Ange-Gardien

Chapitre 2 : ENNEMI

4948 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/07/2025 08:27

CHAPITRE  2 : ENNEMI?


Kaori errait dans la rue.  Les épaules basses, elle ne prêtait aucunement attention à la foule autour d’elle. Certains passants la regardaient, intrigués par cette tristesse. Le vent se levait, des nuages s’amoncelaient, aussi sombres que son moral. Elle soupira. Le cœur n’y était vraiment pas. Le beau soleil de ce matin ne l’avait en rien égayé. En choisissant le métier de vétérinaire, elle savait qu’il y aurait des bons et des mauvais moments. Seulement, Kaori aurait aimé que ce soit le plus tard possible.

Elle était arrivée à la clinique avec une boule au ventre. On euthanasiait un chat bien connu du personnel : Kyo. Ce chat était épatant. Toutes les fois où il venait à la clinique, que ce soit pour son rappel ou autre, le chat était très coopératif. Il ronronnait tout le temps. Le responsable de la clinique, le docteur Toshiba, avait avoué que ce chat était son préféré. Son moral à lui aussi avait été  bas ce matin. Il avait beau en voir depuis tant d’années, mais on reste humain et il existe des moments difficiles. Il y a peu près six mois, on a diagnostiqué chez l'animal un cancer. Kaori était présente lors de l’annonce à madame Ito. La pauvre s’était effondrée, en pleurs. Kyo, voyant ses larmes, s’était approché d’elle pour se frotter contre son visage, comme pour calmer son chagrin. Cela avait rendu les choses encore plus difficiles. 

Malgré le traitement et l’amour de sa maîtresse, le crabe avait gagné ! Kyo avait senti que sa fin était proche. La maladie l’avait amaigri et affaibli. Le docteur Toshiba avait expliqué d’une voix douce la procédure qu’il allait effectuer. Madame Ito avait pleuré en caressant son chat mais l’avait écouté. Pendant que le vétérinaire avait préparé la seringue, elle avait remercié l’animal pour toutes les années passées à ses côtés avec elle. Il avait été son compagnon de route, calmant son chagrin après le décès de son mari.  Kaori l'avait soutenue du mieux qu’elle avait pu et cela avait été un véritable déchirement quand le décès avait été prononcé. 

On avait ensuite conduit Madame Ito dans une sorte de salon où les propriétaires d’animaux, après cette épreuve, pouvaient se reprendre dans une atmosphère accueillante. Kaori était restée avec elle, lui offrant un thé bien chaud une fois qu’elle s'était calmée. La maîtresse de Kyo lui avait raconté la première rencontre avec son chat.

-Un soir alors que je sortais les poubelles, j’ai entendu un miaulement. Il était si faible que j'ai cru avoir rêvé. Je l'ai entendu à nouveau et en fouillant les déchets, j'ai trouvé un chaton dans un état pitoyable. Je lui ai fait prendre un bain et croyez-moi il n’était pas ravi ! avait-elle sourit à ce souvenir. 

Les yeux perdus dans sa tasse, ses doigts caressant l'anse, elle avait soupiré.

-Je lui ai donné les restes que j’avais, le temps de lui chercher le nécessaire, le lendemain. En l'emmenant ici, le docteur Toshiba lui donnait à peine trois mois. Le poil était dans un état…Comment peut-on faire ça à un si petit animal ? L’humain est si cruel parfois !

Elle avait regardé Kaori, de la colère au fond des yeux. Madame Ito avait pris sa tasse et l'avait portée à ses lèvres avant de continuer

- Kyo a passé douze ans avec moi. Il a permis à ce que la perte de mon mari soit moins difficile à supporter. J’ai les enfants qui m’ont soutenue, certes, mais ils ont leur vie. Quand vous avez passé trente années aux côtés d’un homme que vous aimez et que d’un coup vous vous retrouvez seule…c’est très compliqué. Kyo m’a mis du baume au cœur et je ne le remercierai jamais assez pour ça !

Kaori avait posé sa main sur celle de madame Ito.

-Vous l’avez remercié ! Vous ne l’avez pas laissé souffrir inutilement et vous l’avez accompagné jusqu’au bout. L’amour c’est cela aussi.

