Ange-Gardien

Chapitre 4 : RÉVÉLATION

4677 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/07/2025 17:23



La nuit était bien entamée lorsque Kaori leva son regard des notes de sa sœur. Sayuri avait fait du bon travail. Elle avait regroupé pas mal d'informations sur City Hunter et ses acolytes.  

 Kaori  se frotta les yeux, la fatigue se faisait sentir et la journée du lendemain allait être longue. Elle rangea les papiers dans la boîte et mit celle-ci sur la table basse. Il était presque une heure du matin lorsqu'elle alla se coucher. Morphée vint la chercher assez rapidement.

Dans le lit, la jeune femme  remuait, les yeux fermés elle semblait plongée dans son rêve:

Kaori était debout dans un lieu qu'elle ne reconnaissait pas. Des arbres d'un aspect étonnant l'entouraient... une jungle ! Soudain, elle entendit des voix, des cris d'hommes qui semblaient affolés. Kaori les vit venir vers elle et la traversèrent. Ils étaient en treillis. Des mercenaires, se dit-elle.

L'un d'eux se retourna et semblait  la regarder. Elle s'arrêta de respirer. 

- Me voit-il, vraiment ? se demanda-t-elle

Il était de type espagnol, les traits burinés et il paraissait si jeune, à peine seize ou dix-sept ans. La terreur régnait dans son regard. Kaori eut envie de le prendre dans ses bras, de le rassurer. Puis elle entendit des coups de feu qui la firent sursauter.

- Pedro, dit un homme plus âgé au plus jeune, on dégage !!! Si nous restons là, nous sommes morts.

Ils jetèrent un regard en arrière puis décampèrent. Un autre homme arriva, plus grand, plus large et chauve, il lui rappelait vaguement quelqu'un mais elle ne s'en souvenait pas. La peur qu'il ressentait était palpable. La tension régnait dans tous ses membres. Il rattrapa ses camarades en se retournant pour tirer.

 - Il est derrière nous !! cria-t-il. Avancez!!!

Cette voix…Hayato Ijun...Falcon. 

- Mon dieu, pensa Kaori, que suis-je en train de voir ? Pourquoi ?

Elle sentit une main se poser sur son épaule. Kaori surprise, se tourna. L'homme à la cicatrice.

-Qui êtes-vous ? lui demanda-t-elle

Il ne répondit pas et lui indiqua d'un mouvement de tête de continuer à regarder. Des bruissements dans les feuilles lui signalèrent une présence qui approchait. Kaori vit apparaître un jeune homme, pas encore sorti de l'adolescence. Son regard noir exprimait une telle  haine qu'elle en frissonna de tout son être. Dans ses yeux, l'âme était inexistante, son regard n'exprimait plus rien.

Soudain, il la fixa. Kaori recula, angoissée. L'échange, même bref, s'imprima dans son cœur.  Elle le vit se rapprocher d'elle. Il huma l'air comme pour sentir un parfum ou plutôt une odeur. Il reniflait les hommes qui venaient de s'enfuir comme s'ils étaient du gibier ! Il leva son bras pour lécher le couteau qu'il tenait dans sa main. L'arme était  d'une longueur conséquente et du sang gouttait le long de sa lame. Il passa à côté d'elle et  Kaori put voir sur ce garçon des blessures faites par balle et par arme blanche, sa tenue de camouflage était en lambeaux. Il était toujours debout comme si la haine le faisait tenir. Puis sans faire un seul pas, elle se retrouva soudainement transportée devant les mercenaires qu'elle avait vus précédemment. Ils luttaient contre ce jeune garçon enragé. En voyant les adversaires se défendre tant bien que mal, Kaori ferma les yeux. 

  - Il faut que vous regardiez, dit l'homme à côté d'elle.

