Ange-Gardien
..QUELQUE PART
Yukio regarda autour de lui. Des meubles simples ornaient le lieu qui semblait être une salle à manger. Il entendit des rires provenant d’une autre pièce. Il franchit le mur sans problème. Une mère riait avec son enfant pendant qu’elle s’affairait pour le repas. Les cheveux noirs rassemblés en chignon, la femme portait une robe recouverte d’un tablier. Une fillette d’à peine cinq ans dessinait sur une feuille en papier, assise sur une chaise. Soudain, une porte claqua violemment. La mère et la fille sursautèrent puis se regardèrent avec inquiétude.
Yukio vit débouler un homme en colère. Le regardant de plus près, il comprit que c’était Junichi Hisaishi, un peu plus jeune. Il semblait furieux. Junichi prit brutalement la femme par les bras et la secoua. Elle le regarda, effrayée.
-Où sont tes économies ? Où sont-elles ? J’en ai besoin.
Yukio en déduisit que c’était son épouse et se demanda ce qu'il faisait là.
-Tu es chez les Hisaishi, dit une voix.
Kenny se tenait à ses côtés.
-Oui ça je l’ai compris ! Mais pourquoi ? répondit-il avec un peu d’agacement.
Yukio n’eut pas de réponse et reporta son attention sur la scène qui se déroulait devant ses yeux.
-Junichi, qu’as-tu fait ? demanda la jeune femme, inquiète.
Elle le fixait, une certaine lassitude dans son regard. Ce n’était donc pas la première fois que cela arrivait. Puisqu’elle ne réagissait pas, l'homme perdit patience.
-Espèce d’idiote ! fit Junichi en la poussant brusquement et il quitta la cuisine.
Sa femme manqua de tomber mais elle se rattrapa de justesse à la table. La petite fille cria. Elle descendit de sa chaise puis s’accrocha à la robe de sa mère.
-Maman ? demanda-t-elle en la regardant.
-Ca va, ma puce ! Ne t’inquiète pas, dit-elle d'un ton rassurant en lui caressant la tête mais sa voix tremblait.
L’esprit suivit Junichi dans une chambre à coucher. Un couffin posé sur son support était à côté d'un lit adulte. Une armoire était en désordre, il semblait qu’il avait déjà fouillé dedans.
L'homme accroupi faisait de même dans la commode.
Son épouse et sa fille se mirent sur le seuil.
-Je sais que tu as des économies, sale garce ! Dis- moi où elles s…!
Il s’arrêta, sa main ressortit quelque chose du linge : un joli coffret en bois d’ébène sculpté sur le dessus. En l'ouvrant, il vit des billets et sourit, mauvais. Sa femme déglutit et plaça sa fille derrière elle. Il se releva et les pleurs d’un bébé se firent entendre. Junichi l'ignora superbement et se planta devant sa femme. Celle-ci recula, apeurée.
-Je savais que tu en avais ! Tu fais des trucs dans mon dos, hein ?
Il s’avança, fou de rage.
-Cet argent, je l’ai gagné, Junichi !! Tu as dépensé notre argent dans des paris douteux. Faut bien quelqu’un pour payer les factures, protesta son épouse.
-Ta gueule !! hurla-t-il.
-Papa, arrête ! dit une voix fluette.
La gamine s’était placée devant sa mère, les bras tendus. Les larmes au bord des yeux.
-Arrête de te disputer avec maman, tu me fais peur.
Yukio qui observait toujours, ne comprenait pas l’attitude de ce Junichi. L’esprit avait été élevé dans un foyer aimant. Oui, ses parents se disputaient, mais ce n’était pas courant et c’était souvent dû au fait que sa mère ne voyait plus que rarement son père qui était occupé avec son entreprise. Jamais il n’avait vu ou entendu celui-ci parler comme cela à sa femme.
Il vit Junichi serrer les dents.
-Pousse-toi, Sayuri ! cria t-il.
-Non ! dit l’enfant d’une voix ferme en le regardant.
Son père lui prit le bras et la poussa violemment. Sayuri finit par terre en poussant un cri. La mère alla vers la petite.
-Mon dieu Sayuri ! dit la mère, inquiète et la prenant dans ses bras.
