacances depuis un moment.
L’homme grogna, nous signifiant son réveil imminent. Il dégagea son bras de devant ses yeux, puis referma ceux-ci rapidement. La lumière était agressive pour la cuite qu’il venait de prendre. Vu le nombre de bouteilles sur la table, cela allait être accompagné d’un mal de crâne carabiné. Il tourna la tête vers la porte et il pensa voir quelqu’un venir vers lui. Il se frotta les yeux, ne croyant pas ce qu'il voyait : son vieil ami Hide !! Pas possible, il était mort il y a un an. Pourtant, ça semblait si réel...
- Alors Ryo ! elle est costaud celle-là ! Je ne t’avais jamais vu comme ça !! Si tu voyais ta tête mon pauvre, tu te ferais peur! Crois-tu que cela résoudra tes problèmes, hein ? J’ai besoin de toi dans ta meilleure forme ! Reprends-toi sinon je ne donne pas cher de ta peau.
Ryo avait l'impression de sentir son eau de Cologne au parfum bien particulier. Le nombre de fois où il l'avait taquiné sur cela. Il lui avait même dit que ce n'était pas étonnant qu'il ne trouve pas de femme avec cette puanteur. A chaque fois, Hide lui avait souri en haussant les épaules.
Ryo ferma les yeux, s'imprégnant encore de ce parfum. Cette odeur lui donnait la nostalgie des moments passés avec lui.
Il les rouvrit, tourna la tête mais il n'y avait plus personne. Il avait rêvé, encore une fois.La tristesse l'envahit puis il s’assit et se prit la tête dans les mains. Il n’avait pas lésiné sur la quantité cette fois.
Le nettoyeur avait « fêté » l’évènement seul. Noyant son chagrin et sa culpabilité dans l’alcool. Il n’avait pas été voir ses bunnies hier soir.
« Hideyuki... c’est toi que la mort a emmené alors que je l’appelle depuis si longtemps ! Tu étais la bonté même et c’est toi qu’elle a choisi ! »
Un an qu'il n'était plus de ce monde, un an que celui qu’il considérait comme son frère, avait été assassiné.
Ryo se sentait seul, désespérément seul ! Il avait des amis qui tentaient de le soutenir au mieux, mais sa descente était amorcée.
L’homme, de belle stature, aux cheveux de jais, finit par se lever maugréant sur la puissance de ce mal de crâne. Il se dirigea vers la cuisine pour faire sa mixture secrète « anti gueule-de-bois ».
Dans un coin de la pièce Hideyuki était là. Cheveux bruns courts, lunettes. On pouvait voir par transparence le mur derrière lui.
Il tentait d’attirer l’attention du locataire depuis un an… en vain.
Il ne savait plus quoi faire car l'échéance arrivait à son terme. Il ne voulait pas que son ami le rejoigne.
-Ryo.... soupira-t-il.
A QUELQUES PÂTÉS DE MAISON DE LÀ
Kaori regardait par la fenêtre, tapant l’invitation entre ses doigts, Elle baissa les yeux vers ce joli bout de carton au liseré doré : » Melle Tachicki, vous êtes cordialement invitée à la soirée anniversaire des 30 ans de la bourse universitaire Tanaka. Elle se tiendra à la salle de réception du SUNCITY HOTEL samedi 15 mars à 19 h »
Cet évènement approchait à grand pas car c’était le lendemain.Elle soupira. Ce genre de soirée la mettait mal à l'aise. Tout ce clinquant pour épater les étudiants qui avaient eu cette bourse, comme pour leur rappeler qu'ils étaient redevables.
Cette bourse, leur avait permis d’alléger les fins de mois car payer les factures avec un salaire et des études, cela devenait compliqué. Kaori se retourna et regarda son appartement… enfin son, non, leur, à elle et sa sœur Sayuri. Deux jeunes femmes livrées à elles-mêmes depuis le décès de leur mère, il y a presque deux ans, d’un cancer. Le propriétaire avait vendu le logement où elles avaient vécu toutes les trois. Cela avait été difficile de quitter un endroit dans lequel elles avaient grandi. Kaori et sa soeur avaient trouvé le logement actuel grâce à une voisine de leur mère, qui leur avait fait cadeau du premier loyer en remerciement de ce que celle-ci avait fait pour elle. Il avait fallu payer les factures et les mois étaient durs. Kaori trouvait des boulots par-ci par-là afin d'aider sa sœur (malgré les protestations de celle-ci), elles faisaient attention aux dépenses, mais cela n'empêchait rien.