La vieille dame avait souri. La porte s'était ouverte sur une jeune femme qui était le portrait craché plus jeune de Madame Ito.  Sa fille était venue la chercher pour passer le reste de la journée avec elle. Avant de partir, Kaori lui avait assuré qu’ils l’appelleraient pour aller chercher les cendres de Kyo .

L'étudiante après sa journée, avait décidé de se promener mais, toute à ses pensées, elle n'avait pas senti les premières gouttes de pluie. 


Au même moment, Hideyuki accompagnait Ryo à son café préféré le Cat’s Eyes . Comme à son habitude, celui-ci dragua des femmes sur son chemin. Il fut recalé à chaque fois et se prit un poteau, des claques... Le fantôme désespérait de l’attitude de son ami car malgré toutes ses frasques, il voyait la lueur de tristesse dans le fond de son regard. Pendant que Ryo entrait dans le café, Hideyuki tourna la tête. Il vit au loin, une jeune femme qui lui rappelait quelqu'un. Cherchant dans sa mémoire, il trouva. La médium était à quelques pas de lui. Il fallait qu'elle vienne dans le café, il avait besoin de lui parler. Kaori pourrait transmettre son message où il lui dirait de ne pas se laisser aller, que la culpabilité ne le ramènera pas, que Shinjuku avait besoin de lui et tant d'autres choses. Les mains dans les poches, elle avançait le regard au sol. La pluie tombait depuis plusieurs minutes et  Kaori était complètement trempée. Laissant son ami de côté, il appela la jeune femme en allant à sa rencontre à côté d’elle.

-Bonjour Mademoiselle Tachiki!!

Elle sursauta.

-Makimura? Bonjour !! .

- Venez avec moi, je connais un café bien sympa ! Vous avez besoin de vous sécher .

Kaori le regarda, puis leva la tête vers le ciel. Tiens, c'est vrai , il pleut !Elle suivit Hideyuki en traînant des pieds. Le fantôme s'en inquiéta. Elle qui était si souriante lors de la soirée... C'était un contraste aujourd'hui. 

- Ça n'a pas l'air d'aller Tachiki? questionna Hideyuki.

La jeune femme grommela et il comprit qu'il ne fallait pas insister.

Kaori entra dans le café espérant pouvoir se sécher quand, soudainement, elle vit un homme avec un regard libidineux, bave aux lèvres, un obsédé quoi, lui sauter dessus. Les péripéties de la journée l'avaient éreintée et voir un pervers voler vers elle pour tenter de la peloter alors qu'elle voulait être tranquille, certainement pas !!!

Au tintement de la clochette, Ryo s'était retourné . Il avait été intrigué par cette personne. Son aura dégageait quelque chose de tellement spécial qu'il avait senti des frissons lui parcourir la nuque. D'habitude, son sixième sens l'avertissait de la présence de personne par des picotements qui le prenaient le long de l'échine dorsale, mais là…  ça avait été différent. Le regard triste qu'elle arborait lui avait donné envie de la taquiner. L'obsédé au fond de lui avait refait surface car ce qu'il avait vu l'avait enchanté au plus haut point : une fille très mokkori avec des vêtements  qui lui montraient ses formes généreuses, ses cheveux  mouillés ramassés en chignon, son pull à col roulé qui lui moulait ses formes , tout pour attirer le pervers numéro 1 du Japon. Il s'y connaissait en femme et celle-ci avait des mensurations à faire damner un saint.  Alors ses doigts étaient devenues incontrôlables.

Ryo eut à peine le temps de poser les mains sur sa poitrine qu'il se prit une massue de deux cents cinquante tonnes sur la tête. Le sol se fissura. Kaori regarda sa victime.

- F'est pas fuste !!! grogna-t-il

- Tu n'as qu'à mettre tes mains ailleurs espèce d'obsédé !! cria-t-elle en appuyant dessus, folle de rage.

Quelques dizaines de corbeaux volèrent dans le café. Hideyuki se pinça le nez. Leur rencontre commençait bien.