A côté, dans le lit, les pleurs du bébé se transformèrent en hurlements.
-Prends l’argent et fous le camp pour ne jamais revenir, Junichi ! fit son épouse, en colère.
Son mari prit un sac, mit la boîte dedans puis se retourna vers elle.
-Mais tu croyais que j’allais faire quoi, à ton avis ? Tu es inutile, même pas capable de me faire un fils !!
Junichi était sur le seuil de la chambre puis soudainement, il se tourna et se dirigea vers le couffin.
Son épouse fut prise d’un mauvais pressentiment et se précipita derrière lui. Junichi regardait la petite pleurer.
-Ma seule fierté, c’est Kaori. Elle me ressemble tu ne trouves pas ? demanda-t-il en regardant son épouse.
Il se pencha vers le bébé. Sa femme s’avança prudemment.
Yukio retint son souffle. La femme qu’il avait tenté de tuer dans la ruelle était là, bébé, sans défense.
Junichi mit l’anse du sac sur son épaule. Il tendit les mains vers Kaori qui hurlait à pleins poumons et la posa au creux de son bras. Elle arrêta ses pleurs, regarda son père puis reprit son cri.
-Junichi, qu’est-ce que tu fais ? questionna la mère, tremblante.
Elle posa délicatement sa main sur le bras de son mari.
-Tu fais peur à Kaori, repose-la, s’il te plaît ! implora-t-elle d'une voix douce.
Il la regarda d’un drôle d’air. Junichi reposa le bébé dans le couffin, le décrocha de son support, prit les anses et le souleva.
-Que fais-tu ? Laisse-la ici !! supplia son épouse.
Il repoussa la main de la mère.
-Junichi, je t’en supplie !
Son époux quitta la chambre et gagna la porte d’entrée.
Sayuri pleurait à chaudes larmes et rejoignit sa mère à genoux au milieu de la salle, sanglotante. Junichi mit ses chaussures.
-Je t’en prie, mon époux, laisse ma fille ici !! Je ferai ce que tu veux, mais s’il te plaît, pose le berceau, on va discuter !
Sa femme lui tenait le pantalon. Il se dégagea brutalement.
-Kaori est ma garantie. Si tu appelles les flics, tu ne la reverras pas !
Sa femme poussa un cri puis il sortit en claquant la porte.
Yukio regardait la scène, écoeuré. Cet homme était une pourriture sans nom. Il tenta de suivre Junichi mais Kenny l’arrêta en posant sa main sur son bras.
-Vous ne pouvez rien faire, dit l’homme à la cicatrice.
Yukio serra les dents et se dégagea de sa prise.
-Vous n’avez pas répondu à ma question, pourquoi suis-je ici ?
Le décor s’estompa pour laisser place à l’habitacle d’une voiture. L’esprit était assis derrière, le couffin à côté de lui. Hisaishi était au volant, regardant la route. Il faisait nuit. Depuis combien de temps roulait-il ? S'il ne se trompait pas, la première scène se passait en fin d’après-midi, là c’était le soir.
-Il a pris sa voiture pour rouler une cinquantaine de kilomètres puis l’a abandonnée pour en voler une. Il a fait des arrêts pour manger et acheter ce qu’il faut pour le bébé, lui précisa Kenny qui était assis à côté du conducteur.
Yukio sursauta, il ne l’avait pas vu. Il regarda à côté de lui. Kaori dormait profondément. Un être si petit, serrant ses poings.
-Elle a pleuré une bonne partie de la journée. Elle s’est endormie de fatigue, précisa Kenny.
Yukio regarda par la fenêtre.
-Il ne roule pas un peu vite, là ? demanda Yukio.
La voiture franchit un carrefour sans ralentir. Une voiture freina de justesse pour l’éviter. Il se passa plusieurs minutes avant que Junichi ne se mette à parler.
-On arrive bientôt ma fille ! Si ta mère se tient tranquille, tu la reverras peut-être.
Il tourna brutalement le volant pour changer de direction et le couffin tangua dangereusement car il n’était pas attaché.
-Nous allons rester ensemble un moment ma fille ! Je vais voir si ton idiote de…
Un choc se fit entendre. Junichi avait grillé un feu rouge et avait percuté un camion citerne.
