Ange-Gardien
Mine de rien, Hideyuki n'en menait pas large. Il redoutait la réaction de son fidèle ami lui avait déjà maintes fois clairement exprimé son avis sur l'ésotérisme. Le fantôme jeta un coup d'œil à la médium. Kaori n'était pas du tout rassurée.
-Écoutez, je vais pénétrer dans l'appartement et si Ryo ne se réveille pas malgré vos coups sur la porte, je m'en occupe, la rassura-t-il.
-D'accord, on fait comme ça !
Hideyuki passa à travers la cloison. Kaori frappa à la porte et attendit. Le silence lui répondit. Elle s'apprêtait à recommencer lorsque la jeune femme entendit le fantôme crier quelque chose. La médium n'eut pas le temps de se poser la question que la porte s'ouvrit sur un Ryo Saeba... complètement...nu.... comme un ver. L'un comme l'autre se regardèrent, surpris de se retrouver nez à nez.
- Désolé, dit Hideyuki qui avait à nouveau franchi la cloison, je vous ai crié qu'il était en tenue d’Adam mais apparemment vous ne m'avez pas entendu.
Le regard de Kaori resta dans celui du nettoyeur au début puis, peut-être par gravité, descendit plus bas. Admirant au passage sa musculature..ses abdos.. puis...ses yeux s'agrandirent d'étonnement.
-Quuuueeee... Qu'est-ce que c'est que ce truc? hurla-t-elle choquée.
-Vous voulez que je vous montre ou que je vous explique à quoi ça sert? murmura Ryo d'une voix chaude et un regard amusé.
Elle rougit. Ryo vit la jeune femme sortir une massue « anti-exhibitionniste ». Effrayé par l’immensité de l’engin, Ryo recula dans son appartement, les mains devant lui. La jeune femme s’avançait prête à dégainer.
-Vous pourriez vous habiller quand même !! hurla la médium. C'est quoi ces manières ?
La massue arriva sur la tête de Ryo, malgré ses protestations. Le choc fut tellement grand que l’immeuble en vibra.
Hideyuki pencha la tête et une libellule lui tomba sur le crâne.
- Non mais ce n 'est pas possible!!! soupira-t-il.
Arrivée quasiment au milieu du salon, Kaori fulminait. Les poings serrés, ses yeux lançaient des éclairs. Le fantôme crut entendre le sifflement d’une cocotte minute.
Ryo était encore sous l’engin de torture de la jeune femme, pas du tout ravi de la situation. Il s’attendait à la voir partir en courant en remarquant sa nudité mais cela l’avait mise en pétard. Que faisait-elle ici, d’abord?
- Vous pouvez refermer la porte? Je sens des courants d’air !! lui intima-t-il encore par terre.
Une fois que la jeune femme se fut exécutée et qu’elle lui tournait le dos, il se leva. Il repoussa la massue avec difficulté. Lui qui entretenait sa forme fut étonné de la force avec laquelle elle avait manipulé l’engin. Ryo sentit une belle bosse sur son crâne. Voulant encore la taquiner, il s'approcha de Kaori et susurra à son oreille.
-Je vous ai vu admirer mon corps d'Apollon, Mademoiselle. Je ne vous croyais pas comme ça.
La médium sentit ses pommettes chauffer. Elle entendit Ryo ricaner puis monter des marches. La jeune femme tourna la tête et en profita pour admirer le fessier du nettoyeur. Kaori avait envie de le siffler tellement son arrière train était appétissant. Elle fut surprise de ses pensées perverses et se demanda s’il ne déteignait pas sur elle.
Ryo devina le regard de Kaori dans son dos puis se retourna brusquement et lui fit un clin d'œil. La jeune femme piqua un fard monstre puis se détourna, honteuse de s'être fait prendre en flagrant délit. Le rire du nettoyeur résonna à ses oreilles.
Hideyuki n'en revenait pas. Il rêvait ou ils se cherchaient mutuellement ? Il secoua la tête. Hideyuki savait pertinemment que la médium était au goût de Ryo. Il a été surpris du voyeurisme de Kaori mais, après tout, pouvait-il le lui reprocher ? Son ami était bel homme et peu de femmes lui résistait, mais Ryo préférait multiplier les conquêtes. Il ne voulait pas s'attacher, trouvant que dans leur monde, c'était trop dangereux. Combien de fois Hideyuki avait tenté de le convaincre de se fixer une bonne fois pour toutes mais Ryo n'en avait pas démordu.
-Le ménage n'est pas souvent fait, observa Kaori.