Kaori se rendit compte en regard des personnes présentes dans le café, que le silence s'était fait et la gêne la prit. Elle souleva sa massue, libérant l'homme qui avait tenté de la tripoter. Celui-ci remit ses vertèbres en place et regarda la jeune femme.

- Je suis sûre que vous êtes célibataire  ! Aucun homme ne voudrait de vous ! Dit-il. 

Il ne manqua pas de jeter un regard sur sa tortionnaire. Ses yeux noisettes le fixèrent avec surprise d'un premier abord avant de s'enflammer de colère. Imaginant bien la raclée qu'il allait reprendre, Ryo s'empressa de rejoindre son tabouret.

Hideyuki se plaça devant la jeune femme.

- Euh....mademoiselle, je vous présente mon partenaire et ami Monsieur Saeba Ryo, dit-il.

- Vous êtes sérieux ? s'exclama-t-elle.

Son expression avait franchit ses lèvres et ce fut trop tard pour rattraper le coup.

- Que vous êtes violente ? Oui je suis sérieux ! répondit Ryo croyant qu'elle s'adressait à lui.

Elle serra les dents pour ne pas l'envoyer paître. Kaori vit alors les deux personnes derrière le comptoir. Une femme aux cheveux longs noirs, très belle, lui dit bonjour en souriant et elle lui répondit de bon cœur. A côté d'elle, un homme à la stature impressionnante, chauve, portant des lunettes de soleil qui semblait la fixer. La médium avait la nette impression qu'il sentait qu'elle n'était pas comme les autres. Valait mieux rester sur ses gardes, se dit-elle. Elle s'inclina.

- Je vous présente mes excuses pour les dégâts causés. Je vous rembourserai les frais.

La barmaid se mit à rire.

- Ne vous inquiétez pas, nous avons l'habitude avec cet énergumène. Faudrait que vous me montriez comment vous faites avec votre massue, là, cela m'évitera de racheter des plateaux.

Elle montra l'ustensile sacrifié qui portait le visage en 3D du pervers au comptoir.

- Ah oui, en effet! dit Kaori en souriant. 

- Je m'appelle Miki et voici Hayato Ijun surnommé Falcon, mon associé, dit-elle en présentant le géant à côté d'elle.

Celui-ci sortit une sorte de grognement de gêne. Vu le regard que lançait la barmaid sur le géant, Kaori comprit l'amour que portait la propriétaire à cet homme. Quant à savoir si c'était réciproque, difficile de juger le regard du géant avec des lunettes de soleil sur son nez! Tout en lui était imposant mais pourtant, il essuyait cette assiette avec tellement de délicatesse.. 

- L'homme à côté de vous est un ami, Ryo Saeba..

- Surnommé « l'étalon de Shinjuku » finit celui-ci, tout fier.

Kaori tourna la tête vers lui.

- On se demande pourquoi ? dit-elle en se retenant de rire en voyant son expression de surprise.

- Venez vous asseoir, mademoiselle, interrompit Miki, je vais vous faire un thé bien chaud ! Vous en avez bien besoin !

Kaori la remercia vivement.

- Vous pouvez m'indiquer les toilettes s’il vous plaît, j'aimerais me sécher un peu.

- Bien sûr mademoiselle … ?

- Kaori Tachiki.

- Je vais vous donner une serviette, vos cheveux auront du mal à sécher sinon. 

Miki partit dans l'arrière boutique. Le géant alla à l'autre bout du comptoir afin d'encaisser des clients qui fixaient la jeune femme d'un drôle d'air. Kaori se sentit rougir, honteuse. 

Elle en profita pour observer l'homme au comptoir. Grand, musclé, cheveux de jais, il était assez séduisant. Il émanait de lui un charme qui la troublait. Ryo la fixa à son tour. Elle voulut lui sourire mais elle se sentit blêmir, quelque chose dans ses yeux, lui donna des frissons. Kaori y voyait son interrogation mais en profondeur, elle vit de la souffrance. Pas par rapport à la mort de son ami, mais quelque chose de plus ancien, de plus ancré. Une blessure béante qui ne se refermera sans doute jamais. 

- Vous êtes toute pâle, vous vous sentez bien ?