Yukio avait fermé les yeux en voyant l’accident et se retrouva soudainement à côté du véhicule. Il vit que le conducteur, Hisaishi, était sans connaissance, la tête sur le volant. Sa voiture était rentrée en plein dans la citerne qui fuyait, éventrée. Le chauffeur du camion avait une plaie ouverte sur son front. Ses yeux étaient fermés. Il y avait du sang sur la vitre qui était fissurée, démontrant la violence du choc.Le couffin avait été propulsé contre le fauteuil et le bébé était sur le côté sur le point de tomber au sol.
Soudain, des flammes apparurent entre les deux carcasses. Yukio tenta de venir en aide mais bien évidemment son corps passa à travers la carcasse.
Une voiture de police arriva, deux agents en sortirent et se dirigèrent vers le chauffeur du camion. Celui-ci, qui avait repris connaissance, tenta de sortir de sa cabine mais ce fut un échec, sa portière était coincée. Il entendit soudainement les cris d’un bébé.
-Il y a un bébé dans la voiture ! Dépêchez-vous, hurla le conducteur, allez le sortir de là !
-Quoi ? demanda le policier.
-Un bébé dans la voiture !! Le feu va l’atteindre !
Comprenant enfin, un des policiers courut vers la voiture et entendit le hurlement de l’enfant qui semblait diminuer. La fumée envahissait l'habitacle. Il mit le bras devant son visage pour se protéger de la chaleur des flammes qui se rapprochaient dangereusement du véhicule, puis il fit le tour de la voiture. L’homme en uniforme examina la situation qui semblait compliquée : le conducteur affalé sur le volant et le couffin renversé derrière le siège de celui-ci.
Le policier entendit le conducteur tousser puis se redresser lentement.
-Monsieur, ça va ? demanda l’homme en uniforme.
Junichi le regarda fixement, le regard perdu, ne comprenant pas ce qu’il lui arrivait.
Le policier lui expliqua qu’il allait sortir l’enfant rapidement et qu'il allait s’occuper de lui ensuite. Les sirènes des pompiers et de l’ambulance se firent entendre au loin. Il fallait qu’il agisse vite, très vite.
Le flic remit son bras devant sa bouche puis leva le piton de la portière. Il tira sur la poignée mais eut du mal à l’ouvrir. L’homme en uniforme, souleva délicatement le couffin puis tint l’enfant avant de pousser le berceau sur le siège. Il prit délicatement le bébé qui respirait à peine. Le policier jeta un coup d’oeil au conducteur qui semblait avoir repris ses esprits.
-Je reviens monsieur, je vais faire vite !!
Le policier courut pour amener l’enfant à l’ambulance. Le médecin le prit mais son expression n’augurait rien de bon.
Junichi réalisa sa situation, donna des coups d’épaules dans sa portière. Il finit par l’ouvrir et sortit en chancelant du véhicule. Il tenait le sac contenant la boîte contre lui. Toussant et titubant légèrement, il jeta un coup d'oeil en arrière et vit les pompiers tenter de sortir le conducteur de sa cabine. Sa fille était emmenée dans l’ambulance. Il fut soulagé même s’il ignorait si elle allait s’en sortir ou pas.
-Foutez le camp, ça va exploser !! hurla un soldat du feu.
Tout le monde s’écarta mais le conducteur du camion ne put être sorti de sa cabine avant la déflagration qui mit deux pompiers à terre.
Profitant du moment de confusion, Junichi se mit à marcher puis quitta les lieux.
Le policier ayant secouru l’enfant, avertit un des pompiers qu’il y avait l’autre conducteur dans son véhicule. Le soldat du feu accourut vers la voiture mais les flammes avaient envahi l’habitacle et l’empêchait de faire le tour. Il n’insista pas et retourna donner un coup de main à ses collègues.
-Kaori est aussi une victime. Mais une victime de son propre père, dit la voix de la Mort.
Yukio et Kenny sursautèrent, surpris.
-J’ignorais qu’elle avait vécu cela ! dit le mauvais esprit d’une petite voix.
La Mort hocha la tête et suivit le regard de Yukio. Les habitants du quartier regardaient les carcasses en flammes et l’agitation autour.