 - Non je vous en prie, ne me demandez pas ça ! C'est une véritable boucherie !! Arrêtez, s'il vous plaît !! hurla-t-elle en se bouchant les oreilles.                                                                                                                    

Kaori entendait les cris, les râles des hommes que la vie quittait. Elle sentit les larmes couler sur ses joues.

-Vous devez rouvrir les yeux sinon vous ne comprendrez rien !!! ordonna l’homme à la cicatrice.

Elle ne le fit pas.

-Ouvrez les yeux !!! 

Kaori sentit qu'il valait mieux obéir. Elle vit Falcon qui résistait au mieux malgré la perte de ses camarades. Soudain, d'un mouvement rapide, alors que Falcon faiblissait et marquait un temps d'hésitation, le jeune garçon en profita pour lui donner un coup de couteau au niveau des yeux. Kaori cria d'horreur !! Falcon tomba, vaincu.

 - Non, non, non !!! pleura la jeune femme. Pourquoi vous me montrez cela ?

 - Pour que vous le compreniez.

 - Que je comprenne qui ? demanda Kaori en levant la tête

 - Le jeune garçon aux cheveux de jais et aux yeux noirs comme la nuit, ne vous rappelle personne ? Observez-le bien.

Kaori regarda l'agresseur. Celui-ci, comme si on l'appelait, se tourna vers elle et fit quelques pas. La jeune femme le détailla puis elle mit la main dans sa bouche retenant un cri. Saeba!!! C'est lui qui avait commis ce massacre !

Elle eut envie de vomir. Le jeune mercenaire se mit à pousser un hurlement bestial qui lui remua le cœur puis il quitta les lieux sans un regard en arrière.

- Pourquoi ? Qui êtes-vous ? demanda Kaori d'une voix chevrotante en se retournant vivement vers l'homme balafré.

 - Savoir qui je suis ne vous avancerait pas à rien!  Ne jugez pas Ryo trop vite. Il n'était plus lui-même ce jour-là. Il a traversé un véritable enfer pour en arriver là où il en est. Ryo ne s'est jamais pardonné les horreurs commises mais il ne se rappelle pas de tout. Son dernier partenaire à fait ressortir le meilleur en lui. Vous l'avez senti, n'est-ce-pas ?

Kaori sécha ses larmes. Elle regarda la direction que Ryo avait prise.

-Oui, mais il y a tellement de tristesse dans le fond de son âme, dit Kaori.C'est un homme qui cache ses sentiments pour ne pas qu'on le prenne en pitié...

-Ou qu'on le juge. Sa souffrance est assez grande, pas la peine d'en rajouter.

- Ce n'était pas l’attitude normale d’un enfant. On lui a fait quelque chose n’est ce pas?  demanda Kaori, sentant la colère monter en elle.

- Vous avez compris. En effet, il a été drogué. 

Drogué un gamin! Quelle personne immonde pouvait agir comme ça ? 

L’homme à la cicatrice sourit légèrement.

 -Ryo ne se confie pas facilement mais il vous le dira quand il se sentira prêt. Soyez patient avec lui, Kaori. Vous ne le savez pas encore, mais il a besoin de vous.

La jeune femme le regarda, surprise, puis il disparut. 

Kaori se réveilla en sursaut. Les rayons de soleil traversaient sa chambre. Elle sentit des nausées arriver, prises encore dans les affres de son cauchemar car c'en était un et le pire de tous ! Elle alla dans la salle de bain et se passa un coup d’eau sur la figure. Jamais elle n'aurait cru pouvoir assister à ça ! Kaori sentit la chair de poule gagner ses bras. Elle se regarda dans le miroir, des cernes entouraient ses yeux dont le regard était encore dans cette jungle! La jeune femme fut prise de frissons. Un grand froid la saisit, elle ferma ses paupières, reprenant son calme. 