Miki lui tendait la serviette, inquiète. La jeune femme rassura la barmaid d'un sourire.

- La journée à été très éprouvante, lui répondit la médium.

Miki lui indiqua la direction des toilettes.La médium regarda Hideyuki puis lui fit un signe discret de la tête pour qu'il la suive.

Kaori entra dans la pièce. Elle retira son chignon afin de pouvoir sécher au mieux sa longue chevelure. Hideyuki resta derrière la porte fermée.

- Dites Makimura, vous étiez associé dans quoi avec l'autre pervers ? Dans les magazines euh...comment dire... vous savez avec les femmes...nues.

L'esprit en tomba par terre. Kaori de l'autre côté souriait mais avait les joues rouges.

- Non mais vous plaisantez !!!Même si cela aurait bien plu à Ryo, nous sommes, enfin, étions détectives privés.

Être mort lui pesait par moments, voir les gens vivre autour de lui, leur parler sans qu'ils l'entendent …ça lui faisait mal. L'esprit avait des manques : les odeurs, le toucher, l'envie de se griller une cigarette avec Ryo . Il soupira. 

- Vous êtes encore là? demanda Kaori, surprise de son silence.

- Oui, oui ! répondit-il. Va falloir que l'on trouve un moment pour que je puisse communiquer avec Ryo.

Cela n'était pas toujours facile de faire l'intermédiaire entre les défunts et les vivants. Kaori savait très bien, par expérience, qu'il fallait faire les choses simplement. 

- Nous en reparlerons tout à l'heure, dit la médium en sortant des toilettes.

Quand Miki la vit, elle posa le thé fumant sur le comptoir. Kaori s'assit sur le tabouret après avoir rendu la serviette. 

Pendant qu'elle buvait son breuvage, elle jeta un coup d'oeil sur la décoration . Simple mais chaleureuse. Des banquettes étaient mises contre les murs où différents paysages du Japon étaient suspendus . Des petits vases contenant des fleurs séchées ornaient les tables. En regardant sur sa droite, Kaori vit Hideyuki faire des grimaces à un bébé dans une poussette. La maman parlait avec une amie et jetait des regards amusés à son enfant qui riait aux éclats. La médium sourit. Les jeunes enfants pouvaient voir les esprits jusqu'à un certain âge puis ils ne voyaient plus les âmes autour d'eux, sauf exception comme elle. Lorsqu'elle tourna la tête pour remercier Miki pour son thé, Kaori vit Ryo la fixer avec un drôle d'éclat dans les yeux qui la fit rougir. Amusement ? Tendresse? Cela ne dura qu'un instant car il reprit son sérieux en se voyant observé.

- Alors que faites-vous dans la vie Mademoiselle? demanda la barmaid

- Je suis étudiante vétérinaire. J'arrive dans ma quatrième année.

- C'est un beau métier mais pas toujours facile, n'est-ce-pas ? 

- Non en effet ! soupira Kaori.

La jeune femme se rembrunit. Les souvenirs de la matinée lui revinrent en mémoire.

Hideyuki voyant son air mélancolique s'approcha. 

Ryo jeta un coup d’œil sur Kaori. Il ne savait pas pourquoi mais il n'aimait pas l'expression qu'elle avait dans les yeux. Il se secoua... que lui arrivait-il ? Il la connaissait à peine.

La mère avec son bébé vinrent au comptoir régler les consommations. 

Kaori porta sa tasse à ses lèvres quand elle vit Ryo se précipiter vers l'amie de la jeune maman.

- Vous savez combien vous êtes belle ! dit-il en prenant les mains de la jolie femme. Venez avec moi, je connais des hôtels où nous pourrions faire plein de...

Kaori leva les yeux au ciel en entendant Ryo se prendre un coup de talon sous l'éclat de rire du bébé qui tapait dans ses mains. Les deux femmes sortirent du café, assez fâchées.

- Tu vas me faire fuir des clientes, l'étalon ! maugréa Falcon. 

- Je te les ramènes oui !! Elles ne sont pas insensibles à mon charme! protesta Ryo. 

Miki et Kaori pouffèrent de rire à cette remarque. 