Le flic qui avait sauvé le bébé, regarda les portes de l’ambulance se refermer sur l'enfant. D’autres collègues à lui arrivèrent puis l’interpellèrent.
-Makimura ? Ça va ? Qu’est-ce qu’il s’est passé?
Le dénommé tourna la tête vers eux une fois l’ambulance partie. Il avait donné son numéro de téléphone à un des secouriste, pour avoir des nouvelles. Il espérait qu’elles seraient bonnes.
Yukio tourna la tête puis fronça les sourcils. Les pompiers s’affairaient pour éteindre l’incendie. Il regarda la citerne et ses yeux s’écarquillèrent. L’inscription sur le camion: Transport Sasaki.
La secrétaire de son père portait le même nom.
-Mon dieu ! fit-il
Le mari d’Hana était mort brûlé vif dans son véhicule d’après ce qu’il savait. Il venait d’assister à son agonie en direct et Junichi Hisaishi était son meurtrier.
SUR LA ROUTE DE L’APPARTEMENT À KAORI
Sur le trajet, Ryo faisait le joli cœur auprès des passantes. Il continuait malgré les claques qu’ils prenaient. Kaori se pinça le nez, elle en avait marre. A un moment, Ryo se mit à crier ce qui fit sursauter la médium.
-Oh qu’elle est belle ! Ça y est, je suis amoureux !!
Kaori entendit les corbeaux croasser tandis que son épaule se dénudait.
Le nettoyeur se mit à courir après une femme qui, il faut bien l’avouer, semblait avoir un corps magnifique…de dos. Sa cible continuait sa route, ignorante qu’un pervers était à ses trousses. Ryo lui courait après admirant ses courbes sensuelles. La future victime se retourna, alertée par les pas qui se rapprochaient. A la vue de son visage, le nettoyeur s’arrêta net, blêmit puis hurla d’horreur.
-Mais qu’est-ce que c’est que ça? dit-il.
La jeune femme portait un appareil pour un prognatisme supérieur. Son visage était recouvert de boutons d’acné et elle avait un énorme nez.
-Qu’avez-vous dit ? cria la victime pleine de colère.
Elle donna un formidable coup de pied à Ryo qui heurta un poteau sous la violence du choc. Atterrissant au sol, il ne bougeait plus ce qui fit accélérer le pas à Kaori, légèrement inquiète.
-Espèce de goujat !! Plus ils sont beaux, plus ils sont stupides, fit l’agresseuse en s’éloignant.
La médium arriva à la hauteur du nettoyeur, s’accroupit et le toucha avec son doigt.
-Vous allez bien ? demanda-t-elle
-Gnnnaaa gnnnnaaa, lui répondit-il toujours au sol, les yeux exorbités et le corps prit de soubresaut.
La jeune femme comprit qu’il était traumatisé. Elle eut envie de rire de l’attitude du nettoyeur. Kaori lui tapota la joue.
-Monsieur Saeba, ça va ?
Il ne répondit pas. Kaori pouffa. Son ventre se mit à exprimer sa faim. La jeune femme se leva et commença à partir. Monsieur Saeba la rejoindrait quand il serait remis du choc. Elle se mit à rire en repensant à l’expression du nettoyeur lorsque “sa victime” s’était retournée. Il était devenu blanc comme un linge.
“Eh, oui monsieur Saeba, il y a de tout en ce monde.” pensa Kaori.
Arrivée devant son immeuble, la médium sortit les clés de sa poche.
-Vous avez essayé de vous débarrasser de moi ? dit une voix.
La jeune femme sursauta et les clés tombèrent au sol. Ryo se baissa pour les ramasser et les lui tendit.
-Je vous ai dit que je ne vous laisserai pas seule.
Kaori soupira.
-Ma soeur est là, vous pourriez rentrer chez vous et je n’ai pas tenté de vous semer mais j’ai préféré vous laisser vous remettre du choc !
Elle ouvrit la porte du hall et pénétra à l’intérieur, suivie du nettoyeur.
-Ah, pitié ne m’en parlez pas ! Je vais faire des cauchemars cette nuit, dit-il en frissonnant.
Ils montèrent les escaliers.
-Monsieur Saeba, il ne faut pas se fier aux apparences ! C’est peut-être une personne extraordinaire.