Elle jeta un regard circulaire sur ce logis qu'elles voulaient chaleureux. Deux chambres tout juste assez grandes pour accueillir leurs meubles, une salle -salon où un canapé côtoyait de près une table et quatre chaises. Par contre, la cuisine était spacieuse et cela leur permettait, dans les bons jours, de se régaler de leur petit plat car elles étaient très bonnes cuisinières toutes les deux.
Kaori s'assit à la table, se posant la tête dans ses mains. Monsieur Takahashi avait donné à la bourse “Tanaka”, le nom de jeune fille de sa défunte épouse décédée brutalement. Cette dernière faisait régulièrement des dons aux bonnes œuvres et ne comprenait pas qu'on ne laisse pas la chance à des étudiants pauvres, de poursuivre les études, surtout s'ils étaient doués. C'est Sayuri qui avait fait le nécessaire pour que le dossier de sa sœur soit accepté. Kaori était une très bonne étudiante, courageuse, studieuse, qui méritait qu'on lui donne sa chance de poursuivre des études. La réponse avait été rapide et positive. Les deux sœurs avaient explosé de joie et depuis, les fins de mois étaient moins difficiles. Kaori regarda l'heure. Il ne fallait pas qu'elle traîne si elle ne voulait pas mettre en rogne sa meilleure amie Eriko.
Elle laissa un mot à sa sœur puis prit sa veste et sortit de l'appartement. Quand elle mit le nez dehors, un vent froid vint lui fouetter le visage. Il ne faisait pas chaud en ce mois de mars. Elle rentra la tête dans les épaules et accéléra le pas. Elle avait rendez-vous avec Eriko sa meilleure amie depuis le lycée, styliste dans l'âme, qui avait pour projet de faire une partie de ses études en France. Kaori la trouvait extrêmement douée dans son domaine. Eriko avait un don pour imaginer la robe ou le costume idéal à une personne, rien qu'en la regardant. D'ailleurs, lorsque Kaori avait dit à la jeune femme pour l'invitation, celle-ci avait sauté de joie, lui décrivant la robe qu'elle allait lui faire. Kaori avait seulement voulu l'inviter à venir avec elle. Sayuri étant indisponible, Kaori avait forcément pensé à son amie la plus proche. Eriko était à l’aise dans ce genre d’événement, contrairement à elle.
-Kaori, je serais ravie de venir avec toi. Par contre, je suis sérieuse : je te fais ta robe !
Kaori avait protesté ne voulant pas lui causer du travail en plus.
-Disons que c'est un cadeau d'anniversaire en avance. Tu es une femme magnifique, tu devrais te mettre en valeur plus souvent, je te l'ai déjà dit ! Pour moi, c'est une occasion de montrer au monde à quel point j'avais raison !
La jeune femme avait levé les yeux au ciel et s'était laissée convaincre.
Arrivée devant chez Eriko, Kaori frappa à la porte. Son amie lui ouvrit, le regard pétillant d'excitation!
- Dans quoi me suis-je embarquée, pensa Kaori.
La styliste la prit par la main et l'emmena dans sa chambre suffisamment spacieuse pour qu’elle puisse y étaler son imagination. Kaori s'assit sur le lit, recouvert d’un tas de tissus. Connaissant Eriko, elle avait dû s'en donner à cœur joie.Kaori regarda son amie s'agiter dans son armoire. C'était une belle jeune femme, grande, les cheveux noirs frôlant ses épaules, des yeux marrons foncés. Elle avait fait mannequin pour un de ses patrons pendant les vacances. Il avait voulu l'embaucher à long terme pourtant, elle avait préféré continuer ses études mais avait assuré être prête à renouveler l'expérience.
Eriko tendit une housse sous le nez de Kaori.
-Voici ta robe, si tu veux bien l'essayer. Normalement, j’aurai aucune retouche à faire. Tu sais que tes mensurations sont parfaites pour un mannequin. Tu devrais tenter le coup, ça paye bien en plus !