- Falcon a raison. Arrête d'embêter les clientes ! dit la barmaid.

- Et lorsque les clientes m'embêtent, je fais quoi ? dit-il en regardant la médium. 

Kaori croisa le regard de Ryo . Les yeux de celui-ci, de couleur onyx, semblaient rieurs. Mais la médium, une nouvelle fois, vit bien au-delà. Était-ce sa proximité qui lui faisait ressentir les choses plus profondément ? Kaori fut parcourue de frissons dans le dos et elle se sentit oppressée. L'aura de cet homme l'envahissait. Elle était comme dans un brouillard qui finit par s'estomper pour laisser place à un soldat. Un homme grand, blond, qui souriait à Ryo. Il lui posa la main sur l'épaule en lui parlant mais Kaori n'entendait pas. Cet inconnu, regardait Falcon et Ryo. La jeune femme écarquilla les yeux, l'homme fixait le barman puis elle lut le mot sur ses lèvres « ennemi ». Ce fantôme aux cheveux blond la regarda. Kaori arrêta de respirer. Il avait une grande cicatrice sur son œil droit. Il lui sourit et disparut.

- Mademoiselle Tachiki? 

La question la fit revenir à la réalité. Dans un sursaut, elle manqua de laisser tomber sa tasse. Trois paires d'yeux la fixaient enfin quatre en comptant Hideyuki. En reposant son thé, Kaori se rendit compte que ses mains tremblaient.

L'esprit se posait des questions. L'attitude de la jeune femme avec Ryo était bizarre. Il sentait qu'il se passait quelque chose mais il n'arrivait pas à savoir quoi.

Ryo, de son côté, ne comprenait rien. L'aura de cette jeune femme était déjà curieuse mais quand elle le regardait dans les yeux, il avait l'impression qu'elle sondait son cœur et son esprit en même temps. Il n'avait jamais rien ressentit de pareil et il fallait qu'il s'éloigne de cette femme au plus vite.

Il se leva pour sortir du café quand Kaori ouvrit la bouche.

- Vous étiez ennemi sur le champ de bataille n'est-ce-pas ?

Ryo et Falcon se tournèrent l'un vers l'autre. La jeune femme sentit l'atmosphère changer. Elle se maudit intérieurement de son habitude à vouloir comprendre les choses.

- Ce que nous avons été ne vous regarde en rien, dit Falcon sèchement.

Le géant reposa l'assiette qu'il essuyait et prit la direction de l'arrière boutique. Elle vit Ryo la fusiller du regard puis suivre Falcon .

Kaori se sentit mal. Elle n'avait nullement l'intention de blesser qui que ce soit. Miki posa sa main sur la sienne puis la retira

- Je suis désolée, murmura la médium. 

Kaori se rassénéra au regard bienveillant de Miki.

- Certains passés ne peuvent être oubliés mais n'ont pas besoin d'être rappelés, lui dit-elle d'une voix douce. Comment avez vous su ?

La jeune femme ne pouvait pas lui dire qu'elle était médium, la barmaid allait lui rire au nez.

- Dites-lui que c'est leur attitude qui vous y a fait penser, s'exclama le fantôme. Qu'ils ne semblaient pas du genre à aller à la salle de musculation. Sauf Ryo, lui irait pour regarder les femmes en tenue de sport moulante. Euh... vous ne répétez pas la dernière phrase ? Hein ?

Kaori toussota pour faire comprendre à Hideyuki qu'elle avait compris puis répéta les explications. Miki sembla s'en contenter mais la barmaid n'était pas dupe, la jeune femme ne disait pas tout.

La médium décida de partir, sa sœur allait l'attendre. Elle remercia Miki de sa gentillesse et renouvela ses excuses.

- Ne vous inquiétez pas, cela sera vite oublié, la rassura la jeune femme.

Kaori n'y croyait pas un seul instant. Elle ouvrit la porte du café puis s'engouffra dans la rue. La pluie avait pris fin. D'un regard, elle indiqua à Hideyuki de la suivre.