-Peu importe, répliqua-t-il, je préfère les jolies femmes.
-Ah, les hommes !! fit Kaori en ouvrant sa porte d’entrée.
Elle la referma derrière lui. Le silence les accueillit.
Elle mit ses chaussons pendant que Ryo enlevait ses chaussures.
-Je croyais que votre soeur était présente ?
Kaori le fusilla du regard.
-Elle est avec des amies , Sayuri rentrera mais plus tard.
Ryo sourit devant son air furibond. Il adorait voir les yeux de la médium le fixer avec colère.
Voyant son expression amusée, la jeune femme soupira. Qu’il pouvait être énervant.
-Vous voulez un café ? demanda-t-elle poliment.
-Oui, je veux bien.
Kaori fila dans la cuisine pour préparer le breuvage et en passant, elle posa l’ordonnance du doc sur la table de la salle à manger ainsi que ses clés. Pendant ce temps, Ryo fit le tour de l’appartement. C’était simple et propre, ça lui changeait du sien qui, fallait bien l’avouer, ressemblait plus à une porcherie qu’autre chose. Il s'arrêta devant un meuble où étaient posées des photos.
On y voyait deux très jeunes filles rire aux éclats en tenant une glace. La plus jeune, avec des couettes (Ryo en déduisit que c’était Kaori), avait du sorbet sur le nez.
Le nettoyeur sourit en voyant l’innocence de ces enfants. Une chose qu’il ne connaissait pas. Il continua de parcourir les différents cadres relatant l’évolution de la vie des soeurs. Son regard s’arrêta sur la dernière photo. Celle-ci devait dater d’à peine quelques années. Les deux jeunes femmes étaient adultes et encadraient une autre femme plus agée.
-C’est notre mère, dit Kaori en lui tendant une tasse de café.
Il la regarda, prit le contenant, et reporta son attention sur le cadre.
-C’était quelques mois avant qu’on lui diagnostique son cancer. Maman ne voulait pas être prise en photo lorsqu’elle était malade. Elle voulait que l’on garde le souvenir d’elle en bonne santé.
Ryo tourna la tête. Il vit la médium serrer les lèvres, son regard exprimait une profonde tristesse.
-Je suis désolé, fit-il, gêné.
Kaori secoua la tête et lui sourit faiblement.
-Il y a des périodes difficiles mais il faut faire avec. Mon père nous a abandonnées alors que j’étais bébé. Elle nous a élevées seule et travaillait dur pour nous nourrir.
-Il lui en a fallu du courage ! dit Ryo.
-Oui, tout à fait !
Kaori voulut lui poser des questions sur l’enfance du nettoyeur mais la phrase de l’homme à la cicatrice, qu’elle avait rencontré dans son cauchemar sur la jungle, lui revint en mémoire :”il vous en parlera lorsqu’il se sentira prêt”. Elle se mordit la lèvre pour éviter que les mots ne les franchissent. La jeune femme préféra se retourner et se dirigea vers un meuble sur lequel était posé un téléphone ainsi qu’un répondeur. Celui-ci clignotait.
Elle appuya sur le bouton pour écouter les messages. La voix de Sayuri résonna dans l’appartement.
“Kaori c’est moi ! Écoute, je vais passer demain après-midi à la maison rapidement prendre des affaires. Christophe m’a appelée et nous partons le soir à Osaka. De toute façon, on se verra ! Je t’embrasse.”
-Tiens, votre soeur ne sera pas là ! Vous allez être toute seule.
Kaori sursauta. Ryo s’était glissé derrière elle pendant l’écoute du répondeur. Celui-ci continua de lire les messages.
-Euh..mademoiselle Tachiki, c’est Sota. Je vous appelle pour vous demander si c’est possible de vous voir pour vous payer un café. Vous savez…euh…pour la dernière fois…euh..bref, si vous pouviez me rappeler. Au revoir ! termina-t-il rapidement.