Et c'est reparti, pensa-t-elle. Son amie ne la lâchait pas avec ça ! A plusieurs reprises, elle avait exprimé son refus. Timidité et défilé ne sont pas très compatibles.
Kaori ouvrit la housse et retint son souffle. Son amie avait fait de l'excellent travail. Eriko vit l'expression de Kaori ce qui la fit sourire.
-Allez, va la mettre !
Son amie fila dans la salle de bain. Quand elle en sortit, Eriko sentit une pointe d’orgueil monter en elle. Non seulement elle était fière de son travail mais aussi de son amie. Kaori ne se doutait pas de la superbe femme qu'elle était. Elle avait un corps à faire pâlir d'envie n'importe qui et tout était naturel.
La robe noire était avec du léger strass. Elle serrait la taille de Kaori et sa poitrine était très discrètement mise en valeur par un décolleté arrondi. Les épaules étaient légèrement dénudées, les bretelles larges partaient du bout des épaules et rejoignaient le décolleté. Sur le côté gauche, la robe était fendue afin de permettre de montrer le galbe de sa jambe.
-Tu as fait du beau travail, comme toujours Eriko !! Et ta tenue ?
-Tu la verras au moment venu, la nargua-t-elle.
-Tu triches! bouda légèrement Kaori.
-Rhabille-toi, on va prendre un thé et des petits gâteaux. Je vais t'expliquer comment on va s'organiser samedi.
Les deux jeunes femmes passèrent une partie de leur temps à parler de cette journée à venir. La mère d’Eriko, qui venait de rentrer du travail, leur proposa la voiture avec chauffeur. Kaori hésitait mais finit par accepter, comprenant très bien que Madame Kitahara avait besoin d’être rassurée. Elle avait connu ça avec sa propre mère.
Kaori ne rentra pas chez elle de bonne heure. Elle mit la robe avec sa housse dans sa penderie. Eriko viendrait la chercher vers 18h30 le lendemain, avec la voiture. Son amie était issue d'une famille aisée mais avait pour principe de rester simple. Le chauffeur était exceptionnel, il n’était présent que pour des occasions comme celles-ci. Sayuri se chargerait de la coiffure. Ça sera très simple : une tresse ramenée sur le côté agrémentée de petites décorations pour les cheveux. Tout le reste était prévu par Eriko. Une pochette complétera la robe. Un collier fin avec une « larme » noire mettrai son cou en valeur.
Sa sœur arriva avant qu'elle ne se mette à table.
- Comment s'est passé ta journée, Sayuri ? demanda Kaori pendant que celle-ci prenait place devant son assiette. Tu as l'air fatiguée.
Sayuri soupira. Le journalisme d'investigation n'était pas de tout repos mais elle adorait ça !
- Nous sommes en train de réunir des preuves contre un politicien soupçonné de corruption.
Kaori fixa sa sœur. Elle avait toujours peur pour elle dans ces situations.
- Fais attention à toi Sayuri! Tu sais que je n'aime pas ça !
Elles se sourirent mutuellement. La tendresse qu'elles partageaient l'une envers l'autre, était touchante.
Kaori n’insista pas. L’affaire était en cour . Sa sœur lui expliquera lorsque ce sera terminé. Sayuri voulait faire du journalisme d’investigation depuis le début. Leur mère pensait qu’elle allait finir inspecteur car Sayuri menait des enquêtes dans le quartier pour la disparition d’un doudou ou d'un animal. Elle était très douée. Même ceux des quartiers avoisinant venaient la voir. Leur mère a fini par mettre le holà car cela accaparait trop sa fille.
- Et Christophe, ton rédacteur en chef, comment va-t-il?
Sayuri rougit puis changea de sujet. Oui, il valait mieux. Elle ne voulait pas en parler pour le moment. Elles discutèrent d'un tas d'autres choses et surtout de la réception de samedi. Sayuri devait venir avec sa sœur mais le travail n'avait pas de week-end. Elle était ravie qu'Eriko l'accompagne.
Kaori lui expliqua le déroulement de la soirée. L’heure était tardive lorsqu’elles se mirent au lit. L'une rêvant d'un beau brun français et l'autre ayant hâte que le samedi se termine.