Pourrait-elle continuer à regarder Ryo de la même manière après ça ? Non, bien sûr que non ! Comment faire pour ne pas penser à ce qu'elle avait vu lorsqu'elle le reverrait ? Kaori soupira. Il faudrait qu'elle trouve une solution, car ça serait dans quelques heures.  La jeune femme prit sa douche, s’habilla et prépara le  petit déjeuner. Quelques instants plus tard, sa soeur l'a rejoignit dans la cuisine :

-Bonjour soeurette! Tu as une petite mine ! Tu as mal dormi ? Il m'a semblé t'entendre geindre dans ton sommeil.

- Bonjour!! Oui, j'ai fait un cauchemar.

 -Tu veux me le raconter ?

Kaori, le dos tourné à sa sœur, se figea un instant avant de lui répondre non. Il ne valait mieux pas que Sayuri sache ce qu'il s'était passé dans cette vision. N'insistant pas, l'aînée mit la table puis les deux jeunes femmes s'installèrent et discutèrent de tout et de rien.

-Tu vas vraiment aller voir Monsieur Saeba, Kao ? Tu ne veux pas que je vienne avec toi? demanda soudainement Sayuri.

Kaori posa ses baguettes à côté de son bol.

-Tu sais bien que je ne veux personne quand je délivre un message, sauf quand c'est celui d'un enfant à ses parents, répondit Kaori.

Les fois où elle a eu affaire à des  esprits d'enfants, elle en était sortie bouleversée. Malgré le nombre d'années de « pratique », Kaori ne pouvait pas être indemne malgré ses précautions. Voir la réaction des parents était très compliqué sentimentalement. Le plus dur à supporter était les pleurs du couple. Elle avait l'impression de leur infliger une douleur supplémentaire. Cela était nécessaire afin d'avancer dans leur deuil sauf pour certains : Kaori s'était retrouvée jetée du domicile assez violemment.  

Comment cela allait-il se passer avec Saeba ? Elle appréhendait plus que d'habitude mais ne voulait pas angoisser plus encore sa sœur qui lui jetait des regards en biais, visiblement inquiète. Elle lui lança un grand sourire tout en finissant de déjeuner, perdue dans ses pensées pendant que sa sœur lui racontait l'organisation de son week-end où elle ne serait pas trop présente car une de ses amies l’avait invitée. Elles continuèrent de discuter puis Sayuri partit rejoindre son amie qui l'attendait en bas de l'immeuble.

L'heure de son rendez-vous arriva bien vite, Kaori prit sa veste puis sortit de l'appartement. Les gens, en ce jour ensoleillé, étaient plus nombreux dans les rues. La jeune femme leva son visage au soleil et prit le chemin de la gare de Shinjuku. Le brassage de la foule était impressionnant. Que ce soit des tokyoïtes prenant le train ou se dirigeant vers les magasins, des tas d'individus passaient à côté d'elle sans lui prêter la moindre attention. C'était l'avantage de vivre dans une mégalopole comme Tokyo. Vous êtes un anonyme parmi d'autres. Les gens se croisent sans se regarder.

Elle arriva devant le tableau des messages. Il était rempli d'un tas d'écritures et de numéros de téléphone. Kaori se rappela de la conversation avec sa sœur quand elle lui avait parlé de City Hunter..



Dix-huit mois auparavant


 Le rédacteur en chef de Sayuri lui avait demandé d'enquêter sur la disparition de certaines femmes et que l’on avait trouvées dans un sale état.  Apparemment, elles avaient été torturées et certaines avaient été violées. Celles-ci  travaillaient dans l'endroit le plus « select » de Tokyo: Le Kabukicho.

Sa sœur, habillée pour le travail (en tailleur jupe) en posant des questions çà et là, avait eu des avances de différents clients de ce quartier. Plusieurs lui avaient demandé si elle ne s’était pas perdue, qui elle attendait ou même si elle pouvait réaliser le fantasme du patron et de la secrétaire. Sayuri avait été tellement gênée, qu'elle avait fini par appeler Kaori  à l’aide pour qu'elle vienne la chercher.  En effet, cette dernière qui s'était déplacée plusieurs fois au Kabukicho, connaissait  le quartier : elle était venue avec le vétérinaire pour soigner les animaux de certains clients.