Elle promena son regard dans l'appartement. La médium se déplaçait en ne manquant pas de remarquer la sobriété de ce logis. Elle ramassa quelques bouteilles pour les poser sur la table déjà encombrée de déchets de nourriture. Kaori jeta un coup d'œil aux marches que le nettoyeur avaient empruntées puis la jeune femme se plaça devant la fenêtre.
-Ryo a choisi cet immeuble à cause de son emplacement, indiqua le fantôme flottant à côté d’elle.
Kaori regarda Hideyuki avec étonnement.
-On ne peut tirer sur ce bâtiment que depuis celui-ci, là-bas, lui révéla-t-il.
Il montra du doigt une bâtisse quasiment aussi haute que celle dans laquelle elle se trouvait. Kaori trouva la distance entre les deux un peu grande. Elle voulut poser une question mais une voix se fit entendre.
-Je peux savoir ce que vous faites chez moi?
Kaori se retourna et manqua de heurter le nettoyeur... habillé. Il était près, trop près. Elle sentit son pouls s'accélérer. La jeune femme plongea son regard dans celui de Ryo. Il la fixait avec un air qui la déstabilisa. Les yeux noirs de cet homme exprimaient à la fois du désir, de l'amusement et autre chose qu'elle n'arrivait pas à définir. Redoutant de provoquer la même chose que dans le café,( elle s’était trop plongée dans son regard et la brume était apparue provoquant l’apparition de l’homme à la cicatrice) Kaori baissa la tête puis s'écarta. Elle se plaça à côté de lui, ses yeux admirant la ville. Devait-elle lui en parler de cet homme qui hantait ses cauchemars? Elle se passa la main sur son visage puis soupira. La jeune femme ne savait plus quoi faire.
Le nettoyeur se surprit à regretter cette prise de distance. Il avait adoré son beau regard noisette si expressif. Ryo se mit une claque mentalement car il commençait à perdre pied face à cette jeune femme qu'il connaissait à peine et cela ne lui était jamais arrivé.
-Je tiens à m'excuser pour ce que je vous ai dit dans le café. Votre passé ne me regarde en rien, vous aviez raison, dit Kaori.
Ryo se tourna vers elle. Les rayons du soleil éclairait la chevelure auburn de la jeune femme d'un halo flamboyant. Il détailla un peu plus la tenue de Kaori qui était des plus simples. Un pantacourt surmonté d'un t-shirt qui ne cachait en rien sa poitrine généreuse et une veste en jean complétait la tenue. Ses cheveux, libres, lui tombaient au milieu du dos. Des pensées lubriques le parcoururent alors il se détourna pour se reprendre.
Hideyuki ne perdait pas une miette de la bataille intérieure que menait son ex partenaire et cela le fit sourire.
-Vous n'avez pas répondu à ma question, insista Ryo.
La médium sentit son angoisse monter.
-D'ailleurs, comment avez-vous su où j'habite ? demanda le nettoyeur.
Kaori se mordit la lèvre inférieure et se jeta à l'eau.
-C'est Makimura Hideyuki qui m'a montré cet immeuble.
La jeune femme sentit l'atmosphère changer brutalement. Elle ferma les yeux s'attendant à de la colère.
-Mon partenaire est mort, dit Ryo entre ses dents.
-Je sais.
Inspire, expire, se dit-elle. Puis elle murmura :
- J'ai rencontré Makimura...enfin...son fantôme tout récemment.
Kaori regarda son interlocuteur dans les yeux. Ryo semblait attendre, sans aucune expression. Elle continua:
-J'ai un message à vous faire passer et c'est pour cela que je suis là. Ça fait un an qu'il essaie d’entrer en contact avec vous. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques jours et je lui ai proposé de lui servir d'intermédiaire.
La médium vit la mâchoire de Ryo se contracter puis son regard s'assombrir.
-Je ne crois pas aux esprits et encore moins aux médiums.
-Ça va être compliqué de lui faire entendre raison, expliqua Hideyuki en grimaçant. Ryo est comme Saint Thomas : il ne croit que ce qu'il voit.
Kaori fixa le fantôme.
-Il ne vous voit pas, comment voulez-vous que…
-A qui parlez-vous ? demanda Ryo d’un ton sec.
La médium déglutit. Elle s'était doutée que cela n’allait pas être facile. Mais ce que cet homme dégageait lui faisait peur. Le nettoyeur s'avança vers elle, ses yeux la foudroyant sur place. Elle recula.
-A votre avis ? lui demanda la médium.
Maintenant qu’elle était là, elle irait jusqu’au bout. Elle poursuivit:
- Vous avez demandé à l'ancienne partenaire de Makimura, mademoiselle Nogami de mener une enquête sur moi, n'est-ce-pas ?