Le moment tant attendu arriva. Kaori habillée et coiffée, sa soeur s’était extasiée devant la beauté de sa cadette. Sayuri l’avait pris dans ses bras en lui disant que leur mère serait fière d’elle. Kaori avait serré les dents pour ne pas pleurer. Refoulant ses larmes, elle avait montré un sourire à son aînée. Sa soeur était partie en lui faisant un clin d’oeil tout en lui demandant de ne pas ramener d’homme à la maison. Kaori avait rougi, sous le rire de sa soeur. Depuis quelques minutes, elle attendait en bas de l'immeuble sous le regard intéressé des passants masculins. Le stress l’avait envahi et elle n’avait qu’une hâte c’est que la journée se termine.La voiture avec chauffeur de son amie arriva enfin. La jeune femme resserra les pans de sa veste et monta dans le véhicule. Eriko félicita son amie sur sa beauté. Sa tresse sur le côté était simple mais mettait en valeur le visage de Kaori. Celle-ci ne tarit pas moins d'éloges sur Eriko. Elle avait une robe longue, de couleur crème avec un décolleté en v. Ses cheveux étaient ramenés en arrière afin de découvrir son visage et son regard plein d'assurance. Simple mais efficace. Eriko était excitée comme une puce et elle n'arrêtait pas de parler tout le long du trajet. Quand elles descendirent du véhicule, Kaori se rendit compte que le dos de la robe d'Eriko était nu. Ce qu'elle lui avait interdit de faire sur sa robe...elle l'avait fait à la sienne. Sacrée Eriko !pensa l'étudiante.
Kaori tendit le carton d'invitation et on lui donna une étiquette portant son nom et prénom puis on les fit entrer dans la salle de réception. Celle-ci était immense. Un lustre magnifique ornait le plafond. Des tas d'amuse-gueules (aussi appétissants les uns que les autres), ornaient des tables sur les côtés. D'autres, sur pieds, étaient disposées au centre afin de permettre aux gens de poser leur verre et de discuter. Des serveurs déambulaient avec des plateaux recouverts de flûtes de champagne. Au bar, des serveurs proposaient d'autres alcools.
Kaori espérait que cela n'allait pas durer trop longtemps. Elle avait en horreur ce genre d’étalage de richesse.
Elle se dirigea vers une table pour prendre un verre de jus de fruit. Eriko au passage prit un verre de champagne sur un plateau. Elles se rejoignirent près des amuses-gueules.
-Ils sont délicieux Kao !! Tu devrais en goûter.
-Excusez-moi ?entendirent-elles.
Les deux amies se retournèrent. Un homme d’un âge mûr, les cheveux grisonnants, leur souriait gentiment. Son costume, de coupe italienne (au flair d’Eriko), lui allait parfaitement.
-Bonsoir Mr Takahashi !dit Kaori en s'inclinant.
-Mademoiselle Tachiki ! Je suis heureux de vous voir !
Kaori lui sourit. Elle l'avait vu la première fois à la commission des bourses pour défendre son dossier. Cet homme savait y faire, car il avait mis Kaori à l'aise permettant ainsi à la jeune femme d'exprimer toute sa passion pour les études de vétérinaire.
-Permettez-moi de vous présenter Mademoiselle Eriko Kitahara, ma meilleure amie.
Ils s'inclinèrent respectueusement.
-Êtes-vous la fille de Haruto Kitahara ? Le magnat de l'immobilier ?
-En effet, monsieur, répondit Eriko en souriant.
-Vous étudiez la mode, c'est ça ?! Je suis heureux de vous connaître ! Votre père ne tarit pas d'éloges sur vous !
Eriko rougit légèrement.
-Vous allez faire une partie de vos études en France, m'a dit votre père.
La jeune femme hocha la tête. L'homme mit la main à l'intérieur de sa veste et lui tendit sa carte de visite.
-Si vous rencontrez des difficultés à trouver une maison de styliste, n'hésitez pas à m'appeler !
Eriko s'apprêtait à protester.
-Je connais un très grand styliste à Paris, il serait ravi d'accueillir quelqu'un comme vous. Jean-Claude Michel, vous connaissez ?
Bien sûr qu'elle le connaissait (enfin de réputation) et le monde de la mode était à ses pieds.
- Je dois un service à votre père, il m'a évité des déboires immobiliers.
Eriko le remercia chaleureusement et mit la carte dans son sac. Mr Takahashi se tourna vers Kaori.