C'était une sœur cadette hilare qui avait rejoint la journaliste.

-Bon, ça va, Kao, pas la peine de rire !! avait boudé la sœur aînée.

-Si tu voyais ta tête, c'est trop drôle !! 

Une femme légèrement maquillée, qui s'apprêtait à rentrer dans un bar s'était retournée vers les deux sœurs. 

 -Bonjour !!! C'est vot'soeur ?

-Bonjour, mademoiselle Tetsuko !!! avait répondu Kaori, c’est ma grande sœur en effet.

 La bunny avait regardé Sayuri avec un air de défi.

- C'est vous la journaliste qui pose des questions sur les disparitions ?

Sayuri avait hoché la tête en guise de réponse. 

-L'affaire sera bientôt résolue, avait affirmé la demoiselle. Celui qui a fait cela va passer un sale  quart-d'heure , c'est moi qui vous le dis !

-Comment cela? avait interrogé Sayuri, la curiosité reprenant le dessus.

-On veille sur nous et vaut mieux pas nous embêter !!

La bunny avait regardé derrière l'épaule des deux jeunes femmes, son visage avait changé radicalement d’expression. Kaori aurait parié que mademoiselle Tetsuko avait blêmi.  Elle avait ouvert la porte du bar puis disparu à l'intérieur précipitamment.

Kaori s'était demandé qui elle avait vu pour réagir ainsi. Elle s'était retournée à son tour mais n'avait vu personne. Pourtant, une intuition fugace l'avait prise, celle d'être observée. Il y avait aussi ce sentiment que la mort rôdait pas loin. La médium avait été chagrinée. Lorsque cet instinct la prenait, Kaori ne se trompait pas. La mort, cette ombre qu’elle percevait, dans certains cas, n’était jamais bien loin de la personne dont les jours voire les semaines étaient comptés.

Sayuri s'était apprêtée à suivre la bunny dans le bar afin d’obtenir plus d’informations lorsque Kaori l'avait  retenue.

-On s'en va !! s'était-elle exclamé d'une voix ferme.

La sœur aînée avait été surprise du ton de la jeune femme.

-Mais enfin Kao !! Je pourrais avoir des renseignements sur l'affaire !

-On rentre Sayuri, vaut mieux ne pas insister. Allez, dépêche toi ou je te laisse ici !!

Kaori sentit qu’elles devaient s’en aller très vite. Elle avait la nette impression qu’elles allaient avoir des problèmes si elles insistaient.

La journaliste avait soupiré et s'était résignée à suivre sa petite sœur.

 Peu de temps après, Sayuri avait su par un confrère qu’un homme avait été retrouvé mort dans une poubelle, violemment battu et mort dans d’horribles souffrances. Les deux journalistes ont su ensuite que c’était celui que la police recherchait pour les agressions dans le Kabukicho. Une rumeur circulait que c'était City Hunter qui avait fait cela.

 Quelques jours plus tard, Sayuri était rentrée du travail complètement surexcitée !

-Kaori, j'ai un super sujet pour un article !!

Celle-ci avait levé les yeux du magazine qu'elle lisait pour voir sa sœur aînée mettre ses chaussons, les joues rouges et le regard plein d'excitation. Sincèrement, la jeune étudiante plaignait le ou les victimes de l'article de Sayuri car  elle  savait que tant que la journaliste avait un os à ronger, elle ne le lâcherait pas !!!

 - Ca se passe dans les quartiers chauds ? lui avait-elle demandé, moqueuse.

Sa sœur l'avait fusillé du regard :

-Non mais je sais de source sûre qui est le « gardien » de Shinjuku !