Ryo et Falcon  étaient derrière dans la cour menant à une rue parallèle du café. Leurs regards se  posèrent sur les gens marchant dans la rue plus loin, certains pressés d'autres prenant leur temps ou discutant avec leur amis. Les pensées des deux hommes se perdirent dans la foule tokyoïte  et sentirent l'aura de la jeune femme s'éloigner. 

- Comment a- t-elle su, d'après toi ? demanda le géant.

- Aucune idée! répondit son acolyte. Tout ce que je peux dire c'est que son aura semble curieuse. J'ai eu l'impression que j'étais sondé lorsque je la fixais. Crois-moi, ça fait bizarre.

- Peut-être qu'elle a un troisième œil ? suggéra Falcon. Il ne vaudrait mieux pas dans un sens. Avec toutes tes pensées lubriques...

Ryo ne releva pas et haussa les épaules. Sa  rencontre  avec elle le tracassait. Cela aurait pu être des plus normales mais ça ne l'était pas. 

- Je vais demander à mon lieutenant préféré de me renseigner sur cette Kaori. Je préfère être prudent.

- Tu penses que cela est nécessaire?demanda le géant.

- Peut-être ! En tout cas, elle est sacrément bien roulée !

Falcon soupira, désemparé. Il frappa Ryo sur la tête car celui-ci recommençait à partir en mode pervers.

- Aïe!!Espèce de tortionnaire!! cria la victime, la larme à l’œil.

Le barman ouvrit la porte pour rentrer dans le café.

- Oui et sois un peu sérieux. Nous ne savons pas à qui nous avons à faire !

Ils y pénétrèrent tous deux et reprirent leur place au comptoir.

- Il y a quelque chose de pas net , dit Falcon. L'aura de cette jeune femme est plus grande que les autres. C'est vraiment curieux.

Ryo approuva. 

- Je te tiens au courant, ma tête de poulpe !

- Arrête de m'appeler comme ça !

- Mais il te va trop bien, ce surnom !! le taquina t-il en évitant de peu le plateau balancé par Falcon.

- Laisse le tranquille à la fin, Ryo !! se fâcha Miki. Va draguer tes bunnies !!!

Puis elle se tourna vers son associé.

- Cette Kaori a l'air si gentille et j'ai senti qu'elle regrettait sincèrement de vous avoir blessés 

- Nous avons plus été surpris qu'autre chose, affirma Ryo. Par contre, notre passé ne regarde personne.

Il salua le couple, non sans avoir tenté de tripoter Miki ! Cette fois, Falcon lui balança un tabouret. Il gagna la sortie aussi vite qu'une fusée. Il se dirigea vers la gare car il sentait l'aura de la jeune femme dans les environs. 

Après le départ de Ryo, Falcon rangea la vaisselle mais sentit le regard de Miki sur lui.

- J'avais l'impression que la jeune femme n'était pas seule. C'était plus fort que d'habitude. La présence est avec Ryo normalement mais là, elle est arrivée avec  Kaori et est repartie avec elle.  Cette femme sait ce que c'est j'en suis sûre.

- Peut-être est-ce leur ange gardien? murmura la barmaid en posant sa main sur le bras de Falcon.

Il tourna la tête vers elle puis garda le silence. Qui sait ?

Les nuages laissaient place par intervalles aux rayons de soleil qui annonçaient l'arrivée du printemps. Hideyuki ne s'était pas fait prier pour suivre la médium et depuis qu'ils avaient quitté le café, aucun mot n'avait été échangé. Kaori s'arrêta à un téléphone public. Elle décrocha le combiné, mis une pièce et  fit semblant de composer un numéro.

- Bon, pour votre ami, nous faisons comment ?

Hideyuki la regarda. Elle avait pris l'appareil afin de simuler une conversation téléphonique. C'était malin... très malin.

- Alors ? reprit-elle. Vous voulez que je serve d'intermédiaire à votre ami, non ? Déjà, où doit-on se retrouver ? En plus, il faut que vous me racontiez une anecdote que seul Saeba et vous connaissez !

Hideyuki réfléchit. Ryo faisait sa tournée des bars tous les soirs. Ne pas venir trop tôt afin d'éviter sa mauvaise humeur.