-Kaori, j'espère compter sur vous pour la photo de groupe.
Il rit en voyant la jeune femme grimacer.
- Je vous avoue que ce n’est pas mon truc. Les journalistes veulent une photo alors on se plie à leurs exigences. Mine de rien, ils font une réputation et peuvent la défaire en un rien de temps.
C'était bien vrai ! Ayant une sœur journaliste, elle s'en rendait bien compte. Après échange de quelques banalités, monsieur Takahashi les salua puis partit vers d'autres invités.
Eriko regarda son amie, les yeux pétillants de joie.
-Tu te rends compte, Jean-Claude Michel! Rien que ça!!
Elle battit des mains, laissant son excitation apparaître. Kaori la calma en posant sa main sur son bras car elles attiraient l’attention. Eriko toussota, se sentant un peu idiote. Elle prit le bras de son amie et se dirigèrent vers les petits fours.
Kaori et Eriko passèrent un bon début de soirée. Quelques hommes vinrent se présenter aux deux jeunes femmes, croyant avec assurance obtenir leur numéro de téléphone . Ils furent déçus des refus catégoriques des deux belles. Les filles pouffèrent du dernier homme éconduit lorsqu’à un moment, la jeune étudiante sentit des frissons lui parcourir l'échine. Eriko regarda son amie qui avait légèrement pâli.
-Kaori tu te sens bien ? demanda-t-elle inquiète.
La jeune femme tourna vers elle un regard qu'elle connaissait bien.
-Non ?!! Pas ce soir!!
-Malheureusement si, mais j'ignore où il est exactement.
Eriko souffla de colère ! La soirée se passait trop bien mais il fallait qu'il y en ait un pour embêter son amie.
-Ton fantôme a vu de la lumière et est entré ? Demanda-t-elle ironiquement.
Kaori ne lui répondit pas. Elle balaya la salle du regard, cherchant l'esprit qui lui chatouillait les sens. Elle n'arrivait pas à le repérer, il y avait trop de monde.
Eriko regarda son Amiens. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours connu Kaori avec ce don. Celle-ci avait d'ailleurs hésité avant de lui révéler son secret qui, par moments, était lourd à porter. Eriko avait été sceptique au départ et se serait moquée si ça n’avait pas été Kaori. Elle connaissait suffisamment la jeune femme pour savoir qu'elle ne mentait pas. Le jour où la grand-mère paternelle d'Eriko avait fermé les yeux, Kaori avait révélé certaines choses que seule la famille connaissait. Elle en avait été scotchée. Dans un sens, elle l'admirait et dans un autre elle la plaignait, car on la prenait souvent pour une menteuse.
Une personne au micro demanda aux gens de se rassembler pour écouter le discours de monsieur Takahashi. Kaori resta légèrement en retrait pour observer la foule et elle finit par remarquer un homme qui sortait du lot. Grand, les cheveux bruns courts, des lunettes et portant un imperméable beige qui semblait avoir quelques années. Comment ne l'avait-elle pas repéré plus tôt ? Elle jura en se maudissant. Le fantôme était appuyé contre un des piliers qui ornaient la salle. Il souriait en écoutant les paroles du professeur, qui remerciait les étudiants pour leur ténacité et appuyant sur le fait que riche ou pauvre, tout le monde avait le droit de faire des études.
Le fantôme applaudit à la fin du discours et Kaori fit de même, machinalement, ne le lâchant pas du regard.
Soudain, l'homme tourna la tête vers elle et leurs regards se croisèrent. Il se détacha du poteau, un air à la fois surpris et content d'être enfin vu.
On appela les étudiants à se réunir près des marches afin d'être pris en photo avec leur bienfaiteur. Kaori s’y dirigea. Voulant être discrète et surtout en finir rapidement, elle voulut se placer derrière ses camarades, malheureusement, Kaori déchanta quand elle entendit son prénom crié par monsieur Takahashi.
- -Mademoiselle Tachiki, venez donc à mes côtés, je vous prie.
Cela ne se refusait pas. Elle qui voulait être discrète, c'était loupé !
- -Allons Mademoiselle, détendez-vous, il n'y en a que pour deux minutes. Promis ! lui dit-il en souriant.