Sayuri, laissant le suspens s'installer, s'était assise en face de sa sœur avec un sourire. Kaori avait refermé son magazine. Heureuse d'avoir l'attention de sa cadette, elle s'était alors expliquée.

-Tu as entendu parlé de City Hunter ? La légende urbaine ?

-Oui, un peu. 

-Eh, bien figure toi que si la police ne résout pas ton affaire, tu fais appel à lui, enfin à eux car ils sont deux.

-Deux? Tiens je croyais que City Hunter était un seul homme vu que Hunter n’a pas de S. 

-Moi aussi mais c’est apparemment un nettoyeur et un ancien flic qui font équipe, avait avoué  Sayuri

-Et tu fais comment pour les contacter ? Tu leur passes un coup de téléphone ? Tu les siffles ?

Sayuri  avait soupiré en levant les yeux au ciel .

-Non, tu inscris trois lettres sur le tableau des messages de la gare « XYZ » avec un lieu de rendez-vous, avait-elle répondu. Tu leur racontes ton problème et ils décident s'ils prennent ton affaire en main ou pas. C'est le dernier recours.

Kaori prenait le train pour aller à l'université. Il est vrai qu'il lui était arrivé de regarder le tableau de la gare mais n'avait jamais vu de XYZ.

-Le plus beau des deux propose même aux belles clientes de régler la facture en nature, avait affirmé Sayuri.

-Il ne doit pas avoir beaucoup de succès pour en arriver là !! dit Kaori.

- Alors là! Détrompe-toi! C'est un coureur de jupons mais les clientes finissent par tomber sur son charme d'après ce que j'ai  entendu.

-Je peux savoir qui t'a raconté tout cela ? avait demandé sa sœur.

-Une de mes sources au sein de la police.

Sayuri s'était levée :

-Ce sujet fera un article formidable, tu ne crois pas ?

-Tu plaisantes ?  Laisse-les tranquilles ! Tu ne sais pas à qui tu as affaire, soeurette ! Ce n'est pas une légende urbaine pour rien, avait insisté Kaori inquiète.

-Je vais mener mon enquête et ensuite je leur demanderai une interview,  avait continué sa sœur, sourde à la remarque de sa cadette.

-Sayuri, cela me semble risqué pour toi! Ne viens pas mettre ton nez là-dedans.

Kaori n'avait pas plus insisté, sa sœur était très têtue lorsqu’un sujet l’intriguait. Elle avait espéré seulement que Sayuri se montre prudente.

Dans les semaines qui avaient suivi, la journaliste n’était jamais rentrée de bonne heure. Le week-end, elle avait rassemblé des « preuves » comme elle disait. Kaori, plongée dans ses révisions, l’avait laissée  à ses investigations guettant  le retour de sa sœur avec impatience et, quand même, un peu d'inquiétude.

Un soir, Sayuri  était rentrée plus tôt.  La mine déconfite qu'elle affichait avait surpris sa cadette.

-Que s'est-il passé ? avait demandé Kaori.

-Pour City Hunter, j'arrête !!! 

-Pourquoi ?

Sa sœur l'avait regardée, un faible sourire sur les lèvres. 

-Mes sources ne sont pas fiables !! Je me retrouve face à un mur, à chaque fois que je veux creuser !! Ce n'était peut-être qu'une légende après tout.

Elle s'était assise lourdement sur une chaise.

-En plus, j'ai déjà assez de boulot !

Kaori avait été intriguée de l'attitude de Sayuri mais surtout soulagée qu'elle laisse tomber.  Au fond, ce n’était pas plus mal. Pour lui changer les idées, elle l'avait invitée au cinéma.

***


Kaori  était arrivée à la gare. Elle sortit lentement de ses pensées. Elle leva la tête puis posa ses doigts sur le tableau.

-Trois petites lettres qui peuvent résoudre vos problèmes ! chuchota une voix qu'elle connaissait bien.

-Bonjour Makimura! lui dit-elle en souriant.