Cette question fit l'effet d'une bombe. Ryo fixa Kaori, perplexe.
- Votre défunt ami était là, dans le parc. Il vous a vus et entendus. Ensuite, il m'a tout raconté. Pourquoi vous méfiez vous de moi ? Hein ?
Le nettoyeur mit les mains dans les poches de son pantalon.
-Hideyuki était mon meilleur ami et il est hors de question qu'on salisse sa mémoire.
Comment pouvait-elle être au courant de cela? Ne croyant pas aux esprits, il se posait des questions et une pensée subite vint effleurer son esprit . Il plissa les yeux.
-Dites-moi, comment avez-vous su que nous étions mercenaires Falcon et moi ? Vous aussi vous avez mené une enquête ? Comment je peux vous faire confiance avec les renseignements que vous avez ? Vous les tenez de votre sœur, c’est ça?
Ryo vit le visage de Kaori se décomposer.
-Ah, vous ne saviez pas que je l’avais déjà vue. Une femme sacrément têtue. Nous avons dû la menacer afin qu’elle arrête ses investigations sinon elle courait à la mort.
Hideyuki se pinça le nez, dépité.
- Qui êtes vous vraiment? Que me voulez-vous? dit Ryo d’une voix menaçante. C’est votre sœur qui vous envoie pour un article? Elle vous fait passer pour une médium?
Là, ça partait loin. Le fantôme se demanda ce qu’il pouvait faire pour aider la jeune femme.
Kaori n’en revenait pas. On peut être réfractaire mais il ne lui laissait pas le temps de s’expliquer. Sa méfiance l'aveuglait.
- Vous êtes malade !!! affirma la médium.
Le regard de Ryo lui faisait peur. Elle recula à nouveau.
Une bouteille tomba de la table, ce qui surprit Ryo et Kaori puis une deuxième vola vers le nettoyeur qui l’évita de justesse.
La médium regarda Hideyuki et mima un “merci”. Celui-ci lui fit un pouce, content d’avoir été utile.
- Comment avez-vous fait cela ? demanda Ryo interloqué.
Kaori n’eut pas le temps de répondre.
-Vous devriez travailler dans un cirque ou un cabaret, c’est impressionnant ce que vous faites !! Je n’ai rien vu venir.
La médium sentit son épaule se dénuder et des corbeaux défilèrent. Hideyuki leva les yeux au ciel, désespéré.
- Venez, Mademoiselle, on s'en va. Par moments, mon ami est d'une stupidité, dit Hideyuki. Désolé de la tournure des événements.
Tout en parlant, il lui prit le bras tandis que Ryo la saisissait par la main.
-Vous n'allez pas partir comme ça ! Vous aviez quelque chose à me dire, il me semble.
- Ne faites pas ça... commença-t-elle d'une petite voix.
Kaori se sentit bizarre. Les deux hommes la touchaient et la connexion se fit avec la médium. Elle voulut s'écarter mais c'était trop tard.
Une brume les entoura tous les trois, puis, elle se dissipa et Kaori vit les souvenirs qu'ils avaient en commun. Au début, les images défilèrent rapidement. La médium vit leur première rencontre, leurs affaires puis cela ralentit. Elle se retrouva dans un souvenir, leur dernier en commun :
Kaori était à côté de Ryo, il pleuvait mais les gouttes la traversaient. Le nettoyeur était au pied de son immeuble, un parapluie fermé sur l'épaule.
- Et voilà, il pleut ! disait-il. On n'a pas envie de sortir par un temps pareil.
La médium vit Ryo tourner la tête, intrigué par le bruit de pas qui se rapprochait. Elle suivit son regard et retint son souffle, c'était Hideyuki. Il était en très piteux état. Son imper était déchiré en plusieurs endroits. Il avait le visage recouvert de sang. Kaori fixa Ryo devenu blanc comme un linge, l’angoisse envahissait son aura.
- Makimura !!! cria le nettoyeur.
Ryo se rapprocha d’Hideyuki qui titubait.
Le blessé s'effondra dans les bras de son ami. Kaori vit alors une barre enfoncée en grande partie dans le dos d'Hideyuki.
-Mon dieu, quelle horreur ! murmura-t-elle.
Kaori mit les mains devant sa bouche pour étouffer un hurlement.
- Poussière d'ange, poussière d'ange, répétait Makimura. C'est le cartel Union Teope.
Hideyuki serra le dos de son ami .
-Fais attention à toi !! dit-il d'une voix qui s'éteignit.
Ryo amplifia son étreinte alors que le corps de son ami se relâchait.
-L'enfer sera un peu triste au début, mais je vais vite te l'égayer Makimura ! promit le nettoyeur.