Kaori fronça les sourcils. Sota? Le vétérinaire avec lequel elle s’entendait très bien. Trente ans, assez séduisant... Pas autant que Monsieur Saeba qu’elle avait vu dans le plus simple appareil. Elle se mit des claques mentales. Non mais!!! Elle venait de se faire agresser et elle pensait à…STOP !! Elle devait être trop fatiguée..Elle le maudissait intérieurement de provoquer ce genre de pensée en elle. La médium se dit qu’il fallait qu'elle s'éloigne de lui au plus vite. Reprenant ses esprits, la jeune femme nota de rappeler son collègue.
Ryo,qui était resté à côté d’elle, haussa un sourcil.
-Vous avez de la fièvre ? Vous êtes toute rouge ! constata-t-il. C’est votre petit ami qui vous met dans cet état ?
-Ce n’est pas mon copain mais un…, dit-elle un peu trop rapidement.
Ryo avait l’air de s’amuser comme un fou à la provoquer. Quelle idiote elle pouvait être, elle ne marchait pas, elle courait !
-Finissez votre café et allez-vous-en !! dit-elle d’une voix prétendument sévère.
Elle le poussa légèrement afin d’aller dans la cuisine pour se faire une soupe.
Ryo la suivit du regard. Il entra dans la pièce et la regarda s’affairer. Il soupira puis se mit derrière elle et tapota son épaule.
-Le doc a dit du repos donc je vais faire le repas ! affirma Ryo.
Kaori se retourna avec une envie de rire.
-Vous ? Faire de la soupe ? Sérieusement ? se moqua-t-elle.
Ryo croisa ses bras.
-Ce n’est pas parce que je suis un homme que je ne sais pas faire à manger ! dit-il faussement vexé.
La médium gloussa devant l’expression boudeuse de Ryo.
-Il n’est pas question de cela, j’ai simplement vu votre appartement.
Le nettoyeur la regarda. Mince, c'était vrai ! Les cadavres de pizza et autres ne le flattaient pas.
-Je suis tout seul et puis je n'ai pas le temps, se justifia-t-il. Mais je vous assure que je sais cuisiner.
Kaori céda. La fatigue commençait à se faire sentir sérieusement. Elle n'avait pas envie d’une joute verbale.
-En même temps si vous n’arrivez pas à faire cuire ceci… lui-dit-elle en lui tendant un sachet de soupe déshydratée, vous seriez le plus nul des cuistots.
Ryo prit le sachet en souriant, amusé. Il la fixa et vit ses cernes et sa pâleur.
-Mademoiselle Tachiki, allez vous asseoir, je m’occupe de tout !!
La médium ne se fit pas prier et traîna des pieds jusqu’au canapé. Elle s’y assit puis regarda Ryo retirer sa veste qu’il posa sur une chaise ainsi que son holster. Elle put admirer sa musculature à travers son t-shirt. La médium soupira. Cela faisait drôle d’avoir un homme à la maison et ce n’était pas désagréable. Soudain, Kaori se dit qu’elle n’avait pas pensé à son agression depuis qu’elle était avec le nettoyeur. Ses préoccupations avaient été dirigées vers l’énergumène qui s’affairait dans la cuisine. Kaori s’allongea et cala un coussin sous sa tête. Monsieur Saeba avait fait le nécessaire pour lui faire oublier, même quelques heures, sa rencontre avec le mauvais esprit. Elle sourit. Il était plus gentil qu’il en avait l’air. La jeune femme pensa à Makimura, Aïko et madame Michoko. Kaori ne les avait pas revus. Où étaient-ils ? Ses paupières devinrent lourdes. Kaori finit par s’allonger et le sommeil la prit.
-Dites, vous pouvez me dire où sont les bols ? demanda Ryo en se retournant.
Il s'apprêtait à mettre la soupe dans l’eau qui bouillait.
Il vit Kaori dormir paisiblement. Il s’approcha à petits pas et la regarda. Le nettoyeur avait une envie folle de lui caresser le visage mais il la réprima. Ce n’était pas son habitude de réagir comme cela avec une femme. Depuis qu’il l’avait rencontrée, Ryo sentait naître en lui des sentiments qui lui faisaient perdre pied. Il avait envie à la fois de partir loin d’elle et de rester à ses côtés.
Il se secoua. Ryo retourna dans la cuisine, arrêta le feu sous la casserole. Il remit son holster ainsi que sa veste. Voyant l’ordonnance sur la table, il la prit, de même que les clés puis quitta l’appartement.