-Vous aviez l'air ailleurs, il y a quelques instants.

-Je me suis rappelé la première fois que Sayuri m'a parlé de ce tableau et des lettres que l’on utilise en cas de dernier recours.

Hideyuki sourit à son tour, conscient que la légende urbaine prenait vie sous les yeux de la jeune femme. 

-On y va ? demanda-t-il.

Kaori le suivit.

La médium parlait presque normalement mais avec le monde dans la rue en ce samedi, elle risquait seulement d'attirer le regard de certains passants qui la prendraient pour une illuminée parlant toute seule. Pas bien grave.

-J'étais dans le parc avec Ryo et Saeko et...commença Makimura.

Il s'interrompit, se demanda s'il devait tout raconter ou lui cacher le fait que Ryo avait mené une enquête sur elle, qui n'avait rien donné, soit dit en passant. Il toussota pour cacher sa gêne. Hideyuki se devait d’être honnête. La confiance devait être mutuelle.

-Ryo a demandé des renseignements sur vous à mon ancienne partenaire. Et ensuite, il s'est passé un truc étrange...

Il jeta un coup d'œil à la médium et Hideyuki vit qu'elle serrait les dents, pas ravie d'apprendre cette nouvelle.. 

- Ah oui ? Il enquête sur moi, le ***? Bah tiens... grommela-t-elle en accélérant le pas.

- Pardon ? je n'ai pas compris.

- Non, rien. Et ? C'était quoi le truc étrange ? 

-Quand j'ai vu ce qu'il faisait, cela m'a mis en colère et j'ai réussi à faire bouger une canette de soda et je ne m’en suis pas rendu compte au début.

-Ah?

-Mais le mieux c'est que j'ai rencontré un autre fantôme, enfin... une fantôme. Elle m'a appris à faire bouger les objets  ainsi qu’à les toucher! Nous nous sommes amusés comme des enfants à faire chuter tout un tas de choses !

-Je comprends mieux pourquoi je ne vous avais pas vu de la journée.

Kaori se mit à rire en imaginant la scène. 

-Cette femme m'a appris aussi à venir directement vers une personne simplement en dirigeant mes pensées vers elle. C'était très instructif !!

-Vous savez comment elle s'appelle ?

-Oui, il me semble qu'elle s'est présentée comme étant Madame Michoko. 

La jeune femme s'arrêta nette au milieu de la rue. Un passant manqua de la bousculer mais Kaori ne s'en préoccupa pas.

-Vous avez rencontré Moshi-Moshi ? 

Hideyuki la regarda, intrigué. La médium s'était remise en marche, le sourire aux lèvres.

-  Vous la connaissez ? demanda le fantôme en volant derrière elle.

- Oh oui !! Je la connaissais déjà de son vivant. C'était une voisine à ma mère. Madame Michoko était une incorrigible commère, toujours au téléphone (d'où le surnom Moshi-Moshi). Derrière son caractère  bourru, c'était une femme au grand cœur. 

Le regard de Kaori se perdit dans les souvenirs. Elle avait adoré le quartier dans lequel sa sœur et elle avaient grandi. Une sincère solidarité  régnait entre les habitants. Aucun d'entre eux n’était riche mais chacun soutenait l'autre en cas de besoin.

- Quand notre voisine s'est retrouvée veuve, elle a hérité des dettes que son mari avait accumulées dans son dos, continua Kaori. Ma mère ainsi que les voisins l'ont aidée. Un jour,  elle avait failli se faire expulser. Tous les habitants de l'immeuble ont empêché l'huissier d'entrer chez Madame Michoko.

-Sérieusement ? Vous avez dû avoir des problèmes ensuite, non ?

Kaori tourna la tête.

-Pas du tout. L'huissier à été touché de notre réaction et a fini par accepter un étalement des dettes. Notre voisine en avait tellement fait pour nous tous que chacun a aidé au mieux.