La jeune femme se plaça près de son bienfaiteur, sous l’œil envieux de certains étudiants. Un peu nerveuse, elle tourna la tête vers les photographes et sourit légèrement. Son regard accrocha celui de ce fantôme qui lui faisait des grimaces. Kaori se retint de rire alors que les flashs crépitaient.
La pose terminée, Kaori remercia monsieur Takahashi de sa gentillesse. Celui-ci lui demanda si elle passait une bonne soirée ce qu'elle confirma avant de s'échapper discrètement.
Kaori dit à Eriko qu'elle se dirigeait vers l'extérieur afin de parler à son fantôme en toute tranquillité.
-Mais Kaori, il fait froid dehors !
-Je n'en ai pas pour longtemps, promis !
La jeune femme laissa son amie partir. Kaori ouvrit la porte fenêtre et se glissa dehors. Un léger vent glacial la fit frissonner. La terrasse était immense. L’hôtel était légèrement à l’écart de la ville. Un jardin qui était en pause pour la saison était en contrebas. Il devait être magnifique à la belle saison. Elle s’avança vers l’esprit qui regardait au loin. Il tourna la tête vers elle et lui sourit, comme pour la rassurer.
-Enfin quelqu'un qui me voit ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux !
La jeune femme n'en doutait pas.
-Comment vous appelez-vous ? demanda-t-telle. Moi c'est...
- Mademoiselle Tachiki Kaori ! Tout le monde a entendu votre prénom tout à l'heure et c’est sur l’étiquette!
L'esprit vit la jeune femme rougir.
-Navré si je vous mets mal à l'aise, s'excusa-t-il.
-A vrai dire, je n'aime pas trop être remarquée comme ça ! Merci pour vos pitreries !
Ils échangèrent un sourire.
-Je m'appelle Makimura Hideyuki ! Comme vous pouvez me voir et m’entendre, j’ai besoin de votre aide.
-Je vous écoute !
Kaori commençait à avoir froid.
-Je suis mort dans les bras de mon meilleur ami et celui-ci a du mal à remonter la pente. J'ai peur qu'il ne sombre définitivement.
-J'en suis désolée ! Il est ici ?
-Qui ?
-Bah votre ami ! dit-elle
-Non. Il écume les bars de Shinjuku !
Kaori entendit des corbeaux croasser dans son dos.
-Je vois. Il se saoule pour oublier ne serait-ce qu'un instant sa culpabilité. C'est compréhensible et humain. Mais dans ce cas, comment êtes-vous arrivé ici ?
Hideyuki sourit.
-Si je vous disais que j'ai vu de la lumière et que je suis entré, vous me croirez?
Kaori manqua d'éclater de rire en repensant à la phrase d'Eriko.
-J'en avais marre de suivre Ryo dans sa tournée alors j'ai erré comme une âme en peine, ce qui est mon cas. J'ai vu toute cette agitation dans cet hôtel alors je suis entré tout simplement. Ils avaient l'air bon les amuse-gueules !
-Ils l'étaient !
-Kaori ! entendirent-ils.
Eriko pénétra sur la terrasse et vit son amie complètement frigorifiée.
-Tu vas tomber malade, on rentre !! ordonna-t-elle. Tu débutes à la clinique vétérinaire lundi. Si tu commences comme ça...
Kaori voulut protester mais Hideyuki approuva Eriko.
-Elle a raison votre amie ! Étant mort, je n’ai pas remarqué qu’il faisait froid. Je suis désolé ! dit-il d'un air navré.
-Ne vous inquiétez pas, je suis plus solide que j'en ai l'air !
-Il est encore là ? chuchota Eriko.
-Oui et pas la peine de chuchoter ! répondit Kaori, amusée.
-Il est séduisant ?
-Eriko !!! s'exclama Kaori. Excusez mon amie, elle a la langue trop bien pendue des moments.
Hideyuki toussota légèrement en remontant ses lunettes, gêné. Kaori trouvait cet homme attachant.
-Allez-y !! Je me débrouillerai pour vous retrouver !
Hideyuki lui sourit puis il disparut. Kaori rentra dans la salle de réception en jetant un coup d’œil à la terrasse, au cas où. Elle ne savait pas pourquoi mais elle sentait un lien particulier avec lui. Haussant les épaules, elle suivit son amie au vestiaire pour enfin pouvoir rentrer chez elles.