La vision s'estompa et Kaori croisa le regard inquiet de Ryo. Elle se tourna vers Hideyuki, et ses lèvres tremblèrent. La médium déglutit, tentant de calmer les sanglots qui venaient du fond de sa gorge.
- Mademoiselle Tachiki, qu'avez-vous ? questionna le fantôme.
- Union Teope. Oh...Makimura je suis tellement désolée ! dit la jeune femme dont la voix tremblait. Votre mort…
Le fantôme la regarda, étonné. Ryo pâlit à ces paroles. Avait-il mal entendu? Comment pouvait-elle savoir pour l'Union Teope?
Kaori se dégagea de la poigne du nettoyeur. Elle était fatiguée de toutes ces émotions. Entre son cauchemar, ses visions, elle n’en pouvait plus. Kaori jeta un coup d'œil à Ryo.
Les bras ballants, il était sidéré.
Comment pouvait-elle savoir tout cela? Devait-il encore douter d'elle ? Est-ce qu'elle serait vraiment médium ? Lui qui était sûr de tout se retrouvait face à quelque chose qui le dépassait. Ryo était complètement perdu. Peut-être était-elle dangereuse ? Mais il ne pouvait s’y résoudre. Quelque chose lui disait qu’il pouvait lui faire confiance.
Hideyuki fixait Kaori. Elle avait vu sa mort et il avait l'impression de la revivre. Cette souffrance qu’il avait ressentie… la dernière étreinte avec son meilleur ami… les pensées qu’il avait eues pour Saeko. Hideyuki préféra partir afin de digérer tout cela.
La médium regarda Makimura disparaître, et cela ne la surprit pas. Pour les deux hommes, cela avait été certainement un choc. Reportant son attention sur Ryo, elle le vit se diriger vers le bar et s’enfiler un verre de whisky d’une seule traite. Elle voulut s’approcher mais le regard qu’il lui lança la stoppa net.
- Et maintenant ? Vous me croyez ? demanda Kaori d’une petite voix.
Ryo remplit son verre une deuxième fois puis posa la bouteille. Il eut un rire de gorge.
- Vous croire ? dit-il en s’avançant vers la médium. Je ne sais pas. Ce n’était pas un secret, la mort de Makimura.
“Mais les détails précis, oui ! pensa-t-il.”
Kaori soupira. Elle en avait vu des têtes de mule mais lui… De sa vision, elle se rappela quelque chose.
-Donnez-moi votre main, demanda-t-elle.
-Quoi? Vous allez me lire la ligne de vie ? s’esclaffa Ryo, content de sa blague.
Le regard sérieux de Kaori le calma un peu. Il vida son verre.
-Vous avez une préférence ? questionna-t-il
- Pardon ?
- Laquelle voulez-vous ? La droite ou la gauche ?
- La gauche, lui dit-elle légèrement agacée.
Il lui tendit et la jeune femme lui prit brutalement, mécontente. Elle se mit à caresser le dos de la main de Ryo qui fut surpris de ce geste doux. Kaori sentit une cicatrice entre deux os.
- Lorsque vous avez tiré dans votre main afin de faire ralentir la balle, vous avez bien visé.
Le nettoyeur manqua de faire tomber son verre. Ignorant le sursaut de Ryo, Kaori poursuivit.
- Vous connaissez bien l’anatomie, bravo! Ainsi, vous avez évité que des passants ne soient blessés. Si vous aviez tiré sur l’agresseur qui s’était mis avec son otage devant la vitre donnant sur la rue, il y aurait peut-être eu des victimes. Il avait été malin mais vous encore plus! C’est une des choses que j’ai vu lorsque Makimura et vous m’avez touchée.
Elle lui relâcha la main, le laissant encore plus dans ses doutes. Kaori sentit un mal de tête arriver.
- Je ne sais plus quoi faire pour vous convaincre. Je vous donne des preuves mais vous préférez faire l’autruche. Je suis épuisée par tout cela. Makimura qui se faisait une joie de pouvoir « communiquer » avec vous…
Ryo garda le silence. Intérieurement il voulait la croire mais son scepticisme l’emportait. Il regarda la jeune femme se retourner pour se diriger vers la porte.
- Quand vous serez prêt à écouter, vous me le ferez savoir ? lui dit-elle d’un ton où perçait à la fois la lassitude et la déception.
N’attendant pas sa réponse, elle claqua la porte d’entrée. Le nettoyeur resta quelques secondes sans bouger puis alla à la fenêtre observer le départ de la médium. Oui, quand il se sentirait apte à écouter, il irait la voir. Le front collé à la vitre, il vit Kaori sortir de son immeuble et disparaître de son champ de vision.