La jeune femme soupira. 

-Bien des années après, Moshi-Moshi est décédée dans son sommeil. Nous avons tous été attristés. Il y avait beaucoup de monde à ses obsèques.

Un ange passa. 

Hideyuki plongea son regard dans la foule.

-Ça se passe de la même manière à Shinjuku. C'est un quartier que Ryo et moi aimons beaucoup. Nous nous sommes jurés de le protéger. Nous sommes fiers de la solidarité des habitants. Cela devient de plus en plus rare vous savez.

Il s’arrêta devant un immeuble.Le fantôme s'arrêta et mit la main sur l'épaule de Kaori.

-Nous y voici, dit Makimura.

La médium ne l'écoutait pas. Au contact d'Hideyuki, elle avait été entourée d'une brume qui se dissipa lentement pour laisser place à une vision. Elle voyait un jeune homme que Kaori identifia comme Hideyuki, avec son uniforme de lycéen, en train de faire rire un bébé qu’il tenait  dans ses  bras. 

-Hide, tu vas être en retard à  l'école !!! dit une voix masculine.

-Une minute, papa!

Un homme qui ressemblait à Makimura, ajustant son uniforme de policier, arriva dans son champ de vision. Il regarda le jeune homme avec un air sévère mais avec une pointe de tendresse et son expression changea quand il prit le bébé. 

Ses yeux étaient remplis à la fois d'affection mais aussi, et Kaori trouva cela curieux, de tristesse. La vision s'arrêta nette.  Le fantôme avait retiré sa main. 

Elle expira et inspira afin de calmer les battements de son cœur.

-Mademoiselle Tachiki, vous allez bien ? s'inquiéta Hideyuki en la voyant si pâle.

-Oui, je vais bien. 

Pourquoi cette vision au contact du fantôme? se demanda-t-elle. 

Pour le moment, elle devait délivrer le message. Elle verrait plus tard pour ce « problème ».

Hideyuki fronça les sourcils. Les yeux de la jeune femme, pendant un moment,  avaient été vidés de toute expression. Il avait cru qu'elle allait s'évanouir mais elle s'était reprise. Il mit cela sur le compte du stress de sa rencontre à venir avec Ryo.

Ils arrivèrent devant la porte de l'immeuble.

-Attendez moi ici, je vais voir s'il est là !! dit Hideyuki.

Il disparut. Kaori en profita pour jeter un coup d'œil à l'immeuble de briques rouges. La jeune femme compta cinq étages. Le bâtiment semblait un minimum entretenu.

-Il dort comme un loir !! Entrez, c'est ouvert.

Kaori tourna la poignée et entra dans un hall qui donnait accès à des escaliers menant aux étages. Son cœur battit plus vite. Elle avait envie de faire machine arrière mais s'y refusa. Hideyuki lui souriait, l’encourageant à monter. L’enfant qu’il tenait dans ses bras, dans sa vision, était-ce son frère ou sa sœur? Il y avait tellement de tendresse dans son regard. Elle soupira intérieurement. Puis le cauchemar lui revint en mémoire. Une fois monsieur Saeba en face d’elle, quel comportement devrait-elle avoir? Elle  ferma les yeux puis le rouvrit quand Makimura lui parla.

- Montons au cinquième, Mademoiselle !! Lui dit le fantôme  la faisant sortir de ses pensées.

Pendant l'ascension, Hideyuki lui expliqua que Ryo avait acheté tout l'immeuble pour une bouchée de pain et qu'il avait effectué le nécessaire pour qu'il soit habitable. Ryo avait eu quelques locataires, ce qui lui avait permis, en période « creuse », d'avoir un minimum de revenus. Ces derniers avaient cependant fini par partir suite à la recrudescence des agressions que subissait leur proprio. Depuis, il était le seul habitant de cet immeuble et ce n'était pas plus mal.

-Nous sommes arrivés, annonça Hideyuki.


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