- Samedi  vers 11h ? On se retrouve à la gare trente minutes avant. Comme ça on peaufine notre arrivée. On se rejoint au tableau des messages ?

- Au tableau des messages ? D'accord nous faisons comme ça ! Deux jours pour se préparer . 

Kaori redoutait légèrement ce rendez-vous . Après ce qu'il s'était passé au café, comment allait-il réagir ?

Le fantôme vit son regard inquiet et comprit le cheminement de ses pensées.

- Ryo peut sembler insupportable, mais c'est quelqu'un de bien, sourit-il.

- Ça je le sais, mais vu ce qu'il s'est passé tout à l'heure...il ne va pas vouloir me parler, insista la jeune femme.

Kaori ne supportait pas de faire du mal aux autres, même aux inconnus. La réaction des deux hommes face à sa question, la tiraillait.

- Vous aviez raison. Ryo et Falcon ont été ennemis sur un champ de bataille. Ils ont partagé beaucoup de choses et peu d'hommes peuvent s'en vanter. D'ennemis, ils sont passés à ami avec un profond respect l'un envers l'autre. Ils ne veulent pas en parler, c'est tout. Ne vous inquiétez pas !

 C'était très rare que  Ryo en discute mais il a fallu un moment de beuverie et de grosse frayeur sur une affaire commune avec Falcon à Osaka (où Hideyuki avait rencontré le géant pour la première fois) pour que le cœur de son ami s'ouvre à lui. 

- Makimura?

Sortant de ses pensées, le fantôme regarda la médium. Son regard noisette avait retrouvé son éclat.

- Merci de me remonter le moral, dit-elle en souriant. On se voit samedi ?

Il hocha la tête. Kaori raccrocha l'appareil et prit la direction de son domicile. Elle ne vit pas que quelqu'un la suivait.

Hideyuki la regarda s'éloigner. Il y avait quelque chose avec cette jeune femme. Il avait envie de la prendre dans ses bras quand elle était triste. Curieusement, il se sentait proche d'elle et ressentait le besoin indéniable de la protéger. C'était perturbant. Il haussa les épaules et disparut sans voir que Ryo lui avait emboîté le pas à Kaori. Depuis sa sortie du café, le nettoyeur avait retrouvé la trace de la jeune femme. La voyant prendre un téléphone, il s'était placé de telle manière à pouvoir lire sur ses lèvres. Cela n'avait pas été évident avec la foule mais il avait réussi à trouver un endroit pour voir sans être vu. Il avait sursauté quand il avait lu le prénom de son défunt ami. Des gens appelés Makimura, il y en avait à Tokyo mais c'était une drôle de coïncidence. 

La question qu'elle avait posée dans le café, avait surpris les deux anciens mercenaires. Très peu de gens étaient au courant de ce fait. Le seul auquel il avait fini par se confier était décédé il y a un an. 

Son partenaire lui manquait. Il avait atténué la rage et la haine qui étaient contenues au fond de son cœur qui, par le passé, lui avait valu son surnom « d'ange de la mort ». Hideyuki avait transformé ces noirs sentiments en émotions plus humaines. Allait-il tenir encore longtemps sans redevenir cet ange que la pègre redoutait ?

A plusieurs reprises, il vit Kaori se retourner et scruter les environs. Ryo était bluffé. Elle le sentait  alors qu'il dissimulait son aura. Pendant le trajet, il avait maté son postérieur. Son mode pervers avait  dû être freiné sinon il était sûr de se faire repérer. Il la vit pénétrer dans un immeuble dans un quartier près de Shinjuku. C'était calme dans le coin. Il en était rassuré. Non mais je rêve, je m'inquiète pour elle alors que je ne la connais pas ! se rabroua-t-il. Il vit des lumières s'allumer au deuxième étage. Se faisant le plus discret possible, il alla voir les boîtes aux lettres. 

« Sayuri et Kaori TACHIKI» .

Le nom lui avait dit quelque chose au Cat’s.  Sur le trajet du retour, il se demanda où il l'avait entendu. D'un coup, il se rappela. « Et merde !» pesta-t-il. Il se rappelait bien comment il en était venu à connaître « TACHIKI ». Cela n'arrangeait pas ses affaires.





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